Les idéogrammes chinois. (c) Kilowatt. |
Un sujet, deux documentaires jeunesse
que ne devraient pas négliger les adultes et une application pratique.
De fort belle facture et de beau format, l'album "Écrire, quelle histoire!" de Loïc Le Gall et Karine Maincent (Kilowatt, 64 pages) est présenté comme une aventure virevoltante et colorée dont les épisodes se suivent de double page en double page. Apéritives, les formidables gardes reprennent une mappemonde apparaissant à la fin de l'ouvrage: les pays y sont dessinés par l'alphabet y utilisé! Cet excellent visuel montrant la répartition des alphabets dans le monde indique le ton choisi, compétence et originalité, pour découvrir de fond en comble l'acte d'écrire (et celui de lire).
Le documentaire est issu de la rencontre de
Loïc Le Gall, un
graphiste et scénographe passionné d'écritures et de typographie, et de
Karine Maincent, une
graphiste, illustratrice, animatrice d'ateliers pour enfants qui utilise son
expérience pour rendre le sujet accessible aux enfants dès 8 ans.
On part d'avant l'écriture, les signes de l'époque préhistorique, pour se
demander en finale si on écrira encore à la main demain. On va donc
parcourir le temps et le monde. Les grandes lignes de l'écriture,
cunéiforme, hiéroglyphes, idéogrammes chinois, alphabets grec, hébreu,
romain, cyrillique et d'autres, sont expliquées d'un ton alerte et ponctuées
d'anecdotes savoureuses. Les diverses évolutions de l'écriture sont remises
dans le contexte de leur époque et justifiées par les besoins humains. Outil
de connaissance, moyen de domination, symbole de résistance, l'écriture est
multiple. Illustré avec vigueur et couleur, le livre séduit et enrichit
grâce à son large spectre. Un documentaire à lire d'un seul tenant plutôt
qu'à picorer car tout s'y tient.
Encore un peu plus grand et tout aussi bien façonné, l'album de
l'illustrateur ukrainien Vitali Konstantinov
"La grande histoire de l'écriture"
(traduit de l'allemand par Hélène Boisson, La joie de lire, 80 pages) opte
pour la bande dessinée et le noir et blanc relevé de quelques touches de
rouge et de bleu. Organisé en trois chapitres, "Parler-Dessiner-Ecrire", "Les
premières écritures du mond"e et "Créateurs d'écriture", il surprend et séduit
par son approche aussi pédagogique qu'amusante. L'humain et l'humour sont omniprésents dans ces pages extrêmement riches et détaillées, portées par une formidable créativité
graphique. La vulgarisation
scientifique à son meilleur.
L'auteur s'est appuyé sur de solides recherches bibliographiques, nous
dit-on. On veut bien le croire tant son documentaire fourmille de données sur
l'histoire de l'écriture et de précisions sur les concepts. Un pictogramme
n'est pas un idéogramme, les signes du premier signifiant des images tandis
que ceux du second s'attachent à des idées, tandis que les phonogrammes se
basent, eux, sur les sons. Alors, syllabaire, abjad ou alphabet? Tout ce qui
touche à l'écriture est lumineusement expliqué dans cette bande dessinée à
l'excellent rapport texte-image et qui met chaque fois en évidence les hommes et les femmes en rapport.
La découverte de l'écriture et de ses multiples formes bénéficie de très
nombreuses représentations dessinées qui permettent de saisir aussi
bien l'écriture cunéiforme que les hiéroglyphes que les systèmes d'écriture
en Asie de l'Est, en Amérique centrale ou en Europe. Chapeau également pour
les explications graphiques de la naissance des alphabets qui mènent à
celles des écritures! C'est aussi fourni, dense qu'accessible.
La dernière partie s'intéresse, toujours de cette agréable manière
faussement décoiffée, aux créateurs d'écriture. C'est tout aussi dingue de richesse, passionnant dans le traitement et hautement addictif. On y parcourt le temps et le monde, faisant même halte auprès de Tolkien ou de Star Trek, le codage et les émojis ayant été rencontrés dans la première partie.
En post-face, Vitali Konstantinov note: "La fascination des systèmes d'écriture inventés par l'humanité a quelque chose de fascinant. Comment ne pas s'étonner de l'infinie créativité avec laquelle on a cherché à transcrire la langue parlée, avec des résultats si différents, et de toutes ces histoires, de tous ces personnages auxquels sont associés ces mille et un systèmes d'écriture? Sans oublier la beauté des signes, capables de nous émerveiller même quand on ne les comprend pas... ou peut-être d'autant plus qu'on ne les comprend pas?" On ne peut mieux dire. Un documentaire magistral pour tous à partir de 9 ans qui, de plus, interroge l'avenir des écritures.
L'ouverture du documentaire. (c) La Joie de lire. |
Les écritures du monde. (c) La Joie de lire. |
Application pratique avec la biographie illustrée "Nellie Bly", écrite par Jean-Michel Billioud, illustrée par Gabrielle Berger (Gallimard Jeunesse, "Les grandes vies", 68 pages). Un agréable cartonné un peu plus grand qu'un livre de poche qui raconte la vie d'une Américaine méconnue qui n'a jamais laissé personne lui dicter sa conduite. Elizabeth Jane Cochran (1864-1922) fut la première journaliste d'investigation sous le pseudonyme de Nellie Bly. Peu portée sur les occupations dévolues aux jeunes filles à son époque, elle lit des livres et des journaux, notamment le "Pittsburgh Dispatch". Un article sexiste? Elle écrit au rédacteur en chef qui... l'engage! La rédaction ne va toutefois pas lui faire de cadeaux. On découvre dans cette passionnante biographie comment Nellie Bly a su inventer la condition d'une femme libre, en devenant journaliste, activiste féministe, aventurière, romancière, cheffe d'entreprise. Une femme qu'il faut faire connaître.