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dimanche 27 mars 2016

Joyeuses Pâques avec rosette

En France, la première des trois promotions annuelles de la Légion d'honneur (93.000 membres au total) vient d'être annoncée. Cette promotion civile de Pâques 2016 compte 535 personnes, illustres comme inconnues du grand public, soit 433 chevaliers, 73 officiers, 22 commandeurs, cinq grands officiers et deux grand’croix. 8,6 % viennent du monde de la culture et de la communication. Et c'est là qie l'on retrouve des noms qui feront plaisir. Ou pas. En littérature de jeunesse, on découvre ceux de Susie Morgenstern (yeeeeeeeeaaaaahh) et Sophie Audouin-Mamikonian ("Tara Duncan"). En bande dessinée, celui de Joan Sfar.


Allons-y pour un survol culturel de la liste officielle.

Sont nominés ou promus

A la dignité de grand officier

  • Mme Groult (Benoîte, Marie, Rose), journaliste, écrivaine. Commandeur du 14 décembre 2010.
  • M. Morin, né Nahoum (Edgar), sociologue, philosophe. Commandeur du 16 janvier 2002. 


Au grade de commandeur

  • M. Bénichou (Pierre, Daniel), journaliste. Officier du 5 décembre 2002.
  • M. Chemetov, né Chemetoff (Kondrat, Paul dit Paul), architecte. Officier du 23 juin 1998.
  • Mme Troublé (Agnès, Andrée, Marguerite), dite Agnès B, créatrice de mode. Officier du 18 février 2010. 
  • M. Perrin, né Simonet (Jacques, André), réalisateur et producteur de cinéma. Officier du 7 février 2008. 


Au grade d'offficier

  • M. Veyne (Paul, Marie, Eugène), professeur honoraire d’histoire au Collège de France, historien de la Rome antique. Chevalier du 3 décembre 1990. 
  • M. Arditi (Pierre, Marie, Denis), comédien. Chevalier du 10 avril 2002.
  • Mme Arlot (Anne-José dite Ann-José), architecte, cheffe de l’inspection générale des affaires culturelles au ministère. Chevalier du 12 novembre 2004.
  • Mme Eda-Pierre (Christiane, Paule), artiste lyrique. Chevalier du 8 novembre 2007.
  • Mme Gallimard (Isabelle, Denise), présidente-directrice générale d’une maison d’édition. Chevalier du 5 mai 2006. 
  • M. Mitterrand (Jean-Gabriel, Paul, Joseph), galeriste. Chevalier du 10 juin 1998.
  • M. Rey (Alain, Marie), linguiste, écrivain. Chevalier du 9 novembre 2000.
  • Mme Serreau (Coline, Madeleine), comédienne, scénariste et réalisatrice de cinéma. Chevalier du 27 juin 2005.

Au grade de chevalier
  • Mme Ader (Camille, Alice, Marie dite Alice), pianiste ; 46 ans de services.
  • Mme Audouin-Mamikonian, née Tricot (Sophie, Suzanne, Catherine), écrivaine ; 29 ans de services.
  • M. Barbaret (Hervé, Roland), directeur du Mobilier national et des manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie ; 24 ans de services.
  • Mme Bentaïeb (Saadia), comédienne ; 35 ans de services.
  • Mme Blondeau (Catherine, Caroline, Denise), directrice d’une salle de spectacles ; 22 ans de services.
  • M. Capuçon (Renaud, Damien), violoniste ; 24 ans de services.
  • Mme des Cars, née de Pérusse des Cars (Laurence, Elisabeth), directrice du musée de l’Orangerie ; 23 ans de services.
  • M. Echelard (Louis, Joseph, Marie), directeur général d’une société du secteur des médias ; 43 ans de services.
  • M. Faucon (Philippe), scénariste, réalisateur et producteur de cinéma ; 32 ans de services.
  • M. Forest (Philippe, Jean, François), écrivain, essayiste, professeur des universités en littérature française ; 30 ans de services. 
  • M. Guédiguian (Robert, Jules), scénariste, réalisateur et producteur de cinéma ; 37 ans de services.
  • Mme Haudiquet (Annette, Sylvie, Françoise), directrice d’un musée ; 32 ans de services.
  • Mme Le Coz, née Rippe (Martine), écrivaine, dessinatrice ; 31 ans de services.
  • Mme Lenchener, née Lentschner (Elisabeth), documentaliste, réalisatrice et productrice de cinéma ; 43 ans de services.
  • M. Mokart (Farid), publicitaire ; 22 ans de services.
  • Mme Morgenstern, née Hoch (Susan dite Susie), écrivaine ; 39 ans de services.
  • M. Perrier (Claude, Nicolas), président-directeur général de groupes de presse ; 36 ans de services.
  • M. Planès (Alain, Maurice), pianiste ; 46 ans de services.
  • Mme Rappaport (Nadia, Nathalie dite Nathalie), directrice d’un festival de musique ; 28 ans de services.
  • Mme Rémy-Boutang, née Rémy (Delphine, Sonia), gérante-fondatrice d’une agence en conseil digital ; 25 ans de services.
  • M. Sfar (Joann, Sacha, Albert), dessinateur et scénariste de bandes dessinées ; 22 ans de services.
  • M. Soulé (Jean-Luc, Pierre), président-fondateur d’un festival de musique ; 36 ans de services.
  • M. Tong Cuong (Eric, François), publicitaire ; 31 ans de services.
  • M. Vallois (Georges-Philippe), galeriste ; 26 ans de services.
  • M. Viansson Ponté, né Viansson Ponte (Jean, Jacques, Marie), président d’un syndicat de presse régionale ; 40 ans de services. 


L'intégralité de la liste se trouve ici.

vendredi 18 mars 2016

Printemps au "Royaume" d'Emmanuel Carrère


Les usagers de ce blog connaissent bien les soirées "Portées-Portraits" qui se déroulent à la Maison Autrique. Plusieurs fois par an, le lundi soir, des comédiens lisent des extraits de livres contemporains, choisis par l'asbl Albertine, label derrière lequel on trouve la comédienne et auteure Geneviève Damas. Les lectures sont accompagnées par des musiciens.

Emmanuel Carrère.
Ce lundi 21 mars, jour du printemps chez nous, jour aussi de "no(w)rouz" (Nouvel An persan), seront lus des extraits du roman "Le Royaume" d'Emmanuel Carrère (P.O.L., 2014). Chrétien fervent il y a vingt-cinq ans, l'auteur y raconte son histoire, les tourments qu'il traversait alors et comment la religion fut un temps un havre, ou une fuite. Aujourd'hui, Emmanuel Carrère n'est plus croyant mais il garde la volonté d'enquêter sur ce qu'il fut. On le connaît, l'Emmanuel, il ne s'épargne pas. Tout en partant de sa propre expérience, il imagine les origines de la chrétienté. S'il se concentre sur les personnages et les écrits de Paul et de Luc, il s'interroge aussi sur les raisons de la vivacité de cette religion deux mille ans après.

Malgré de multiples sélections et d'excellentes critiques, "Le Royaume" ne reçut aucun prix littéraire de l'automne 2014, à la déception de son auteur, mais il fut "meilleur livre de l'année" pour "Lire", lauréat 2014 du "Point" et "prix littéraire" du "Monde".


Les extraits de texte seront lus par Geneviève Damas, accompagnée au piano par Harold Noben. La mise en voix sera assurée par Christian Crahay. Exceptionnellement, il n'y aura pas de rencontre avant la lecture mais un verre sera offert à son issue, comme à l'habitude.

Pour lire le début du "Royaume", c'est ici.

Informations pratiques

Quand: le lundi 21 mars à 20 h 15
Où: à la Maison Autrique, chaussée de Haecht, 266 à 1030 Bruxelles.
Combien: 8 € (donnant l'occasion de visiter toute la maison)
Réservation: 02/245.51.87 ou albertineasbl@gmail.com


A noter qu'Emmanuel Carrère a publié un nouveau et gros livre en ce début année, l'excellent "Il est avantageux d'avoir où aller" (P.O.L., 560 pages). L'ouvrage réunit la plupart des articles qu'il a écrits depuis vingt-cinq ans dans la presse (du "Nouvel Observateur" à "La Règle du jeu", en passant par "Les Inrockuptibles" et "XXI"). Il s'y intéresse aux sujets les plus divers: l'amour, la politique, la littérature, le cinéma, la société, les faits divers, l'intime.

On est frappé de voir combien les préoccupations journalistiques de l'auteur sont les graines de ses futurs livres. Il se raconte, ses doutes, ses échecs dont une calamiteuse interview de Catherine Deneuve, ses réussites, ses enthousiasmes. Ses reportages  nous emmènent en Roumanie, aux Etats-Unis, en Russie, à Davos ou dans le cœur des hommes, dont le sien, pour un magazine italien. On y lit aussi ses préfaces à "Moll Flanders" de Daniel Defoe, à l'intégrale des nouvelles de Philippe K. Dick ou encore à "Epépé", du Hongrois Ferenc Karinthy. Voilà un bel éventail des talents d'Emmanuel Carrère: analyste, chroniqueur, commentateur, aventurier, satiriste, critique et avant tout écrivain.

Pour lire le début d'"Il est avantageux d'avoir où aller", c'est ici.




mercredi 16 mars 2016

Pour que "Partir" parte en tournée


L'autre mardi, aux Midis de la poésie, avait lieu la première d'un spectacle sur les migrations, "Partir" (lire l'annonce ici). Quel choc d'entendre les voix mêlées de Laurence Vielle et Geneviève Damas, l'une rapide et rauque, l'autre plus douce et constante, soutenues par l'accordéon de Didier Laloy. Elles portaient superbement celles de migrants rencontrés dans un centre de la Cimade (accueil français) pour la première, à Lampedusa et Rixensart pour la seconde.

"Partir".
Impossible de rester indifférent à la lecture de ces textes brûlant les yeux par leur sobriété. Ils prennent aux tripes, qu'ils racontent le chemin de l'exil, la réalité de la demande d'asile, la recherche d'un disparu, l'arrivée d'enfants mineurs, ou qu'ils consignent des moments plus heureux, atelier d'écriture ici, instant de complicité là.  Bien sûr, la poésie intervient à plusieurs reprises durant la séance, proposant par exemple le mot "intranger" en remplacement de celui d'"étranger". Des chansons à  refrain détendent un peu l'atmosphère. Des photos donnent des images concrètes aux noms et aux lieux évoqués. L'accordéon se glisse en porte-voix et en contre-point des situations évoquées.

Il serait trop dommage que ce magnifique travail littéraire et musical sur les demandeurs d'asile, juste à tous les instants, demeure une séance unique. Ses créatrices sont toutes prêtes à le faire tourner là où on les demandera. Il suffit de contacter les Midis de la poésie, via sa directrice, Mélanie Godin (0485/32 56 89). Ce serait vraiment bien que "Partir", avec son message d'ouverture et sa réflexion sur l'accueil des migrants, parte en tournée et rencontre un large public.



Pour que "La soupe de l'espace" reste sur orbite


Bon, je ne vais pas ergoter sur la difficulté qu'il y a à être libraire aujourd'hui et encore plus à être libraire jeunesse. On le sait. Ce qui n'empêche pas d'attirer l'attention quand un grave danger menace une officine. En l'occurrence, il s'agit de la librairie jeunesse indépendante La soupe de l'espace, basée à Hyères, en France - sur une carte, descendre d'un bon millier de kilomètres depuis Bruxelles en déviant légèrement vers la droite et on y est. Mel & Jean qui l'ont fondée ont reçu récemment un coup de téléphone comminatoire de leur banquier...

Mel et Jean, les chefs de soupe.
Bref, pour atteindre et dépasser son huitième anniversaire, La soupe de l'espace, née le vendredi 13 juin 2008, doit trouver 55.000 euros rapidement. Elle a donc lancé une campagne de soutien participatif sur le site Ulele, et y raconte toute sa belle histoire.
Waw! Des libraires qui y croient, qui en veulent et qu'il serait bête de laisser capoter si près de leur but. Rien que leur slogan, "La soupe pour grandir, l'espace pour rêver", donne une bonne idée de leur philosophie. A la Soupe, chaque livre en vente a été lu, choisi et est aimé. Chaque visiteur reçoit des conseils s'il le souhaite.

Les fonds récoltés serviront à regonfler la trésorerie, à repartir sur orbite. A noter que 14.000 euros ont déjà été collectés, soit 25 % du minimum nécessaire. Selon les montants versés, on reçoit ceci ou cela (tout est expliqué sur la page). Il reste 38 jours pour finaliser le projet.

La soupe de l'espace, c'est peut-être loin pour y aller, mais pas à l'heure d'internet. La page Facebook de la librairie réunit plus de 6.200 personnes et elle dénombre plus de 3.200 lecteurs uniques chaque jour sur son blog! Sans oublier le shop en ligne, les 1.000 abonnés Twitter et les 2.500 qui lisent la newsletter.

Atelier gravure à la Soupe.
Les chefs de soupe et leurs deux "croûtons" défendent une librairie de qualité, avec conseils, expositions, ateliers  pour les enfants et visite régulière d'auteurs. On y vient de loin et on en ressort ravi. Que demander de mieux? Les dix derniers auteurs et/ou illustrateurs à être passés par la soupière sont Rebecca Dautremer, Emmanuelle Houdart et Stéphane Servant, Guillemette Faure, Fanny Ducassé, Pierre Delye, Denis Lachaud, Kitty Crowther, Audrey Spiry et Lionel Richerand. Du beau monde, il n'y a pas à dire.

... Kitty Crowther à la Soupe.
Emmanuelle Houdart, Stéphane Servant,











Merci d'aider La soupe de l'espace à poursuivre ses voyages intergalactiques.

lundi 14 mars 2016

Poésie engagée aux Midis de la poésie demain


Séance totalement en prise avec l'actualité ce mardi 15 mars (de 13 heures à 13h50) aux Midis de la poésie: on y présentera "Partir", le récital sur le thème des migrations de trois artistes qui y ont été personnellement confrontés, Geneviève Damas, romancière et comédienne, Laurence Vielle, poète (entre autres national) et comédienne, et Didier Laloy, musicien, à l'accordéon cette fois.

Lampedusa. (c) Geneviève Damas.


Geneviève Damas.
On se rappelle de la semaine de chroniques de Lampedusa de Geneviève Damas dans "Le Soir" en juin de l'année dernière. Laurence Vielle, elle, a passé plusieurs jours dans un centre d'accueil de la Cimade, un comité d'aide aux réfugiés en France. Autant d'expériences qui, au retour, ne se rangent pas dans un tiroir. Au contraire. Les deux femmes ont eu envie de travailler avec les matériaux glanés, de mêler le documentaire et la poésie. Didier Laloy a posé des notes sur leurs photos et sur leurs mots. Ceux-ci font entendre des voix de personnes, les sortent des catégories dans lesquelles on les enferme, rappellent que tous ces migrants sont avant tout des êtres humains qui ont des droits, dont celui d'exister et pas d'être massacrés au nom de dieu sait quel règlement.

Laurence Vielle.
Didier Laloy.












Dans "Partir", plume et musique s'emparent des pas d'hommes et de femmes en voyage, en migration  depuis leur pays en souffrance dans l'espoir d'une vie meilleure ailleurs, chez nous. La séance fera alterner lecture de textes, musique et projection de photos.

Il faut saluer l'idée des Midis de la poésie, menés par Mélanie Godin, soutenus par Passa Porta et la Bellone, de mettre en avant le sujet polémique des migrants. Ceci en pleine actualité. Si le sujet y est présent depuis longtemps, il y est plus que jamais ces jours-ci. L'Europe va-t-elle dire oui à la Turquie? Si l'Europe le fait, beaucoup d'Européens diront non à l'Europe. Les #European Black days des 17 et 18 mars sont là pour le rappeler.

Le récital va être formidable. Il est donc prudent de réserver.

Un petit avant-goût.
"et si on disait
que personne n'est d’ailleurs
enfin je dis ça comme ça
un peu naïf je crois
mais si on le disait juste pour essayer
tout le monde est d'ici d'ici la boule la terre
issus de même boule déboulé dans la vie
étranger réfugié débouté demandeur d'asile 
sans papier migrant clandestin qu'importe
j'en perds la boule
et si on s'appelait tous
intranger  intranger
de la même terre
intérieur à l'huma
l'huma l'huma l'huma
l'humanité
intranger  intranger"

Infos pratiques

Date: mardi 15 mars, de 13 h à 13h50 (horaire légèrement déplacé par rapport à l'habitude).
Lieu: Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Petit auditorium), rue de la Régence, 3
1000 Bruxelles
Entrée: 6 € (3 € si réduction)
Réservation: midisdelapoesie@gmail.com ou 0485/32 56 89

samedi 12 mars 2016

Littérature, poésie, sciences et migrants


Académique, la remise des prix 2015 de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique (ARLLFB)? Pas du tout si on s'y rend et qu'on y entend la parole des différents lauréats, précédée d'excellents choix de lecture. Lors de la séance de ce samedi 12 mars, ce sont douze prix qui ont été remis sur les trente que l'Académie décerne, tous n'étant pas annuels mais tous étant dotés par des fondations, a rappelé Jacques De Decker, Secrétaire perpétuel de l'institution. Le plus frappant ayant été de voir combien les sujets d'actualité, sciences, religions, Belgique, langues, migrants, se sont aimablement rencontrés durant cette séance célébrant la poésie, la nouvelle, le roman, l'essai, la traduction et la grammaire. Et l'esprit belge, dont l'humour est une des émanations.

Allons-y pour le défilé des douze qui étaient treize, et même treize et demi.

Prix Nicole Houssa

triennal, destiné à un poète originaire de Wallonie, pour un premier volume de vers publié ou non.


Pierre Warrant
pour son recueil "Altitudes" (Tétras Lyre, 2013)

Né en 1963, Pierre Warrant est ingénieur commercial de formation. Il se définit lui-même comme "poète, photographe et voyageur par passion".  "Altitudes", son premier recueil paru, rend compte d'une expérience à la fois intérieure et physique, son expédition en Himalaya jusqu'au pied de l'Everest.


Extrait                                                                            
L'Au-revoir
"Tu n'as pas demandé
où nous allions 

tu savais que là-haut
nous ne pouvions chercher
autre chose que nous-mêmes
 tes mots étaient montagnes
ils se joignaient au ciel
comme lueurs d'altitude."

"Je fais de la poésie pour équilibrer ce qui ne l'est pas dans le monde de l'économie. Pour être connecté à la beauté du monde. La poésie de mon carnet de route d'expédition dans l'Himalaya est comme la photographie. Ce sont des tableaux, des flashs qui, ensemble, forment un kaléidoscope."






Prix Verdickt-Rijdams

annuel, pour un ouvrage portant sur le dialogue entre les arts et les sciences.

Les éditions L'Arbre de Diane
Mélanie Godin et Renaud Lambiotte

Sous le label "Géodésiques", Mélanie Godin et Renaud Lambiotte ont lancé en 2015 la collection "La tortue de Zénon" aux éditions L'Arbre de Diane". Deux titres sont parus (lire ici),  quatre sont à paraître à partir de juin. "Dix rencontres entre science et littérature" rassemble des écrivains et des chercheurs autour de thèmes aussi divers que les systèmes nerveux, la dynamique des fluides, la matière noire, les  big data...

"La collection est née suite à des conférences grand public qui se sont tenues à Namur à propos des relations entre littérature, poésie et sciences. Elles ont remporté un grand succès. Un financement du FNRS a permis de lancer la collection. Deux livres sont sortis. La science fascine mais fait peur, ne fût-ce qu'à cause de son langage. Ici, il s'agit de montrer la beauté des sciences. Un "Géodésiques 2" est en cours, mais différent du premier."



Prix Lucien Malpertuis

biennal, attribué alternativement à un poète, à un auteur dramatique, à un romancier (ou nouvelliste) et à un essayiste belge.

Nathalie Skowronek
pour son essai "La Shoah de Monsieur Durand" (Gallimard, 2015)

"Karen et moi" (Arléa, 2011), le premier roman de Nathalie Skowronek racontait la fascination d'une femme pour l'écrivaine danoise Karen Blixen et, par ce biais, l'influence que peut exercer sur la formation d'une identité personnelle un personnage reconnu comme emblématique. Le second, " Max, en apparence" (Arléa, 2013), traite d'un secret de famille et aborde la Grande Histoire, tout en montrant comment tourner une page pour conjurer les traumas.  Son troisième livre, l'essai "La Shoah de Monsieur Durand", pose la question du devoir de mémoire pour les générations qui suivent celle des rescapés des camps, l'après-mémoire de la Shoah.

"Mes trois livres portent sur l'identité, qui je suis, où est ma place, d'où je viens, sur l'identité familiale et la transmission (juive dans mon cas), sur l'héritage, sur cette troisième génération qui déterre ce que les deux générations précédentes ont pris soin d'enterrer. Comment se positionner par rapport à tout cela? Le passé ou son éloignement interrogent la part de responsabilités, la mémoire. Ma position n'est pas d'être le gendarme de la Shoah. Je ne suis pas prescriptive. La mémoire de la Shoah ne va pas disparaître mais se transformer comme tous les grands événements historiques."


Prix Henri Davignon

quinquennal, attribué à un auteur belge pour une œuvre d'inspiration religieuse.

Paul-Augustin Deproost

Qui sait que "Utopie" de Thomas More a été édité à Louvain à la demande d'Erasme en 1516? Il y a cinq siècles, il y a un demi-millénaire... Ce livre total, intemporel, dépasse les âges et son temps. Ce qui est le principe même de l'utopie.
Le livre qui paraît aujourd'hui, "Chemins d'Utopie" (UCL, 2015), rassemble quelques-uns des passages les plus forts du livre de 1516, dans une nouvelle traduction du latin, éclairés et actualisés par des commentaires émanant de membres de la communauté universitaire, de tous horizons et de toutes les disciplines, étudiants, professeurs, chercheurs, alumni... Quelques-uns des sujets abordés: la peine de mort, l'exode rural, la propriété privée, l'éducation citoyenne, la tentation totalitaire, l'esprit des lois, le dialogue interreligieux, l'urbanisme, l'égalité...

"Le livre paraît dans une nouvelle traduction du latin que j'ai faite, notamment pour ne pas payer de droits d'auteur sur les traductions existantes. Des extraits du livre de Thomas More ont été mis sur le site de l'UCL. Ceux qui ont été commentés ont été retraduits en un constant va-et-vient entre le commentateur et le traducteur, de façon à rendre entre autres la souplesse de la langue de l'auteur."


Prix Franz De Wever

annuel, attribué à un auteur belge âgé de moins de 40 ans pour un recueil de nouvelles.

Catherine Deschepper
pour son recueil "Un kiwi dans le cendrier" (Quadrature, 2015)

Contrairement à la littérature anglo-saxonne, la francophone n'apprécie guère le genre qu'est la nouvelle. Peu d'auteurs en écrivent, peu d'éditeurs en publient. Et quand ils le font, le résultat n'est pas toujours à la hauteur des attentes. Car le lecteur qui a accès aux traductions en français des nouvelles américaines sait que le genre peut être bon, excellent même. Peu d'éditeurs francophones publient des nouvelles, sauf Quadrature qui ne fait même que ça, et avec quel talent.
C'est une débutante qui est aujourd'hui récompensée, mais on devrait encore entendre parler d'elle régulièrement. Quelle maîtrise, quel regard sur les mœurs contemporaines, quelle ingéniosité narrative et quel humour.
La lecture des trois extraits, "Emma, 30 ans, Inès, 40 ans, Zoé, 50 ans", a enchanté l'assistance.
Vite, vite, se procurer ce recueil de nouvelles.

Absente de Bruxelles ce samedi, la lauréate a fait parvenir un texte à l'Académie.
"Je suis ravie, évidemment, que le texte ait pu vous plaire. J'ai souri, parce que les hommes sortent écorchés de mes mots et que vous ne semblez pas m'en tenir (trop?) rigueur. J'ai souri aussi parce que, dans votre courrier, vous parlez d'un coup d'essai et qu'il  faudrait plus humblement parler d'essai transformé. Avant "Le kiwi", il y a eu d'autres manuscrits, après aussi, mais je patauge dans le monde codifié de l'édition  au sein duquel mes textes, désaxés peut-être, trouvent mal leur place (à moins qu'ils soient moins performants, je suis une dilettante un peu naïve, encore). En fait, l'important, c'est d'écrire, surtout, et d'être lue, un peu. Merci pour l'encouragement à continuer que vous m'offrez. Une bouffée d'orgueil, une dose de narcissisme dans les veines, et hop!, au boulot!"


Prix Georges Vaxelaire

biennal, destiné à un auteur belge d'une œuvre théâtrale représentée en Belgique, au théâtre, ou diffusée par la radio ou la télévision.

Veronika Mabardi
pour sa pièce "Loin de Linden" (Rideau de Bruxelles, 2014, en tournée actuellement)

Un petit-fils questionne ses deux grands-mères que tout oppose (l'une est flamande, de classe sociale modeste, terrienne, fille d'un garde-chasse tandis que l'autre, francophone, cosmopolite, descend d'une famille de la bourgeoisie et explore le monde) et qui ont des relations difficiles. Leur dialogue fait catharsis. Les deux femmes se rencontrent et se parlent. Chacune livre ses confidences, alors que dans la vie réelle, Eugénie et Clairette ne se sont rencontrées qu'une seule fois, très froidement, en 1960, pour le mariage de leurs enfants respectifs.

"Ce texte a mis des années à sortir de moi. J'ai fait les interviews de mes deux grands-mères, l'une, Flamande de près de Louvain, qui n'en a jamais bougé, ne parlant que sa langue, l'autre, de Bruxelles, francophone, qui a voyagé autour du monde et qui a vu tout s'écrouler lors du krach de 1929. Ce sont les ironies de la vie. C'est une pièce sur la Belgique et sur l'évolution de sa double société. Je voulais aussi montrer à quel point on peut être coupé de l'autre à cause de son propre regard".


Prix Félix Denayer

annuel, destiné à un auteur belge pour l'ensemble d'une œuvre ou pour une œuvre en particulier.

Diane Meur
pour "La carte des Mendelssohn" (Sabine Wespieser éditeur, 2015)

Avec "La carte des Mendelssohn", son cinquième  roman, Diane Meur offre une étonnante expédition dans l'arbre généalogique d'une famille qui ne produisit pas seulement un musicien que Goethe portait aux nues et un philosophe compagnon de Kant, mais une myriade de personnalités illustres ou inconnues, tout en narrant  le récit de sa propre enquête, à la première personne.

En l'absence de l'auteur, un extrait d'une rencontre à la librairie Tropismes est projeté.


Prix Léopold Rosy

triennal, destiné à l'auteur d'un essai en langue française.

François De Smet 
pour son essai "Reductio ad Hitlerum" (Presses universitaire de France, 2014)

François De Smet, on le connaît souvent en tant que directeur du nouveau centre  Myria créé en 2015, le Centre fédéral Migration, organisme fédéral chargé de veiller aux droits fondamentaux des étrangers, d'informer les autorités sur l'ampleur des flux migratoires et de stimuler la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains. Philosophe et intellectuel, il est aussi un essayiste brillant.

"Mes maîtres à penser sont tous ceux et celles qui questionnent les évidences. Hannah Arendt par exemple, lucide et courageuse. Mes analyses portent sur la modernité. Lors des négociations Europe-Turquie à propos des migrants, on reparle de l'Europe de l'Est qui avait été absente des discussions depuis vingt ans. La plus courageuse a été Angela Merkel. Elle ne vient pas de rien, elle a tenté quelque chose. En tant qu'animateur d'un centre de recherches sur la migration, je remarque que le Belge est très humain lors des rencontres de personne à personne (il fera tout pour venir en aide à son voisin albanais menacé d'expulsion) mais très conservateur dans les sondages."


Prix Albert Counson

quinquennal, attribué à l'auteur belge d'un ouvrage en langue française ayant trait à la philologie romane, ce terme étant dans le sens le plus large. Un auteur étranger peut être couronné si son essai s'intéresse spécialement à la Belgique. Le seul prix qui puisse aller à un académicien.

Marc Wilmet
Marc Wilmet, qui a été honoré en 1986 du Prix Francqui pour avoir "contribué de façon remarquable à confirmer et renforcer le prestige de la Belgique dans le monde scientifique", est aujourd'hui mondialement réputé comme un grammairien doué de science, d'invention et d'originalité. Sa "Grammaire critique du français", qui a déjà connu cinq éditions, l'a hissé au rang des meilleurs connaisseurs du fonctionnement de notre langue. Sa manière de concevoir l'étude du français repose pour l'essentiel sur une vision scientifique qui ne peut se satisfaire des approximations communément avancées par quelques auteurs prestigieux. Elle traque les contradictions dont souffrent nos manuels scolaires et propose volontiers un assouplissement des normes en matière d'orthographe d'usage, d'emploi du subjonctif ou des règles d'accord du participe passé. Elle bouleverse surtout la description des phénomènes syntaxiques en adoptant une attitude critique du meilleur aloi.


Prix Auguste Michot

biennal, destiné à un auteur belge d’une œuvre littéraire, en prose ou en vers, consacrée à célébrer les beautés de la terre de Flandre.

Werner Lambersy 
pour son recueil "Escaut! Salut!" (Opium éditions, 2015)

Le "francophone des Flandres" cumule cette année publications, une demi-douzaine, et prix, dont le Mallarmé. Il qualifie son ode à un fleuve de "suite zwanzique et folkloresque". Né à Anvers en 1941, il a d'abord été élevé en flamand par sa grand-mère avant que sa mère ne tombe amoureuse d'un médecin francophone et qu'il ne change aussi de langue. Le recueil fait l'objet, chose de plus en plus rare, d'une traduction en langue flamande, dont la saveur nous est proposée lors d'une lecture bilingue.

"J'ai fait ces livres en réacion à la commercialisation galopante de la littérature. Cinq textes totalement différents auxquels j'ai travaillé, pour certains, depuis dix ans. J'ai ensuite rencontré Opium qui avait des projets autour de la Meuse et de l'Escaut. Je vais le long de l'Escaut de la frontière française à la frontière hollandaise, de Tournai à Anvers. Ici, je livre un simple regard pour remettre l'homme dans le monde des hommes."



Prix Henri Cornélus

triennal, international, attribué à l'auteur d'un recueil de nouvelles publié en français.

Marie-Hélène Lafon
pour son recueil "Histoires" (Buchet-Chastel, 2015)

Marie-Hélène Lafon incarne dans les lettres françaises d'aujourd'hui une voix très particulière, à la fois spirituelle et terrienne, proche des âmes dites simples, qu'elle aborde avec la sensualité d'un Giono du Cantal et la colère d'un Calaferte à qui elle reconnaît sa dette.

"Mal aimée, la nouvelle en France? Les éditeurs en France ont tendance à vous demander du roman, fût-il court, plutôt que de la nouvelle. Quand j'ai proposé "Jeanne" comme une nouvelle, la réponse de l'éditeur a été: "Peux-tu l'étirer en un roman?" Mais les textes sont comme les coureurs, ils ont leur distance. A l'exception de quelques-uns, Anna Gavalda par exemple, la nouvelle est une bataille. Les personnages de mes livres sont des empêchés de la parole. C'est lié à mes origines et à mon intinéraire. "Histoires" est né de la proposition de mon éditrice chez Buchet Chastel, Pascale Gautier, de rééditer deux recueils de nouvelles et deux nouvelles attachées à deux romans. J'ai ajouté le texte qui donne son titre au livre et qui est le fruit de mes ruminations sur le rapport roman-nouvelle et nouvelle-roman."

Prix Gaston et Mariette Heux

quadriennal, destiné à un écrivain de plus de quarante ans pour une œuvre importante ou pour l'ensemble de son œuvre.

Jean-Pierre Verheggen
pour l'ensemble de son œuvre

Il y a vingt-cinq ans, Jacques de Decker écrivait dans "Le Soir" à propos de notre "prix Nobelge": "Le potentiomètre dont il se sert est celui qui l'a conduit  dans les diverses contrées que son œuvre a explorées jusqu'ici, du "Degré Zorro de l'écriture" à "Ninietszche Peau'Chien"  en passant par "Divan le Terrible": il est un imparable détecteur des charges secrètes des mots. Il leur fait rendre gorge, il les retourne comme des gants, persuadé qu'ils ne disent que pour mieux dérober, que c'est sous les sens avoués que se nichent les inavouables, et les plus révélateurs. C'est cela qui fait de Verheggen le plus aventureux de nos poètes, sous ses dehors d'amuseur et de boute en train: il creuse jusqu'au plus profond dans les gisements de langage, il rampe dans les veines, mineur acharné à porter au jour ce que les mots veulent vraiment dire.  Par ses creusements continuels dans les divers registres de la langue, il met à mal les lectures qui tentent d'imposer la dominance d'une langue artificielle et de classe (au sens marxiste) sur les langues et expressions populaires. Il parie pour l'ouvert contre le figé. Il montre que la langue et le vocabulaire sont une germination continuelle, et qu'en restant ouverte, leur lecture induit non seulement une jubilation poétique mais aussi une attitude politique, qui est d'ouverture et d'appropriation par tous plutôt qu'un instrument discriminatoire et de dominance."

Les orateurs se relâchent, après une longue séance, l'assistance aussi. Et tout le monde s'esclaffe lorsque s'enfilent les titres de Verheggen, ses traductions libres du latin, ses bons mots et sa joie. Les mots de clôture? "Le dernier qui sort éteint la lumière et ferme l'aorte." La littérature est vivante et une bonne-vivante.










jeudi 10 mars 2016

Quel malheur! Claire Franek n'est plus

Claire Franek.
Hé bien zut alors! On en a marre. Marre de tous ces décès qui noircissent 2016, perles sombres qui s'enfilent en un collier de deuil. On a appris aujourd'hui la mort hier, le 9 mars, de l'auteure-illustratrice jeunesse française Claire Franek. Elle était née en 1966... Cancer. Moche. On en a marre.

Une quarantaine d'ouvrages jeunesse, principalement des albums, sont nés de l'imagination de la talentueuse et pleine de fantaisie Claire Franek. En vingt ans. La plupart au Rouergue, quelques-uns chez Casterman à ses débuts, quelques-uns chez Thierry Magnier à ce qu'il faut désormais considérer comme la fin. Claire, dont le rire et le regard ont frappé tous ceux qui la connaissaient. Claire, dont l'humour et l'humanisme ont fait du bien à la littérature jeunesse.

Son premier album est sorti en 1996, il y a vingt ans. Il montre bien que Claire Franek n'a pas fait uniquement des études d'arts plastiques mais aussi de scénographie et même de marionnettes . C'est "Qui est au bout du fil?" (Rouergue, 48 pages, 1996). Il raconte en mille questions pleines d'imagination la vie d'un montreur de marionnettes. Mystère, illusion et jeux: les poupées à fil défilent, comme les jours de la semaine, du lundi au dimanche, où le manipulateur fait relâche.


Avec Guislaine Beaudout, sa sœur, au texte, Claire Franek a signé plusieurs titres de la collection "Courant d'air" de Casterman. "La nuit", en 1997, charmante farandole avec chats et souris, fêtards et voyageurs, dormeurs et insomniaques, SDF et voleurs, travailleurs et amoureux... De jolies pages bleu nuit aux illustrations naïves mais combien réussies jusqu'au superbe bouquet final (et mondial).
Deux ans plus tard, le même duo publie "Quel malheur!" où il épingle toute une série de circonstances où des enfants pleurent. Si des torrents de larmes jaillissent des yeux des héros, les chagrins ne sont pas éternels. Et il suffit parfois d'un rien pour que le sourire revienne...

Les livres se suivent alors, surtout des albums, entrecoupés de quelques romans. Projection dans l'avenir avec "Dans 3500 mercredis" (texte d'Annie Agopian, Rouergue, 1999), correspondance familiale dans "Mémé, t'as du courrier!" (texte de Jo Hoestlandt, Nathan, collection "Pleine lune", 128 pages, 1999), suspense dramatique avant une fin libératrice avec "Le drame", réalisé en solo (Rouergue, 2000), expériences au jardin avec "La belle est la bête" (texte de Guillaume Guéraud, Ed. Thierry Magnier, 2002), dénonciation de la société de consommation dans "La ferme hallucinante" (texte de Franck Secka, Rouergue, Zig-Zag, 2003), voyages imaginaires dans "Si j'y suis" (texte de Guislaine Beaudout, Rouergue, 2004).

En 2004, le "Rendez-vous à quatre heures et demie" (Ed. Thierry Magnier, 2004) de Claire Franek se fait remarquer. On n'a pas besoin de GPS pour arpenter la ville en sa compagnie. De 8 heures du matin à 16 h 20, le lecteur sillonne les rues et vit avec les passants mille événements. Une façon originale et réussie de raconter aux enfants ce que font papa et maman pendant qu'ils sont à l'école. Car c'est là que s'achève l'album, réunissant tous les personnages croisés au fil des pages.

C'est toujours du quotidien que traite l'album "Moins une..." d'Annie Agopian et Claire Franek (Rouergue, 48 pages, 2005) mais le point de vue est décalé. Car c'est le bébé à naître lui-même qui traite avec humour de fratrie, généalogie, conception, grossesse... sachant qu'il sera là après 413.280 minutes de "fabrication".



Claire Franek illustrera ensuite plusieurs livres relatant des soucis, la résistance à l'autorité bête dans "Non-Non et Grand ours blond" (Ed. Thierry Magnier, Petite poche Bd,  2006), l'accident et le coma d'une maman dans "Gros dodo" (texte d'Hélène Vignal, Rouergue, collection "Zig Zag", 2007), "Le papa d'Héloïse est au chômage", "Fred se dispute avec tout le monde", "Fred et la fille différente"  (textes de Fanny Joly, Hachette Jeunesse, collection "Les p'tits soucis", 2007 et 2008).

Retour en 2007 à des albums plus drôles: son  plus "marrant" comme elle disait, "Le facteur n'est pas passé" (Ed. Thierry Magnier, 2007), "O" (L'édune, collection "L'abécédaire", 2008), un imagier comportant 32 mots débutant par la lettre "o", "L'almanach bric-à-brac" (textes de Virginie Aladjidi et Caroline Pellissier, Ed. Thierry Magnier, 2008), "Le jeu de cette famille" (texte d'Annie Agopian, Rouergue, 2009) ou une séparation sur un mode ludique, "La fête foraine" (La maison est en carton, 2009), réjouissant livre-paravent de grand format.

En 2011 sort sans bruit "Tous à poil!", texte de Claire Franek, illustrations de son compagnon Marc Daniau (Rouergue, 2011). Il faudra attendre 2014 pour que l'album surgisse sous les feux de la rampe, grâce à Jean-François Copé (lire ici). Succès dont tout le monde se serait bien passé mais qui donne aux auteurs une belle tribune en faveur de la liberté d'expression.

Viendront ensuite un documentaire sur le théâtre, " La fabrique à théâtre" (texte de Ghislaine Beaudout, Ed. Thierry Magnier, 2011), un album sur l'adolescence, "Tout le monde à dos" (texte d'Annie Agopian, Rouergue, 2011), un hyme à la vie dans "Les quatre saisons d'Antonio Vivlavie" (Ed. Thierry Magnier, 2011), un jeu de surprises dans "Je vous présente Gaston!" (texte de Raphaële Frier, L'édune, 2012), une histoire de vacances dans "King Kaloumar" (texte de Guillaume Guéraud, Sarbacane, collection "Série B", 2013), les hasards de l'existence dans le roman illustré "Ma vie dans un grille-pain" (texte de Mikaël Ollivier, Sarbacane, 2014).

Le dernier livre de Claire Franek, "Le Grand Spectacle", sera publié au Rouergue en septembre 2016.

A parcourir l'importante bibliographie de Claire Franek, on ne peut qu'être frappé par le parallèle entre sa vie et ses livres.



mardi 8 mars 2016

Trois visages de Liliane Wouters

Quand on a appris la triste nouvelle du décès de Liliane Wouters le 28 février dernier (lire ici), on savait que son recueil "Trois visages de l'écrit" (Espace Nord, 224 pages) devait paraître quelques jours plus tard. Tanguy Habrand, de la collection Espace Nord, écrivait en ce jour de deuil: "J'ai appris ce matin avec beaucoup de tristesse le décès de Liliane Wouters. Nous savions, tout en préparant depuis quelques mois un volume de ses œuvres à paraître dans la collection "Espace Nord". Samedi dernier, à la Foire du livre de Bruxelles, Yves Namur, son ami, éditeur, médecin et postfacier, est venu nous voir inquiet. Le livre nous était parvenu la veille. Il a emporté un exemplaire et s'en est immédiatement retourné à l'hôpital. Yves Namur a pu montrer le livre à Liliane Wouters. Elle lui a dit être heureuse, qu'elle l'attendait. Elle lui a dit merci. D'ici quelques jours, va donc paraître en librairie un livre sans son auteur. Je ne sais si c'est beau ou si c'est triste. Je pencherais pour la deuxième solution si Yves Namur ne s'était empressé d'offrir à Liliane Wouters une ultime preuve de son amitié. Nous ne l'en remercierons jamais assez. Aussi allons-nous considérer ces "Trois visages de l'écrit" comme l'expression la plus brute de ce qu'un éditeur peut offrir à un auteur de talent: une modeste contribution à la résonance de son œuvre. La portée spirituelle du "Journal du Scribe", du "Billet de Pascal" et du "Livre du Soufi" est telle que leur publication simultanée prend un relief singulier et apaisant à l'heure du départ."

Liliane Wouters.
Le voilà donc maintenant en librairie ce volume rassemblant "Journal du scribe" (1990), "Le Billet de Pascal" (2000) et "Le Livre du soufi" (2009). Les livres republiés font entendre trois voix d'homme qui ont en commun l'écrit et qui sont la Liliane Wouters des livres.Les recueils de textes poétiques sont suivis d'une très intéressante conversation entre Liliane Wouters et Yves Namur, son éditeur et ami. Ensemble, ils abordent toutes les grandes questions de la vie avec justesse et franchise, l'amour, la foi, la poésie, la mort... Enfin, l'ouvrage s'achève sur une postface d'Yves Namur qui parcourt l'œuvre poétique de la grande dame.

"Trois visages de l'écrit" est donc un livre posthume. Le parcourir dans cette nouvelle condition renforce encore le pouvoir des textes qui y sont réunis. Ecrits de dix en dix ans, les trois livres qui le composent donnent à connaître et aimer une femme de lettres qui nous manque déjà. Liliane Wouters fut membre du Pen Club belge, a-t-il été rappelé hier, lors de la séance inaugurale de la résurrection de l'association. Personnellement, il me plaît de rappeler son souvenir et son œuvre en ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes.

Dans "Journal du Scribe"
Aujourd'hui j'ai vécu exactement
onze fois cinq ans, treize jours.
Sans compter les mille existences précédentes,sans compter les dix mille vies à venir

Onze fois cinq ans que je tente
de retrouver ce que j'étais,
d'accepter ce que je serai, 
de devenir ce que je suis

Dans "Le Billet de Pascal"
J'étais poète et nul ne le savait,
même pas moi. Assise au bord des chaises,
rien qui disait le permanent malaise,
l'être en sommeil où la pâte levait.
Aucune trace sur le front, aucun indice.
Nul pour me dire: mon enfant, ma sœur,
pour mettre en garde: traitez-la avec douceur, 
détournez d'elle ce calice.

Dans "Le Livre du soufi"
À l'heure de ma mort ouvre grand la fenêtre
Que je puisse partir
Sans rencontrer d'obstacle au moment où mon être
Tentera de sortir.

Et puis, regarde moi que je te dise adieu.
À l'instant où mon âme prendra son essor
Elle s'attardera si longtemps dans tes yeux.
Je ne sentirai pas qu'elle quitte mon corps.





jeudi 3 mars 2016

Lydia Flem - Georges Perec: 479 - 480

Chouette! Cinq ans après son magnifique "La Reine Alice" (lire en bas de note), Lydia Flem nous donne de ses nouvelles. "Je me souviens de l'imperméable rouge que je portais l'été de mes vingt ans" (Seuil, La librairie du XXe siècle, 233 pages) vient de paraître sous une jaquette corail pétante. C'est un réjouissant recueil de 479 souvenirs, liés de près ou de loin à ses vêtements, introduits chaque fois par la phrase de Georges Perec, "Je me souviens", qui, lui, en avait réunis 480. Quel est le souvenir manquant? Mystère.

On déguste les pages où les souvenirs de Lydia Flem, membre de l'Académie de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, s'égrènent, dûment numérotés. On remarque que parfois ils suivent le même fil, et que parfois ils rebondissent d'une idée à l'autre. Autant de bonnes surprises qu'on découvre avec plaisir et curiosité. Longs de deux lignes ou d'un paragraphe, ils matérialisent les situations décrites. De ces mots concis, sobres, intimes ou comiques, graves ou frivoles, naissent autant d'images précises. Quel enchantement de se promener dans la vie de la romancière, également psychanalyste. Elle se souvient et on pourrait presque dire qu'on se souvient comme elle, ou à travers elle. Un vêtement qu'elle évoque rappelle un des nôtres. Une remarque à propos d'un amant nous propulse vers notre propre passé. Une scène de déshabillage nous téléporte vers hier ou aujourd'hui. Ou demain.

Lydia Flem. (c) HV
On sourit quand Lydia Flem fait remarquer qu'elle porte les mêmes initiales que le couturier Louis Féraud dont elle a adopté les sacs. On plonge avec elle dans la boîte à boutons familiale. On se remémore des scènes de films. On rencontre des acteurs, des actrices et aussi des philosophes. On se pose des questions sans réponse. On retrouve les termes techniques du milieu textile, aussi jolis que peu usités de nos jours. On savoure les noms des différentes teintes d'une couleur, de toutes les couleurs même puisqu'elles se présenteront toutes à nous au fil des pages. On croise bien entendu quelques photographes de mode, Lydia Flem est aussi une amoureuse de l'"attrape-lumière", on le sait.

"Je me souviens de l'imperméable rouge que je portais l'été de mes vingt ans" est évidemment bien plus qu'un collier de perles surgies de la mémoire et reprises dans un long index final. C'est un hymne d'amour aux tissus, aux vêtements, à la couture, aux cheveux, au corps, à l'amour sous toutes ses formes, aux couleurs, à tout ce qui, en réalité, fait la vie. Un chant d'estime à soi-même. Savourer les souvenirs évoqués crée autour de vous une petite bulle de bonheur dont il serait idiot de se priver. Foncez!

Et aussi

En réalité, plein de livres sont titrés "Je me souviens".
En voici trois qui m'ont bien plu.



Dans "Je me souviens…" (L'esprit du temps, "Textes essentiels", 2009; Odile Jacob, poche, 2010),  Boris Cyrulnik revient pour la première fois sur les lieux où il a passé son enfance. Après soixante-quatre ans de silence, il y retourne les 1er et 2 septembre 2008. On a beau connaître le travail et les livres du neuropsychiatre renommé, on est profondément bouleversé par le récit de ses jeunes années, et le regard qu'il porte enfin sur cette période lointaine qu'il avait toujours maintenue loin de lui. Il retrouve les lieux habités petit, quand il était un enfant de l'Assistance publique confié à des familles qui en tiraient rémunération. Il raconte l'enfance d'un orphelin, habité par le goût de vivre et sensible aux signes qui modifient le destin. Présentant son livre à la télévision, Boris Cyrulnik sourit quand il explique qu'il ne voulait pas aller dans des wagons "salés", mot compris à son jeune âge, alors qu'il s'agissait de wagons "scellés" destinés à Auschwitz. En le lisant, on sourit aussi avant de grimacer devant les horreurs. Mais le jeune Boris était avant tout un insoumis et son livre de souvenirs est une merveille d'humanité, à lire absolument, tant il est sincère, beau et bienfaisant. De quoi voir autrement nos mini problèmes quotidiens.


Des 480 "Je me souviens" composés par Georges Perec, l'illustrateur Yvan Pommaux en a choisi vingt qu'il a adaptés pour les enfants en les organisant dans le temps: le héros y grandit, au fil des souvenirs égrenés par un vieux monsieur d'aujourd'hui en conversation avec des enfants actuels. L'album "Je me souviens" (Georges Perec et Yvan Pommaux, Editions du Sorbier, 1997, épuisé) est la première prolongation en images de l'œuvre de l'écrivain. Une expérience séduisante même si les puristes pourront déplorer ne pas y retrouver leur Perec. Mais les enfants (dès 5 ans) découvriront dans ces superbes images, dépouillées et fortes, les souvenirs personnels de l'illustrateur. N'était-ce pas le but recherché par Perec, brièvement présenté en tête d'ouvrage? Pour Yvan Pommaux, cet album doit être l'occasion de conversations intergénérationnelles. Les enfants qui verront les voitures d'hier, ces publicités démodées, des jeux comme le Meccano, y trouveront mille prétextes à communiquer avec leurs parents. Pommaux explore en outre différentes facettes de la mémoire: le souvenir sélectif qui transparaît par exemple dans cette page sur le cinéma où seuls sont nets et en couleurs le héros et la jeune fille de son cœur, les autres personnages étant flous. Sa démarche le mène également à s'interroger sur la raison de ses souvenirs-cinéma: les films à l'affiche ou son état amoureux?


Quand un bébé est-il grand? Réponse amusée avec la version de Bénédicte Guettier de  "Je me souviens..."  (l'école des loisirs, loulou & compagnie, 2000, épuisé).
Un comble pour un héros à l'âge des photos sur peau de mouton! Le bébé de couverture y raconte toutefois avec beaucoup de pertinence les démêlés entre lui, sa tétine et ses parents...




Et donc, à propos de "La Reine Alice"


En février 2011, Lydia Flem publiait un roman intense, grave et tendre, magistralement orchestré, "La Reine Alice" (Seuil, 2011; Points, 2013). Magnifique, son dixième livre conte une traversée du cancer comme un chemin au-delà du miroir de Lewis Carroll. Elle en donnera une sorte de suite dans "Journal implicite" (De La Martinière, 2013), livre de photographies (2008-2012) en cinq chapitres dont le premier, le plus long, se rapporte à la "Reine Alice".

Je l'avais lu, influencée par les premiers mots de la quatrième de couverture qui annonçaient: "Hommage discret à Lewis Carroll". Une invitation que j'avais vite acceptée. En entamant ma lecture, j'ai appris qu'Alice a un cancer – ce qui figurait à la ligne suivante du résumé mais que j'avais occulté. Peut-être serais-je passée à côté d'un roman magnifique. Un travail d'écriture splendide, où l'écrivaine belge fait constamment se côtoyer la gravité de la maladie et une délicieuse malice.

Alice "passa réellement de l'autre côté" du miroir, écrit Lydia Flem. De l'autre côté d'elle-même aussi. Il ne s'agit plus, pour elle, de faire semblant comme elle aime à le faire. La petite boule découverte sous son doigt la projette dans le monde de la maladie. Un parcours qu'elle sublime en installant son Alice sur l'échiquier de l'héroïne de Lewis Carroll. Devenue Alice aux turbans avec les premières chimios, elle rencontrera les personnages de l'histoire, bienveillants ou non, et d'autres créatures magiques. "Si au moins elle pouvait s'inventer un fil, un fil de fiction pour reprendre pied dans la réalité…", écrit encore Lydia Flem.

De son écriture souple et vive, l'auteure suit le fil chronologique du cancer. Chacune des étapes est ponctuée de digressions fondamentales. Fiction et réalité s'interpellent sans cesse, s'épaulent, se jaugent, se défient. Pour l'enchantement constant du lecteur qui croise le Ver à Soie et son double volant, Blanc Lapin et le sourire du Chat du Cheshire, le voisin grincheux et la dame pâtissière, rares humains, le Grand Chimiste et Lady Cobalt, la Reine Rouge et les Contrôleurs, autant de personnages qui évoluent autour de cette Alice double, celle de la fiction et celle de la réalité. Ils parlent avec légèreté de choses graves. C'est divertissant et intense.

Tout du long de ce dixième livre, la romancière joue avec les mots, leurs sens, leurs sons, leur orthographe. Un ver à soie apparaît-il? Elle écrit : "cela va de soie, non, de soi". Prendre le pouls de la Reine Alice? "Non, ne me prenez rien." Plus loin, ce sont des paragraphes de mots commençant tous par la lettre B. Est-ce Lydia Flem qui écrit ou Alice, dont le stylo à l'ancienne court tout seul sur le papier? "Depuis que j'ai réellement traversé le miroir en tombant gravement malade", lit-on, "j'ai perdu tous mes repères, j'ignore qui je suis à présent. (…) Suis-je toujours la même avant et après? Non, je ne le crois pas, tout a changé dans ma vie. Je n'avais jamais pensé qu'un tel bouleversement puisse m'arriver. C'est un ouragan, une succession de tempêtes, de tourbillons, vous n'en avez pas la moindre idée…"

Dans ce roman qui n'élude rien de ce qui est difficile, perdre ses cheveux, avoir mal, peur, être fatigué, en traitement, Lydia Flem parvient à métamorphoser la douleur en beauté. Son livre se déguste et nourrit le cœur et l'âme. Il célèbre nourritures terrestres (tant de bonnes choses à manger sont citées), littéraires (il est plein de références de livres) et cinématographiques. Il s'achève par une série de photos prises par l'auteur avec son "Attrape-Lumière", balises d'un chemin vécu. L'Alice aux turbans est devenue une géniale Reine Alice.