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mercredi 11 mars 2015

Les dix-sept ans de Colombe Schneck

Posez le disque "Diabolo menthe" d'Yves Simon dans le lecteur.
Enclenchez. Ecoutez.

"Dans tes classeurs de lycée
Y a tes rêves et tes secrets
Tous ces mots que tu ne dis jamais..."

Ou alors, imaginez que vous écoutez.
Vous entendrez aussi.

Ouvrez "Dix-sept ans", le nouveau livre de Colombe Schneck (Grasset, 94 pages) qu'introduisent les mots d'Yves Simon, touchant et rassérénant. Vous êtes en 1984. On écoutait encore alors la chanson du film de Diane Kurys sorti en 1977.

Dans ce très beau livre, bref mais dense, on retrouve la Colombe découverte dans "Val de Grâce" (Stock, 2008, J'ai lu, 2010). Celle qui écrivait: "Mon seul souvenir est là. Ce sentiment d'avoir été tant aimée qu'il n'y avait ni obstacles ni limites." L'enfant a grandi. Elle est aujourd'hui une adolescente qui doit passer le bac. Mais l'amour des parents est toujours là. Et la présence constante du père.

Ce père, qui a accompagné sa fille dans une épreuve terrible, restée secrète jusqu'à aujourd'hui, un avortement. "Ni ma famille, ni mes plus proches amis ne savent ce qui m'est arrivé au printemps 1984", écrit Colombe Schneck en ouverture de son récit. "Honte, gêne, tristesse... je n'ai jamais raconté comment, par accident, je suis entrée dans le monde des adultes."

Colombe Schneck.
"Dix-sept ans" est parti d'un article lu en 2014 par Colombe Schneck: dans un entretien à "L'Humanité", l'écrivain Annie Ernaux, elle-même passée par un avortement en 1964 à l'âge de 23 ans, expliquait la solitude des femmes qui avortent et faisait remarquer que  si, aujourd'hui, l'avortement est légal en France, il est toujours en marge de la littérature. "Quand j'ai lu ces mots d'Annie Ernaux", me dit l'auteure, de passage à Bruxelles, "je me suis dit que je n'avais pas le droit de garder cette histoire pour moi. En plus, il y a eu récemment dans notre pays toutes ces discussions sur la notion de "détresse" et l'idée d'"avortement de confort" qui ont déclenché de la colère en moi. J'ai voulu rompre un silence."

Le livre s'est écrit très vite, en trois semaines, durant l'été 2014. "J'ai dix-sept ans et j'ai un amant", écrit Colombe Schneck. "Je suis une fille libre." Elle recrée le printemps 84 pour ses lecteurs, la gauche au pouvoir, la peine de mort abolie, la fête de la musique, l'arrivée du CD, "Apostrophes", "Droit de réponse" et "Ciné-club" à la télé... "C'est l'époque", complète-t-elle pour moi, "où on croit que tout est possible, qu'on est libre, moderne."

On retrouve la jeune fille pleine d'appétit de vivre, insouciante aussi, sourde aux conseils tant elle est sûre que tout ne peut que bien aller.  "J'ai du mal avec les contraintes". A son horizon, le bac du mois de juin, pas l'annonce du gynécologue: "C'est exactement ce que je ne voulais pas qu'il t'arrive". La narratrice sait ce qu'elle veut, avorter. Pour continuer comme avant. Mais elle reconnaît: "Il y a, pour la première fois, quelque chose de lourd, qui rétrécit ce que je suis." Son père va l'accompagner à la clinique. 

"C'était agréable de replonger dans cette époque pour écrire ce livre", se souvient Colombe Schneck, "parce que mes parents étaient en vie, que j'étais protégée par mon père. C'était l’époque de "Val de Grâce". C'était à la fois agréable de retrouver tout cela et douloureux de mesurer tout ce que j'avais perdu, surtout la protection paternelle."

On ne saurait toutefois réduire "Dix-sept ans" à l'évocation d'un avortement. De son ton personnel, tellement attachant, l'auteure y raconte aussi sa famille. "Mes parents sont des enfants de la guerre, ils ont été des enfants cachés. Il y a un monde entre l'éducation qu'ils m'ont donnée et celle que je donne à mes enfants. Ma mère a toujours été dans le silence. La sexualité et la mort sont associées chez elle. Elle ne m'a rien dit à propos de cet avortement. Mais je lui ai pardonné parce que je la comprends. Elle n'a pas pu m'accompagner à la clinique mais mon père était là." 

On voit aussi comment l'"amant", Vincent, a été écarté de ce moment par l'adolescente. "Depuis la sortie du livre", reprend-elle, "j'ai reçu plein de lettres. De femmes qui me disent qu'elles ont aussi avorté, et surtout, à ma grande surprise, des lettres d'hommes qui me disent: "Moi aussi, j'ai un absent." Je pensais que j'avais écrit un livre pour les femmes, mais non, il concerne les hommes et les femmes. Je ne savais pas que cette liberté d'avorter concerne aussi les hommes. Cette histoire n'était pas vraiment un secret pour moi. Je pensais que ça n'avait pas d'importance pour les autres. Pour tous ces gens qui m'écrivent, c'était aussi un secret sans importance. Parfois, on porte des choses lourdes sans soupçonner leur importance. Mais cet absent m'a permis d'être la femme libre et la mère heureuse que je suis aujourd’hui."




Ce récit dans le cadre de mon débordement de l'idée que la journée des droits des femmes se limite au 8 mars...


A suivre...


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