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vendredi 29 janvier 2021

Mes deux bonnes surprises à Angoulême 2021

Le dessin de remerciement de Léonie Bischoff
à son Fauve reçu à Angoulême,
réalisé au crayon magique évidemment!

Je l'avoue, je n'avais lu que deux albums parmi tous ceux qui avaient été sélectionnés par le Festival international de bande dessinée d'Angoulême. Mais chacun a eu un prix!

"Anaïs Nin, sur la mer des mensonges",
de Léonie Bischoff (Casterman), a reçu le Fauve d'Angoulême, le Prix du public France Télévision (lire ici).






"Michel à la maison"
, de Michel Rabagliati (La Pastèque), a reçu le prix de la Série, son deuxième Fauve (lire ici).



lundi 25 janvier 2021

Les sélections en vue des Prix Sorcières 2021



L'ABF (Association des Bibliothécaires de France) et les Librairies Sorcières ont dévoilé les 30 livres jeunesse en lice pour les Prix Sorcières 2021, répartis en six catégories. J'y ajoute les noms des traducteurs/trices.

CARRÉMENT BEAU MINI

  • "En 4 temps", de Bernadette Gervais (Albin Michel Jeunesse, lire ici)
  • "Juste un fraisier", d'Amandine Laprun (Actes Sud junior)
  • "Le dégât des eaux", de Pauline Delabroy-Allard et Camille Jourdy (Thierry Magnier Éditions)
  • "Perdu dans la ville", de Sydney Smith (traduit  de l'anglais par Rosalind Elland-Goldsmith, Kaléidoscope)
  • "Tu t'appelleras Lapin", de Marine Schneider (Versant Sud Jeunesse, lire ici)

CARRÉMENT BEAU MAXI :

  • "Blanc. Une histoire dans la montagne", de Stéphane Kiehl (La Martinière Jeunesse)
  • "Forêt des frères", de Yukiko Noritake (Actes Sud junior)
  • "Julian est une sirène", de Jessica Love (traduit de l'anglais par Sylvie Goyon, l'école des loisirs/Pastel)
  • "Le destin de Fausto", d'Oliver Jeffers (traduit de l'anglais par Isabel Finkenstaedt (Kaléidoscope)
  • "Nuit étoilée", de Jimmy Liao (traduit du chinois (Taiwan) par Chun-Liang Yeh, HongFei, lire ici)

CARRÉMENT PASSIONNANT MINI

  • "Blue Pearl", de Paula Jacques (Gallimard Jeunesse)
  • "Le carnet de Lola Boumbadaboum", de Baptiste Chaperon et Eloïse Solt (Little Urban)
  • "Oscar et Carrosse, la soupe de pâtes", de Ludovic Lecomte et Irène Bonacina (l'école des loisirs)
  • "Quand les escargots vont au ciel", de Delphine Vallette et Pierre-Emmanuel Lyet ·(Seuil Jeunesse)
  • "Une photo de vacances", de Jo Witek (Actes Sud junior)

CARRÉMENT PASSIONNANT MAXI

  • "Âge tendre", de Clémentine Beauvais (Sarbacane)
  • "Alma. T1 Le vent se lève", de Timothée de Fombelle et François Place (Gallimard Jeunesse)
  • "Les chroniques de l'Erable et du Cerisier. T1 Le masque de Nô", de Camille Monceaux (Gallimard jeunesse)
  • "Les derniers des branleurs", de Vincent Mondiot (Actes Sud junior)
  • "Ogresse", d'Aylin Manço (Sarbacane)

CARRÉMENT SORCIÈRES FICTION

  • "J'ai vu un magnifique oiseau", de Michal Skibinski et Ala Bankroft (traduit du polonais par Lydia Waleryszak, Albin Michel Jeunesse)
  • "L'enfant, la taupe, le renard et le cheval", de Charlie Mackesy (traduit de l'anglais par Laurent Beccaria, Les Arènes)
  • "Migrants", d'Issa Watanabe (traduit de l'espagnol, La Joie de lire, lire ici
  • "Murdo. Le livre des rêves impossibles", d'Alex Cousseau et Eva Offredo (Seuil Jeunesse)
  • "Odyssée", de Peter Van den Ende (Sarbacane)

CARRÉMENT SORCIÈRES NON-FICTION

  1. "Comment fonctionne un phare?", de Roman Beliaev et Luba Markovskaia  (traduit du russe par Luba Markovskaia, La Pastèque)
  2. "Cuisine des bois et des forêts", de Justine Gautier et Laure Van der Haeghen (Thierry Magnier Éditions)
  3. "La fabuleuse histoire de la Terre", d'Aina Bestrad (traduit de l'espagnol par Philippe Godard, Saltimbanque Editions)
  4. "Libre! Harriet Tubman, une héroïne américaine", de Fleur Daugey et Olivier Charpentier (Actes Sud junior)
  5. "Plasticus Maritimus. Une espèce envahissante", d'Ana Pêgo, Bernardo P. Carvalho et Isabel Minhos Martins (traduit du portugais par Clara Domingues, l'école des loisirs)






dimanche 24 janvier 2021

Instantané de Tunisie. La danse contemporaine à la rescousse des délinquants mineurs

La danse contemporaine comme vecteur d'intégration.

Fidèle à son idéal de démocratie et de lutte contre le terrorisme, le jeune chorégraphe tunisien Achref Hammouda dont j'ai déjà évoqué plusieurs initiatives culturelles et sociales innovantes est actuellement occupé par un projet inventif, soutenu par le ministère de la Justice de son pays. A peine revenus d'un long périple en Allemagne où ils avaient participé à divers festivals et stages, lui et trois autres membres de son association de danseurs donnent maintenant des cours de danse contemporaine en prison. Pas à la célèbre Mornag près de Tunis, mais au Centre de réhabilitation de Souk Jedid, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, où le quatuor initie des délinquants mineurs à la danse. Cela peut semble une goutte d'eau dans l'océan qu'est le chemin vers la démocratie en Tunisie, mais chacune des initiatives d'Achref Hammouda a donné de bons résultats (lire ici, ici et ici).

Au premier plan, Achref Hammouda.
"Nous travaillons uniquement avec des garçons âgés de 14 à 18 ans, détenus dans le centre pour délinquants mineurs de Souk Jedid", m'explique Achref Hammouda. Lui et trois autres danseurs se rendent trois fois par semaine sur place, les mercredis, vendredis et dimanches, pour des sessions de deux heures avec ce public particulier. Au programme: danse contemporaine, break dance, acrobaties.
Cette idée n'est pas née de rien. "Dans mon équipe", explique-t-il, "j'ai un danseur qui a fait cinq ans de prison. Quand j'ai vu ses yeux briller parce qu'il dansait, j'ai eu l'inspiration pour lancer ce projet". Un projet qui s'inscrit parfaitement dans la philosophie de son groupe, relier les zones isolées et marginalisées à la scène culturelle artistique, et déjà mise en pratique lors d'ateliers de danse à Sidi Bouzid et environs par exemple. 

On imagine la joie des jeunes détenus d'apprendre à danser pendant leur réclusion. "Les jeunes sont très heureux de cette expérience. Ce programme d'enseignement leur permet de se sentir eux-mêmes, d'être quelqu'un de bien quand ils dansent." Mais Hammouda et son équipe ne s'arrêtent pas là: "Nous intégrons les délinquants dans la période post-condamnation pour qu'ils travaillent avec nous." 

Ce projet soutenu par le ministère de la Justice est aussi une source de satisfaction pour ceux qui l'ont initié: "Je suis très heureux d'aider à construire un nouveau mental chez ces jeunes. J'aime partager mon expérience artistique et mes connaissances avec eux et aider ces jeunes artistes à se voir un avenir dans le domaine de la danse contemporaine."









mercredi 20 janvier 2021

Amanda Gorman, 22 ans, est l'"Inaugural Poet" de l'investiture du président Joe Biden

EDIT 17-02-21
Fayard publiera en mai la version française de "The hill we climb", le poème de l'investiture. Il sera traduit par l'artiste belgo-congolaise Lous and the Yakuza et sera précédé d'un avant-propos d'Oprah Winfrey. Fayard publiera également à l'automne le recueil "The hill we climd and other poems".

EDIT 08-02-21
Glénat Jeunesse publiera la traduction française du livre jeunesse d'Amanda Gorman, "Change Sings", le 22 septembre 2021 (lire ci-dessous).

 
Amanda Gorman. (c) Kelia Anne.

On le sait peu. Les présidents américains démocrates ont pour tradition d'inviter un "Inaugural Poet" lors de leur cérémonie d'investiture. Pour Barack Obama, ce furent Elizabeth Alexander ("Praise Song for the Day") en 2009 et, en 2013, Richard Blanco ("One Today"). Pour Bill Clinton, Miller Williams ("Of History and Hope") en 1997 et Maya Angelou ("On the Pulse of Morning") en 1993.

Ce sera Amanda Gorman pour Joe Biden, ce 20 janvier 2021. Lourde tâche que de composer en les circonstances actuelles un poème sur l'unité nationale, le thème qui lui a été donné. Soit un poème qui donne l'espoir et invite un objectif collectif à un moment où les Américains subissent une pandémie mortelle, la violence politique et la division partisane. Surtout quand on n'a que 22 ans! Amanda Gorman a la particularité d'être la plus jeune des "Inaugural Poet". Née à Los Angeles en 1998, elle a fait des études de sociologie à Harvard. En 2014, elle a été du haut de ses 16 ans la Youth Poet Laureate de Los Angeles et, en 2017, la première lauréate du National Youth Poet. Poète et activiste, elle traite des problèmes d'oppression, de féminisme, de race et de marginalisation, ainsi que de la diaspora africaine. On peut donc lui faire confiance pour son poème.

Pour l'investiture de Joe Biden, Amanda Gorman a écrit "The Hill We Climb".
Les premières lignes en ont été révélées par le "New York Times".
"We've seen a force that would shatter our nation rather than share it,
Would destroy our country if it meant delaying democracy.
And this effort very nearly succeeded.
But while democracy can be periodically delayed,
It can never be permanently defeated."
"Nous avons vu une force qui briserait notre nation plutôt que de la partager,
Qui détruirait notre pays si cela signifiait retarder la démocratie.
Et cette tentative a bien failli réussir.
Mais si la démocratie peut être périodiquement retardée,
elle ne peut jamais être définitivement défaite." 

Amanda Gorman a expliqué que le siège du Capitole lui avait donné une sursaut d'énergie pour terminer le poème même si elle ne se référera pas directement au 6 janvier. "Le poème n'est pas aveugle. Il ne tourne pas le dos à l'évidence de la discorde et de la division", a-t-elle déclaré.

Sa prestation en ce 20 janvier 2021.



Transcription complète via "The Guardian"
A chacun d'utiliser son traducteur préféré si nécessaire

"When day comes, we ask ourselves where can we find light in this never-ending shade?
The loss we carry, a sea we must wade.
We've braved the belly of the beast.
We've learned that quiet isn’t always peace,
and the norms and notions of what "just" is isn’t always justice.
And yet, the dawn is ours before we knew it.
Somehow we do it.
Somehow we've weathered and witnessed a nation that isn't broken,
but simply unfinished.
We, the successors of a country and a time where a skinny Black girl descended from slaves and raised by a single mother can dream of becoming president, only to find herself reciting for one.

And yes, we are far from polished, far from pristine,
but that doesn't mean we are striving to form a union that is perfect.
We are striving to forge our union with purpose.
To compose a country committed to all cultures, colors, characters, and conditions of man.
And so we lift our gazes not to what stands between us, but what stands before us.
We close the divide because we know, to put our future first, we must first put our differences aside.
We lay down our arms so we can reach out our arms to one another.
We seek harm to none and harmony for all.
Let the globe, if nothing else, say this is true:
That even as we grieved, we grew.
That even as we hurt, we hoped.
That even as we tired, we tried.
That we’ll forever be tied together, victorious.
Not because we will never again know defeat, but because we will never again sow division.

Scripture tells us to envision that everyone shall sit under their own vine and fig tree and no one shall make them afraid.
If we're to live up to our own time, then victory won’t lie in the blade, but in all the bridges we've made.
That is the promise to glade, the hill we climb, if only we dare.
It's because being American is more than a pride we inherit.
It's the past we step into and how we repair it.
We've seen a force that would shatter our nation rather than share it.
Would destroy our country if it meant delaying democracy.
This effort very nearly succeeded.
But while democracy can be periodically delayed,
it can never be permanently defeated.
In this truth, in this faith, we trust,
for while we have our eyes on the future, history has its eyes on us.
This is the era of just redemption.
We feared it at its inception.
We did not feel prepared to be the heirs of such a terrifying hour,
but within it, we found the power to author a new chapter, to offer hope and laughter to ourselves.
So while once we asked, "How could we possibly prevail over catastrophe?" now we assert, "How could catastrophe possibly prevail over us?"

We will not march back to what was, but move to what shall be:
A country that is bruised but whole, benevolent but bold, fierce and free.
We will not be turned around or interrupted by intimidation because we know our inaction and inertia will be the inheritance of the next generation.
Our blunders become their burdens.
But one thing is certain:
If we merge mercy with might, and might with right, then love becomes our legacy and change, our children’s birthright.

So let us leave behind a country better than the one we were left.
With every breath from my bronze-pounded chest, we will raise this wounded world into a wondrous one.
We will rise from the golden hills of the west.
We will rise from the wind-swept north-east where our forefathers first realized revolution.
We will rise from the lake-rimmed cities of the midwestern states.
We will rise from the sun-baked south.
We will rebuild, reconcile, and recover.
In every known nook of our nation, in every corner called our country,
our people, diverse and beautiful, will emerge, battered and beautiful.
When day comes, we step out of the shade, aflame and unafraid.
The new dawn blooms as we free it.
For there is always light,
if only we're brave enough to see it.
If only we're brave enough to be it."


Si Amanda Gorman avait annoncé dans une interview à un journal américain en 2017 qu'elle se présenterait aux élections présidentielles de 2036, ce qu'elle rappellera sans doute à Joe Biden, elle est aussi proche d'une certaine manière de Barack Obama car elle a le même illustrateur que lui pour son premier album pour enfants, Loren Long. "Change sings" doit paraître aux Etats-Unis le 21 septembre 2021 chez Penguin Random House. Sera-t-il traduit en français? Mystère.


"I can hear change humming
In its loudest, proudest song.
I don’t fear change coming,
And so I sing along."
"Je peux entendre le changement fredonner
Dans sa chanson la plus forte et la plus fière.
Je n'ai pas peur du changement à venir,
Et donc je chante."
 
Cet album montrera que tout est possible quand nos voix se rejoignent. Lorsqu'une jeune fille mène un groupe de personnages dans un voyage musical, ils apprennent qu'ils ont le pouvoir d'apporter des changements - grands ou petits - dans le monde, dans leurs communautés et, surtout, en eux-mêmes. Un appel à l'action pour que chacun utilise ses capacités pour faire la différence.


En septembre, Viking Books for Young Readers publiera aussi le premier recueil de poésie d'Amanda Gorman, intitulé comme le poème de l'investiture "The Hill We Climb". Le livre s'adresse aux lecteurs adolescents et adultes et comprendra bien entendu le poème inaugural. Mais on ne sait rien de plus pour l'instant. Même pas la couverture.


C'est en octobre 2011, un an après sa sortie aux Etats-Unis,  qu'est paru en français le premier album pour enfants de Barack Obama, "Of Thee I Sing, Lettre à mes filles" ("Of Thee I Sing, A Letter to my daughters" (2010), traduit de l'anglais par Susie Morgenstern et Aliyah Morgenstern, La Martinière Jeunesse, 40 pages, indisponible). 

"Nous savons que la plupart des Français trouveront ce livre cucul", m'avait dit à l'époque Aliyah Morgenstern à propos de l'album. La professeure de linguistique et traductologie à la Sorbonne en a traduit le texte avec sa mère, la célèbre auteure jeunesse Susie Morgenstern, née aux Etats-Unis mais installée à Nice depuis belle lurette, qui relevait qu'"Aliyah est l'âme de cette traduction"

"Nous avons été émues par l'album et par l'idée de transmettre à vos enfants qui sont nos modèles et nos héros", reprennent les traductrices qui se sentent toujours très américaines tout en étant françaises. "C'est émouvant de traduire un père qui s'adresse à ses enfants lorsque vous êtes une mère et une fille. C'est très américain aussi."

Dans "Lettre à mes filles", le 44e président américain rend hommage à treize personnages illustres, qui ont marqué l'histoire des Etats-Unis. Il le fait de manière émouvante et tendre, s'adressant directement à Malia et Sasha: "Vous ai-je dit récemment combien je vous trouve formidables?", commence Barack Obama avant d'enchaîner: "Vous ai-je dit que vous êtes créatives? (…) Vous ai-je dit que vous êtes intelligentes? (…) Vous ai-je dit que vous êtes courageuses?" Et ainsi de suite tout au long de l'album.

Chaque question posée en page de gauche trouve réponse dans l'exemple d’une personnalité présentée en page de droite. La peintre Georgia O'Keeffe, le savant Albert Einstein, le joueur de baseball Jackie Robinson, pour les trois sujets cités. On rencontrera encore Sitting Bull, Billie Holiday, Helen Keller, Martin Luther King Jr, Neil Armstrong, etc.

L'illustrateur Loren Long (lire ici) a eu la bonne idée de représenter à gauche les deux filles du président et la figure illustre citée jeune. Un petit troupeau qui grandit de page en page, donnant en finale une bonne idée de la diversité américaine. En ce qui concerne le traitement des personnalités, Long peut être très inspiré (le mémorial des anciens du Vietnam) ou beaucoup moins (Sitting Bull).

"Lettre à mes filles". (c) La Martinière Jeunesse.








lundi 18 janvier 2021

Le décès de l'auteur-illustrateur Mitsumasa Anno

"Dix petits amis déménagent". (c) l'école des loisirs.


Mitsumasa Anno.
On a appris seulement ce dimanche 17 janvier le décès du génial auteur-illustrateur japonais Mitsumasa Anno, survenu le 24 décembre. Agé de 94 ans, l'artiste est mort d'une cirrhose du foie. Ses funérailles ont eu lieu dans l'intimité familiale.

Mitsumasa Anno est le créateur d'une formidable série d'albums, parfois muets, où tout était à regarder, dans leur toute grande majorité publiés en français à l'école des loisirs. Il fut le lauréat 1984 du prix Hans Christian Andersen de l'IBBY.

  • "Jeux de construction" (1970, épuisé)
  • "Château de cartes" (1974, épuisé)
  • "Ce jour là..." (1978)
  • "Loup y es-tu?" (1979, épuisé)
  • "Le jour suivant..." (1979, épuisé)
  • "Dix petits amis déménagent" (1982)
  • "Séjour en Grande-Bretagne" (1982 , épuisé)
  • "USA" (1983, épuisé)
  • "Marché aux puces" (1985, épuisé)
  • "La Terre est un cadran solaire" (1986, épuisé)
  • "Coucou, me voilà" (1987, épuisé)
  • "La terre est un cadran solaire" (1987, épuisé)
  • "Coucou, me voilà" (1988, épuisé)
  • "Bonjour citrouille" (1989, épuisé)
  • "Choisis ton masque" (1990)
  • "Les fables d'Esope" (1990, Circonflexe, épuisé)
  • "Le loup, le crapaud et les trois petits cochons" (1991, Flammarion, épuisé)
  • "Les quatre frères habiles" (1991, Circonflexe, épuisé)
  • "Jeux mathématiques" (plusieurs albums, Flammarion, 1991 et ensuite, épuisé)
  • "Le pot magique, une aventure mathématique" (avec Masaichiro Anno, 1993, Flammarion, épuisé) 
  • "Les graines magiques" (Flammarion, 1993, épuisé)
  • "Comment la terre est devenue ronde" (2000)
  • "Sur les traces de Don Quichotte" (2003)
  • "Le Danemark d'Andersen" (2005)
  • "La Chine de Zhang Zeduan" (2010)
  • "Le Japon d'Anno" (2014)
  • "Gulliver chez les tout petits hommes" (avec Hisashi Inoue, Le Genévrier, 2014)

L'architecte Tadao Ando, ​​qui a conçu le musée d'art Mitsumasa Anno à Tango (préfecture de Kyoto), décrit l'artiste comme "un peintre qui ne cessait de dessiner des paysages qui disparaissent dans le monde et au Japon". En effet, Anno a publié neuf albums à l'aquarelle sur ses expériences de voyage à travers le monde. "A une époque où la technologie numérique est si puissante, il nous a laissé un monde doux et réconfortant", a encore déclaré Ando.


"Ce jour-là..." (c) l'école des loisirs.

Dans l'"Album des Albums" (l'école des loisirs, 1997), Sophie Chérer écrivait: 

LE MOINEAU, LE MIROIR ET LE GROS BOUT DE LA LORGNETTE
Quand il était petit, dans les années 30 au Japon, Mitsumasa Anno vivait dans une auberge de campagne où passaient les voyageurs. Chez ses parents il n'y avait aucun livre pour enfants. C'est en découvrant les illustrés de l'époque qu'Anno se mit à dessiner. Un jour, parmi les clients de l'auberge, arriva un peintre à qui le père montra les dessins de son fils. "Ce n'est pas bon", décréta le peintre et, pour donner une leçon au petit garçon, il dessina un moineau dans le plus pur style figé japonais traditionnel. Pour Anno, ce n'était pas un dessin. Qu'on lui parle plutôt de princesses, de Tarzan et de Superman! Dans le jardin, il s'amusait à tout regarder à la jumelle, mais en les prenant par le gros bout. Le sol lui semblait alors si éloigné du perron qu'il n'osait plus sauter une seule marche. Il aimait aussi jouer avec un miroir, posé sur le plancher à la verticale. Il y voyait des lointains, de la profondeur, un sous-sol imaginaire. "Viens voir", disait-il à son petit frère, "nous sommes peut-être pauvres, mais notre maison a une cave pleine de trésors. Je vais te la montrer si tu promets de garder le secret."
Plus tard, Mitsumasa Anno, féru de mathématiques, d'astronomie, d'histoire et de géographie, devint instituteur et il découvrit l'univers impitoyable de l'éducation à la japonaise. Il quitta l'enseignement, comme il avait quitté depuis longtemps les façons de voir traditionnelles, et il consacra tous ses talents à populariser le livre pour enfants au Japon.
Si "Bonjour citrouille!", "Choisis ton masque" et "Coucou, me voilà!" sont immédiatement accessibles aux tout-petits, les autres livres d'Anno ne révèlent toutes leurs richesses qu'après une longue fréquentation. "Qu'est-ce que c'est que ça? C'est qu'une forêt!",  disent les enfants deux secondes après avoir ouvert l'album "Loup y es-tu?" "Oh! Un oiseau! Un mouton! Un chameau!" disent-ils cinq secondes après. Pour peu qu'on ne les brusque pas, et qu'on ne leur mâche pas le travail, le livre sera une source inépuisable de découvertes et d'identification des animaux dissimulés dans les feuilles et les branches (la forêt y est aussi, tout simplement, une sublime et tutélaire forêt).
Avec "Ce jour-là...", on pourrait aussi jouer aux devinettes, tant l'album est truffé de références culturelles, contes populaires, personnages historiques, tableaux célèbres. Mais on peut très bien se contenter de raconter aux petits l'histoire simple de ce cavalier traversant un pays entier qui pourrait être l'Italie ou la France, sa géographie, son histoire, ses habitants, son architecture.
Anno est le créateur japonais le plus imprégné de culture européenne. Comme la meilleure littérature, ses livres sans paroles comportent deux, trois, "niveaux de lecture", voire plus. Dans la forêt de "Loup y es-tu?", une étrange anamorphose révèle soudain une tête de mort. La traversée du cavalier est aussi un adieu sans retour à la vie d'autrefois et un rappel constant de la mélancolie du voyageur qui ne voir rien de ce qui se passe autour de lui.
Enfin, qu'il colle des yeux ronds à une citrouille ou détourne les chefs-d'œuvre de la peinture, Anno s'amuse: "J'attends le jour où les enfants d'aujourd'hui seront adultes", explique-t-il. "Ils iront voir des tableaux au Louvre, L'"Angélus" de Millet par exemple et ils diront: "Millet a fait cela d'après Monsieur Anno!""

samedi 16 janvier 2021

Alexandre Najjar, Grand Prix de la Francophonie

Alexandre Najjar.

L'écrivain libanais d'expression francophone Alexandre Najjar a reçu le jeudi 14 janvier le Grand Prix de la Francophonie 2020. Décerné par l'Académie française et doté de 30.000 euros, il couronne "l'œuvre d'une personne physique francophone qui, dans son pays ou à l'échelle internationale, aura contribué de façon éminente au maintien et à l'illustration de la langue française."

Né le 5 février 1967, Alexandre Najjar est l'auteur actuellement d'une quarantaine de romans, récits, poèmes et biographies. Il a aussi relancé il y a une quinzaine d'années "L'Orient littéraire", le supplément littéraire du journal "L'Orient-Le Jour" et y contribue lui-même. Il est également avocat.


Bibliographie littéraire
  • "A quoi rêvent les statues?", poésie, Éd. Anthologie, 1989
  • "La honte du survivant", recueil de récits, Naaman, 1989
  • "Comme un aigle en dérive", recueil de récits, Publisud, 1993
  • "Pérennité de la littérature libanaise d’expression française", essai, Éd. Anthologie, 1993
  • "Les Exilés du Caucase", roman, Grasset, 1995
  • "L'Astronome", roman, Grasset, 1997
  • "L'école de la guerre", roman, Balland, 1999; La Table Ronde, La Petite Vermillon, 2020
  • "Athina", roman portant sur la guerre de l’Indépendance en Grèce, Grasset, 2000
  • "Khiam", poésie, Dar An-Nahar, 2000
  • "Le Procureur de l’Empire, Ernest Pinard (1822-1909)", biographie, Balland, 2001; La Table ronde, La Petite Vermillon sous le titre "Le Censeur de Baudelaire", 2011
  • "Le Crapaud", théâtre, FMA, 2001
  • "Lady Virus", thriller, Balland, 2002; Livre de Poche 2004
  • "Khalil Gibran, l'auteur du Prophète", biographie, Pygmalion, 2002; J'ai Lu
  • "De Gaulle et le Liban, essai en II tomes: "Vers l'Orient compliqué (1929-1931)", Éd. Terre du Liban, 2002 et "De la guerre à l'Indépendance (1941-1943)", Éd. Terre du Liban, 2004
  • "Le Mousquetaire, Zo d'Axa (1864-1930)", biographie, Balland, 2004
  • "Le Roman de Beyrouth", roman, Plon, 2005; La Petite Vermillon, 2020
  • "Saint Jean-Baptiste", biographie, Pygmalion, 2005
  • "La Passion de lire", essai en hommage au livre et à la lecture, Éd. librairie Antoine, 2005
  • "Awraq Joubrania", ouvrage en arabe consacré à Khalil Gibran, Dar An-Nahar, 2006
  • "Le Silence du ténor", récit, Plon, 2006; La Table ronde, La Petite Vermillon, 2020
  • "Phénicia", roman, Plon, 2008, Pocket
  • "Un amour infini", poésie, Dergham, 2008
  • "Pour la francophonie", essai, Dar An-Nahar, 2008
  • "Berlin 36", roman, Plon, 2010
  • "Haïti", suivi de "Aller simple pour la mort", poésie, Dergham, 2010
  • "L'Enfant terrible: Michel Zaccour (1896-1937)", biographie, Éd. L'Orient-Le Jour, 2010
  • "Un goût d'éternité", poèmes, Dergham, 2011
  • "Sur les traces de Gibran", essai, Dergham, 2011
  • "Anatomie d'un tyran", essai biographique autour de Mouammar Kadhafi, Actes Sud/L'Orient des livres, 2011
  • "Kadicha", roman, Plon, 2011
  • "L'Homme de la Providence, Abouna Yaacoub", biographie, L'Orient des Livres, 2012
  • "Les Anges de Millesgarden", récit de voyage en Suède, Gallimard, 2013
  • "Gibran", L’Orient des livres, 2013
  • "Dictionnaire amoureux du Liban", Plon, 2014 (lire ici)
  • "Six chants d'amour, recueil de six poèmes mis en musique par Nicolas Chevereau", L'Orient des livres, 2016
  • "Mimosa", récit, Les Escales, 2017
  • "Harry et Franz", roman, Plon, 2018; Mon poche, 2019
  • "Les confessions de Beethoven", L'Orient des livres, 2020
  • "L’amour ne se commande pas", récit autour de Samuel Beckett, L'Orient des livres, 2020
  • "La Couronne du diable", roman, Plon, 2020
Son prochain roman paraîtra aux éditions Plon en août prochain.

Les livres d'Alexandre Najjar parus en 2020, inédit et passages en poche.



J'avais eu le plaisir de rencontrer Alexandre Najjar en juin 2008 à Bruxelles, à l'occasion de la sortie de son roman "Phénicia" (Plon, 228 pages). Voilà ce que j'avais écrit à l'époque.

De Tyr à Beyrouth 
Dans "Phénicia", son nouveau roman, écho au précédent "Roman de Beyrouth" aux trois générations, le Libanais Alexandre Najjar établit un parallèle entre ce qui se passe aujourd'hui à Beyrouth et ce qui s'y est passé il y a deux mille ans, quand la ville s'appelait Tyr. On suit Elissa durant l'interminable siège de sa ville par Alexandre le Grand. Une histoire d'hier, où l'auteur fait parler les deux parties, qui se lit avec grand plaisir, les mots du passé éclairant le présent.

Y a-t-il un message dans votre roman?
J'ai voulu montrer que sur cette terre, la Phénicie hier, le Liban actuel, la tradition de liberté, ou de sa revendication, n'est pas fortuite. Elle se retrouve déjà il y a 2.000 ans dans la résistance de Tyr à Alexandre le Grand.

Comment est né le livre?
J'ai toujours été fasciné par la résistance farouche des Tyriens. Les Phéniciens n'étaient pas du tout belliqueux ni préparés pour lutter. Ils ont tenu tête durant sept mois à l'armée la plus importante de l'époque, avec celle de Darius. C'est aussi par analogie à ce que nous avons vécu durant la guerre où nous étions en lutte contre une occupation. J'ai ressenti la même idée d'enfermement. Le siège par Alexandre m'a rappelé l'attente durant la guerre, et la souffrance qu'elle occasionne, parce qu'on ne sait pas ce qu'on attend: un miracle qui ne vient pas, un obus?

Vous donnez les deux points de vue.
J'ai voulu donner une double perspective du siège de Tyr en partant de l'idée que personne n'a le monopole de la vérité. Tout le livre est une alternance entre le point de vue des Phéniciens assiégés, par la voix d'Elissa, et celui d'Alexandre le grand, l'assiégeant. C'est peut-être ce qui a été le plus difficile pour moi, me mettre dans la psychologie d'Alexandre, voir comment il est passé de l'arrogance au doute, à l'angoisse, à l'euphorie de la victoire et à la revanche. Il ne s'attendait pas du tout à une résistance de sept mois et non de deux jours. Le siège est devenu un duel entre deux honneurs, deux orgueils, deux intelligences. Mais les Phéniciens ont un peu plus de mérite qu'Alexandre parce qu'ils n'étaient pas préparés à la guerre. C'étaient des navigateurs. Ce qui aurait dû être un combat honteusement inégal a été un combat d'égal à égal.


Par ailleurs, le Grand Prix de littérature Paul Morand 2020 (biennal, 45.000 euros) a été décerné au cours de la même séance de l'Académie française au dramaturge, essayiste et peintre Valère Novarina pour l'ensemble de son œuvre. Une œuvre gigantesque, forte d'une quarantaine de titres, publiée chez P.O.L. à partir de 1984 - précédemment il était édité chez Christian Bourgois. Derniers livres parus, à raison d'un par an.







Le palmarès complet des prix de l'Académie française pour l'année 2020 contient 65 distinctions (lire ici et ici).




jeudi 14 janvier 2021

Les yeux verts de la féline Alma

Verena Hanf.


Depuis le 1er septembre 2017, la collection Opuscule des Editions Lamiroy publie chaque vendredi en petit format (10 x 14 cm) une nouvelle de 5.000 mots Ouverte à des auteurs débutants comme confirmés, elle présente une très plaisante diversité et offre de vrais petits bonheurs de lecture, courts moments littéraires à glisser dans son emploi du temps. Informations ici.

Auteure de deux romans au Castor Astral, Verena Hanf a écrit l'Opuscule #169. Il est excellent. Elle en a aussi dessiné la couverture 🐈.
"La griffe" est la preuve que la nouvelle, forme trop souvent décriée en littérature française, est un art littéraire à part entière. On y découvre page après page Alma, cette énigmatique jeune femme aux yeux verts et bridés comme un chat. En deuil depuis le décès des deux personnes âgées qui prenaient soin d'elle. Alma la solitaire, ses chats et ses questions. Alma la marginale et ses connaissances en vie près de la nature et en cuisine. Alma et ses chagrins, Alma et ses espoirs d'amitié. Julie, la nouvelle voisine, lui semble sympathique... Alma et ses découvertes, terribles. Alma, la féline qui griffe pour se sauver. Le temps d'un Opuscule, Verena Hanf nous emporte dans l'univers de son héroïne et nous fait l'aimer. Rondement menée, une nouvelle palpitante très réussie.






mercredi 13 janvier 2021

Chic, "Le jardin d'Abdul Gasazi" enfin réédité

La rencontre entre Alan et le magicien à la retraite. (c) D'Eux.


1979.
Quand Chris Van Allsburg publie aux Etats-Unis "The garden of Abdul Gasazi", son premier album pour enfants (Houghton Mifflin, Boston), il a trente ans. L'histoire est celle d'un dog-sitting étrange, éprouvant et mystérieux, entre réalisme et magie. On est en 1979 et cet album magnifique marque tout de suite la littérature de jeunesse. Le livre sera d'ailleurs finaliste de la médaille Caldecott en 1980 (décernée à Barbara Clooney pour "Ox-Cart Man", non traduit).

L'auteur-illustrateur américain n'aura toutefois pas longtemps à attendre avant de recevoir l'estimée médaille, octroyée par l'Association des bibliothèques américaines à l'illustrateur du meilleur livre pour enfants américain de l'année: il l'obtiendra en 1982 pour "Jumanji" et en 1986 pour "The Polar Express" ("Boréal-Express").

Immédiatement, les albums de Chris Van Allsburg sont traduits en français à l'école des loisirs, au début par Catherine Chaine, ensuite et principalement par Isabelle Reinharez, mais également à l'occasion par Michèle Poslaniec, Agnès Desarthe, François Lasquin ou Diane Ménard. Sont ainsi parus en français:
  • "Le jardin d'Abdul Gasazi" en 1982
  • "Jumanji" en 1983
  • "L'épave du Zéphyr" en 1984
  • "Le rêve de Pierre" en 1984 mais chez Gallimard
  • "Les Mystères de Harris Burdick" en 1985
  • "Boréal-Express" en 1986
  • "Deux fourmis" en 1990
  • "Ce n'est qu'un rêve" en 1991
  • "Le Balai magique" en  1993
  • "Une figue de rêve" en 1995
  • "Zathura" en 2003
  • "Probouditi!" en 2007
  • "La Reine du Niagara" en 2012
  • "Les chroniques de Harris Burdick" en 2013
  • "Les Mésaventures de Noisette" en 2015 (lire ici)
Soit une quinzaine de titres merveilleux, devenant vite des classiques du livre de jeunesse, offrant un vrai bonheur de lecture aux enfants, dont neuf sont toujours disponibles à l'école des loisirs en différents formats. Mais pas le premier de cette splendide bibliographie.


Plaisir immense donc de découvrir que le premier album de Chris Van Allsburg, le formidable "Jardin d'Abdul Gasazi" , manquant depuis longtemps, est à nouveau disponible en français. Il l'est depuis 2016 au Québec, puisque c'est l'éditeur D'Eux qui le réédite, dans une nouvelle traduction due à Christiane Duchesne, et depuis la fin 2020 en Europe, l'éditeur québécois s'étant ouvert à une distribution outre-Atlantique (lire ici).

Ce premier album pour enfants est dédié à son épouse Lisa, avec qui l'auteur-illustrateur s'est marié en 1975, quatre ans après l'avoir rencontrée à l'université du Michigan. Vraiment, plus de quarante ans après sa création, l'histoire n'a absolument pas pris une ride. On reste toujours happé par l'aventure du gamin qui vient garder Fritz, le chien très mal élevé de sa voisine, invitée sans lui chez sa cousine. Un scénario finalement simple qui sera transfiguré en une aventure incroyable mêlant responsabilité, culpabilité, magie et réalité.

En promenade. (c) D'Eux.


Farce ou magie?

Si le début du dog-sitting d'Alan se déroule bien malgré la fatigue engendrée par l'infernal toutou, les choses changent lors de la promenade. Surtout au moment où le chien s'échappe et s'enfuit dans le jardin d'Abdul Gasazi. Le magicien à la retraite y a placé un panneau: "LES CHIENS SONT ABSOLUMENT ET FORMELLEMENT INTERDITS DANS CE JARDIN."

Comment retrouver Fritz? Comment le récupérer avant qu'Abdul Gasazi ne l'aperçoive? Alan va vivre de difficiles moments, en particulier quand il rencontrera le vieux magicien et que ce dernier acceptera de lui rendre le chien auquel il a jeté un sort qui l'a changé en canard! Le jeune garçon a le cœur lourd quand il vient rendre compte de son dog-sitting raté à mademoiselle Esther. La finale en deux temps associe complètement le lecteur aux mystères du récit et le laisse repenser à tout ce qu'il a vu et entendu. Que s'est-il vraiment passé? Abdul Gasazi est-il un magicien ou un farceur? Sacré Van Allsburg!

Si le texte, peu dialogué, est hautement suggestif, les images en ton sépia s'avèrent particulièrement réussies. Elles rendent magnifiquement compte du climat d'étrangeté, de mystère et de magie du récit, notamment grâce à l'usage de la contre-plongée. Richement détaillées, elles campent admirablement les atmosphères, installent les personnages, saisissent subtilement leurs expressions, et présentent des décors qui semblent se répondre les uns aux autres. Des motifs du papier peint et du tapis plain aux fleurs des massifs, des feuilles du mur d'entrée aux marches de l'escalier. Partout l'atmosphère énigmatique du texte est attisée par ces grands dessins où tout est étudié, constructions en pierre solides et jardins luxuriants. Vraiment, "Le jardin d'Abdul Gasazi" est un tout grand album pour enfants.

A noter que le chien qui apparaît ici deviendra un héros récurrent de l'œuvre de Chris Van Allsburg.

Chris Van Allsburg en bonne compagnie.


 
Le plaisir de retrouver "Le jardin d'Abdul Gasazi" est encore augmenté par la qualité de fabrication du livre, format légèrement agrandi, entièrement toilé, à refermer par deux rubans dorés assortis au titre, comme un écrin précieux.

1982. (c) l'école des loisirs.
On me dit qu'il y a eu des changements depuis la précédente édition en français. Une édition super difficile à trouver tant elle est ancienne - merci à Cécile D. du Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles de m'avoir permis d'en prendre connaissance.





2020. (c) D'Eux.
En effet, la couverture a été modifiée, allégée dans la nouvelle version. Elle a perdu son cadre vert, un aplat de couleur a été ajouté et la typo du titre modernisée. L'illustration de la page de titre est différente.

Les pages intérieures, quant à elles, ne comportent plus la frise à effet de feuilles encadrant les textes, présente dans la version originale et dans la première traduction en français, allusion aux nombreux motifs répétitifs apparaissant dans les images. Une suppression qui permet d'agrandir les illustrations et de les faire passer au-dessus du pli central.


Version originale américaine.

Version française actuelle. (c) D'Eux.


Christiane Duchesne v. Catherine Chaine

Les plus grands changements sont sans doute à trouver du côté de la traduction.
En comparant la version ancienne de Catherine Chaine à la nouvelle de Christiane Duchesne, et en me référant au texte original anglais, je note différents points.

Christiane Duchesne rend aux personnages leurs prénoms et leurs noms originaux, mademoiselle Hester, sa cousine Eunice, le jeune Alan Mitz (Mademoiselle Esther, sa cousine Eunésie, le jeune Alain chez Catherine Chaine). Chez elle, les adultes tutoient le garçon alors qu'il est vouvoyé dans la première traduction, l'éternel dilemme de traduire le "you" anglais.

Mais le début de son texte est étrange: "Cela faisait déjà six fois que Fritz, le chien de Mademoiselle Esther, mordait sa chère cousine Eunice". Pourquoi "mordait" et non "avait mordu"? ("Fritz, le chien de Mademoiselle Esther, avait déjà mordu six fois sa chère cousine Eunésie" chez Catherine Chaine; "Six times Miss Hester's dog Fritz had bitten dear cousin Eunice" dans le texte original).

Deux pages plus loin, Christiane Duchesne traduit ainsi le réveil: "Une heure plus tard, Alan s'éveilla brusquement d'un coup de dent de Fritz sur le bout du nez" Catherine Chaine avait opté, de manière plus fluide, ou plus européenne, pour "Une heure plus tard, Alain fut brusquement réveillé par un coup de dent sur le nez" ("An hour later Alan quickly awoke when Fritz gave him a bite on the nose") Elle ajoute aussi une direction au texte original: "En cours de route, ils aperçurent un petit pont blanc sur leur gauche" ("Walking along, they discovered a small white bridge at the side of the road", devenu en 1982 "En marchant, ils découvrirent un petit pont blanc sur le côté de la route").

Page suivante, si l'expression "Un peu passé le pont" nous étonne ("Un peu après le pont", chez Catherine Chaine, "Some distance beyond the bridge" en version originale), Christiane Duchesne traduit fort bien le panneau/écriteau: "LES CHIENS SONT ABSOLUMENT ET FORMELLEMENT INTERDITS DANS CE JARDIN." contre un "Les chiens sont strictement interdits dans ce jardin" en 1982 ("ABSOLUTELY, POSITIVELY NO DOGS ALLOWED IN THIS GARDEN", en VO).

Lors de l'échappée de Fritz, le passé simple utilisé par Christiane Duchesne sonne plus agréablement que l'imparfait de Catherine Chaine. De même qu'on préfère sa "clairière" lors de la course-poursuite d'Alan à l'"éclaircie dans la forêt" ("a clearing in the forest"). Mais pas son "il s'arrêta pile comme s'il avait frappé un mur", moins réussi que "il s'arrêta net comme s'il avait buté contre un mur" ("he stopped as quickly as if he had run up against a wall").

Si un "dit-il seulement" nous semble préférable à un "Ce furent ses seules paroles" de la nouvelle traduction ("was all that he said"), ou "déjà terrifié" à "effrayé d'avance" ("almost afraid to hear the answer"), il en est durant toute la version de Christiane Duchesne, plus longue en nombre de mots mais perdant du coup parfois la sobriété du texte original, plus littérale peut-être, plus interprétative aussi, "une famille de canards" par exemple contre "un troupeau de canards" précédemment ("a gathering of ducks"), ou "[Alan] lâcha Fritz par mégarde" contre "[Alain] laissa échapper Fritz" ("Alan lost his hold on Fritz"). 

En finale de l'histoire enfin, "Il avait peine à retenir ses larmes" de Christiane Duchesne semble moins abouti que "il avait du mal à retenir ses larmes" de Catherine Chaine ("He could barely hold back the tears") mais sa suite est meilleure: "C'est là que, sortant en trombe de ma cuisine, un peu de pâtée sur le museau, Fritz apparut" contre "quand, brusquement, de la cuisine, Fritz surgit, le museau plein de pâtée" ("then, racing out of the kitchen, dog food on his nose, came Fritz"). Catherine Chaine omet la phrase "You see, Alan, no one can really turn dogs into ducks" et ignore qu'un chien a une "gueule" et non une "bouche".

Bref, difficile de départager ces deux traductions qui ont toutes les deux leurs qualités et leurs défauts. L'une comme l'autre font passer le climat de ce formidable album, indispensable dans toute bibliothèque d'enfant.