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vendredi 16 mai 2025

Décès d'un écrivain jeunesse néerlandais qui fut aussi vice-premier ministre

Jan Terlouw. (c) ANP.

Ce vendredi 16 mai, le "Standaard" annonce le décès de l'écrivain néerlandais pour la jeunesse Jan Terlouw à l'âge de 93 ans. Il était né le 15 novembre 1931. Sa particularité? Auteur de livres pour enfants, il a été vice-Premier ministre des Pays-Bas (parti D66),  ministre des Affaires économiques, commissaire de la Reine en Gueldre et sénateur! Comme quoi, la littérature de jeunesse réserve des surprises... Jan Terlouw est connu pour ses romans "Koning van Katoren" , "Oorlogswinter" ou "Oosterschelde; windkracht 10", ajoute le journal.
 
Premier réflexe devant ce nom inconnu du côté francophone: a-t-il été traduit?
  • Une recherche Google ne donne rien.
  • ChatGPT est plus fort: ""L'Hiver de la peur", traduction française de "Oorlogswinter" (littéralement "Hiver de guerre"), un roman jeunesse très célèbre aux Pays-Bas. Ce livre raconte l'histoire d'un adolescent pendant l'hiver 1944-1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une région occupée par les nazis. C’est une œuvre à la fois historique et initiatique. La version française a été publiée dans les années 1980 (chez Flammarion notamment, collection Castor Poche)."
  • Wikipédia donne d'autres infos, complémentaires: "Koning van Katoren" a été traduit "Chevalier de l'impossible" chez G. P., collection Super 1000, en 1975; "Oorlogswinter" a été traduit sous le titre "Michel" chez G. P., collection Grand angle, en 1976.
Bref, tout cela est bien ancien alors que Jan Terlouw a publié de la littérature de jeunesse jusqu'en 1998.
Faute de mieux, voici une traduction de l'article du Standaard qui fait son portrait.
""Il est décédé hier soir à la maison, paisiblement, entouré de sa famille", a déclaré sa famille. Terlouw a été chef du parti D66 pendant près de dix ans dans les années 1970 et 1980 et a également été brièvement ministre des Affaires économiques et vice-Premier ministre dans les cabinets Van Agt II et III.
 
Il a également mené une deuxième carrière, particulièrement fructueuse: il a percé comme écrivain pour la jeunesse en même temps qu'il entrait en politique. Il fait ses débuts en 1970 avec l'émouvant "Pjotr; vrijwillig verbannen naar Siberië" (Pjotr ​: banni volontairement en Sibérie), l'histoire d'un garçon russe qui traverse la Russie et se rend en Sibérie à la recherche de son père, qui y a été banni.

Le fil conducteur des livres jeunesse de Terlouw est l'engagement: il voulait donner aux jeunes une conscience environnementale et un sens de la politique et de l'histoire. En tant qu'écrivain pour enfants, il était également un grand défenseur de la nuance: il voulait montrer à ses lecteurs que les choses ne sont pas noires et blanches, mais généralement grises. Son ascension a coïncidé avec une tendance dans la littérature pour enfants vers des livres socialement engagés.

Ses livres les plus connus sont "Koning van Katoren" (1971) et "Oorlogswinter" (1972). Ce livre est basé sur ses propres expériences de guerre. Il a reçu un Gouden Griffel pour ses deux livres, le prix néerlandais le plus prestigieux pour la littérature jeunesse. En 1976, il obtient également un score élevé avec "Oosterschelde; windkracht 10", qu'il écrit au milieu du débat qui fait rage aux Pays-Bas à l'époque sur la fermeture de l'Oosterschelde et la manière dont cela devrait être fait. Le livre se déroule pendant la catastrophe des inondations de 1953. Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma: "Koning van Katoren", "Oorlogswinter" et "Briefgeheim".

Après son mandat de ministre, Terlouw a quitté la politique néerlandaise, mais a continué à se faire entendre régulièrement ces dernières années. Il s'est particulièrement engagé en faveur d'un meilleur climat. Il a également continué à écrire. Dans ses dernières années, il s'est imposé comme un auteur de thrillers. Il en a écrit plusieurs avec sa fille Sanne Terlouw."
 
 
 

mercredi 14 mai 2025

Claude Ponti, Grand prix SGDL 2025 pour l'Œuvre

C'est quand même bizarre, le hasard. Ce midi, j'expliquais à une personne que j'avais rencontré Claude Ponti pour la première fois à une remise des prix Sorcières à Paris. Je me souvenais que c'était à l'extérieur. En réalité, cela a eu lieu dans la cour d'un bel hôtel particulier de la rue des Lions Saint-Paul, dans le 4e, alors que j'avais le souvenir erroné de l'Hôtel de Massa où siège la Société des Gens de Lettres (SGDL). Bon, c'était en juin 1997, ce qui explique sans doute la confusion.
 
Tout cela pour dire que je vois peu après l'annonce de la création d'un nouveau prix SGDL, le prix SGDL pour les libertés d'expression et de création, décerné à Boualem Sansal. Piquée par la curiosité, je file illico sur le site de la SGDL. Là, divine surprise, l'annonce toute fraîche que le Grand prix SGDL pour l'Œuvre est attribué pour 2025 à Claude Ponti! Et cela, pile le jour de la naissance de sa fille Adèle, celle qui a tout déclenché. C'est la première fois qu'un auteur très majoritairement jeunesse est récompensé de cette manière.
 
La liste des lauréats précédents du Grand prix de l'Œuvre se trouve ici
Les précédents lauréats du prix depuis qu'il porte cette appellation, et non plus Grand prix pour l'ensemble de son oeuvre, sont Élisabeth Badinter (2024), Jean-Christophe Bailly (2023), Claude-Louis Combet (2022), Jean-Marie Blas de Roblès (2021), Marie-Hélène Lafon (2020), Jean-Claude Grumberd (2019), Dominique SIGAUD (2018).

Présentation de la SGDL:

🎉Claude Ponti est né en 1948. Il a étudié les beaux-arts à Aix-en-Provence, puis fait des études de lettres à Strasbourg. À vingt ans, il s'installe à Paris et publie ses premiers dessins dans "L'Express" et "Le Monde". En parallèle, il peint, par passion. Au début des années 1980, il travaille aussi comme directeur artistique à l'Imagerie d'Épinal. À la naissance de sa fille, Adèle, il réalise "L'Album d'Adèle" (Gallimard, 1986). C'est le premier d'une longue série d'albums (publiés par l'école des loisirs) qui l'ont imposé comme l'un des plus grands auteurs-illustrateurs pour la jeunesse en France et à l'étranger. Il a reçu un prix Sorcières spécial en 2006 pour l'ensemble de son œuvre.
🔸Claude Ponti est le pontife de la littérature jeunesse, le créateur du déluge de poussins qui prolifèrent et chahutent joyeusement dans les rayons des librairies depuis qu'il y est entré par effraction en 1985. Son premier ouvrage paru cette année-là, "L'Album d'Adèle", ne devait être lu que par sa fille. C'était sans compter Geneviève Brisac, son éditrice, qui le convainc de le rendre accessible à tous les enfants, avant qu'il ne la rejoigne à l'école des loisirs où il a signé près de 80 albums depuis.
🔸C'est avec le livre jeunesse, si singulier, qu'il a inventé une langue "incroyabilicieuse", parfois opaque pour les adultes mais que tous les enfants comprennent, et un monde habité de chimères merveilleuses, telles Pétronille, Hipollène, Okilélé, Poutchy Bloue, Lili Prune et autres Oum-Popotte. Certaines ont le droit à leurs propres séries, comme Blaise, le poussin masqué.
🔸Il est aussi l'auteur de romans, publiés à l'Olivier, dont "Les Pieds Bleus", paru en 1995.

Autre récompense en littérature de jeunesse dans ce palmarès (version complète ici), le Grand Prix SGDL pour un roman jeunesse attribué à Sébastien Gendron, pour "Dans le collimateur" (Pocket Jeunesse).
 
 
Claude Ponti recevra son prix lors d'un grand entretien le vendredi 13 juin, à 17h30, à l'Hôtel de Massa, pendant le festival SGDL "Espèces d'auteurs". Sébastien Gendron recevra le sien le samedi 14 juin.
Infos et programme ici.
 
 
 
 

mardi 13 mai 2025

Cold case à l'île de Pâques

L'inspecteur Guillermo Valverde. (c) Rue de Sèvres.

"Caballero Bueno"
, le très plaisant, original et atypique roman graphique que signent Thomas Lavachery au scénario et Thomas Gilbert aux dessins (l'école des loisirs, Rue de Sèvres, 174 pages) est le résultat d'une succession de hasards féconds, j'y reviendrai. C'est un polar à la Agatha Christie - les faits, vrais, sont contemporains de la romancière anglaise. Un crime atroce a été commis en novembre 1933. Comme l'enquête locale piétine, le président du Chili dépêche sur place son meilleur inspecteur, Guillermo Valverde. C'est aussi un polar ethnographique, donnant à voir la réalité des habitants de l'île de Pâques il y a cent ans.
 
Un peu d'histoire
Le Chili possède l'île de Pâques depuis 1888. Peu après, ses militaires parquent la population locale dans une réserve entourée de barbelés et les surveillent sévèrement. La plus grande partie de l'île, de même superficie que la ville de Bruxelles, est louée à une compagnie anglaise qui y élève des moutons. La liberté et l'herbe pour les animaux, un enclos sans ressource pour les Pascuans.
 
La première page de l'album. (c) Rue de Sèvres.

Revenons à "Caballero Bueno", polar fictionnel basé sur des faits réels. L'album commence quand un bateau amène l'inspecteur au physique peu commun à l'île. A peine débarqué, il entend le gouverneur lui conseiller de repartir. Ce dernier aurait trouvé le coupable du sauvage assassinat perpétré sur la personne d'Anthony Wilcox, un administrateur de la société anglaise Williamson & Balfour opérant sur place. Il en faut plus pour impressionner le fonctionnaire à l'embonpoint assumé et au verbe accrocheur. Il reste.
 
Rencontre entre l'inspecteur et le gouverneur. (c) Rue de Sèvres.
 
Guillermo Valverdo va mener une enquête fine et pointue pour retrouver le coupable et découvrir les mobiles de cet assassinat surprenant. Anthony Wilcox avait tout pour plaire à tout le monde. Alors qui et pourquoi? On va suivre ses investigations, ses déplacements à cheval, le mode de transport local, ses rencontres, ses échanges. Il va prendre des risques et va devoir dépasser ses peurs. On découvre l'homme, musicien et consommateur de laudanum, derrière le fonctionnaire rusé. Lors des divers épisodes, on rencontre toute une série de personnes-clés. Des hommes et des femmes représentatifs de la réalité de l'île à cette époque, du côté des occupants britanniques et chiliens comme du côté des locaux, ravagés par la lèpre. Le tout, dans des décors rendant remarquablement les merveilleux paysages de l'île.
 
Première visite au "coupable". (c) Rue de Sèvres.
 
L'inspecteur chilien trouvera bien entendu l'assassin mais son enquête aura aussi mis à jour des amours secrètes, des drames et des scandales, des monstruosités et des enthousiasmes artistiques. Un menu complet savamment composé qui est bien plus que la résolution d'une affaire ancienne, un reflet d'une société où les méchants ne sont pas nécessairement les méchants, pas plus que les bons ne sont les bons.
 
Une découverte que cet enquêteur amateur de havane et ami des chats -  comme celui qui lui a donné sa vie de papier -, fin psychologue et rhéteur expérimenté en plus d'être un mélomane pratiquant le violon. Le sous-titre de l'album "Une enquête de l'inspecteur Valverde" est-il une promesse de le retrouver? En tout cas, "Caballero Bueno" se lit avec intérêt et grand plaisir. Ce polar finement construit va au fond de l'âme de ses personnages et est servi par des illustrations intervenant à juste titre dans le récit pour le faire progresser.
 
En fin d'album, Thomas Lavachery glisse quelques mots sur l'expédition à l'île de Pâques de 1934 à laquelle a participé son grand-père.
 
Les hasards féconds
  • Et si Henri Lavachery, grand-père de Thomas, n'avait pas été à l'île de Pâques en 1934?
  • Et s'il n'en avait ramené de petites sculptures et plus de la statue de l'île qui ont forgé le destin de son petit-fils? Il a étudié l'histoire de l'art à l'ULB et y a consacré son mémoire.
  • Et si Thomas Lavachery n'était pas retourné à l'île de Pâques réaliser un film documentaire sur son grand-père?
  • Et si Thomas Lavachery et Thomas Gilbert, amis et complices, n'avaient pas eu envie de retravailler ensemble après le succès de l'adaptation en bande dessinée de "Bjorn"?
  • Et si Thomas Lavachery n'avait pas rencontré à Jérusalem un médecin qui avait obliqué vers la criminologie après son séjour à l'île de pâques et enquêté sur ce crime dont Henri Lavachery avait aussi entendu parler?
  • Et si...
 
Exposition temporaire
Différentes planches de l'album "Caballero Bueno" et des photos de l'expédition de l'expédition franco-belge de 1934 à l'île de Pâques sont exposées au Musée d'Art et d'Histoire jusqu'au 31 août. Elles voisinent les trois chefs-d'œuvre de l'art de l'île de Pâques: Pou Hakanononga , la plus ancienne statue géante en pierre connue, et deux statues en bois exceptionnellement travaillées, un moai kavakava (figure humaine aux côtes visibles) et un moai tangata moko (homme-lézard).
 
Pou Hakanononga. (c) MRAH.
 
Rappelons que le colosse de pierre (moai) est arrivé en Belgique en 1935, amené par le célèbre navire-école Mercator au port d'Anvers.
 
La statue à bord du Mercator. (c) MRAH.

 
La statue en pierre de six tonnes de l'île de Pâques était un cadeau du gouvernement chilien en remerciement de l'excellent travail scientifique de l'équipe dirigée par l'archéologue français Alfred Métraux et l'ethnologue belge Henri Lavachery. 
Elle est l'objet d'un livre illustré, "Pou Hakanononga", écrit par Nicolas Cauwe (Musées Royaux d'art et d'histoire, 112 pages), disponible en français, en néerlandais et en anglais. Fort de ses vingt misions archéologiques à l'île de Pâques, le conservateur des collections d'Océanie au musée y retrace l'histoire de cette statue arrivée à Bruxelles en 1935, l'expédition franco-belge de 1934-1935 et complète ce récit passionnant de nombreuses autres informations à propos de Pou et des Pascuans d'hier et d'aujourd'hui. 

A noter qu'un entretien avec le commissaire de l'exposition Nicolas Cauwe et l'auteur Thomas Lavachery aura lieu dans l'exposition ce mercredi 14 mai de 14h30 à 15h30 (infos pratiques ici).