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mercredi 16 juillet 2014

LA dmire la subtilité de Michèle Gazier

Dans son nouveau roman, le très beau "Les convalescentes" (Seuil, 220 pages), tout en subtilité, Michèle Gazier met en scène trois femmes qui ne se connaissent pas au départ mais vont véritablement se trouver, ainsi qu'un mystérieux "homme en noir" entre elles. Lise, Oriane et Daisy se rencontrent à Saint-Libron, dans le sud de la France. Les deux premières sont installées à la maison de repos locale, la troisième au Grand Hôtel voisin qu'a préféré pour elle son mari, Maxime.

"C'est un livre sur le désir et la peur", prévient la romancière, "qui sont le même mouvement contrarié." Elle nous raconte magnifiquement les itinéraires de vie de ces trois convalescentes, à des titres divers, leurs maux, leurs cris et leurs guérisons, tout en pimentant leurs souvenirs ("Le chemin du souvenir est glissant") et leurs récits de vie d'un brin de suspense.

Trois femmes donc, qui "ont tout pour être heureuses" selon la satanée expression, d'âges différents. "J'ai toujours eu cette idée des trois générations présentes", me dit Michèle Gazier, passée par Bruxelles. "Je connaissais Saint-Libron, sous un autre nom, où avait été soignée ma mère. Un lieu terrifiant. Maintenant que ma mère n'est plus là, j'ai eu envie d'y revenir. Il y a là un délicieux théâtre à l'italienne, un peu décati."

Au début de l'écriture toutefois, elle avait une idée un peu différente: "J'avais d’abord pensé au personnage de Lise à trois âges différents ainsi qu'à la personnalité d'un homme un peu plus étrange. Mon amie Monèle, à qui le livre est dédié, avait vécu chez elle, à Uzès, une scène étrange où un homme était avec une femme en fauteuil roulant. Était-ce la même que la fois d'avant? Elle n'en était pas sûre." L'homme est resté tel quel, le personnage de Lise a évolué.

Michèle Gazier. (c) Hermance Triay.
Trois femmes se sont finalement présentées à l'écrivaine dont le jeu favori est d'imaginer la vie des autres. "Je voulais aussi parler du mal être de l'enseignant, mais pas seulement de celui-là, de l'anorexie, et inviter Daisy, l'Américaine, pour ses références littéraires."

Les prénoms de ces trois femmes au début impuissantes ont été soigneusement choisis. Lise ("lire dedans") est celle qui permet tout de suite à Michèle Gazier d'évoquer les souffrances et le langage du corps. Enseignante heureuse, mariée, mère d'un petit bout de deux ans, Lise voit toutefois un jour son pied enfoncer la pédale d'accélérateur de sa voiture. Elle emboutit la grille de l'école. Elle n'a rien trouvé d'autre pour arrêter une vie qui lui était devenue insupportable. "Je crois que le corps proteste pour nous", avance l'auteure qui a fait "un roman sur le corps, non au sens psychique, mais physique, sur le corps qui parle, qui appelle. L'esprit ne maîtrise pas toujours tout."
Verdict médical: trois mois de repos médicalisé dans un lieu de cure pour dépression grave. A 35 ans. Direction Saint-Libron.

C'est là que Lise rencontre Oriane, plus jeune qu'elle, anorexique, un autre appel du corps, arrivée là pour une énième cure. Elle lui rappelle un de ses anciens élèves, Julien, qui lui avait appris à écouter. Lise écoutera Oriane, dont le prénom "vient de Proust", avant de parvenir plus tard à s'écouter elle-même. La mère de la jeune femme a beaucoup d'argent, vit dans son monde... Comment une enfant peut-elle accepter que Proust lui soit préféré? Surtout quand elle a été confrontée trop tôt à la sexualité adulte? "Les grosses blessures sont celles de l'enfance", rappelle Michèle Gazier, "récurrentes, qui vous pourrissent toute votre vie. L'anorexie est une réponse à une question jamais abordée."

Daisy a, elle, un prénom emprunté à Edith Wharton. Elle est aussi arrivée à Saint-Libron pour des raisons physiques: un grave accident de la route la prive de l'usage de ses jambes. Mais son élégant mari prend soin d'elle, quand il ne disparaît pas mystérieusement à un rendez-vous. Daisy est celle qui apporte davantage de culture dans le trio, littérature et art contemporain dont elle a été spécialiste.

Bien entendu, les trois convalescentes se rencontreront. Thé à trois, thé à deux... Des conversations, elles passeront aux confidences dans ce lieu dédié à la maladie, voué à la guérison, mais où rôde la mort. Surtout quand le mystérieux Maxime aura son tour de parole. 

Trois lieux se succèdent dans "Les convalescentes", Saint-Libron bien entendu, mais aussi Paris et Uzès, qui ont leur importance pour le trio, ou le quatuor, c'est à voir. 

Trois thèmes aussi, l'amour, l'amitié et la maladie, qui se croisent et s'entrecroisent. "L'amour, l'amitié, la maladie sont compatibles parce que l'histoire se déroule dans un lieu où il n'y a rien", analyse Michèle Gazier. "Cela permet de rêver. En version cauchemar pour Lise, en version prince charmant pour Oriane. Le sentiment est presque une distraction. Un peu comme les amours de vacances. Il y a un côté vacances dans ces lieux-là, vacances au sens de vacuité."

Trois auteurs magnifiques enfin dont les noms se glissent dans les pages, ceux d'Henry James, Virginia Woolf et Edith Wharton.

"Les convalescentes" est un très beau roman où l'écoute de soi comme celle de l'autre ont toute leur importance. Michèle Gazier suit ces trois femmes au plus près d'elles-mêmes, trois humaines qui tentent de le rester et paieront le prix nécessaire pour un avenir meilleur que leur présent ou leur passé. Trois personnages qui résonnent en nous.



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