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jeudi 14 septembre 2017

Ruby, six ans, héroïne malgré elle

Norman Rockwell, "The Problem We All Live With" (1963).

Premiers jours à l'école blanche de Ruby en 1960. (c)  AP.
Avec ce tableau, peint en 1963, l'Américain Norman Rockwell a dénoncé à sa manière la ségrégation raciale alors encore en pleine vigueur dans son pays. Il faisait allusion à l'expérience de Ruby Bridges, six ans, qui fut une des premières enfants noires à entrer dans une école de Blancs en 1960. A quel prix! Escortée par des agents fédéraux pour la protéger de la folie raciste de la population, comme le rappellent les photos d'époque.


Une rencontre entre ce tableau célèbre, que Barack Obama demanda d'exposer à la Maison-Blanche à l'occasion des cinquante ans de Ruby Bridges, et l'auteure Irène Cohen-Janca a donné naissance au magnifique album jeunesse "Ruby, tête haute" (Editions des Eléphants, collection "Mémoire d'éléphant", 40 pages), autant porté par le texte que par les somptueuses images pleine page de Marc Daniau. Quelle claque! Une claque salutaire. Une claque nécessaire.

La collection "Mémoire d'éléphant" œuvre contre l'oubli et la résignation. Par le biais de récits, de témoignages ou de biographies, elle rapporte des histoires vraies ou des fictions qui permettent de décrypter le monde d'hier pour mieux comprendre celui dans lequel nous vivons. Parce que l'éléphant n'oublie jamais. Trois titres en ont déjà le label, celui-ci, "Avec trois brins de laine, on peut refaire le monde", de Henriqueta Cristina et Yara Kono (2016) et "Le dernier voyage, le Docteur Korczak et ses enfants", d'Irène Cohen-Janca et Maurizio A.C. Quarello (2015).

L'album "Ruby, tête haute" commence de façon originale. Un texte d'une page, non illustré, présente une séance dans une classe d'aujourd'hui. La maîtresse a posé le tableau de Norman Rockwell sur un chevalet et demande aux enfants de l'interpréter. Les versions sont assez farfelues. Seule Nora ressent le tableau en elle, elle est bouleversée - l'album s'achèvera sur les commentaires de Nora, victime d'un autre racisme même si elle est blanche. Le lendemain, la maîtresse raconte à sa classe "l'histoire de Ruby Bridges, la petite fille du tableau".

La double page suivante est sans texte, et soufflante. Elle présente l'interprétation par Marc Daniau du tableau "The Problem We All Live With". De quoi plonger le lecteur au cœur des événements relatés.

Commence alors le récit proprement dit. La voix de Ruby Bridges est portée par la plume d'Irène Cohen-Janca, sobre, fine, documentée et à hauteur d'enfant. Le racisme anti-noir, même anti-enfant noir, la lutte, la volonté d'avancer, d'enterrer la ségrégation, le courage de ceux et celles qui ont osé, celui de ceux et celles qui les ont défendus, mais aussi l'infinie solitude scolaire d'une petite fille de six ans, retirée à son établissement noir où elle était heureuse, pour intégrer seule la William Frantz Public School, jusque-là réservée aux Blancs. Elle y sera seule en classe, élève assidue, contente d'apprendre, soutenue par Madame Henry, sa magnifique institutrice dont le sourire l'accompagnera dans d'autres épreuves. Elle y sera seule à la récré, les autres enfants ayant reçu de leurs parents l'ordre de l'éviter. Heureusement, les pires imbéciles finissent toujours par se calmer un jour et Ruby, héroïne malgré elle d'une cause qu'elle comprend mais qui la dépasse, aura finalement une scolarité normale. Quel tempérament que cette petite, sans oublier celui de sa maman.


L'arrivée à l'école de Ruby et sa maman. (c) Editions des Eléphants.

Le comité d'accueil! (c) Ed. des Eléphants.
Le texte nous transmet son histoire comme de l'intérieur d'elle-même, ne cachant ni les difficultés qu'elle endure ni les joies que son histoire procure. Marc Daniau campe de magnifiques tableaux qui suivent le récit, saisissent Ruby dans sa qualité d'enfant, un regard ici, un jeu là, une vue de la classe, la représentation de ses cauchemars. Mais quels sourires et quels yeux! Autant de scènes de vie et d'espoir qui s'opposent aux manifestations engendrées par l'annonce de la mixité raciale à l'école. Quelle violence, quelle hostilité, quelle bêtise. Et c'était il y a moins de soixante ans!

"Ruby, tête haute" est un grand format formidable, soutenu par Amnesty International. L'album deviendra vite un indispensable de l'anti-racisme, de l'anti-discrimination, du respect et de la tolérance des différences de l'autre. A partir de 9 ans en lecture seule (sans limite supérieure), plus tôt en lecture accompagnée.

Ruby et Madame Henry qui lui donnera confiance en elle. (c) Editions des Eléphants.












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