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mardi 17 janvier 2017

Quand Geneviève Brisac pose sa douceur attentive sur la vie lumineuse de Jenny Plocki

Geneviève Brisac.

Quel bonheur de retrouver Geneviève Brisac romancière! Un roman mais un "roman vrai" que ce splendide "Vie de ma voisine" (Grasset, 176 pages) tout juste paru. Un titre qui amène à un texte fort, bouleversant, déroulant l'extraordinaire destin d'Eugénie Plocki, née en France en 1925 de parents juifs polonais. Eugénie Plocki, dite Jenny, ou Nini, une femme plutôt de l'ombre qui émeut par sa force, son énergie, sa lumière, subtilement dite par une écriture en petites touches. Une voisine dont la rencontre embellit le lecteur.

Les deux femmes se sont présentées l'une à l'autre à la faveur du déménagement de Geneviève Brisac. Jenny a abordé sa nouvelle voisine dans la cage d'escalier de leur immeuble. Elle voulait lui parler de Charlotte Delbo. Dire qu'elle avait très bien connu la rescapée des camps d'Auschwitz et de Ravensbrück à celle qui avait participé à une émission de radio à son sujet (France Culture, 2013, ici).

Y a-t-il un hasard à l'amitié? Charlotte Delbo aura été l'occasion pour elles deux de se parler. Tout de suite, un lien profond va naître, s'épanouir et les unir à jamais. Car les voisines se sont rencontrées, au sens premier et second du terme. Elles se sont trouvées, écoutées. Jenny va se raconter petit à petit à Geneviève, sans jamais s'apitoyer sur son destin. Et cette dernière va renouer avec son ADN, écrire. Partager sur le papier ces conversations, ces thés, ces promenades, ces émotions. Retranscrire l'extraordinaire élan vital de Jenny, qui n'est pas très différent de celui de Charlotte Delbo.

"Vie de ma voisine" relate l'itinéraire de Jenny: petite fille à Paris dans l'entre-deux-guerres ("Nous n'étions pas riches mais tout allait bien"), ado juive traquée et obligée de se débrouiller seule pendant la guerre et l'occupation - sa mère lui apprendra en deux heures à être une femme libre et indépendante -, institutrice adepte des nouvelles méthodes pédagogiques ("Poser les questions qui dérangent. Tout est là. Toujours. C'est l'essence de l'esprit d'enfance"), résistante absolue, militante politique ("A la place de la loi du plus fort, j'ai choisi l'apprentissage de la démocratie"), amoureuse de la liberté. Une orpheline qui a tiré sa force prodigieuse de l'amour qu'elle a reçu de ses parents, confiants en ses capacités à tenir et à avancer, même sans eux. De son amitié depuis toujours avec Monique, "la personne la plus fiable du monde". De sa rencontre avec Jean-René.

Mais le livre est aussi le récit en contrepoint de la construction de ces pages tellement belles, à l'écriture délicate et gracieuse. Une incise ici, une réflexion ou une digression là. La porte-voix et la voix se superposent parfois. Les "je" se confondent de temps en temps. Geneviève? Jenny? L'une et l'autre sont si proches. Immense plaisir à lire ce "roman vrai" dont émanent une incroyable énergie et un espoir constant en ces temps de tristesse. Cette pensée forte, lumineuse, sans auto-apitoiement, aide, donne du courage. "Vie de ma voisine" dit bien plus qu'une vie, ses joies et ses tragédies. Il célèbre une héroïne en mots attentifs qu'on a envie de partager.

Pour lire le début de "Vie de ma voisine", c'est ici.

Pour réécouter la très belle émission de "L'humeur vagabonde" (France Inter) que Kathleen Evin a consacrée au livre, c'est ici.

Geneviève Brisac sera à la librairie namuroise Point-Virgule le vendredi 3 février à 20 heures (1 rue Lelièvre).


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