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vendredi 13 juin 2014

LM ce roman à propos de sans-papiers


Rien de tel que la fiction pour raconter la réalité. Avec "Sur la grue", tout nouveau et chouette roman d'Olivier Bailly (ONLIT éditions, papier ou ebook, 115 pages, 12 et 5,99 euros, version numérique offerte à l'achat du livre papier), je suis servie. L'auteur lui-même en dit avec une once de cynisme: "Ce roman parle de trois types qui ne trouvent pas d'accueil en Belgique. C'est donc une fiction."

J'y ai retrouvé avec intérêt et plaisir, sous l'angle littéraire, une part de mon quotidien, comme beaucoup le savent, à savoir la ville de Bruxelles et plus particulièrement sa Place de Brouckère, les demandeurs d'asile politique, les sans-papiers, leurs comités de soutien, les églises qui les accueillent et le CGRA (Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides)

Un roman sur des sans-papiers? Oui, un roman sur des sans-papiers, aussi bien documenté que tourné. L'auteur est journaliste et suit les dossiers "société". En même temps, il sait heureusement qu'il n'écrit pas ici un article mais un roman, le bienvenu "Sur la grue". Il soigne son lecteur, l'informe et le surprend. Parce qu'il n'y a rien de tel qu'une fiction pour relater la réalité.

Tout commence quand Mamadou, Joseph et Hicham grimpent tous les trois une nuit sur une grue jaune d'un chantier de la Place de Brouckère. Ils sont respectivement Malien, Rwandais et Marocain. Demandeurs d'asile déboutés bien entendu. Ils ont décidé d'unir leurs misères et de faire la grève de la faim là-haut. Presque dans le ciel.

On va suivre leur quotidien durant quelques jours. Leur rencontre avec le grutier maître des lieux d'abord, Jean, pas un mauvais bougre. Leur découverte par la presse ensuite, ce pseudo quatrième pouvoir qui envoie son petit monde escalader les innombrables marches qui conduisent à la plate-forme où trônent plus ou moins gaillardement les trois hommes.

Olivier Bailly nous dévoile successivement les histoires de Mamadou, le paysan malien, de Joseph l'intello rwandais et d'Hicham, le gay marocain. Pourquoi chacun a fui son pays, pourquoi il demande asile, liberté, le droit de vivre tout simplement, dans un pays, la Belgique, qui ne manque pas de moyens.

Certains moments sont cocasses comme quand le trio découvre que la grue voisine, la rouge, vachement plus moderne que la leur, est désormais occupée. Et pas par n'importe qui! Par la concurrence afghane! On le sait, elle campe, elle, à l'église du Béguinage, toute proche, alors que nos trois gaillards ont leurs pénates à Sainte-Gertrude.

A un autre moment, on fait connaissance avec les Belges qui soutiennent les réfugiés, à grands coups de coups de téléphone. A un autre encore, on vit avec les trois protagonistes la visite sur place, sur la grue donc, de l’Office des Etrangers. Et on peut se faire une petite idée des questions qui sont posées aux demandeurs d'asile dans notre pays. Si seulement ce roman pouvait être une fiction. Mais non, c'est la réalité qu'il nous raconte, proche de nous, à la fois visible et invisible.

Merci à Olivier Bailly pour ce beau roman qui n'hésite pas à aller jusqu'au bout de sa logique, comme le feront les protagonistes, non écoutés par l'Etat belge. Et qui a su mêler habilement différents épisodes récents des combats pour leurs droits de réfugiés originaires de pays qui menacent leur vie.

"Sur la grue" s'ouvre sur une phrase de PJ Harvey, extraite de "A place called home": 
"One day
I know
We'll find
A place of hope
Just hold on to me
Just hold on to me"


Mais l'auteur nous informe qu'il aurait pu commencer sur celle-ci:
"Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas"


Belgique, terre d'accueil? Pas pour tout le monde.

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