Amélie Nothomb. (c) Jean-Baptiste Mondino/Albin Michel. |
J'ai retrouvé encore une fois dans "Les aérostats" le style d'Amélie Nothomb que j'aime tant, vif, plus travaillé sans doute qu'il n'y paraît, ses mots choisis, ses dialogues, ses formules, ses observations et ses piques pleines d'humour, l'usage du passé simple qui me réjouit. Plaisir supplémentaire, elle y parle de littérature et de jeunes qui aiment lire alors qu'ils pensaient le contraire, tout simplement parce qu'ils n'avaient pas essayé. Ou n'y avaient pas été obligés.
On y rencontre, Ange Daulnoy, une jeune femme de 19 ans au prénom épicène, étudiante en lettres bruxelloise plutôt sérieuse, qui vit en colocation avec une infâme Donate, à peine plus âgée, 22 ans, maniaque jusqu'au bout des ongles et assez désagréable. On suit Ange qui a répondu à une petite annonce, donner des cours particuliers quotidiens à un grand ado dyslexique, chez Pie Roussaire, 16 ans, de nationalité suisse mais scolarisé au Lycée français, un étudiant du genre rebelle, notamment à la littérature.
Entre ces deux, elle de 19 ans et lui de 16 ans, se tisse immédiatement un lien. Ce n'est pas "Le diable au corps" de Radiguet même s'ils ont les âges de Marthe et François car ils ne vont pas jusqu'au bout mais ils communient intimement dans leurs lectures communes. En effet, Ange n'y va pas de main morte lors de sa première rencontre avec Pie. Elle lui ordonne de lire "Le Rouge et le Noir" en un jour! Initiation au bonheur de lire radicale.
Le lecteur suit les rencontres entre l'étudiante et le lycéen, discussions passionnantes sur les livres lus et à lire, sur la littérature et la lecture. De joyeux moments de critique littéraire. Quel plaisir de redécouvrir en leur compagnie "L'Iliade", "L'Odyssée", "La Métamorphose", "Le Diable au corps", "Le Bal du Comte d'Orgel" ou "La Princesse de Clèves". Mais "Les aérostats" n'est pas qu'un roman qui chante et celèbre la littérature, il dit aussi les partages entre Ange et Pie sur les sujets chers à ce dernier, les aérostats en général, les zeppelins en particulier, il constate de solides problèmes familiaux chez l'adolescent, coincé entre un père assez pervers et une mère sérieusement à l'ouest et il est le terreau de plusieurs amours. Sans oublier qu'il nous promène en divers endroits de Bruxelles.
Si on se laisse volontiers porter vers le haut par la romancière dans les épisodes qui se succèdent dans "Les aérostats", on ne peut hélas en dire autant de la fin du roman, loupée. Ce qui n'empêche pas de largement apprécier les pages précédentes, célébrant la jeunesse sans nier ses difficultés et montrant comment la légèreté peut survenir, qu'on soit Pie, coincé dans sa vie, ou Ange, dramatiquement sérieuse.
Pour lire le débit des "Aérostats", c'est ici.
Amélie Nothomb, métronome de la rentrée littéraire
- 1992 "Hygiène de l'assassin", Prix René Fallet
- 1993 "Le Sabotage amoureux", Prix de la Vocation / Prix Alain-Fournier / Prix Chardonne
- 1994 "Les Combustibles"
- 1995 "Les Catilinaires", Prix du Jury Jean Giono
- 1996 "Péplum"
- 1997 "Attentat"
- 1998 "Mercure"
- 1999 "Stupeur et tremblements", Grand Prix du roman de l'Académie française
- 2000 "Métaphysique des tubes"
- 2001 "Cosmétique de l'ennemi"
- 2002 "Robert des noms propres"
- 2003" Antéchrista"
- 2004 "Biographie de la faim"
- 2005 "Acide sulfurique"
- 2006 "Journal d'Hirondelle"
- 2007 "Ni d'Ève ni d'Adam", Prix de Flore
- 2008 "Le Fait du prince", Grand Prix Jean Giono pour l'ensemble de son œuvre
- 2009 "Le Voyage d'hiver"
- 2010 "Une forme de vie"
- 2011 "Tuer le père"
- 2012 "Barbe Bleue"
- 2013 "La nostalgie heureuse" (lire ici)
- 2014 "Pétronille" (lire ici)
- 2015 "Le crime du Comte Neville" (lire ici)
- 2016 "Riquet à la houppe"
- 2017 "Frappe-toi le cœur" (lire ici)
- 2018 "Les prénoms épicènes" (lire ici)
- 2019 "Soif"
- 2020 "Les aérostats"