On apprend via le site Rue 89 que le magnifique premier roman de Kathleen Winter, "Annabel" (traduit de l'anglais (Canada) par Claudine Vivier, Christian Bourgois, 460 pages, 2013, 10/18, 474 pages, 2014) avait été écrit dans sa version originale au passé simple - il a été publié au Canada en 2010 chez House of Anansi -, mais traduit en français pour les éditions du Boréal au présent. Le site rapporte le désappointement de la romancière canadienne qui découvrit la chose lors du Festival America qui s'est tenu à Vincennes à la mi-septembre et où elle était invitée.
Il ne s'agit pas ici d'entrer dans une polémique sur les droits et les devoirs des traducteurs, des éditeurs et des auteurs, d'autres s'en chargent. La traduction littéraire n'est pas la traduction littérale d'un texte mais une obligatoire trahison, certains l'ont très bien expliqué. Juste peut-on s'étonner que Kathleen Winter n'ait pas été avertie de la chose et tombe dessus deux ans plus tard. Elle-même a déclaré à Vincennes qu'un jour, elle en rirait.
Demeure un superbe premier roman, lumineux, prenant, interpellant, porté par une écriture précise et imaginative, consacré à un sujet peu commun en littérature, l'hermaphrodisme. Qu'a-t-on eu comme fictions sur ce difficile sujet? "Middlesex", de Jeffrey Eugenides (traduit de l'anglais par Marc Chodolenko, Editions de l'Olivier, 2003, Points, 2004), "Un baiser sous X", d'Eric Paradisi (Fayard, 2010).
Lors du Festival America à Vincennes, Kathleen Winter a expliqué qu'elle n'avait pas choisi ce thème rare de l'hermaphrodisme pour rien. Elle y a été confrontée via son entourage proche. Et, à près de 50 ans - elle est née le 25 février 1960 dans le nord-est de l'Angleterre -, elle a plongé dans l'écriture de cet étonnant et prenant premier roman. Elle a fait de son personnage de papier une personne qui l'accompagne depuis qu'elle l'a créée. Auparavant, elle avait écrit des textes pour la télévision et un recueil de nouvelles, "Boys" (2007), non traduit.
"Annabel" est l'histoire d'un bébé qui naît en 1968 dans un village du Labrador au Canada. Autant dire au bout du monde. Ce premier né a la particularité d'être à la fois fille et garçon. Hermaphrodite. On imagine l'effroi de ceux qui le voient. Comment vivre avec lui? Pour bien comprendre ce qui est en train de se dérouler là, il faut se replonger dans l'époque d'alors, les années 1970. Avec ce que l'on sait alors en médecine et en psychologie. Sans oublier les règles de la vie en société dans un village.
Seules trois personnes sont au courant de la particularité du nouveau-né, ses parents, Treadway et Jacinta Blake, et Thomasina Baikie, une voisine de confiance. Très vite, le père prend seul la décision de faire de ce petit bout un garçon, qui sera appelé Wayne. "Jamais", écrit Kathleen Winter, "il ne lui vient à l'esprit de faire ce que souhaitent ardemment Thomasina et Jacinta; laisser son enfant vivre tel qu'il est venu au monde."
La part féminine de ce dernier, secrètement baptisé Annabel par la voisine elle-même en souffrance, en disparaît-elle pour autant? Non, bien entendu. "Le prénom Annabel se dépose sur l'enfant avec la légèreté du pollen, à côté de celui que lui a attribué Treadway." On va suivre le personnage, double, ambigu et déchiré, ainsi que ses proches, de la naissance à l’âge adulte. Une bonne vingtaine d'années qui donnent l'occasion à la primo-romancière de darder ses projecteurs sur la vie quotidienne en Terre-Neuve, dans cette incroyable nature qu'elle nous donne en partage, une région qu'elle connaît bien pour y avoir longtemps habité avant de s'installer au Canada. Aujourd'hui, Kathleen Winter vit à Montréal avec sa famille.
Récit de l'intime absolu, "Annabel" ne verse jamais dans le voyeurisme. Pas de scène ratée ou inutile, mais le portrait, précis, serré, d'un être humain qui tente de vivre sa vie. Au-delà de ses différences, au-delà de ses secrets puisque ses parents lui cachent longtemps la vérité. Wayne a une part féminine en son corps, mais il ne le sait pas. Il le perçoit au travers de ses centres d'intérêt, du choix de ses ami(e)s, dont la remarquable Wally, à cause de l'éducation rude que lui inflige son père, des silences de sa mère. Il le vivra violemment, dans la souffrance, quand les hormones de l'adolescence se manifesteront. A ce moment, il ne sera plus possible de lui cacher la vérité. Mais il trouvera une meilleure alliée en sa mère, malgré la nostalgie grandissante de cette dernière.
Heureusement, Wayne-Annabel n'est pas tout-à-fait seul face à l'existence. Il peut notamment compter sur l'appui, le soutien de Thomasina, même si elle n'est pas toujours physiquement présente dans le village. Outre son empathie pour son héros, Kathleen Winter a aussi eu l'excellente idée de multiplier les points de vue de personnages dont on suit aussi les destins. Cela fait de son premier roman aussi bien conçu qu'écrit avec délicatesse une très belle fresque humaine, sans jugement mais qui donne à réfléchir. Remercions-la pour la belle claque de littérature qu'elle nous met.
Il ne s'agit pas ici d'entrer dans une polémique sur les droits et les devoirs des traducteurs, des éditeurs et des auteurs, d'autres s'en chargent. La traduction littéraire n'est pas la traduction littérale d'un texte mais une obligatoire trahison, certains l'ont très bien expliqué. Juste peut-on s'étonner que Kathleen Winter n'ait pas été avertie de la chose et tombe dessus deux ans plus tard. Elle-même a déclaré à Vincennes qu'un jour, elle en rirait.
Demeure un superbe premier roman, lumineux, prenant, interpellant, porté par une écriture précise et imaginative, consacré à un sujet peu commun en littérature, l'hermaphrodisme. Qu'a-t-on eu comme fictions sur ce difficile sujet? "Middlesex", de Jeffrey Eugenides (traduit de l'anglais par Marc Chodolenko, Editions de l'Olivier, 2003, Points, 2004), "Un baiser sous X", d'Eric Paradisi (Fayard, 2010).
Kathleen Winter. |
Lors du Festival America à Vincennes, Kathleen Winter a expliqué qu'elle n'avait pas choisi ce thème rare de l'hermaphrodisme pour rien. Elle y a été confrontée via son entourage proche. Et, à près de 50 ans - elle est née le 25 février 1960 dans le nord-est de l'Angleterre -, elle a plongé dans l'écriture de cet étonnant et prenant premier roman. Elle a fait de son personnage de papier une personne qui l'accompagne depuis qu'elle l'a créée. Auparavant, elle avait écrit des textes pour la télévision et un recueil de nouvelles, "Boys" (2007), non traduit.
"Annabel" est l'histoire d'un bébé qui naît en 1968 dans un village du Labrador au Canada. Autant dire au bout du monde. Ce premier né a la particularité d'être à la fois fille et garçon. Hermaphrodite. On imagine l'effroi de ceux qui le voient. Comment vivre avec lui? Pour bien comprendre ce qui est en train de se dérouler là, il faut se replonger dans l'époque d'alors, les années 1970. Avec ce que l'on sait alors en médecine et en psychologie. Sans oublier les règles de la vie en société dans un village.
Seules trois personnes sont au courant de la particularité du nouveau-né, ses parents, Treadway et Jacinta Blake, et Thomasina Baikie, une voisine de confiance. Très vite, le père prend seul la décision de faire de ce petit bout un garçon, qui sera appelé Wayne. "Jamais", écrit Kathleen Winter, "il ne lui vient à l'esprit de faire ce que souhaitent ardemment Thomasina et Jacinta; laisser son enfant vivre tel qu'il est venu au monde."
La part féminine de ce dernier, secrètement baptisé Annabel par la voisine elle-même en souffrance, en disparaît-elle pour autant? Non, bien entendu. "Le prénom Annabel se dépose sur l'enfant avec la légèreté du pollen, à côté de celui que lui a attribué Treadway." On va suivre le personnage, double, ambigu et déchiré, ainsi que ses proches, de la naissance à l’âge adulte. Une bonne vingtaine d'années qui donnent l'occasion à la primo-romancière de darder ses projecteurs sur la vie quotidienne en Terre-Neuve, dans cette incroyable nature qu'elle nous donne en partage, une région qu'elle connaît bien pour y avoir longtemps habité avant de s'installer au Canada. Aujourd'hui, Kathleen Winter vit à Montréal avec sa famille.
Récit de l'intime absolu, "Annabel" ne verse jamais dans le voyeurisme. Pas de scène ratée ou inutile, mais le portrait, précis, serré, d'un être humain qui tente de vivre sa vie. Au-delà de ses différences, au-delà de ses secrets puisque ses parents lui cachent longtemps la vérité. Wayne a une part féminine en son corps, mais il ne le sait pas. Il le perçoit au travers de ses centres d'intérêt, du choix de ses ami(e)s, dont la remarquable Wally, à cause de l'éducation rude que lui inflige son père, des silences de sa mère. Il le vivra violemment, dans la souffrance, quand les hormones de l'adolescence se manifesteront. A ce moment, il ne sera plus possible de lui cacher la vérité. Mais il trouvera une meilleure alliée en sa mère, malgré la nostalgie grandissante de cette dernière.
Heureusement, Wayne-Annabel n'est pas tout-à-fait seul face à l'existence. Il peut notamment compter sur l'appui, le soutien de Thomasina, même si elle n'est pas toujours physiquement présente dans le village. Outre son empathie pour son héros, Kathleen Winter a aussi eu l'excellente idée de multiplier les points de vue de personnages dont on suit aussi les destins. Cela fait de son premier roman aussi bien conçu qu'écrit avec délicatesse une très belle fresque humaine, sans jugement mais qui donne à réfléchir. Remercions-la pour la belle claque de littérature qu'elle nous met.