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lundi 24 novembre 2014

Tant de souvenirs mère-fille!

Marie-Ange Guillaume, on la connaît naviguant en bande dessinée, chez "Pilote" par exemple.
Marie-Ange Guillaume, on la connaît comme traductrice, et dialoguiste.
Marie-Ange Guillaume, on la connaît comme auteur de BD ou d'albums jeunesse,  illustrés notamment par la première bande réunie autour de feu Harlin Quist.
Marie-Ange Guillaume, on la connaît comme biographe de Pierre Desproges, de René Goscinny ou de Fred.
Marie-Ange Guillaume, on la connaît comme romancière à la plume souvent sarcastique. Un exemple ici.
Rien que du bon.

Mais cette rentrée littéraire nous a offert une autre facette du talent de Marie-Ange Guillaume, quand elle a publié le livre superbe qu'est "Aucun souvenir de Césarée" (Le Passage, 190 pages). Un texte sur sa mère qui vient de mourir, mais aussi sur elle-même, sur les liens qui les ont unies et/ou désunies, sur son père aussi, sur l'époux qu'il (n')a (pas) été. Pas de mélo ni de complaisance mais un récit familial prenant, vibrant d'humanité sous sa couverture d'humour et de colère.

L'auteure a expliqué qu'elle a fait ce livre à cause du décès de sa mère. Elle était alors en train d'écrire un roman sur un tout autre sujet. On sent bien l'urgence qu'elle a éprouvée à rédiger ce texte où elle s'est embarquée durant un an, avec la disparue et tous les souvenirs laissés par l'ancienne institutrice. Chaque chapitre appelle le suivant. Et on lit, confondu par cette audace littéraire qu'est toujours le fait de parler de sa mère morte, un récit de réconciliation magnifique, renvoyant chacun à sa mère ou aux rêves qu'il en a. Avec l'émotion en filigrane, car on connaît Marie-Ange Guillaume.

Marie-Ange Guillaume. (c) Jean Grisoni.
"Aucun souvenir de Césarée" s'ouvre à la dispersion des cendres de la défunte, dans la Loire bien entendu, près de laquelle elle avait vécu, qu'elle avait tant aimée. "C'est là qu'elle voulait finir, éparpillée dans ce fleuve dont elle connaissait le moindre buisson et tous les oiseaux et tous les recoins", nous la présente Marie-Ange Guillaume avant de bien tout cadrer quelques lignes plus loin: "C'est ma mère devenue poussière, c'est ma mère que le vent porte, teintée d'or dans le soleil de cinq heures en février [NDLR: 2013]. Et elle s'en va. (...) Ma mère, c'est fini."

Suit une longue escapade chronologique entre le présent et les souvenirs, pour "recoller les morceaux". Grâce à la disparue qui a largement consigné le quotidien dans des agendas et des cahiers, dont elle a réuni un quart de siècle dans deux cent soixante-six pages tapées à la machine à écrire. Grâce aussi au journal à quatre mains des parents de la narratrice, tenu de 1944 à 1947, le précédent ayant été brûlé en guise d'autodafé. Des pages que Marie-Ange Guillaume, née en octobre 1945, connaissait mais qu'elle n'avait jamais voulu lire. On imagine le choc que lui font certaines phrases. "Il m'a fallu comprendre d'où venait ta colère, et d'où t'est venue cette sagesse qui t'a prise sur le tard", note-t-elle. Son texte s'appuie aussi sur les lettres qu'elle lui avait adressées dans sa jeunesse et que sa mère avait gardées. Une d'elles donne l'origine du titre, on connaît les sarcasmes de Marie-Ange Guillaume. Ainsi que sur les commentaires de sa mère, alors en fin de vie et en maison de retraite, à propos d'albums de photos anciennes.

Les relations n'ont pas été un longue fleuve tranquille entre la mère et la fille, confrontée aux disputes des parents. Elles se sont séparées. Qui a abandonné qui? Sans doute les deux. Et pourquoi? Question sans réponse qui incite à creuser la relation telle qu'elle apparaît dans le rétroviseur. C'est ce que fait Marie-Ange Guillaume dans ce livre où elle n'épargne personne, on la connaît, mais dont émanent un énorme amour et une immense tendresse. Un sentiment de filiation aussi. Les itinéraires de l'une et de l'autre se dessinent avec de plus en plus de précision, entre déménagements et quête d'une vie heureuse. "Je me méfie du bonheur parce que c'est une chose qu'on vous reprend."

Marie-Ange Guillaume déroule leurs deux vies, leurs bonheurs et leurs chagrins, avec humour puisque c'est son fond de commerce. En même temps, elle aborde les questions qui surgissent lors d'une disparition. A sa manière, dans des phrases qui touchent: "Là, dans la maison, tout était intact, tout vivait encore, tout me suppliait de ne rien toucher." Et ce trou dans les souvenirs de sa mère. Pourquoi n'a-t-elle rien écrit de 1968 à 2011? On perçoit sa solide admiration pour celle qui mentait sans vergogne quand cela l'arrangeait.

En finale, le sentiment que fille et mère se ressemblent: "Pendant tout ce temps, je t'oublie sans t'oublier puisque je marche sur tes traces. Ce sentiment que tu avais de ta nullité indécrottable et la culpabilité qui en découlait, je les reprends à mon compte."

Et ce magnifique aveu: "Ma vie racontée est maintenant plus vraie qu'elle ne l'était au fond de ma mémoire disloquée. Alors il fallait que je la raconte, quitte à la trafiquer. Il fallait surtout que je te raconte, toi." Toi, cette mère racontée par une fille pudique mais sincère. Deux femmes réconciliées qu'on est enchantée d'avoir rencontrées dans ce magnifique récit qu'est "Aucun souvenir de Césarée". Un livre qui fait qu'on se sent mieux.




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