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mercredi 31 décembre 2014

Beaux moments 2014 de littérature française

Cinq très beaux romans français parus en cette rentrée. Et selon la formule, j'aimerais presque ne pas les avoir encore lus, pour pouvoir encore les découvrir.


Jean-Marie Chevrier
"Madame"
Albin Michel, 200 pages

Madame est veuve, Madame est solitaire, Madame est extravagante, Madame ressemble à un épouvantail, Madame habite un château dans la Creuse, Madame a jeté son dévolu sur Guillaume, le fils unique de ses fermiers. Madame a tout pour qu'on se détourne d'elle. Pourtant, on ne le fait pas car on perçoit immédiatement dans ce magnifique roman de Jean-Marie Chevrier que la façade cache de profondes blessures. Que le cœur de Madame bat. Qu'il a encore l'espoir d'aimer malgré tous les chagrins déjà endurés. De sa superbe écriture, toute en élégance, le romancier nous donne à connaître la relation entre Madame de la Villonière et celui qu'elle a rebaptisé Willy, bientôt 14 ans. L'ado est fasciné par la vieille excentrique. La "châtelaine" a trouvé en lui quelque chose qu'elle n'avouera que bien plus tard.

Roman passionnant et hors du temps que "Madame". "Aujourd'hui", me dit Jean-Marie Chevrier, "le roman est en relation directe avec le fait de société. Je voulais me démarquer de cela, installer dans un espace décalé et hors du temps une histoire romanesque foisonnante".

Madame donne cours à Willy les journées du mercredi et du dimanche. Grammaire, langue française, lecture, algèbre, mais aussi chasse aux ragondins et réfection des clôtures. Leurs rendez-vous nous les font mieux connaître. Madame avec sa longue robe noire d'un autre temps, mais aussi sa Renault Frégate Grand Pavois 1956, ses Gauloises, son carnet de moleskine, son couteau laguiole et ses nombreux verres de vins fins. Willy qui a l'âge de devenir un rebelle mais qui accepte que sa mère le lave, que Madame le convoque. Sans doute parce que cette dernière l'intéresse au-delà de ses bizarreries, notamment dans les relations qu'elle a nouées avec son personnel ou dans son passé. A sa façon, il mène son enquête sur sa propriétaire.

Jean-Marie Chevrier.
"J'ai voulu aborder le rapport dominant-dominé à une époque où c'est censé ne plus avoir cours", précise le romancier, "mais il y a ici une ambiguïté. L'âge et la naissance ne donnent pas tous les droits. Un enfant de 14 ans peut dire non. Cette tranche d’âge m'intéressait. Le livre répond surtout à une envie de parler d'une forme d'extravagance. Ma fascination ne va pas à la normalité. Madame est un peu folasse. Le nœud du roman est la perte de son enfant, Corentin. Il y a un potentiel d'amour en elle. Il est là et doit forcément trouver un moyen de sortir. A portée de main, elle a ce garçon."

Petit à petit, on va découvrir Madame et son histoire pleine de deuils qui lui barrent la route. Madame hurle en silence tout au long du livre. Jean-Marie Chevrier conte cela fantastiquement comme il détaille les mondes parallèles des propriétaires et des fermiers. En même temps, il célèbre "Tintin":  "J'ai découvert le plaisir de la lecture vers 7-8 ans chez mes grands-parents qui m'ont élevé. J'avais "Tintin au pays de l'or noir". Je me souviens du plaisir que peut donner un livre. Je me suis alors dit qu'un jour j'écrirais peut-être quelque chose." Et il fait l'éloge de la poésie: "Madame aime la poésie. Moi, je cherche toujours à la réhabiliter. Quand j'ai l’occasion de glisser de la poésie, je n'hésite pas. C'est une référence essentielle." Des textes de Baudelaire apparaissent dans le roman. "Madame vient de Baudelaire, du poème "A une passante" dans "Les fleurs du mal" où il voit passer une femme", ajoute le romancier qui habite la Creuse, dentiste désormais à la retraite.

Pour lire le début de "Madame", c'est ici.

À une passante

Charles Baudelaire

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit! — Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!


Clara Dupont-Monod
"Le roi disait que j'étais diable"
Grasset, 237 pages

Clara Dupont-Monod aime écrire sur le passé ("Eova Luciole", Grasset, son premier roman en 1998) et encore plus sur le Moyen Age ("La folie du roi Marc", Grasset, 2000, "La passion selon Juette", Grasset, 2007). L'y revoici avec un beau roman, très agréable à lire, "Le roi disait que j'étais diable", son sixième livre. "J'ai fait ce livre par amour du Moyen Age", me dit la romancière. "Aliénor est la grande sœur de Juette. Il m'a demandé presque dix ans: cinq pour le penser, trois pour me documenter, deux pour l'écrire." La formule reprise en titre est due à l'évêque de Tournai et s'applique à Aliénor d'Aquitaine, au XIIe siècle. Aliénor qu'on connaît surtout comme épouse d'Henri Plantagenet, roi d'Angleterre, mais qui fut dans la première partie de sa vie l'épouse de Louis VII, roi de France oublié et fils de Philippe-Auguste. Aliénor qui, lit-on, "née fille, porte mille ans de servitude."

Clara Dupont-Monod. (c) JF Paga/Grasset.
"Les oubliés de l'Histoire sont mon sujet", rigole l'auteure qui a choisi une façon très moderne pour nous présenter son héroïne et le mari de celle-ci. On va suivre l'impétueuse et colérique Aliénor d'Aquitaine de ses noces royales en 1137 (elle a treize ans) à la deuxième Croisade en Terre Sainte et l'annulation en 1152 de son mariage, par le biais de deux voix alternées, la sienne, à la première personne, et celle de Louis VII qui s'adresse à elle à la deuxième personne. "J'ai choisi une écriture moderne", me précise Clara Dupont-Monod, "afin d'éviter l'écueil du registre universitaire en ancien français. Qu'apporte celui-ci?  Il faut réagir par rapport au roman. Les dialogues sont actuels. Mais j'ai utilisé le terme de "heaume" pour un casque parce qu'il ne faut pas être simpliste."

Surprise, le roman s'achève avec l'intervention en "je" de Raymond de Poitiers, seigneur d’Antioche, l'oncle d'Aliénor qu'il présente ainsi: "La fille la plus jolie et la moins docile de France. Elle était avec son mari, le roi, l'homme le plus dangereux d'Europe". "Les chroniqueurs de la croisade ont tout écrit sauf la semaine à Antioche", se réjouit la romancière. "Il y avait là un blanc de sept jours! Je me suis dit: chic, je peux y aller." 

"Le roi disait que j'étais diable" raconte l'itinéraire d'une femme peu commune au XIIe siècle. "Aliénor a toujours enflammé mon imagination. Elle est intransigeante mais elle vit aussi une histoire d'amour avec Louis VII pour qui la séparation a été un drame personnel. J'en ai fait quelqu'un d'anti-religieux plutôt qu'anti-foi. C'est un anachronisme. Mais son grand-père est contre l'église et le pape. Elle n'est pas la plus docile, j'ai monté cela en épingle. Aliénor est une femme de la terre. Elle a ce versant païen de la terrienne, auquel ont été sensibles mes origines cévenoles. Aliénor est dans un système très féodal. Elle n'est pas moderne, au contraire de son mari qui apparaît comme un visionnaire. Elle fait notamment interdire Bernard de Clairvaux qui a déclaré "Votre monde est en train de disparaître". Elle a un côté frondeur indocile mais elle n'est pas en avance. Elle ne comprend pas que le Moyen Age est en train de faire sa mue, ce que Louis VII a compris. Elle veut le pouvoir mais a sans arrêt des obstacles à franchir. Après ces quinze années où elle s'ennuie avec Louis VII, elle épouse Henri Plantagenet. Elle sera alors flamboyante." 

Une suite? "Je ne sais pas. Je dois voir si Aliénor la conquérante est aussi intéressante qu'Aliénor la trépignante."

Pour lire le début du roman, c'est ici.



Franck Pavloff 
"L'enfant des marges"
Albin Michel, 231 pages

Le dernier roman en date de Franck Pavloff, le magnifique et très subtil "L'enfant des marges", est à lire en écoutant la chanson de Nick Cave "Repose ici, petit Henry Lee". "J'ai écouté Nick Cave l'an dernier à Lyon", me dit l'auteur qui a vu son "Matin brun" ressortir en version illustrée (à lire ici). Dans le public se côtoyaient trois générations. En écrivant ce livre, je me suis rappelé que Nick Cave avait fait la musique des "Ailes du désir" qui se passe à Berlin avec l'ange doré à la porte de Brandebourg. Ce roman est un road-movie générationnel.  Un homme quitte sa carapace de père ayant perdu son fils dix ans plus tôt pour s'ouvrir aux autres. Il saute des murets, ceux des Cévennes où il s'est réfugié, pour aller enfin vers les autres. Pour retrouver aussi à la fin le corps de chair d'une femme."

Ioan, "un prénom du centre de l'Europe", photographe renommé, voit sa retraite volontaire dans les Cévennes interrompue par un appel téléphonique de sa belle-fille, l'épouse de son fils Simon, disparu accidentellement en mer dix ans plus tôt: Valentin, son petit-fils, s'est évanoui dans Barcelone où il s'est installé six mois plus tôt. Elle s'inquiète beaucoup et aimerait que Ioan aille y voir.

Franck Pavloff. (c) Samuel Kirszenbaum.
Le grand-père va se rendre dans la folle ville espagnole, tenter d'y pister son petit-fils. Mais les rencontres qu'il y fera vont surtout le mettre dans l'obligation de se confronter enfin à son passé et à celui de son père. Quatre générations d'hommes évoluent dans ce superbe roman. Franck Pavloff a toujours été un écrivain remarquable mais son nouveau texte frappe par sa fluidité, l'absence de virgules, sa musicalité aussi. "La fluidité du texte correspond à l'histoire", avance-t-il. "La quête de Ioan ne s'arrête pas là. Le chemin vers la quête est important. La vérité procure l'apaisement. A la fin du livre, le grand-père retrouve son petit-fils en ange doré. Ils vont se voir mais pas se parler.  Ioan lui dit de manière muette: tu es magnifique, tu es l'espoir. J'étais la désespérance. On s'est reconnus. Ioan se réinscrit dans la généalogie pour assumer son deuil. Il s'était coupé du monde."

"L'enfant des marges" est un livre sur les hommes et sur la mémoire. "Il y a beaucoup de livres de femmes sur les mères. Beaucoup moins de livres d'hommes sur les pères. Qu'est-ce qui se transmet entre les hommes?", interroge Franck Pavloff. "Ioan a manqué du regard du père, ce qui lui a occasionné des fractures. Il l'a considéré comme un traître. Ioan a choisi comme métier une activité sans êtres vivants car il a peur de regarder le monde en face. Il fait des photos de ruines, traces sur le sol, fondations en briques ou en pierres, pour permettre des relevés afin de reconstruire les villes dévastées soit par des guerres, soit par des tsunamis."

Enquêtant sur son petit-fils, Ioan parcourt la Barcelone interlope. Avec les squats de jeunes, "il me plaisait de montrer que les jeunes générations indignées, des gens brouillons, bruyants parfois, font un travail avec les quartiers", et les vieilles activistes qui n'ont pas arrêté de résister. Le romancier nous entraîne dans des lieux incroyables, où son héros trouvera des occasions de rendez-vous avec son passé et celui de son père. A la fin, le photographe rencontre un vieux brocanteur, la mémoire de Barcelone et de la guerre civile. Vasques est le sage de la ville, comme Ioan pourrait être celui des Cévennes."Lors de la guerre de 36, les staliniens ont fait des ravages. Ils étaient des anarchistes. Le père de Ioan était là-dedans. A partir de quand? La mémoire est un placard ouvert avec un tiroir caché abritant une boîte qui contient une autre boîte qui contient... Où arrêter? L'oubli est une échappée de soi."

Le grand-père de Simon se rend compte qu'il a été injuste avec son fils pour masquer son chagrin. "A Barcelone, il va effacer ce chagrin en parlant à son petit-fils. Il vit aussi une renaissance grâce à différentes femmes, Laïa et Paquita, qui polissent ses angles rugueux d'homme et de père."

"Dans mes livres, il y a toujours une partie autobiographique", reconnaît Franck Pavloff. "Ici, c'était un coup de fil de la mère de mon petit-fils: ton petit-fils a disparu à Barcelone. Mon propre père était dans les Brigades internationales en 1936. Ce livre me tend des liens avec ma propre vie. Son écriture est plus poétique, oui. Mais Ioan ressemble aux hommes de mes autres livres, il est en recherche de quelqu'un. J'ai eu plaisir à découvrir l'histoire au fur et à mesure de l'écriture. Tant que le livre n'est pas fini, il n'existe pas. Il m'a surpris sans arrêt. Nick Cave, le père, etc. Il y a eu plein de coïncidences, de surprises, d'émotions. Dans de vieilles photos de mon père qu'on croyait disparues, j'ai retrouvé des vues de Rabasa, ce vieil hôtel de luxe que je cite. Un peu plus tard, je retrouvais une photo de mon père en brigadiste. J'écrivais et mon père était là. L'écriture est la plongée dans un monde qui dépasse la mise en scène."

Et cette question que le romancier se pose en finale, et nous pose:
"Est-ce dans la marge qu'on est heureux et non en pleine page?"


Pour lire le début de "L'enfant des marges", c'est ici:



Paul Couturiau
"Allegra"
Genèse Editions, 206 pages

C'est un joli pas de deux entre présent et passé que règle Paul Couturiau dans son nouveau roman, l'excellent "Allegra", plein de vie. On y virevolte entre juillet 2014, été où Michael Drapper, professeur londonien de littérature spécialiste de Shelley et Byron, se fait larguer par sa femme Barbara qu'il néglige et priver de leur fille Alexandra, six ans, et l'été 1878 à Florence où Claire Clairmont, demi-sœur de Mary Shelley, passa ses derniers mois, consignant sa vie à destination d'Allegra, la fille décédée qu'elle avait eue avec Lord Byron, dans des carnets dont personne ne connaissait l'existence jusque-là. Rupture ou pas, le chercheur en littérature va filer en Italie, répondant positivement à l'invitation de Caroline Darcy, sa copine de bac à sable puis de fac devenue bouquiniste spécialisée en éditions rares si pas rarissimes. Ce sera pour lui aussi l'occasion de faire le point sur ses choix de vie et d'en devenir l'acteur, de cette foutue vie, quelques jours plus tard. Journées florentines et londoniennes alternent avec lecture des pages vécues plus de cent ans auparavant, croisant ces deux destins.

Paul Couturiau.
Pour qui connaît un peu l'auteur, fiction et itinéraire personnel semblent aussi faire un duo. "Pour moi, l'histoire et la fiction se sont mêlées de cette manière", me dit-il. "En 1988, les éditions du Rocher m'ont demandé de faire une nouvelle traduction de "Frankenstein", de Mary Shelley. Au départ, je n'étais pas très chaud. Y avait-il de la place pour une nouvelle traduction? Il en existait une très bonne chez Garnier. Finalement, j'ai fait cette traduction qui est aujourd'hui conseillée par l’Education nationale en France. En plus, j'ai traduit "Le dernier homme" de Mary Shelley (Folio). Je me suis véritablement pris d'affection pour cette personne et les autres femmes autour d'elle, sa mère, Marie W., féministe, sa demi-sœur, Claire Clairmont, qui n'a rien écrit sauf un journal et des lettres. Elle a une liaison avec Lord Byron, un enfant, Allegra, que Byron a voulu récupérer. Mais Claire est un être indépendant, elle deviendra gouvernante en Russie pour subvenir à ses besoins. Etre une femme libérée au XIXe siècle, ce n'est pas simple. Elle a eu une vie totalement indépendante et a inspiré le plus beau roman de Henry James, "Les papiers de Jeffrey Aspern". Je me suis passionné pour elle. Depuis longtemps, j'avais l'idée d'écrire sur Claire Clairmont. Genèse Editions a cru au projet, un livre sur un personnage inconnu qui a existé. Je dois à la vérité historique de dire que le  journal de Claire Clairmont n'est pas totalement vrai. Elle n'a jamais écrit pour sa fille mais elle a tenu son journal au jour le jour. Les citations que je lui attribue sont donc vraisemblables."

Avec ce roman, Paul Couturiau croise deux histoires, celle de Michael Drapper qui est un peu la sienne, et celle de Claire Clairmont. "Je me suis projeté dans Michael", concède-t-il. "J'avais diverses idées qui m'étaient chères, l'amour de la littérature, l'importance de réaliser ses rêves quand on les a identifiés. C'était aussi une manière de rendre plus accessible Claire Clairmont."

Mais les pères en prennent pour leur grade: "Michael a bâti sa vie en fonction de l'image de son père. Il est passé à côté de son rêve à cause de lui. Les femmes à ses côtés en seront le révélateur. Mais le roman n'est pas du tout autobiographique. Ma relation avec ma mère n'est pas idéale mais mon père est un personnage positif."

"Mary Shelley a été un précurseur. C'est une femme libre. Elle a été une journaliste très en avance sur le travail des journalistes. Les femmes se réalisent en dépit des difficultés me fascinent. Peut-être que je cherche ailleurs une image positive de la femme que je n’avais pas eue. "Allegra" n'est pas seulement un roman sur la sœur de Mary Shelley. C'est aussi un roman qui se passe à l'heure actuelle à travers un homme qui réalise qu'il a fait les mauvais choix." Il y a un parallèle entre Allegra et Alexandra. Dans un cas comme dans l’autre, l'enfant apprend à l'adulte. Allegra est à l'origine de tout. Alexandra ouvre la porte pour Michel. Et Paul Couturiau se présente comme un père célibataire élevant seul ses deux derniers fils.



Julie Gouazé 
"Louise"
Editions Léo Scheer, 161 pages

Un beau livre grave que le premier roman de Julie Gouazé, sur la famille et la résilience. Dans la trentaine, l'historienne de formation a quitté le journalisme culturel et politique pour devenir lectrice pour deux maisons d'édition parisiennes avant de se lancer elle-même dans l'écriture d'un roman.

"Louise" est la sœur cadette d'Alice, égarée dans l'alcoolisme, la tante de Jean. Elle est l'axe, le pilier, de cette famille excessive, trop d'amour, trop de nourriture, trop de silences... Elle est comme un tournesol qui toujours cherche le soleil et elle le fera briller pour les siens après avoir exploré au scalpel leurs relations et donné quelques coups de bistouri nécessaires.

Julie Gouazé. (c) Thierry Rateau.
Autobiographique, ce premier roman, comme souvent? "Oui, parce que j'ai puisé dans l'histoire de ma famille", me répond Julie Gouazé. "On est un peu cannibale quand on écrit. Mais après il y a le travail de l'imagination. Il est difficile de partir de rien pour un premier roman. Il faut un socle, une base. Les mots de Louise tourbillonnaient en moi depuis un moment déjà. Un jour, il a fallu qu'ils sortent."

Pour la première fois, celle qui avait toujours écrit des textes, pour des catalogues de peinture notamment, et fait du journalisme, avait l'occasion de tout choisir du début à la fin. "J'avais le début du livre, l'alcoolisme au féminin, mais pas totalement tragique, ce qui explique la fin heureuse, ainsi que les personnages. Jean a été là tout de suite. Peut-être cette famille repliée sur elle-même avait-elle besoin d'un enfant? Il est une porte ouverte. Après, j'ai rempli par le milieu, en fonction des personnages. L'histoire s'est construite au fur et à mesure. Je voulais aussi traiter du côté protecteur de la famille, de son côté asphyxiant. Comment transformer cela en expérience qui fait grandir. Cela donne envie d'y croire. Il y a des épisodes difficiles, violents, mais la vie et la lumière sont toujours là."

"Louise" nous ramène en 1995, il y a vingt ans."Moi-même, j'avais vingt ans alors. Je me suis servie de mes souvenirs pour écrire l'histoire de Louise et Alice. La musique, les sons, les voyages. Cela donne l'ambiance, les tissus, pour voir et sentir." Les sens sont en effet très présents dans cet ensoleillé récit d'apprentissage qui a été vite publié: "Trouver un éditeur a été assez rapide parce que j'ai la chance de travailler dans le milieu de l'édition. J'ai envoyé à certains mon manuscrit, je l'ai aussi donné à Léo Scheer qui l'a aimé tout de suite. Du coup, cela s'est fait très vite. La sortie d'un livre, c'est comme un post-partum. Avant sa parution, il m'appartenait encore. Maintenant, je dois le partager. Mais je suis très contente de le lâcher. Mes personnages vont pouvoir vivre leur propre vie."








lundi 29 décembre 2014

Beaux moments 2014 de littérature américaine

Ces formidables romans américains nous sont parvenus en traduction française cette année. J'aimerais presque ne pas les avoir déjà lus pour pouvoir encore les découvrir.

Sebastian Rotella
"Le chant du converti"
"The convert's song"
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Guitton
Liana Levi, 359 pages

Journaliste grand reporter et auteur de livres-documents, l'Américain Sebastian Rotella a débarqué avec fracas dans les librairies françaises il y a deux ans  avec un excellent premier roman noir, "Triple Crossing" (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Guitton, Liana Levi, 2012; 10/18, 2013). Le livre se déroule à la frontière très surveillée entre le Mexique et les Etats-Unis. Il met donc en scène des migrants de toutes nationalités, des passeurs et des policiers véreux. Valentin Pescatore n'est pas de ce dernier bord. S'il est pour le respect absolu des lois, le destin peut obliger l'agent de police à des compromis. Une délicate mission d'infiltration dans la mafia mexicaine par exemple, thème de ce roman palpitant, d'autant plus prenant qu'on sent bien qu'il est inspiré par des faits réels. Le double jeu de l'enquêteur permet à Sebastian Rotella de montrer combien s'est internationalisé le crime au sens large, blanchiment d'argent, trafic d'armes, commerce de drogue...

Ce premier roman sonne vrai parce que l'auteur, grand reporter, est considéré comme un spécialiste des questions du terrorisme international, de l'immigration, de la sécurité et du crime organisé. Né à Chicago, diplômé de l'université du Michigan, le quinquagénaire a travaillé pendant vingt-trois ans au "Los Angeles Times", en Californie du Sud et à Washington, à Paris (de 2001 à 2008) et à Buenos-Aires. Il a été finaliste du prix Pulitzer en 2006 pour ses reportages internationaux. Il a publié deux livres de documents, non traduits, sur la frontière américano-mexicaine (1998) et sur les attentats de Mumbai (2013). Il est aujourd'hui grand reporter à "Propublica", un groupe de journalistes d'investigation qui travaille en liaison avec les grands médias américains.

On retrouve ses sujets de prédilection, à savoir le terrorisme international, la sécurité, le crime organisé, l'immigration dans son tout aussi épatant second roman, "Le chant du converti", dont la traduction française est sortie en septembre, deux mois avant la version originale américaine, "The convert's song", parue en décembre seulement, Festival America de Vincennes (du 11 au 14 septembre) oblige. On y retrouve aussi son héros, Valentin Pescatore, qui a maintenant la trentaine.

Valentin, Valentino, est maintenant installé à Buenos Aires. Il travaille pour une boîte de détectives privés tenue par un Juif qui semble connaître pas mal de monde dans les gouvernements et des services secrets. Un jour, il retrouve "par hasard" Raymond, son ami d'enfance maintenant converti à l'islam, avec qui il n'a pas toujours eu un passé d'enfant de chœur. Un attentat survient peu après dans le quartier juif. Le doute s'installe dans le cerveau de Pescatore. D'autant plus fortement qu'un téléphone qu'il n'utilise jamais mais dont il a donné le numéro à Raymond a été appelé par un numéro français suspect. Ce qui lui vaut d'être arrêté.

Sebastian Rotella.(c) Ph. Matsas/Opale.
Ainsi commence cette nouvelle aventure palpitante, inquiétante aussi, qui entraîne le lecteur un peu partout dans le monde, en Bolivie, à Bagdad, en Espagne et même en France, sur la piste d'islamistes et d'autres personnes en mal d'attentats. Sebastian Rotella sait comment tenir un suspense. En même temps, l'actualité fait de son roman une sorte de docu-fiction qui nous ouvre grands les yeux sur ce qui se trame dans le terrorisme international, largement gagné par l'islamisme. C'est aussi passionnant que glaçant. Mais le récit est formidablement mené, Valentin Pescatore bon lecteur (un livre par semaine) et les titres de chapitres font tous référence à des chansons. On sent le plaisir qu'a eu le journaliste à se glisser dans la peau de l'écrivain pour mener comme il le veut sa fiction, avec un souci de vraisemblance mais pas l'exigence de la vérité. Du rudement bon travail que ce "Chant du converti",  Monsieur Rotella, qu'on a plaisir à saluer.

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Robert Goolrick
"La chute des princes"
"The fall of princes"
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie de Prémonville
Anne Carrière, 233 pages

L'Américain Robert Goolrick est arrivé tard en littérature, la cinquantaine bien entamée. Né en 1948 de Virginie, il a fait des études universitaires à Baltimore. Il voulait être acteur ou peintre! Il ne sera ni l'un ni l'autre, mais un fin observateur du petit théâtre des humains qu'il dépeindra plus tard, dans les années 2000, avec minutie dans ses livres. Jeune, il a vécu plusieurs années en Europe, notamment dans l'île grecque de Paros et il parle la langue d'Homère. A la question "Τι κάνεις", il répond immédiatement "καλά". Ensuite, les choses de sa vie se compliquent. Robert Goolrick publie un livre qui vaut d'être déshérité par ses parents! Il s'installe à New York et travaille dans la publicité durant trente ans. Mais ce n'est pas tout: à cinquante-trois ans, il se fait virer de l'agence de publicité où il travaille...

Il se demande alors ce qu'il va faire du reste de sa vie. Et se souvient des sujets de réflexion qu'il avait jeune: raconter des histoires complexes sur la vie et la mort. Robert Goolrick se lance alors dans l'écriture d’un premier livre. Impossible de trouver un éditeur. Son agent lui conseille d'écrire son autobiographie. Ce sera "Féroces" en français ("The End of the World as We Know It", 2007), son deuxième livre à être traduit en français par Marie de Prémonville, sa traductrice attitrée (2010).  Un premier roman autobiographique, qui raconte une famille idéale du sud des Etats-Unis, idéale en apparence, car il dit aussi son passé d'enfant violé par son père, terrible blessure tenue jusque-là secrète, sa tentative de suicide à 30 ans, ses séjours en hôpital psychiatrique.

Depuis qu'il a décidé d'écrire, Robert Goolrick puise dans ses souvenirs pour livrer de remarquables romans, superbement empreints d'humanité. Il vit actuellement dans une ancienne ferme de Virginie, dans un petit village, en compagnie de son chien, qui, dit-il, "n'apprécie pas toujours ses histoires".

Robert Goolrick.
"La chute des princes" ("The fall of princes") est son quatrième roman publié en France. Le premier a été "Une femme simple et honnête" (2009, "A reliable Wife", 2009), l'histoire d'un veuf qui, dans le Wisconsin de 1907, attend la jeune épouse qui a répondu à son annonce, sauf qu'elle n'est pas la femme annoncée.
Ont suivi "Féroces" (2010) et "Arrive un vagabond " (2012), l'arrivée d'un boucher en Virginie en 1948 qui y découvrira la passion et l'interdit, un roman qui fut Grand Prix des Lectrices de "Elle" 2013.
Ces trois romans sont repris en format de poche chez Pocket.

Dans "La Chute des Princes", formidable de bout en bout, on retrouve le thème de la rédemption en suivant ce trader des années 80, à qui tout a réussi et qui est parvenu à tout perdre. Le livre commence ainsi:
"Quand vous craquez une allumette, la première nano-seconde elle s'enflamme avec une puissance qu'elle ne retrouvera jamais. Un éclat instantané, fulgurant. L'incandescence originelle.
En 1980, j'ai été l'allumette et je me suis embrasé pour n'être plus qu'une flamme aveuglante."

Ecrit à la première personne, le roman raconte le milieu de l'argent, avec les journées de travail sans fin, l'excitation du succès, la cocaïne, l'alcool, la drogue que représente le fait de gagner toujours plus, les fêtes exubérantes, les femmes qui aiment et puis n'aiment plus. Mais ce tableau qu'on croit connaître a aussi un revers qu'on découvre chez Robert Goolrick, la dépression, le sida, les assuétudes, la solitude, le suicide… Le narrateur va dégringoler mais il arrivera à transformer le dégoût qu'il a de lui-même. Et c'est la beauté de son chemin qui transparaît dans l'écriture de l'Américain. Les livres ont leur place dans cette lutte contre les monstres, ceux de Keats, Shelley, Shakespeare et Proust pour celui qui se raconte avant qu'il ne se trouve une nouvelle vie sous leur protection.

Pour "La chute des princes", le romancier a tout simplement transposé le monde de la publicité qu'il a connu de l'intérieur dans celui des traders. Incandescence, indécence, décadence et chute avant la renaissance.

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Jake Lamar
"Postérité"
"Posthumous"
traduit de l'anglais (Etats-Unis)
par Françoise Bouillot
Rivages, 334 pages 

Jake Lamar est un écrivain américain né en 1961 à New York dans le Bronx  qui parle très bien français car il vit en France depuis 1993. Après des études à Harvard, il a été journaliste à "Time Magazine" pendant six ans. A 28 ans, il reçoit la commande d'une autobiographie, "Confessions d'un fils modèle", et se découvre une nouvelle vocation, celle d'être écrivain. Ce prix lui permet de s'installer à Paris où il réside depuis vingt ans, comme d'autres écrivains américains célèbres en d'autres temps. Il y écrit: nouvelles, romans,  romans policiers,  théâtre. Il a notamment publié "Les Fantômes de Saint-Michel" et "Nous avions un rêve" (Rivages et Rivages poche). Il anime aussi des ateliers d'écriture.

Jake Lamar.
Le nouveau roman de Jake Lamar, son sixième, le très beau "Postérité" ("Posthumous"), se déroule dans le monde rarement abordé en littérature, celui de l'art et de ceux qui le font. Plus précisément celui de l'art à New York à l'époque de Jackson Pollock et Willem De Kooning. Et il est passionnant.

Le livre est écrit à la première personne par Toby White, un historien d'art qui entend faire le portrait de Femke Versloot dans un livre à paraître, le premier sur cette peintre quasi octogénaire aujourd'hui reconnue. Il utilise aussi la deuxième personne du singulier, le "tu", sans qu'on ne comprenne tout de suite à qui il s'adresse et c'est tant mieux. Tout le roman tourne autour de la personne de Femke Versloot, peintre new-yorkaise d'origine hollandaise, totalement inventée. Résistante pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a émigré aux États-Unis pour suivre son mari canadien rencontré le jour de la Libération. Elle s'est ensuite installée avec sa fille à New York, à Greenwich Village, où elle a rejoint le mouvement des expressionnistes abstraits, avant de partir vers Sausalito en Californie une dizaine d'années plus tôt.

Le livre se déroule aujourd'hui et fait part de l'avancée des recherches de l'historien d'art, de ses rencontres, de ses découvertes. Tobie Wight reconstitue peu à peu le parcours de Femke Versloot, à la veille de ses quatre-vingts ans. Le talent de cette dernière est enfin établi, ses toiles sont célébrées au même titre que les œuvres de Pollock, De Kooning ou Rothko, ses anciens compagnons de route. Surtout, le narrateur tente de compléter des parties laissées en blanc dans son histoire. Femke est-elle la résistante exemplaire qu'elle prétend être?

C'est une plongée dans le monde des expressionnistes abstraits des années 50 que nous présente Jake Lamar dans "Postérité", tout en faisant surgir l'humanité de chacun de ses personnages. Femke est énigmatique mais son jeune frère Joop l'est aussi à sa manière. Resté à Rotterdam, il fera plusieurs fois le voyage vers les Etats-Unis quand il apprend, des décennies après la guerre, que sa sœur est toujours en vie. Pour la retrouver, mais aussi pour lever le voile sur la Femke qu'il connaît, au-delà des récits exemplaires qu'elle aime à répéter. Pour tenter de lui parler et pour rétablir "sa" vérité. Mais si Femke s'est donnée entièrement à son art, c'est pour oublier une blessure durant la guerre.

Jake Lamar creuse avec beaucoup de finesse ses sillons vers un passé qui a préféré rester discret jusque-là. Et, en lisant "Postérité", on comprend mieux ces silences.

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Suzanne Hayes
Loretta Nyhan
"Petites recettes de bonheur pour les temps difficiles"
"I'll be seeing you"
traduit de l'américain par Nathalie Peronny
Belfond, 397 pages

On avait eu au printemps 2009 un effet boule de neige autour de l'épatant roman de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, "Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates" (traduit de l'anglais par Aline Azoulay-Pacvon, Nil Editions, 2009, 390 pages; 18/18, 2011). Un premier roman, épistolaire, entamé par une Américaine âgée, terminé par sa nièce, un titre aussi long que déconcertant, une histoire de l’immédiat après-guerre en Angleterre et à l'île de Guernesey, mêlant amour, littérature et esprit de résistance. Drôle et profonde, jamais mièvre, cette rencontre par lettres entre une jeune écrivaine en mal d'inspiration et un fermier de l'île de la Manche.

Une inspiration parallèle conduit le premier roman des Américaines Suzanne Hayes et Loretta Nyhan, "Petites recettes de bonheur pour les temps difficiles". Ce roman épistolaire est né du pari fou des auteures de le coécrire sans jamais se rencontrer avant sa publication. A la manière de leurs personnages... Il présente les lettres qu’échangent deux Américaines durant la Seconde Guerre mondiale, de 1943 à 1946, deux femmes seules, deux femmes qui attendent, deux femmes attachantes réunies par le hasard d'une relation épistolaire.

On y découvre la guerre comme on la mentionne peu. Les hommes sont au front ou ailleurs, eux-mêmes ne le savent pas toujours. Mais les femmes, les mères, les épouses, les fiancées? C'est leur vie quotidienne que révèlent les lettres qu'échangent Glory, 23 ans, et Rita, 40 ans. Celles qu'elles envoient et reçoivent de leurs soldats. Le destin a fait se rencontrer leurs deux noms. Mais entre celle du Massachusetts et celle de l'Iowa, une étincelle d'amitié est née, qui va grandir au fil de ces courriers et des événements de la guerre, la "situation" comme dit une voisine.

Glory et Rita vont se raconter peu à peu même si elles ne sont pas de la même génération. La première est jeune, mère d'un fils, enceinte d'un second enfant et son mari est parti à la guerre. La seconde est plus âgée, son mari trop âgé pour faire la guerre s'est engagé comme médecin, il devrait être en Tunisie; leur fils, Toby, 18 ans, s'entraîne pour être "marine", avant le grand départ. On suit avec beaucoup de plaisir et d'intérêt les échanges de ces deux femmes, leur quotidien, leurs craintes, les petites joies et les grandes détresses, les potins de voisinage, les leçons de jardinage et les recettes de cuisine. En fait, on est à leurs côtés tant elles invitent le lecteur dans leurs existences.

On dirait bien qu'elles s'en disent plus l'une à l'autre qu'elles ne l'ont jamais fait en famille. Cette confiance mutuelle et réciproque leur permettra de tenir pendant tous ces mois de conflit, où les informations sont rares et les nouvelles pas toujours bonnes. C'est la vie comme elle va souvent, comme elle ne va pas parfois, dans ce beau premier roman qu'est "Petites recettes de bonheur pour temps difficiles".


Les portraits croisés des auteurs, trouvés sur le site Barnes & Noble.

Loretta Nyhan. (c) Alexa Frangos.
Suzanne Hayes. (c) Jammi York.











SUZANNE HAYES (BY LORETTA NYHAN)
Suzy is short, like five-nothing. Her laugh is electric. She likes to wash her face with honey and leave her clothes on the floor of her closet instead of hanging them up. She has a beautiful garden, though I've never seen it. Her husband likes to cook. Her brilliant oldest daughter is in college, and her younger two have delightful, little-girl voices. She spends her days teaching social studies to teens who've lost their way. She wrote a book with me called I'LL BE SEEING YOU. She is my friend—one of my closest—and yet...

We've never actually met.

I don't know if her eyes really are as green as photos suggest, or if she brings her hand to her mouth when she eats (like I do), or if she wears perfume. I've never watched her cross the street or cook dinner. I don't know if she gives tight hugs (though I'm pretty sure she does).

The only thing I know for sure is I wouldn't know what to do with myself if she wasn't in my life. She's my writing soul mate.

LORETTA NYHAN (BY SUZANNE HAYES)

Loretta loves The Beatles, Robert Redford and organic living. She's a beautiful mama bear who carries a fierce passion and loyalty for all those she loves. Even her characters. She teaches literature and composition at the college level. (And I am thankful for that, because she fixes all my typos and overuse of exclamation points!) She's gifted with that rare combination of a gypsy soul and a fixed purpose. She shines all the time.

Loretta is my best friend, though I've never met her. She lives in the Chicago area with her husband and two adorable boys.

And when we meet there will be magic, because both of us, when we are not writing together, write stories about magic. How weird is that?




samedi 27 décembre 2014

Les miroirs que nous tend Béatrice Poncelet


Béatrice Poncelet affiche une superbe bibliographie, une bonne quinzaine d'albums en solo  depuis son entrée en littérature de jeunesse en 1980, même si elle-même préfère le terme de littérature:

  • "Dans la véranda", L'Art à la page, 2012;
  • "Non ou l'envol", Seuil Jeunesse, 2010;
  • "Le panier, l'immense panier", Seuil Jeunesse, 2008;
  • "Semer en ligne ou à la volée", Seuil Jeunesse, 2006;
  • "Les cubes", Seuil Jeunesse, 2003;
  • "Et la gelée framboise ou cassis", Seuil Jeunesse, 2001;
  • "Chaise et café", Seuil Jeunesse, 2000;
  • "Chez elle ou chez elle", Seuil Jeunesse, 1997;
  • "Chut elle lit", Seuil Jeunesse, 1995;
  • "Je, le loup et moi", La joie de lire, 1994;
  • "Galipette", Albin Michel, 1992;
  • "Fée?", Ouest-France, 1991;
  • "T'aurais tombé", Syros, 1989;
  • "Je pars à la guerre, je serai là pour le goûter", Centurion, 1985;
  • "Je reviendrai le dimanche 39", Albin Michel, 1983;
  • "Tiens un clou", La Farandole, 1980.

Des couvertures qui ont imprégné les rétines. Des titres qui résonnent toujours familièrement à l'oreille tant ces livres ont marqué leur temps - certains n'existent plus qu'en seconde main. Des albums qui ont accompagné les enfants. Chacun d'eux représente un immense travail, on sait l'exigence de la créatrice envers elle-même. Mais quel bonheur de la donner à connaître au jeune public! Son œuvre à la fois poétique et philosophique donne à voir autrement le quotidien. Pratique l'osmose entre texte et images. Quoi de neuf chez elle aujourd'hui?

Aujourd'hui?  Béatrice Poncelet publie un magnifique album de grand format, "Miroirs" (Editions Thierry Magnier, 48 pages cartonnées), aux pages de carton satiné tellement doux qu'on a envie de les caresser. Dès la couverture, on retrouve son style graphique, mêlant peinture à l'ancienne et éléments contemporains, son humour qui fait apparaître son nom à l'envers, suite logique du titre choisi, également inversé, son sens de l'ellipse avec cette sardine et ce poisson rouge qui s'éloignent l'un de l'autre.

Miroir, mon beau miroir... Qui cherche-t-on dans ce reflet? Soi-même sans doute. Comme on peut aussi espérer se retrouver dans sa descendance, s'y prolonger. Le nez de?.. Les oreilles de?.. Les attitudes de?... Ce sont ces questions délicates de transmission et de personnalité propre qu'aborde Béatrice Poncelet dans ce superbe ouvrage faisant évidemment très largement référence à Lewis Carroll. La narratrice s'adresse à une interlocutrice qu'on va suivre à toutes les étapes de son enfance. Du bébé à l'ado! Avec cette supplique: qu'on la laisse être elle-même.


Les deux premières doubles pages de "Miroirs". (c) Ed. Thierry Magnier.

Les images glissent d'autres indices que le texte abondant, mais judicieusement disposé, dont des clins d’œil aux livres précédents. On voit plein de choses dans ces magnifiques doubles pages, à l'endroit et à l'envers dans les miroirs posés devant nous. Ou brisés. On en comprend d'autres, grâce aux éléments familiers qui entrent dans les images, balles bicolores ou corde à sauter,  ou à d'autres données, une page de "De l'autre côté du miroir", quelques briques Lego, des conques, un collier de perles, une basket posée sur les lettres détachées du mot "assez", une silhouette de Walt Disney qui a le même doigt peint en rouge comme une autre main vue précédemment...

Sans oublier tout ce qu'on mange dans ces discussions animées sur fond de tableaux anciens, Vélasquez, de Latour, Cézanne... Tout est à regarder chez Béatrice Poncelet au fil des saisons qui passent. Dont bien sûr les sardines qui traversent inlassablement les pages, de gauche à droite sauf en toute fin du livre où elles ont fait demi-tour et où la route vers la droite est désormais empruntée par des poissons rouges. Jusqu'à cette superbe image finale qui montre le chemin parcouru depuis la première page-image.


Quel beau livre que "Miroirs"! Que chacun interprétera bien sûr à sa guise.
Comment s'est-il fait? Au téléphone, Béatrice Poncelet m'annonce qu'elle espère devenir philosophe, l'âge venant. Mais je la retrouve pareille aux fois précédentes, énergique, exigeante, pleine de projets. Je découvre qu'elle est grande lectrice, entre un et quatre livres par semaine.
"Sans livre, c'est comme si le frigo est vide", me dit-elle.

J'ai eu un plaisir incroyable à faire ce livre. Je suis très exigeante avec moi-même et avec ceux avec qui je travaille aussi. Toute une équipe, dont une super graphiste, a fait en sorte que j'aie le livre que je voulais. Je suis contente du résultat, j'avais la hantise qu'il ne soit un livre-gadget. L'objet est réussi. Le papier et l'encre donnent envie de caresser les pages. Leur pliure est un élément des images. Dans cet album, j'ai voulu montrer et non raconter. Il concerne le quotidien, comme tous mes précédents.

Ce livre montre un parcours de vie. Je n'aurais pas pu le faire avant. Il s'inscrit dans la suite logique de mon travail. Même s'il est parfois difficile pour le lecteur adulte de ne pas trouver d'histoire. Le grand-parent se projette, se prolonge. Après, c'est halte-là! Un enfant est ce qu'il est. C'est un livre de constatations d'adulte à enfant et vice-versa.

Je suis compliquée, je le sais, mais il faut faire avec ce qu'on est, tout en ne se prenant pas au sérieux. Je considère que j'ai un seul lecteur. Je fais juste attention aux mots que j'utilise pour que les enfants comprennent bien.

Mon travail doit être irréprochable. On le doit aux enfants. L'enfance est la période la plus courte de la vie mais c'est celle qui marque le plus.


mardi 23 décembre 2014

A picorer, textes courts pour gens occupés

Quelques minutes de libres entre deux préparation culinaires, en faisant la queue dans un magasin, en patientant dans les embouteillages?
Voici trois livres idéaux pour ces situations, mais pas que, trois recueils de textes courts ou de phrases à picorer.

Qui prononce le nom de Jean-Marie Gourio pense immédiatement aux "Brèves de comptoir", recueillies au fil des jours dans les bistrots, dont de nombreux volumes ont paru depuis 1987 (Robert Laffont, J'ai lu, Pocket, Points). Il s'en est quand même vendu plus d'un million d'exemplaires!

Jean-Marie Gourio se prête à un exercice un peu différent dans "Haïkus de mes comptoirs" (Le Castrol Astral, 200 pages) puisqu'il a composé lui-même presque tous les textes de ce recueil. D'abord de charmants poèmes japonais en trois vers, saisissant l'instant, "le presque rien, à l'image de ces propos fugaces si souvent entendus [aux comptoirs des bars et des cafés]",  ensuite des textes courts répondant aux appellations "L'été au comptoir", "Pensées pressées" et "Rêves de comptoir".

A noter que ce titre très joliment façonné avec ses trèfles porte-bonheur est le millième que publie Le Castor astral, éditeur qui fête aussi ses 40 ans d'indépendance en ce mois de décembre. C'est en effet en décembre 1974 que Jean-Yves Reuzeau et Marc Torralba, alors étudiants à Bordeaux en Carrières du livre, imprimaient eux-mêmes une première plaquette de poésie. Depuis lors, 999 autres titres ont suivi, toujours exigeants dans leur domaine, que ce dernier soit la littérature, la poésie, la musique ou les curiosités.

Quelques exemples de ces haïkus empreints de légèreté et de rêverie, de gaieté aussi. Ecrits pour le bonheur d'écrire. "Soyons des paratonnerres", écrit Jean-Marie Gourio en conseil aux jeunes auteurs dans sa préface, "attirons sur nous la foudre en poudre des mots. Sans bouger."

"Rodin à table
petit enfant
volcan de purée"

"Le vieux coq
dans le vin
rit de l'hospice"

"Quand la vue baisse
la nuit 
tombe plus tôt"

La partie "L'été au comptoir" réunit des textes courts, parfois très courts, parfois sous la forme de poèmes. De petits concentrés de bonne humeur et de non-sense, de gourmandises et de cocktails, de rêves et d'impossibilités diverses, d'hommages à Roland Topor et de choses encore plus variées, comme cet "Alexandrin sans chaussettes".

Les "Pensées pressées" sont de courtes phrases empreintes de bon sens. Cela commence ainsi: "C'est bien fichu les nuages, on voit pas comment ça tient."

Quant aux "Rêves de comptoir", ils sont les rêves minuscules qu'a entendus Jean-Marie Gourio, toujours équipé d'un carnet où les noter. Comme des petits ballons d'hélium qui entraînent ailleurs, qui permettent de vivre et de dire sans honte. Des petits porte-bonheur aussi, à l'image de celui-ci: "Si c'était que moi, le trèfle à quatre feuilles porterait bonheur à partir de deux feuilles".

"Haïkus de mes comptoirs" est un petit livre léger et parfois grave, débordant d'une amitié contagieuse. Un porte-bonheur.

* *
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Attention, j'interroge! Qui sait ce qu'est un "tautogramme"? Pas une tautologie (= lapalissade) ou une tautomérie (terme utilisé en chimie). Non, un "tautogramme".
C'est tout simplement un jeu littéraire consistant à composer une phrase ou un texte dont tous les mots commencent par la même lettre.
On en a de beaux exemples, titrés, dans l'impeccable recueil de Jacques Perry-Salkow et Frédéric Schmitter "Petits propos pessimistes pour plaisanter presque partout" (illustrations de Benjamin Monti, Edition des Equateurs, 126 pages).

Un livre bien entendu dédié  "A Alphonse Allais,
                                                      aux auteurs absurdes,
                                                      aux amuseurs atrabilaires,
                                                      aux abonnés absinthe."

Un recueil à recommander à tous ceux qui aiment la mauvaise humeur, car on y râle sec. Mais il est bien difficile de réprimer un sourire quand on lit les définitions des mots choisis, et c'est encore plus compliqué quand une image à l'ancienne de Benjamin Monti s'ajoute aux mots des auteurs, créant alors un excellent rapport texte-images.

Exemple avec le premier des "Petits propos pessimistes": c'est un dodo qui a pris possession d'un lit à baldaquin en face de 
"Existence
Epreuve éliminatoire."

Ou alors cette page sur les "Jouvencelles".

Une double page de "PPPPPPP". (c) Equateurs.

On peut aussi ouvrir le livre au hasard, pour ses belles surprises. Ainsi,

 "Charlie Chaplin
Chapeau, canne, chaussures clownesques... 
Cent crétins claudicants caricaturent
cahin-caha ce clochard céleste."

Toutes les lettres de l'alphabet sont passées à la moulinette du tautogramme taciturne cultivant l'art de voir tout en noir.
Ainsi 
"Quatuor
Quintette que quelque querelleur quitta."
Ou
"Peine perdue
Pourquoi plaire puisque pareil privilège passe? Pourquoi proliférer, produire, posséder plus, puisque partout pleuvront pierrailles, projectiles pyroclastiques? Pourquoi persévérer, putain? Perdu pour perdu, picolons plutôt!"
Ou encore
"Costa Concordia
- C5.
- Croiseur coulé!"

Un grand coup de chapeau aux auteurs de ces innombrables images désenchantées de notre planète qui sauront réjouir les plus pessimistes et ne parviendront pas à désespérer les plus optimistes. Comme quoi, humeur et humour sont bons voisins.

* *
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Eric Didier a aussi l'habitude de griffonner ce qu'il entend. Mais il le fait après les séances, car il est psychanalyste pour enfants en difficulté en région parisienne. "La petite bête qui monte ça me terrorifie" (illustrations de Tom Henni, Le Nouvel Attila/Le Ravin bleu, 92 pages) réunit ces paroles d'enfants à un psy. 

Quel choc que ce recueil de paroles d'enfants, brutes, fruit de trente années de travail.

"J'ai pas le droit au bonheur,
c'est comme cela."
"Je suis comme une enveloppe
envoyée sans timbre et sans adresse."
"Mon appétit il part en voyage,
il prend des vacances.
Comment l'installer dans ma tête?"
"Six ans qu'elle est morte maman...
Elle doit être en poussière."
"Quand il y a de la joie dans l'air,
je me prends mon paquet de joie."
"Je viens parler pour oublier."

Des phrases qui en disent long sur ces enfants qui ont eu, eux, la chance de croiser un tel psychanalyste sur leur chemin. Eric Didier a recueilli le ressenti de drames, des énigmes mais aussi des rêves. Des amours fous et des haines. Il a su entendre ce qui se disait derrière les mots et il nous prête ces paroles d'enfants, vraies, incarnées, à ne pas toujours prendre à la lettre, prévient-il, mais à toujours prendre au sérieux.





lundi 22 décembre 2014

En version illustrée, c'est tout autre chose

Trois livres sur notre société qui ont été d'immenses succès ressortent en version illustrée. Ils n'en perdent rien de leur force mais toucheront un nouveau public, sensible à l'illustration. Ce nouveau rapport texte-images leur confère également un impact de lecture différent.


Franck Pavloff avait publié "Matin brun" dans un recueil collectif ("Eclairer sans brûler", Actes Sud, 1997) avant de l'éditer en livre indépendant en 1998 chez Cheyne, un éditeur de poésie.
Sa fable dénonçant la pensée unique et les petites compromissions a connu un immense succès: deux millions d'exemplaires en ont actuellement été écoulés. Elle est traduite dans 25 pays (dont l'Inde, la Russie, le Japon et la Chine).

Revoilà aujourd'hui le "Matin brun" de Franck Pavloff en version carrée, illustrée par les peintures murales de l'artiste urbain C215 (Albin Michel, 64 pages). Cette nouvelle édition offre en plus des peintures murales photographiées dans de nombreuses villes du monde une recherche intéressante sur la typographie et la couleur de fond des pages.

On retrouve avec émotion la conversation entre Charlie et le narrateur, leurs mots sur tout ce qui change autour d'eux. Les chiens, à piquer quand ils sont bruns, après les chats...

Une double page de "Matin brun". (c) Albin Michel.

Extrait.
"Pour les chats, j'étais au courant.
Le mois dernier, j'avais dû me débarrasser
du mien, un de gouttière qui avait eu
la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir.
C'est vrai que la surpopulation des chats
devenait insupportable, et que, 
d'après ce que
les scientifiques
de l'État national
disaient,
il valait mieux ne garder que les bruns.
Que des bruns. Tous les tests de sélection
prouvaient qu'ils s'adaptaient mieux
à notre vie citadine, qu'ils avaient
des portées peu nombreuses et qu'ils mangeaient beaucoup moins."

De page en page, les restrictions empirent, les commandements les plus incongrus se multiplient. Franck Pavloff démontre magnifiquement dans cette nouvelle allégorique comment les petits arrangements cèdent la place aux compromis de tous les jours et ensuite, peu à peu, à l'impasse totalitaire. Pas de jugement, mais un avertissement qui a toutes ses raisons d'être aujourd'hui.
Les peintures murales de C215, photographiées partout dans le monde, confèrent à "Matin brun" une dimension encore plus internationale. Si le texte descend ainsi dans les rues à cause des images, ne serait-ce pas pour nous inciter à faire de même?

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L'aventure linguistique compliquée du livre de Carlo M. Cipolla, "Les lois fondamentales de la stupidité humaine" (traduit de l'anglais par Laurent Bury, P.U.F., 96 pages), qui reparaît aujourd'hui dans une version illustrée par Claude Ponti, nous est contée dans une "Note de l'éditeur" que suit une note de l'auteur, rédigée en 1976 par Carlo M. Cipolla pour l'édition privée, que suit une "Introduction" dont vous avez déjà pu prendre connaissance ici.

"L'humanité est dans le pétrin". (c) Claude Ponti/P.U.F.

Un dessin de Claude Ponti. (c) P.U.F.
Ouf! On est alors au début de l'ouvrage. Et il vaut vraiment la peine. On va découvrir pas par pas les cinq lois fondamentales de la stupidité humaine, complétées de chapitres intermédiaires. Le ton d'un traité scientifique, mais des propos extrêmement désopilants. Surtout qu'ils concernent le stupidité, l'imbécillité, la crétinerie, la bêtise. Ce petit chef-d’œuvre d'excentricité, de funambulisme, fait sourire et rire. Avertit aussi à sa manière des dérives de la société, toujours avide de ranger, de classer, d'étiqueter. Voilà un traité indispensable en ces temps de frénésie.

Les images de Claude Ponti, auteur-illustrateur pour enfants bien connu, se marient avec naturel à ces propos fantasques et facétieux. Si on reconnaît leur style de loin, de près, on remarque combien elles prolongent admirablement ce texte précieux.

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Faut-il encore présenter Pierre Rabhi, qui se dit "paysan, écologiste convaincu, expert international, philosophe et écrivain"?
Faut-il encore présenter Pascal Lemaître, auteur-illustrateur belge, actif autant en presse qu'en édition (il a illustré Toni Morrison), en français et en américain, enseignant à l'ENSAV (La Cambre) à Bruxelles? Les deux se retrouvent ensemble en couverture de la rééditions illustrée de  "La part du colibri" (L'Aube, 144 pages), ou "L'espèce humaine face à son devenir". Un texte qui invite à ouvrir les yeux sur l'avenir de la planète et de l'espèce humaine et incite à la "nécessaire décroissance". Allons-nous continuer à massacrer notre environnement?, dit en résumé celui qui est né en Algérie en 1938 mais s'est installé en Ardèche puis dans les Cévennes dans les années 1960.

Très tôt, Pierre Rabhi s'intéresse à l'agroécologie, prône le retour à la terre nourricière et fabrique de lien social. Altermondialiste, il crée en 2007 le Mouvement des Colibris, dont le nom est inspiré d'une légende amérindienne qu'il a l'habitude de raconter en public.

"Un jour", dit la "Légende du Colibri", "il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s'activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit: "Colibri! Tu n’es pas fou? Ce n'est pas avec ces gouttes d'eau que tu vas éteindre le feu!" Et le colibri lui répondit: "Je le sais, mais je fais ma part.""

Un dessin de Pascal Lemaître. (c) L'aube.

Dans "La part du colibri", Pierre Rabhi pose les questions par rapport à la Terre qui le tourmentent depuis quarante ans. Et bien sûr, il fait mouche. Car il a raison et nous oblige à ouvrir les yeux. "Les vrais besoins",  écrit-il, "ont une limite naturelle: nourriture, vêtements, abri, soins... Le superflu, lui, n'a pas de limite. Il est la cause principale de l’hyper-consommation qui ruine notre planète et empêche que les besoins élémentaires de l'humanité soient équitablement satisfaits."

La Terre et l'Homme. (c) L'aube.

Avec son style direct, ses mots clairs, ses propositions concrètes, Pierre Rahbi fait dans cet ouvrage sa "part du colibri". Bien sûr, il nous glisse à l'oreille de faire la nôtre. Pascal Lemaître glisse magnifiquement ses dessins en noir et blanc et ses citations calligraphiées entre les lignes de l'auteur. Sa sobriété et sa symbolique proche parfois de l'abstraction confèrent une très belle atmosphère à ce livre nécessaire. Elles font parfaitement le lien entre terre et humain.


A l'agenda 2015 des deux auteurs.


A Strasbourg.



A Bruxelles.