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L'inspecteur Guillermo Valverde. (c) Rue de Sèvres. |
"Caballero Bueno", le très plaisant, original et atypique roman graphique que signent Thomas Lavachery au scénario et Thomas Gilbert aux dessins (l'école des loisirs, Rue de Sèvres, 174 pages) est le résultat d'une succession de hasards féconds, j'y reviendrai. C'est un polar à la Agatha Christie - les faits, vrais, sont contemporains de la romancière anglaise. Un crime atroce a été commis en novembre 1933. Comme l'enquête locale piétine, le président du Chili dépêche sur place son meilleur inspecteur, Guillermo Valverde. C'est aussi un polar ethnographique, donnant à voir la réalité des habitants de l'île de Pâques il y a cent ans.
Un peu d'histoire
Le Chili possède l'île de Pâques depuis 1888. Peu après, ses militaires parquent la population locale dans une réserve entourée de barbelés et les surveillent sévèrement. La plus grande partie de l'île, de même superficie que la ville de Bruxelles, est louée à une compagnie anglaise qui y élève des moutons. La liberté et l'herbe pour les animaux, un enclos sans ressource pour les Pascuans.
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La première page de l'album. (c) Rue de Sèvres. |
Revenons à "Caballero Bueno", polar fictionnel basé sur des faits réels. L'album commence quand un bateau amène l'inspecteur au physique peu commun à l'île. A peine débarqué, il entend le gouverneur lui conseiller de repartir. Ce dernier aurait trouvé le coupable du sauvage assassinat perpétré sur la personne d'Anthony Wilcox, un administrateur de la société anglaise Williamson & Balfour opérant sur place. Il en faut plus pour impressionner le fonctionnaire à l'embonpoint assumé et au verbe accrocheur. Il reste.
Guillermo Valverdo va mener une enquête fine et pointue pour retrouver
le coupable et découvrir les mobiles de cet assassinat surprenant. Anthony Wilcox avait tout pour plaire à tout le monde. Alors qui et pourquoi? On va suivre ses investigations, ses déplacements à cheval, le mode de transport local, ses rencontres, ses échanges. Il va prendre des risques et va devoir dépasser ses peurs. On découvre l'homme, musicien et consommateur de laudanum, derrière le fonctionnaire rusé. Lors des divers épisodes, on rencontre toute
une série de personnes-clés. Des hommes et des femmes représentatifs de
la réalité de l'île à cette époque, du côté des occupants britanniques
et chiliens comme du côté des locaux, ravagés par la lèpre. Le tout, dans
des décors rendant remarquablement les merveilleux paysages de l'île.
L'inspecteur chilien trouvera bien entendu l'assassin mais son enquête aura aussi mis à jour des amours secrètes, des drames et des scandales, des monstruosités et des enthousiasmes artistiques. Un menu complet savamment composé qui est bien plus que la résolution d'une affaire ancienne, un reflet d'une société où les méchants ne sont pas nécessairement les méchants, pas plus que les bons ne sont les bons.
Une découverte que cet enquêteur amateur de havane et ami des chats - comme celui qui lui a donné sa vie de papier -, fin psychologue et rhéteur expérimenté en plus d'être un mélomane pratiquant le violon. Le sous-titre de l'album "Une enquête de l'inspecteur Valverde" est-il une promesse de le retrouver? En tout cas, "Caballero Bueno" se lit avec intérêt et grand plaisir. Ce polar finement construit va au fond de l'âme de ses personnages et est servi par des illustrations intervenant à juste titre dans le récit pour le faire progresser.
En fin d'album, Thomas Lavachery glisse quelques mots sur l'expédition à l'île de Pâques de 1934 à laquelle a participé son grand-père.
Les hasards féconds
- Et si Henri Lavachery, grand-père de Thomas, n'avait pas été à l'île de Pâques en 1934?
- Et s'il n'en avait ramené de petites sculptures et plus de la statue de l'île qui ont forgé le destin de son petit-fils? Il a étudié l'histoire de l'art à l'ULB et y a consacré son mémoire.
- Et si Thomas Lavachery n'était pas retourné à l'île de Pâques réaliser un film documentaire sur son grand-père?
- Et si Thomas Lavachery et Thomas Gilbert, amis et complices, n'avaient pas eu envie de retravailler ensemble après le succès de l'adaptation en bande dessinée de "Bjorn"?
- Et si Thomas Lavachery n'avait pas rencontré à Jérusalem un médecin qui avait obliqué vers la criminologie après son séjour à l'île de pâques et enquêté sur ce crime dont Henri Lavachery avait aussi entendu parler?
- Et si...
Exposition temporaire
Différentes
planches de l'album "Caballero Bueno" et des photos de
l'expédition de l'expédition franco-belge de 1934 à l'île de Pâques sont
exposées au Musée d'Art et d'Histoire jusqu'au 31 août. Elles voisinent les trois chefs-d'œuvre de l'art de l'île de Pâques: Pou Hakanononga , la plus ancienne statue géante en pierre connue, et deux statues en bois exceptionnellement travaillées, un moai kavakava (figure humaine aux côtes visibles) et un moai tangata moko (homme-lézard).
Rappelons que le colosse de pierre (moai) est arrivé en Belgique en 1935, amené par le célèbre navire-école Mercator au port d'Anvers.
La statue en pierre de six tonnes de l'île de Pâques était un cadeau du gouvernement chilien en remerciement de l'excellent travail scientifique de l'équipe dirigée par l'archéologue français Alfred Métraux et l'ethnologue belge Henri Lavachery.
Elle est l'objet d'un livre illustré, "Pou Hakanononga", écrit par Nicolas Cauwe (Musées Royaux d'art et d'histoire, 112 pages), disponible en français, en néerlandais et en anglais. Fort de ses vingt misions archéologiques à l'île de Pâques, le conservateur des collections d'Océanie au musée y retrace l'histoire de cette statue arrivée à Bruxelles en 1935, l'expédition franco-belge de 1934-1935 et complète ce récit passionnant de nombreuses autres informations à propos de Pou et des Pascuans d'hier et d'aujourd'hui.
A noter qu'un entretien avec le commissaire de l'exposition Nicolas Cauwe et l'auteur Thomas Lavachery aura lieu dans l'exposition ce mercredi 14 mai de 14h30 à 15h30 (infos pratiques ici).
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