L'illustre photographe (c Hamilton) aurait eu 100 ans aujourd'hui.
Mais Robert Doisneau a préféré nous faire la blague de s'en aller le 1er avril 1994.
(c) Robert Doisneau, 1950. |
On était en pleine "affaire du baiser de l'hôtel de ville".
Robert Doisneau avait accepté de me rencontrer à la condition expresse de ne pas aborder ce sujet délicat et non encore tranché par la justice.
Mais il acceptait de parler des baisers qu'il avait photographiés.
Cela a donc été le thème de l'entretien qui s'est déroulé dans son atelier, à Montrouge, près de Paris.
Le voici tel qu'il a paru début 1993.
Après avoir fait rêver des générations d'amoureux et parcouru le monde pendant quarante ans, le "baiser de l'hôtel de ville" essuie aujourd'hui des remous juridiques. Question de droits d'auteur. Des histoires de gros sous remontent à la surface, salissant l'image mythique du couple enlacé.Bonheur immobile saisi au cœur de la foule mouvante un matin de 1950. Robert Doisneau laisse la justice faire son travail. Depuis ce cliché, du temps a coulé sous les ponts. Bien des baisers ont été fixés par son objectif. Tendres, joyeux, émouvants. Le photographe parisien, 81 ans le 14 avril, qui se considère comme un spécialiste puisqu'il ne sait rien à rien, nous en a commentés quelques-uns
Pourquoi avoir eu envie de photographier des gens qui s'embrassent?
Parce que le photographe aurait aimé être dans la situation de celui qui embrasse. Comme il ne peut pas, décemment, se jeter sur une inconnue qui lui semble aimable et l'embrasser - il risquerait une paire de claques et l'appel à l'aide d'un agent - il se contente de photographier les autres.Vous avez volé des baisers, vous en avez aussi arrangés.
On ne peut pas, légalement, photographier des gens enlacés s'ils sont reconnaissables. Pour la plupart des scènes d'amoureux, j'ai choisi des gens qui étaient d'accord pour jouer à cet exercice assez agréable... On prend deux figurants pour ne pas avoir d'ennuis par la suite et malgré cette précaution élémentaire (rires), ils vous tombent dessus.Vous voulez parler du "baiser de l'hôtel de ville"?
Oui. Les ennuis ont commencé en 1992. Quarante-deux ans après la photo, des gens croient se reconnaître et pensent qu'avec cet instantané d'un centième de seconde, j'ai gagné beaucoup d'argent. Donc, ils veulent en profiter. Au départ il n'y avait pas de spéculation de ma part. Mystérieusement cette photo est devenue un symbole de bonheur.
A propos j'ai reçu une lettre fort intéressante signée d'un pope. Il a été photographié en train d'embrasser un jeune pope et trouve que ces amours n'auraient pas dû figurer dans la presse. Il ajoute qu'heureusement depuis lors, il a vieilli, que sa barbe a poussé et qu'on ne le reconnaît plus... C'est un confrère, marrant comme tout, qui m'a envoyé cette lettre.Dans quelles autres circonstances ont été pris vos "baisers"?
Dans la photo du "Vert-Galant", on voit un couple d'amoureux qui s'embrassent au loin, méconnaissables. À l'avant-plan se trouve un gardien de square. A la publication, on m'a dit: "Le sujet le plus important, c'est le gardien du square, il faut absolument obtenir son autorisation." J'ai eu un mal fou à le retrouver! Il m'a donné son accord et il a reçu 10.000 anciens francs (français). Il était vachement content: cet argent lui tombait du ciel, il ne savait pas pourquoi, il n'avait rien vu!
Et ces amoureux dans leur triporteur?
J'avais vu un garçon livreur embrasser une jeune fille dans le triporteur. Je l'avais appelé: "Pouvez-vous repasser? Je fais un reportage sur les amoureux de Paris." "Non, c'est la fille de la patronne!" m'avait-il répondu (rires). J'étais chocolat. Je leur ai dit: "Me prêteriez-vous votre triporteur?" "Oui, le triporteur, on s'en fout!" J'ai alors fait la photo avec deux figurants qui ont joué exactement ce que j'avais vu.Comment se déroulaient les poses?
C'était simple comme bonjour. Enfantin. Ils passaient, je prenais deux ou trois photos. Au temps du Rolleiflex, appareil dont la réserve d'images était très limitée, on ne pouvait pas faire beaucoup de photos. Quand je vois les jeunes qui viennent me tirer le portrait, ils ont un moteur! Ça déclenche, il y a des éclairs partout! À croire que la quantité de photos est essentielle pour en obtenir une bonne. On ne contrôle pas. On laisse l'automatique choisir pour vous. C'est une autre attitude. Je ne l'emploie pas du tout.Tous ces amoureux, vous les avez "saisis" en vous amusant?
C'était une commande de "Life" mais je m'amusais. Je me suis toujours senti complice des gens qui s'embrassent dans la rue. Le rédacteur en chef pensait que j'étais l'homme de la situation. Non pas que je sois un séducteur de l'asphalte, mais c'est un genre de photos légères qui allait bien avec ce qu'il connaissait de moi.Au total, vous préférez les baisers volés ou les baisers arrangés?
Les baisers volés. La réalité. Comme ces adolescents à moto: ils ont des casques médiévaux comme s'ils allaient à un tournoi de chevaliers du Moyen Age et ils se bécotent. Cette protection contre la violence sert de décor pour la tendresse. Une belle récupération.
C'est souvent comme ça. On m'attaque un peu avec cette histoire de "baiser de l'hôtel de ville". On essaie de dire que mon travail photographique n'a pas d'authenticité puisque je me suis servi de figurants.
Il y a aussi les baisers donnés. L'autre soir, je sors d'un restaurant indonésien où j'avais mangé seul. Il tombait une pluie épouvantable, je marche vers ma voiture. Quelqu'un court derrière moi, une femme. Elle me dit: "J'étais au restaurant. Je vous ai reconnu, est-ce que je peux vous embrasser?" Formidable qu'une jeune femme courre après un type de 80 ans, sous une pluie torrentielle, pour lui faire la bise. Ça vraiment, c'est la légion d'honneur!
Demeurent tous les formidables livres de photos de Robert Doisneau, pour tous publics, chez divers éditeurs.
Et il ne faut pas oublier de visiter l'excellent site que ses deux filles ont consacré à leur père.
http://www.robert-doisneau.com/fr/
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