Avec son joli titre écrit comme à la main en grand et en rouge vif, "Romance" est le nouvel et formidable album du génial
Blexbolex (Albin Michel Jeunesse, 280 pages).
Tout juste paru, il est le troisième et dernier opus d'un triptyque consacré par l'auteur-illustrateur français à l'imagier.
Très intriguant avec sa reine à diadème et longue robe volantée en couverture; au dos, on trouve une sorcière, un chat botté... Un air de conte classique?
Vite, vite, ouvrons ce livre, parent des deux précédents, "L'imagier des gens" et "Saisons" (2008 et 2009, même éditeur), un peu plus petit mais tout aussi épais. Entièrement imprimé en écriture cursive.
Tout de suite, un mode d'emploi nous attend. A lire.
Blexbolex, Bernard Granger de son vrai nom, a partagé son récit en sept séquences, de plus en plus longues, puisque chaque nouvelle reprend les éléments de la précédente et lui en ajoute d'autres. Comme ces jeux de mémoire où il faut rallonger une phrase sans rien omettre des versions précédentes.
Chaque chapitre est introduit par un texte bref que développent trois, cinq, neuf, dix-sept, trente-trois images, etc.
L'école, le chemin, la maison pour la première séquence d'images.
L'école, la rue, le chemin, la forêt et la maison pour la deuxième.
L'école, l'inconnu, la rue, le pont, le chemin, les brigands, la forêt, la sorcière et la maison pour la troisième.
Une véritable contrainte oulipienne puisque:
5 = 3 +2
9 = 5 + 4
17 = 9 + 8
33 = 17 + 16
etc.
Une "amplification" dit l'OuLiPo.
Chapeau pour réussir ce contrat. Chapeau surtout pour l'émerveillement que procurent les images fourmillant de détails, complétant à merveille un texte plein d'aventures en lien avec les contes. On peut contempler ces magnifiques sérigraphies séparément, les comparer à leur version précédente dans l'album, les savourer par rapport au récit, solidement construit.
Chacune d'elle est soulignée d'un seul mot, souvent à l'endroit, parfois à l'envers, ou encore en mode "secoué" ou transparent. Comme si un sortilège lui avait été lancé. Normal pour cette "Romance" qui ne cache pas son inspiration.
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Que s'est-il passé? (c) Blexbolex/Albin Michel. |
Qui pourrait imaginer qu'autant de choses puissent se passer sur le chemin qui va de l'école à la maison? Et pourtant! D'inquiétants personnages font leur apparition, un inconnu, deux brigands, une sorcière au nez bien crochu, qui jette un sortilège de renversement général (cfr la maison ci-dessus)!
Chacun se débrouillera à sa façon devant cette magie maléfique, Blexbolex nous le détaille avec un charme infini et un sens du suspense maîtrisé.
La reine est bien entendue également concernée. De rebondissements mineurs en rebondissements majeurs, en parallèle à l'enlèvement royal, à la guerre qui est déclarée, c'est aussi la vie de notre société qui apparaît, le délit de sale gueule par exemple. Mais tous les éléments des contes sont là, du farfadet à l'oiseau messager en passant par le dragon, le trésor ou le souterrain... Ils pimentent un récit rocambolesque qui tient vachement bien la route et qu'on suit avec passion jusqu'au bout.
Voilà un "page-turner" dans le meilleur sens du terme. Tout s'enchaîne, dévie, revient dans cette épatant album, magique à tous points de vue.
"Romance" est-il pour autant un
"livre ovni", comme l'ont décrété les Pépites du Salon du livre jeunesse de Montreuil? Bien sûr que non. C'est un album pour enfants signé Blexbolex, tourbillonnant, décoiffant,
exceptionnel tout simplement.
Il est même complètement dans la ligne des deux qui l'ont précédé. L'auteur-illustrateur français, y poursuit tout simplement son travail sur l'imagier avec sa technique de prédilection, la sérigraphie.
L'imagier des gens
Blexbolex
Albin Michel Jeunesse
2008
Précieuse leçon d'humanité que cet imagier au superbe graphisme composé d'aplats colorés juxtaposés. Dans les doubles pages se suivent toute une série de gens, jamais désignés par leur appartenance ethnique, mais par leur statut ou leur activité. On peut les identifier chacun, deviner le fil qui les relie, réfléchir aux idées qu'ils font naître, penser à soi, aux autres, à la vie. Le livre a reçu le Prix 2008 du Plus beau livre du monde!
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Trois doubles pages de "L'Imagier des gens". (c) Blexbolex/Albin Michel. |
Saisons
Blexbolex
Albin Michel Jeunesse
2009
Illustrateur surdoué, Blexbolex poursuit son exploration de l'imagier. Chaque image, sur simple ou double page, est uniquement accompagnée d'une légende la désignant. Après avoir présenté successivement les quatre saisons dans le même paysage, il précise son approche par diverses caractéristiques.
"Un bourgeon", "une hirondelle", "une graine", "une pousse", "une asperge", "une fraise", etc., voilà le printemps. Mais pas tout le printemps! Il reviendra au cours des trois autres cycles de saisons qui composent ce livre subtil et original, mariant regroupements thématiques et sauts dans le calendrier. Jouant parfois avec le principe du marabout-bout-de-ficelle. Les plus attentifs repéreront des similitudes entre décors, objets et personnages, mais ce n'est pas essentiel. Cet album au graphisme magnifique est idéal pour s'ouvrir à la Beauté.
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Trois doubles pages de "Saisons". (c) Blexbolex/Albin Michel. |
Qui est Blexbolex?
Né dans le nord de la France, à Douai, en 1966, Bernard Granger – il prendra le pseudonyme de Blexbolex en publiant – file vers le sud à
17 ans, pour étudier. Tenté par la bande dessinée, il entre à l'école des Beaux-arts d'Angoulême, mais en section la peinture.
Très vite, l''école l'ennuie. Il part faire son service militaire à Berlin. "
Une ville contrastée, dure", dit l'invité des XVII
es Rencontres de la bande dessinée et de l'illustration de Bastia.
"Une ville étonnante parce qu'elle était bien sûr coupée en deux par le mur, mais aussi partagée en quatre entre parties française, anglaise, américaine et russe."
Il revient à Angoulême, termine ses études, rencontre la sérigraphie. Elle deviendra sa voie. Actuellement, l'auteur-illustrateur vit à Leipzig mais sait qu'il retournera à Berlin.
Ces allers-et-retours caractérisent aussi son travail, constamment partagé entre bande dessinée et album, entre image et texte, entre revues et livres. Même si Blexbolex a aujourd'hui défriché son terrain:
"Pour moi, le dessin n'est pas un contour avec du trait. C'est plus comme de la pâte à modeler où je peux enlever ou ajouter des parts. Les aplats sont pour moi une nécessité. Il m'est évident de découper une image par ses traits."
Son œil d'imprimeur ne passe rien aux livres de lui que l'on publie.
"Je suis toujours assez déçu du résultat",avance-t-il, l'air de rien, même pas caché derrière ses lunettes rondes,
"parce que je sais qu'on pourrait faire mieux. Un livre, c'est entre un mois et un an de travail. Je ne suis jamais content, sauf des deux imagiers que j'ai publiés chez Albin Michel Jeunesse."
Le premier, "L'imagier des gens", a frappé dès sa parution par la qualité de sa recherche graphique et son accessibilité. Quelle clarté dans la couleur et dans la forme des images, pas nécessairement aussi
"rétro" qu'on le dit régulièrement.
"Mon inspiration est quotidienne. Je regarde des gens et des choses. Cela se répercute dans mon imaginaire. Comme je n'ai pas de mémoire photographique, je dois trouver des codes. La démarche des artistes des années 20 et 30 est de l'ordre du réflexe pour moi. "L'imagier des gens" est un livre à la limite de l'utopie, avec son idée de couple dès le départ et sa construction en spirale où les univers des gens s'éloignent de plus en plus les uns des autres."
L'autre imagier, superbe lui aussi, "Saisons", paraît plus scénarisé.
"Le livre est totalement différent de son intention. Pour parler du temps, on a besoin de souvenirs. C'est la mémoire qui crée le temps."
Auteur de l'affiche des XVIIes Rencontres de la bande dessinée et de l'illustration de Bastia (2010), Blexbolex en dit:
"Je me suis amusé à m'autoparodier, tout en faisant un clin d'œil aux affiches anciennes vantant des croisières. Dès le départ, je savais que la typo devait intégrer l'illustration."