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mardi 12 septembre 2017

Quand Amélie Nothomb touche au cœur

Amélie Nothomb. (c) Jean-Baptiste Mondino.

Tradition oblige (lire ici), ma rentrée commence par le nouveau roman d'Amélie Nothomb. Son vingt-sixième en vingt-cinq ans de parutions. L'excellent "Frappe-toi le cœur" (Albin Michel, 169 pages) qui emprunte son titre à la phrase d'Alfred de Musset "Frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie." Tiré à 170.000 exemplaires, il s'est installé tout de suite en tête des ventes en France. Tant mieux car si ses fans la suivent tête baissée, ceux qui la toisent feraient bien de revoir cette fois leur jugement.

"Frappe-toi le cœur" traite de la jalousie côté cour et côté jardin. Du manque d'amour et de ses conséquences. Nous sommes en 1971. Marie fait partie de la jeunesse dorée d'une ville de province. Elle est jolie. Elle le sait et en joue, réjouie de susciter la jalousie chez les autres filles. Son plan est évidemment de ferrer le plus beau garçon de la ville, Olivier. Le fils du pharmacien est naïf et aveugle. Il se croit aimé. La parade du jeune couple est de courte durée. Marie, 19 ans, tombe tout de suite enceinte. A la grande joie du futur papa. Ils se marient très vite mais la noce ne satisfait pas la jeune épousée: pas assez d'envie dans l'assistance.

Après avoir mis ces éléments en place, Amélie Nothomb plonge dans le vif du roman, la jalousie que suscite le bébé Diane chez sa mère. Pas que le bébé n'aime pas sa mère, bien au contraire! La romancière raconte simplement ce qui se passe, immergeant le lecteur dans l'effroi.  Est-il possible qu'une mère soit à ce point toxique pour sa fille? Heureusement, Diane est soutenue par ses grands-parents maternels, clairvoyants à propos de leur fille puînée. Ils lui offrent leur amour, élément indispensable pour grandir. Plus généreux que celui de Marie, résumé à une seule expérience, magnifiquement traitée dans le texte.

Le roman se poursuit, implacable dans sa dénonciation de la jalousie, avec cette belle plume, claire, nette, sans gras, qui caractérise l'auteure. Diane semble avoir accepté sa situation de mal aimée. Elle fait contre mauvaise fortune bon cœur. Mais coince quand elle devient l'aînée d'un frère ET d'une sœur aimés de leur mère. A la maternité, elle lui dit silencieusement:
"Maman, j'ai tout accepté, j'ai toujours été de ton côté, je t'ai donné raison jusque dans tes injustices les plus flagrantes, j'ai supporté ta jalousie parce que je comprenais que tu attendais davantage de l’existence, j'ai enduré que tu m'en veuilles des compliments des autres et que tu me le fasses payer, j'ai toléré que tu montres ta tendresse à mon frère alors que tu ne m'en as jamais témoigné une miette, mais là, ce que tu fais devant moi, c'est mal. Une seule fois,  tu m'as aimée, et j'ai su qu'il n'y avait rien de meilleur en ce monde. Je pensais que ce qui t'empêchait de me manifester ton amour, c'était que je sois une fille. Or, à présent, sous mes yeux, l'être que tu arroses de l'amour le plus profond que tu aies manifesté, c'est une fille. Mon explication de l'univers s'écroule. Et je comprends que, tout simplement, tu m'aimes à peine, tu m'aimes si peu que tu ne penses même pas à dissimuler un rien ta passion folle pour ce bébé. La vérité, maman, c'est qu'il est une vertu qui te manque, c'est le tact."
Peu de mots, mais tout est dit. On comprend que l'enfance de Diane s'arrêtera là, à cinq ans. "Elle se transforma en une créature désenchantée dont l'obsession fut de ne pas sombrer dans le gouffre que cette situation avait creusé en elle", poursuit la romancière.

Il est difficile de ne pas recopier tout le livre tant les mots sont bien choisis, coulent d'évidence pour dire une situation épouvantable, le non-amour d'une mère pour cause de jalousie mère-fille et les désastres que va causer ce manque absolu. Diane est obligée de vieillir trop vite pour résister à sa mère malveillante. Une belle-mère de conte de fées ne ferait pas pire que Marie.

Les enfants grandissent, lucides comme des enfants. Diane, la mal aimée, Nicolas, l'équilibré qui garantit la santé de la famille, Célia, la trop aimée. Amélie Nothomb nous les confie, dans ce récit de trahisons, de désespoir et de tentatives de vie. "Frappe-toi le cœur" suit jusqu'en 2007 l'itinéraire de Diane, douée pour le meilleur mais incapable d'y accéder à cause d'une faille originelle qu'elle analyse sans tricher. Mais en élargissant son expérience à son entourage où mépris, jalousie et amour ne font pas bon ménage. Un roman prenant, résolument du côté des enfants, et qui touche au cœur.

Une présentation vidéo de "Frappe-toi le cœur"  par Amélie Nothomb elle-même est à voir ici. Pour lire un extrait en ligne du livre, c'est ici.

Amélie Nothomb, métronome de la rentrée littéraire
  • 1992 "Hygiène de l'assassin", Prix René Fallet
  • 1993 "Le Sabotage amoureux", Prix de la Vocation / Prix Alain-Fournier / Prix Chardonne
  • 1994 "Les Combustibles"
  • 1995 "Les Catilinaires", Prix du Jury Jean Giono
  • 1996 "Péplum"
  • 1997 "Attentat"
  • 1998 "Mercure"
  • 1999 "Stupeur et tremblements", Grand Prix du roman de l'Académie française
  • 2000 "Métaphysique des tubes"
  • 2001 "Cosmétique de l'ennemi"
  • 2002 "Robert des noms propres"
  • 2003" Antéchrista"
  • 2004 "Biographie de la faim" 
  • 2005 "Acide sulfurique"
  • 2006 "Journal d'Hirondelle"
  • 2007 "Ni d'Ève ni d'Adam", Prix de Flore
  • 2008  "Le Fait du prince", Grand Prix Jean Giono pour l'ensemble de son œuvre
  • 2009 "Le Voyage d'hiver"
  • 2010 "Une forme de vie"
  • 2011 "Tuer le père"
  • 2012 "Barbe Bleue"
  • 2013 "La nostalgie heureuse"
  • 2014 "Pétronille"
  • 2015 "Le crime du Comte Neville"
  • 2016 "Riquet à la houppe"
  • 2017 "Frappe-toi le cœur"
Tous ses livres sont publiés chez Albin Michel, et ensuite, en format poche, au Livre de Poche.



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