A l'exact opposé des livres-médicaments que j'abhorre, une sélection
de sept albums jeunesse ancrés dans l'actualité récente ou interrogant l'avenir. Parce
que la littérature de jeunesse peut aussi ouvrir des fenêtres sur le monde.
Mariage pour tou(te)s
Princesse Pimprenelle se marie
Brigitte Minne
Trui Chielens
adapté du néerlandais par Emmanuèle Sandron
CotCotCot Editions
32 pages
dès 5 ans
Ce jour-là, le château est en fête. Princesse Pimprenelle va choisir quel "prince sur son cheval blanc" elle épousera. Sauf que le cœur de la demoiselle
ne bat pour aucun des prétendants qui lui sont présentés. Pire, ce défilé
l'ennuie. Au château, le roi et la reine sont consternés. Pimprenelle
restera-t-elle sans mari? Oui et non.Soudain, le cœur de la princesse
se met à bondir dans sa poitrine. Elle a vu passer la princesse Aliénor,
campée sur son beau cheval noir. Un coup de foudre réciproque qui mène à une
demande en mariage. Bigre! Pas vraiment dans les standards de la cour, ni
même du royaume. Pimprenelle est la cible de toutes les méchancetés.
L'album se poursuit avec l'intervention des parents qui, inquiets pour leur
fille, s'adressent à la docte Sophie. La sage femme écoute leur plainte
avant de leur démontrer que ce qui compte, c'est que les deux princesses
s'aiment. Formule valable dans toutes les combinaisons, précise-t-elle, prince et princesse,
prince et prince, princesse et princesse. C'est la révélation pour les
parents qui se chargent de communiquer ce message d'amour à leur fille
d'abord, à tous les étages du palais ensuite.
"Elles s'aiment, c'est l'essentiel!" La phrase se répand et tout le
royaume change d'attitude.
Honnêtes, le roi et la reine expliquent à la Princesse Pimprenelle qu'ils
n'avaient jamais vraiment réfléchi à la question. La suite est classique,
mariage, nombreux enfants et en finale de l'album une explication en termes
simples sur les moyens pour les princesses d'avoir des enfants ensemble.
C'est la première fois qu'on découvre le beau travail de l'illustratrice Trui
Chielens en français. Et c'est une belle découverte. Ses dessins font parfois penser
à Kitty Crowther en des teintes plus limitées et, pour certains personnages,
à Gerda Dendooven dont elle a suivi l'enseignement. Un décor à l'ancienne et
des personnages en tenue de cour pour une histoire contemporaine dont
certains éléments sont repris en texte dans les images. Il ne faut pas
oublier de regarder les pages de garde avant et arrière: tout y est dit.
Quant au texte de Brigitte Minne, il présente avec beaucoup d'humanité le
cheminement des protagonistes vers l'idée du mariage pour tous. Un beau
message de tolérance.
Pour feuilleter en ligne le début de
"Princesse Pimprenelle se marie", c'est
ici.
Rappelons, sur le même sujet décliné cette fois au masculin, le rigolo
"Heu-reux" de
Christian Voltz
(Rouergue, 40 pages, 2016) où, sa majesté Grobull, le tout puissant taureau,
veut marier son fils Jean-Georges à une des vaches prétendantes.
Au placard, les démodé(e)s
Gilles Bachelet
Seuil Jeunesse
dès 4 ans
Que deviennent les animaux chéris des enfants quand ils sont déclassés par
un nouveau venu, objet de toutes les attentions? Ils vont à la Résidence
Beau Séjour, sorte de maison de repos où ils peuvent passer une retraite
luxueuse, en attendant un éventuel retour en grâce. C'est ce qui arrive à
Mademoiselle Poufy, la licorne narratrice de cet album grinçant sous ses
atours drôles. Détrônées par le grovoliou à poils doux, elle et ses
congénères arrivent en bus dans ce lieu apparemment idyllique. Elles y
découvrent les autres animaux délaissés, pandas, dauphins,
dinosaures...
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La très chic Résidence Beau Séjour et ses résidents. (c) Seuil
Jeunesse.
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Les activités sont multiples et donnent lieu à des illustrations
extrêmement amusantes, bourrées de détails que chacun, enfant comme adulte,
associera à ses références personnelles. Elles n'empêchent pas les résidents
de se poser des questions sur certaines absences et le lecteur de repérer ce
qui se passe dans l'obscurité du couloir ou de la nuit. C'est bien entendu
Poufy, associée à son ami grovoliou Dodu récemment arrivé - la roue des modes enfantines tourne parfois vite - qui
mettra au jour les sombres expériences du lieu.
Tout en nous faisant bien rigoler avec sa licorne qu'il représente en mille
situations, Gilles Bachelet pointe, l'air de rien, deux situations
tragiques, le destin des vieux, mis au rebut, et les expérimentations à la Frankestein,
personnage qu'on croise ci et là. "Résidence Beau Séjour" fourmille de
détails qui sont autant d'indices à savourer.
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Le selfie à la licorne de Gilles Bachelet.
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Tableaux détournés
Julien Couty
Rouergue
56 pages
dès 5 ans
Dans ce premier album jeunesse, en assez petit format, le dessinateur
Julien Couty envoie
un père et son fils visiter un musée. Mais il s'y passe quelque chose de
bizarre. Les œuvres, toutes plus célèbres les unes que les autres, ne sont
pas comme on les connaît. Des perches à selfies ont poussé entre les
coquelicots de Monet, les animaux ont disparu de la toile du Douanier
Rousseau, du béton remplace les arbres du déjeuner sur l'herbe de Manet, des
bouteilles en plastique flottent entre les nymphéas... En fait,
l'auteur-illustrateur a pastiché ces œuvres célébrissimes pour dénoncer le
monde moderne. Il les a polluées pour faire ressentir les dérèglements
climatiques, sociaux, sanitaires...
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Masque obligatoire pour le dimanche à la Grande Jatte. (c) Rouergue.
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Chaque tableau détourné, aisément reconnaissable (*), est complété d'une
ligne de texte, fort explicite. Leur enchaînement permet une double lecture,
enfant et adulte, mais aboutit à la même consternation. Cet efficace système
permet aux deux visiteurs de conclure leur visite au musée en jouant sur les
sens du mot "tableau":
"Tu as vu ça? Non mais... Quel tableau! Quel laisser-aller! Il va falloir
sérieusement se prendre en main." Ils ont tout dit.
(*) La liste des œuvres pastichées apparaît en première page de garde avant,
celle qu'on regarde peu en général.
Construire aujourd'hui et demain
Ce que nous construirons ensemble
Oliver Jeffers
traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Rosalind Elland-Goldsmith
Kaléidoscope
48 pages
dès 6 ans
Après l'album "Nous sommes là" (Kaléidoscope, 2018), dédié à son fils,
"écrit pendant les deux premiers mois de ta vie alors que je cherchais
un moyen pour tout t'expliquer. Voici les choses que je pense que
tu dois savoir....",
Oliver Jeffers
s'adresse cette fois à sa fille, Mari. Le message de l'immense amour d'un père
pour sa fille, sa foi en l'amour et la capacité à changer ensemble le
monde.
"Qu'allons-nous construire, toi et moi? D'abord regroupons tous nos
outils pour assembler petit à petit. (...) Fabriquons une montre car le
temps est précieux, notre avenir ensemble nous le créons à deux." A raison d'une ligne par page, le texte se déroule comme une comptine, scrutant le
quotidien, le positif à garder en souvenir, le négatif à améliorer.
Ingrédient indispensable à cette vie commune, l'amour, qu'Oliver
Jeffers, traduit dans ses illustrations chaleureuses. Voilà un auteur qui
manie aussi bien le registre léger de l'humour que celui plus grave de la
vie.
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Fille et père se préparent. (c) Kaléidoscope.
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Sauver la planète
Rosie Eve
traduit et adapté de l'anglais
par Nadja Belhadj
Saltimbanque Editions
40 pages
dès 6 ans
Dans cet album aussi, les pages de garde sont importantes car elles montrent la situation de départ et celle d'arrivée. On se trouve dans une forêt tropicale, dévastée par les hommes au profit d'une usine d'huile de palme, de routes et d'une ville. Les éléphants du lieu? Coincé dans deux minuscules réserves éloignées l'une de l'autre. C'est là qu'intervient Mimpie, une petite éléphante qui souffre d'être seule. Elle voudrait rencontrer ses cousins installés dans l'autre réserve. Comment faire? Elle a l'idée lumineuse de reconstruire pour les réunir une route tropicale constituée d'arbres, au moyen de graines qu'elle se propose de semer.
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Le passage des hommes. (c) Saltimbanque Editions. |
Si elle n'est guère encouragée dans un premier temps par le troupeau d'éléphants, d'autres animaux l'aident dans son projet visionnaire. Un projet long dont l'avènement sera semé d'embûches mais qui réussira finalement après bien des péripéties. Le choix du format à l'italienne accentue utilement le caractère dramatique de la situation dénoncée. L'album est toutefois complètement à hauteur d'enfant avec ses nombreux protagonistes animaux qui s'allient pour mener leur mission à bien. Agréablement illustré, il est solidement documenté et de nature à sensibiliser les plus jeunes à l’écologie.
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Le lancement d'un projet fou. (c) Saltimbanque Editions. |
Déchets perdus, déchets tribuns
Seuls, moches et abandonnés Gilbert Legrand
Clémence Sabbagh
Plume de carotte
80 pages
pour tous
Idée originale que de donner la parole aux déchets que l'on trouve en quantité sur les plages. On les rejette en général. Mais la faute à qui? A eux ou à ceux qui les ont abandonnés ici ou là, laissant les marées décider de leur destination? Les auteurs ont photographié tous ces déchets échoués sur le sable. Ils les ont maquillés en personnages et ils leur ont adjoint des phylactères d'où ils nous interpellent sans hésitation quand ils ne conversent pas entre eux. Le procédé est très réussi et permet de bien faire comprendre notre responsabilité dans la pollution et nos moyens d'action par rapport aux déchets.
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La situation. (c) Plume de carotte. |
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L'avenir éventuel. (c) Plume de carotte. |
Pour feuilleter en ligne
"Seuls, moches et abandonnés", c'est
ici.
Et si on jetait moins?
Max Estes
traduit du norvégien
par Jean-Baptiste Coursaud
La joie de lire
44 pages
dès 3 ans
Dans ce petit format en carton brut, toilé et joliment illustré, on suit les éboueurs Sigmund et Oskar lors de leur journée de travail à travers toute la ville. Ils nous racontent leur travail, entamé tôt matin, et tout ce à quoi ils doivent faire attention. Ils nous invitent aussi à réfléchir à ce que serait la ville sans eux. Et surtout, l'air de rien, ils nous interrogent sans le dire sur les quantités de choses qu'on jette alors qu'on pourrait peut-être les recycler ou les donner.
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Des chiffres vertigineux. (c) La joie de lire. |