De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.
Ils arrivent à leur dernier rendez-vous de la journée, le mien. Se jouant de la météo, la romancière Agnès Desarthe et le pianiste René Urtreger ont présenté à Bruxelles leur œuvre commune, "Le Roi René" (Odile Jacob, 268 pages). Un livre épatant, au sens où il épate vraiment. Un ouvrage formidable qui fait à la fois le portrait d'un musicien et celui d'un homme. Le roman vrai d'une vie peu banale et d'une rencontre qui ne l'est pas davantage. On lit René et on perçoit Agnès, on lit Agnès et on découvre René. Tout y est savamment et délicatement mêlé, ces deux-là s'additionnent et se complètent à merveille. L'un ne va pas sans l'autre et inversement. Ensemble, ils font swinguer la littérature et la musique.
Ils sont un peu fatigués mais ne manquent pas de ressort pour autant. C'est René Urtreger qui commence. Ses lunettes rouges n'ont qu'une branche. "Ben oui, j'ai cassé l'autre dans une bagarre de rue à Hong-Kong", glisse l'octogénaire (il est né le 6 juillet 1934) sans sourciller. Agnès Desarthe, elle, assure le job. Comment leur incroyable rencontre s'est-elle faite? Ils se sont rencontrés dans le Perche chez des amis communs et, immédiatement, ils se sont reconnus. Elle a voulu le raconter, le dire, le faire entendre de son ton à elle. René Urtreger a côtoyé tous les grands de la musique et on ne le sait pas. "Je me suis laissée porter par mon sujet", dit-elle. "C'était une sorte de prédestination mais j'ai toujours commencé mes livres sans le savoir, et aussi la magie de la rencontre, le contact avec lui. J'ai alors improvisé, une pratique que j'avais déjà expérimentée, comme une grille harmonique en jazz."
Le résultat? Un livre magnifique et touchant, disant autant le Urtreger prodige du piano et génie du jazz dès son plus jeune âge, partenaire des plus grands jazzmen, en anglais et en français, comme de Sacha Distel, Claude François ou Serge Gainsbourg, que le René en proie aux démons de l'alcool et de la drogue, une longue descente suivi d'une toute aussi longue remontée ("Il y a 39 ans que j'ai supprimé alcool, drogue, défonce, cela aide", glisse-t-il.) Un musicien avant tout, et, éternellement, un enfant qui ne comprendra jamais que sa mère ait été arrêtée le 15 janvier 1944 par la Gestapo et qu'elle ait disparu à Auschwitz.
On imagine comment le livre s'est composé puisqu'Agnès Desarthe en donne constamment des indications dans son texte, incarnant ainsi la rencontre. Elle me précise: "J'ai pris des notes et enregistré les conversations avec René, ce qui, à l'écriture, m'a permis de réentendre sa voix et son rythme de voix, de reconstituer certaines de ses phrases, de réentendre les morceaux de piano qu'il jouait pour moi, pour me montrer, pour m'expliquer. Mais je ne voulais pas faire un verbatim dans le livre, plutôt reconstituer un oral."
En voilà deux fameux complices! "Des joyeux cinglés", se présentent-ils en éclatant de rire. Avec ses mélanges de simple et de compliqué, "Le Roi René" en témoigne, qu'il s'attache à retracer l'itinéraire du musicien, sa vie à toutes les époques - "Il est hypermnésique, il n'a jamais fait une erreur de date ou de nom" -, ses rencontres, ses passions dont celle pour le jeu d'échecs qu'il partage avec plein d'autres musiciens et qui est pour lui un parallèle à la musique: "Jouer, c'est prévoir et s'adapter, comme les échecs." Voilà un livre de partage et d'échanges sincères des deux côtés qui irradie du plaisir pris à le faire. On sent le respect d'Agnès Desarthe pour René Urtreger dans ses questions. Elle sait attendre le moment où il sera prêt à dire ce qu'il a en lui. Elle l'y incite mais ne le bouscule pas, tentant de comprendre "comment il a sauté tout de suite dans le grand bain, l'excitation et la peur qu'il a ressenties."
La fin du livre est aussi surprenante que touchante, un renvoi d'ascenseur en quelque sorte, une expérience commune de l'émotion de la création en public. "On partage beaucoup de choses dont l'horreur de la fin", explique Agnès Desarthe. "C'est phobique chez moi. René est très généreux dans ses concerts, en repoussant sans cesse la clôture. Cette horreur de la fin commune m'a permis de finir le livre en douceur."
De son côté, René Urtreger est enchanté: "Cela s'est merveilleusement bien passé avec Agnès, on a beaucoup de ressemblances. Nous avions une écoute partagée. Je lui ai proposé que pour le livre on soit à égalité." Bien entendu, il a créé une composition musicale pour Agnès, "Timid", mais il a mis du temps à le lui dire… Sacré Roi René! Tellement tendre aussi quand il dit "Agnès, c'est ma fille".
Pour feuilleter le début du livre, c'est ici.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.
Agnès Desarthe et René Urtreger. |
Ils arrivent à leur dernier rendez-vous de la journée, le mien. Se jouant de la météo, la romancière Agnès Desarthe et le pianiste René Urtreger ont présenté à Bruxelles leur œuvre commune, "Le Roi René" (Odile Jacob, 268 pages). Un livre épatant, au sens où il épate vraiment. Un ouvrage formidable qui fait à la fois le portrait d'un musicien et celui d'un homme. Le roman vrai d'une vie peu banale et d'une rencontre qui ne l'est pas davantage. On lit René et on perçoit Agnès, on lit Agnès et on découvre René. Tout y est savamment et délicatement mêlé, ces deux-là s'additionnent et se complètent à merveille. L'un ne va pas sans l'autre et inversement. Ensemble, ils font swinguer la littérature et la musique.
Ils sont un peu fatigués mais ne manquent pas de ressort pour autant. C'est René Urtreger qui commence. Ses lunettes rouges n'ont qu'une branche. "Ben oui, j'ai cassé l'autre dans une bagarre de rue à Hong-Kong", glisse l'octogénaire (il est né le 6 juillet 1934) sans sourciller. Agnès Desarthe, elle, assure le job. Comment leur incroyable rencontre s'est-elle faite? Ils se sont rencontrés dans le Perche chez des amis communs et, immédiatement, ils se sont reconnus. Elle a voulu le raconter, le dire, le faire entendre de son ton à elle. René Urtreger a côtoyé tous les grands de la musique et on ne le sait pas. "Je me suis laissée porter par mon sujet", dit-elle. "C'était une sorte de prédestination mais j'ai toujours commencé mes livres sans le savoir, et aussi la magie de la rencontre, le contact avec lui. J'ai alors improvisé, une pratique que j'avais déjà expérimentée, comme une grille harmonique en jazz."
Le résultat? Un livre magnifique et touchant, disant autant le Urtreger prodige du piano et génie du jazz dès son plus jeune âge, partenaire des plus grands jazzmen, en anglais et en français, comme de Sacha Distel, Claude François ou Serge Gainsbourg, que le René en proie aux démons de l'alcool et de la drogue, une longue descente suivi d'une toute aussi longue remontée ("Il y a 39 ans que j'ai supprimé alcool, drogue, défonce, cela aide", glisse-t-il.) Un musicien avant tout, et, éternellement, un enfant qui ne comprendra jamais que sa mère ait été arrêtée le 15 janvier 1944 par la Gestapo et qu'elle ait disparu à Auschwitz.
On imagine comment le livre s'est composé puisqu'Agnès Desarthe en donne constamment des indications dans son texte, incarnant ainsi la rencontre. Elle me précise: "J'ai pris des notes et enregistré les conversations avec René, ce qui, à l'écriture, m'a permis de réentendre sa voix et son rythme de voix, de reconstituer certaines de ses phrases, de réentendre les morceaux de piano qu'il jouait pour moi, pour me montrer, pour m'expliquer. Mais je ne voulais pas faire un verbatim dans le livre, plutôt reconstituer un oral."
En voilà deux fameux complices! "Des joyeux cinglés", se présentent-ils en éclatant de rire. Avec ses mélanges de simple et de compliqué, "Le Roi René" en témoigne, qu'il s'attache à retracer l'itinéraire du musicien, sa vie à toutes les époques - "Il est hypermnésique, il n'a jamais fait une erreur de date ou de nom" -, ses rencontres, ses passions dont celle pour le jeu d'échecs qu'il partage avec plein d'autres musiciens et qui est pour lui un parallèle à la musique: "Jouer, c'est prévoir et s'adapter, comme les échecs." Voilà un livre de partage et d'échanges sincères des deux côtés qui irradie du plaisir pris à le faire. On sent le respect d'Agnès Desarthe pour René Urtreger dans ses questions. Elle sait attendre le moment où il sera prêt à dire ce qu'il a en lui. Elle l'y incite mais ne le bouscule pas, tentant de comprendre "comment il a sauté tout de suite dans le grand bain, l'excitation et la peur qu'il a ressenties."
La fin du livre est aussi surprenante que touchante, un renvoi d'ascenseur en quelque sorte, une expérience commune de l'émotion de la création en public. "On partage beaucoup de choses dont l'horreur de la fin", explique Agnès Desarthe. "C'est phobique chez moi. René est très généreux dans ses concerts, en repoussant sans cesse la clôture. Cette horreur de la fin commune m'a permis de finir le livre en douceur."
De son côté, René Urtreger est enchanté: "Cela s'est merveilleusement bien passé avec Agnès, on a beaucoup de ressemblances. Nous avions une écoute partagée. Je lui ai proposé que pour le livre on soit à égalité." Bien entendu, il a créé une composition musicale pour Agnès, "Timid", mais il a mis du temps à le lui dire… Sacré Roi René! Tellement tendre aussi quand il dit "Agnès, c'est ma fille".
Pour feuilleter le début du livre, c'est ici.