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Daniel Fano. |
"Salut", disait-il, plutôt que
"bonjour". Disait parce que
Daniel Fano est décédé dans la soirée du 28 octobre, à Bruxelles. Il était né le 11 juin 1947 à Jemelle (près de Charleroi). Critique, poète, romancier, journaliste, défenseur pour les enfants lecteurs de la fiction, de l'imagination,
"cette part de réel qui construit et entretient notre sensibilité, notre personnalité, notre passion de vivre", amateur pour ce public de livres d'humour (
"exutoires de haute salubrité publique") et de nonsense anglo-saxon
"qui est intelligence du cœur autant que de l'esprit".
Il a tenu dès 1977 la rubrique consacrée à la littérature de jeunesse dans "Le Ligueur", l'hebdomadaire (alors) de la Ligue des familles en Belgique. Il a fait œuvre de pionnier, à cette époque où bourgeonnait la littérature de jeunesse, défendant inlassablement sa richesse auprès d'adultes souvent suspicieux. Je suis moi-même arrivée dans ce domaine deux ans après. Les premières librairies jeunesse s'ouvraient en Belgique et je préparais mon mémoire de fin de licence universitaire sur le sujet.
Fano, comme on l'appelait, était LA référence. Puits de connaissances en matière d'illustration, européenne ou américaine, il partageait sa science avec gentillesse et enthousiasme.
Il a tenu cette rubrique longtemps, guettée chaque semaine par ses lecteurs qu'il avait su convaincre, puis en a été poussé dehors, on ne sait trop pourquoi. Et il en a été chagrin longtemps. Sa joie avait été de voir toute une série de ses chroniques reprises dans le recueil
"Biblio-Junior, un guide pour les petits et les grands enfants" (Le Cri/RTBF, 1994), épuisé mais qui vaut toujours le coup d'être lu, par ses choix, par ses opinions.
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Sa dédicace de "Biblio Junior", du Fano tout craché. |
Au début des années 90, la littérature de jeunesse bouge en Belgique. La branche belge de l'
IBBY (International Board on Books for Young People) est créée en 1992 par Marie Wabbes pour la partie francophone.
Daniel Fano en sera le vice-président. J'en suis membre.
A la même époque existait aussi le
"Prix des critiques de littérature de jeunesse", annuel. Nous étions une bonne dizaine de critiques alors et son palmarès tient toujours la route aujourd'hui. Vu la disparition des chroniques jeunesse dans les médias, on blaguait à la fin de ce prix en disant qu'il pourrait s'appeler le prix Fano & Cauwe.
J'ai aussi eu le plaisir de réaliser en 1993 avec
Fano le premier
"Répertoire des auteurs et illustrateurs de livres pour l'enfance et la jeunesse en Wallonie et à Bruxelles", (Communauté française de Belgique). Un fameux travail d'enquêteurs, car rien n'existait alors, même pas internet, qui nous a beaucoup occupés et surtout beaucoup amusés. Le répertoire a ensuite été actualisé par la Communauté française elle-même et les noms des auteurs originaux ont été illico gommés. La septième édition date de 2014 et peut être consultée
ici.
Daniel Fano avait une passion pour l'illustration et une connaissance inouïe de tout ce qui y touchait. Dont les Américains précurseurs, Seymour Chwast et Milton Glaser, ses chouchous.
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La revue "Alice". |
En 1996,
Daniel Fano lance avec
Nicole Nachtergaele la très intéressante revue
"Alice, des littératures de jeunesse et de leurs environs" qui paraît trois fois par an. Elle réunit les meilleures et les plus diverses plumes à propos d'œuvres pour la jeunesse et de livres "pour adultes" dont l'enfant est la question centrale.
En parallèle à tout cela,
Fano a toujours écrit des livres "pour adultes". Poète, romancier, inclassable, il a été publié, parfois avec peine, depuis 1966. Au Castor Astral dans les années 2000, chez Pierre-Guillaume de Roux en 2015. Il était cependant davantage présent sur les tables des (bons) libraires depuis une grosse dizaine d'années, depuis qu'il avait cessé en 2007 ses activités de journaliste culturel. Il a été publié principalement ces derniers temps par les Editions des Carnets du dessert de lune (huit titres), les Editions Unes (trois titres), les Editions Traverse (quatre titres dont un collectif). Pour en savoir davantage, l'article de Pierre Maury
ici.
Il était aussi un membre discret et efficace de la revue de récits graphiques
"64_page".
Quelle perte que son décès! Je ne passerai plus devant la terrasse du Mokafé, galerie du Roi à Bruxelles, en regardant s'il n'y est pas assis ou dans la Galerie des Princes où il venait souvent attendre la fin du travail de Graziella, son amour.