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jeudi 30 juin 2022

Le divin Pomelo a fêté ses vingt ans

Une édition originale qui a été beaucoup lue. (c) Albin Michel Jeunesse.

Bigre! Les réseaux sociaux m'apprennent que Pomelo, l'éléphant rose de Ramona Badescu et Benjamin Chaud vient de fêter ses vingt ans. L'album "Pomelo est bien sous son pissenlit" (Albin Michel Jeunesse, 96 pages) est en effet sorti le 3 juin 2002! Voici ce que j'en écrivais dans "Le Soir" du 21 août:
"Il est extrêmement agréable de constater que, dans un domaine graphique où l'on se plaît à répéter que tout a déjà été inventé, certains arrivent encore à renouveler le genre de façon plaisante. Ainsi en est-il avec le réjouissant album "Pomelo est bien sous son pissenlit", agréablement épais sous sa couverture mate brochée. Déjà, le titre rigolo laisse entrevoir la fantaisie de l'ouvrage, Pomelo n'étant pas le fruit bien connu mais un petit éléphant de jardin, tout rose et nanti d'une trompe démesurée; on la confondrait presque avec un ver de terre!
Le volume présente trois histoires savoureuses qui se déroulent au ras des légumes du potager. Laitues, poireaux, carottes, navets, radis et autres variétés subissent une très jolie interprétation artistique tout en demeurant reconnaissables. Ils constituent le décor de cet album plein d'humour tout en participant activement au récit. Un récit où se raconte l'éléphanteau, avec ses joies, ses soucis et ses peurs: sa trompe qu'il écrase en dansant mais dont il peut faire un turban, les conseils de ses copains pour mieux vivre avec son appendice nasal hors norme, ses rêves d'épater les fourmis ou ses craintes de s'être trompé d'histoire en rencontrant le petit Chaperon rouge au détour d'une page.
Autant de petites touches amusantes, emplies de finesse et de fantaisie, joliment rythmées, que met en valeur une illustration pétillante où alternent scènes sur fond de couleurs et images détourées. Un album vraiment jubilatoire. Pour tous, dès 4 ans."

Vingt ans plus tard, je partage toujours mon avis. Et je suis particulièrement enchantée que quatorze autres albums "Pomelo" aient rejoint le premier, dans tous les formats, dans tous les genres et parfois ailleurs qu'au potager initial (lire ici). Puissent les enfants des nouvelles générations découvrir les histoires du petit éléphant de jardin.

2002-2020.


L'illustrateur Benjamin Chaud célébrant les 20 ans de Pomelo.









 

mercredi 29 juin 2022

Congés, évasion, découvertes et... des livres


Cliquez ici ou sur l'image

 

Boum, vous avez fait un bond de trente-cinq ans dans le temps. Nous sommes en 1987 et la chanson de Desireless ne va plus vous quitter.

Pour revenir à aujourd'hui, cliquez ici.

 
La cinquième "Petite feuille de chou" pointe en effet le bout de son nez précisément aujourd'hui. Et elle est consacrée au voyage dans toutes ses formes. Publication en ligne du collectif des maisons d'édition jeunesse belges francophones À pas de loups, CotCotCot éditions, Esperluète, Kate'Art et Versant Sud, "la petite feuille de chou" se présente comme un élégant magazine papier mais en ligne (lire ici, ici et ici). Chaque numéro s'ouvre avec un article de fond sur plusieurs pages, confié à une personnalité de la littérature de jeunesse. Viennent ensuite les pages où les cinq maisons d'édition indépendantes présentent quelques-uns de leurs livres, fonds ou nouveautés, dans la thématique choisie. Le numéro se termine avec un article sur la littérature de jeunesse, les annonces de parution, l'agenda et le jeu-concours.


(c) La petite feuille de chou #5.

Au sommaire de cette riche cinquième livraison (quarante-six pages)
  • les lectures de vacances sur le thème des vacances et des voyages conseillées par Laurence Leffebvre, responsable du Centre de Littérature Jeunesse de La Louvière.
  • voyager pour se sentir livre, escapades ou inattendu, avec des albums A pas de loups
  • dans le jardin des grands-parents par les visions opposées de Léa Viana Ferreira et Dina Melkinova (CotCotCot Editions)
  • les vacances, partir, découvrir, se rencontrer, se balader, avec des auteures comme Céline Delabre ou Geneviève Casterman (Esperluète)
  • à la découverte des châteaux de la Loire et de la Provence de Vincent Van Gogh (Kate'Art)
  • partir à la recherche de soi-même avec l'auteure-illustratrice Teresa Arroyo Corcobado (Versant Sud)
  • filer à Taiwan en compagnie de Philippe Tzou de l'AWEX/Wallonie Bruxelles International et d'Angélique Lin de la librairie Maison Temps-Rêves à Taipei! Original et passionnant.

(c) La petite feuille de chou #5.



 





vendredi 24 juin 2022

Caravage, de la prostituée à la Vierge

"La Mort de la Vierge" (c) Musée du Louvre.

On peut admirer des tableaux et ne pas nécessairement avoir envie de plonger dans de longues biographies savantes sur leurs auteurs. On peut admirer un tableau et vouloir en savoir plus sur les circonstances de sa création. Née au printemps 2021, la collection "Le roman d'un chef d'œuvre" des Ateliers Henry Dougier a justement pour ambition de raconter la naissance d'un tableau, d'expliquer les liens entre la vie de l'artiste et l'acte de création. L'histoire de tableaux célèbres de différentes époques, dus à Michel-Ange, Goya, Bruegel, Manet, Klimt, Gauguin,.. se découvre dans des textes entre récit romanesque et enquête historique.

Ainsi Alain Le Ninèze signe-t-il un livre très plaisant et documenté, "Le dernier sommeil selon Caravage" (Ateliers Henry Dougier, 126 pages), où il fait découvrir le tour et l'alentour du célébrissime tableau "La Mort de la Vierge". Peint en 1606, le tableau fut commandé pour une église romaine qui, choquée, le refusa en finale. Il fut alors acheté par le duc de Mantoue via "notre" Pierre-Paul Rubens, alors en séjour en Italie et grand admirateur de l'Italien. Revendu ici et là, il arrivera finalement en France grâce au roi Louis XIV en 1671. Il est actuellement exposé au musée du Louvre (salle 712), tout près de la Joconde.

Fin connaisseur de l'époque, l'auteur nous entraîne dans l'atelier du Caravage (1571-1610) et dans la Rome du tout début du dix-septième siècle, entre plaisirs, rivalités, Inquisition et corruption. Le peintre ignore encore que "La Mort de la Vierge" (1606) sera le dernier tableau qu'il peindra dans cette ville qu'il aime tant et qu'il devra fuir. En effet, il choisit de représenter la Vierge sous les traits d'une prostituée retrouvée noyée dans le Tibre. Le côté agréablement littéraire du "Dernier sommeil selon Caravage", c'est qu'on découvre l'artiste et l'homme par le journal que tient son assistant du moment, Cecco del Caravaggio. La forme permet de se glisser discrètement dans le sillage des deux hommes, que ce soit à l'atelier, en promenade, en visite, à la taverne ou encore ailleurs. De nombreux dialogues émaillent le texte. On est réellement avec eux, dans le choix des couleurs, dans les bagarres, lors des enquêtes de la police... 

Peintre de génie, précurseur qui se guigne du qu'en-dira-t-on, Caravage travaille vite dès qu'il a en tête la vision de son tableau. L'homme a du cœur et une sensibilité extrême qu'il transforme en énergie créatrice. Il fréquente tous les milieux, la noblesse, le clergé comme les prostituées. Il est aussi un homme de valeurs et un bagarreur qui n'hésite pas à dégainer son épée pour défendre ses opinions. Cela lui vaut pas mal de blessures, d'ennuis et même de la prison dont il sort chaque fois grâce à de petits arrangements opérés par ses protecteurs, dont le pape Paul V et la marquise Costanza Colonna. Ce tableau marque toutefois le début de la descente aux enfers de Caravage, obligé de fuir Rome sans son assistant. Les trois dernières années de sa vie nous sont présentées en une dizaine de pages par des lettres adressées à Cecco del Caravaggio par Mario Minniti, un ancien proche du Caravage qui a repris du service auprès de lui lors de son exil à Naples.

Passionnant de bout en bout, prenant comme un polar lorsqu'on tente de découvrir les liens entre Caravage et la prostituée qu'il a représentée, interpelant par la description de la Rome d'alors, "Le dernier sommeil selon Caravage" est un superbe livre composant le portrait d'un homme dans son époque comme le feraient des pièces de puzzle. Un maître qui a vécu un purgatoire de trois siècles avant d'être réhabilité dans les années 1950.

Sur le site de la maison d'édition, Alain Le Ninèze explique la genèse de ce livre.
"J'ai été amené à écrire ce livre pour deux raisons. D'abord parce que j'aime passionnément Caravage, ce génial inventeur de la technique du clair-obscur que reprendront après lui des peintres aussi importants que Velasquez, Rembrandt, Vermeer et Georges de la Tour.
Ensuite parce que, déambulant un jour dans la Grande Galerie du Louvre, je me suis arrêté, intrigué, devant une toile intitulée "La Mort de la Vierge". Pourquoi Caravage avait-il donné ce nom à ce tableau montrant le corps sans vie d'une femme veillée par ses proches dans la chambre d'un modeste logis? C'est donc ainsi qu'il voyait Marie morte, la mère de Dieu que toute la peinture de la Renaissance avait montrée paisiblement endormie dans l'attente de monter au ciel dans la gloire de l’Assomption? Pourquoi ce choix étrange de l'artiste?
Je ne suis pas le premier à avoir été surpris. Les moines du couvent romain qui, en 1606, avaient commandé l'œuvre à Caravage, eux, ont été scandalisés. Ils l'ont été encore plus quand ils ont appris que le modèle du peintre avait été le cadavre d'une prostituée retrouvée noyée dans le Tibre… A tel point qu'ils ont refusé le tableau.
Ce scandale ne fut qu'un parmi d'autres dans l'œuvre de l'artiste, et aussi dans sa vie. Ami des prostituées et des mauvais garçons, irascible, toujours prompt à dégainer l'épée, Caravage est condamné la même année pour avoir tué un homme au cours d'une rixe. Il quitte Rome pour échapper à l'échafaud. Et à partir de là son destin bascule vers le tragique…
C'est cette période de sa vie que raconte le roman."

Pour lire en ligne un extrait du livre "Le dernier sommeil selon Caravage", c'est ici.


La collection "Le roman d'un chef d'œuvre" depuis sa création en avril 2021:
  • "Les heures suspendues selon Hopper", par Catherine Guennec
  • "De l'or dans la nuit de Vienne selon Klimt", par Alain Vircondelet
  • "La femme moderne selon Manet", par Alain Le Ninèze
  • "Les heures suspendues selon Hopper", par Catherine Guennec
  • "Sous le ciel immense selon O'Keeffe", par Catherine Guennec
  • "Les scandales d'un naufrage selon Géricault", par Philippe Langenieux
  • "Chemins sans issue selon Van Gogh", par David Haziot
  • "Un message de consolation selon Gauguin", par Marina Doux
  • "La vengeance divine selon Garouste", par Philippe Langenieux
  • "Le dernier sommeil selon Caravage", par Alain Le Ninèze
  • "Le géant des Florentins selon Michel-Ange", par Jean Lovera
  • "La mort en face selon Goya", par Sophie Doudet
  • "Les noces rouges selon Bruegel" par Jean-Yves Laurichesse

jeudi 23 juin 2022

Deux journées Tremplin au Wolf


Après deux ans d'absence, on sait pourquoi, le Wolf (Maison de la littérature jeunesse) organise à nouveau ses Journées Tremplin. Soit des rencontres entre éditeurs jeunesse et jeunes illustrateurs/trices. Attention, elles sont réservées aux illustrateurs/trices ayant publié trois albums jeunesse maximum (hors éditions à compte d'auteur) et aux étudiant(e)s qui suivent un Master en Illustration ou BD dans les différentes écoles d'Art de la Communauté française de Belgique.

Ces Journées Tremplin auront lieu les mercredi 29 et jeudi 30 juin dans les locaux du Wolf (20 Rue de la Violette à 1000 Bruxelles). Découpées en tranches horaire de vingt minutes, elles donnent l'occasion d'avoir un rendez-vous avec plusieurs éditeurs, ceci en fonction du nombre d'inscrits évidemment. Il est impératif que les candidats viennent avec un ou plusieurs projets éditoriaux et leur book. Il est chaudement recommandé de s'informer au préalable sur les éditeurs présents afin de choisir ceux correspondant à leurs projets.

Présence des maison d'édition


CotCotCot Editions
  • Mercredi 10h-13h
  • Jeudi 10h-13h

Pastel
  • Mercredi 10h-13h
  • Mercredi 14h-17h

A pas de loups
  • Mercredi 10h-13h 
  • Mercredi 14h-16h

Casterman
  • Mercredi 10h-13h
  • Jeudi 14h-16h

Versant Sud Jeunesse
  • Jeudi 10h-13h
  • Jeudi 14h-15h

Phileas & Autobule
  • Mercredi 10h-13h
  • Mercredi 14h-15h

Didier Jeunesse
  • Mercredi 10h-13h
  • Jeudi 14h-16h

Alice Jeunesse
  • Jeudi 10h-13h 
  • Jeudi 14h-17h

C.F.C. Éditions
  • Mercredi 10h-13h
  • Jeudi 10h-13h

64_page
  • Jeudi 14h-17h

Rue du Monde
  • Jeudi 10h-13h
  • Jeudi 14h-17h

Pour participer aux Journées tremplin, il faut envoyer un mail à  info@lewolf.be en indiquant les noms des éditeurs à rencontrer par ordre de préférence et ses disponibilités horaires. Il reste actuellement des places. Informations complémentaires au +32(0)2.512.12.30. 



lundi 20 juin 2022

Isabelle et Ibrahim se sont trouvés au bord de leurs chemins d'exil

Maïa Kanaan-Macaux. (c)  Astrid Di Collalanza.

Exilés, demandeurs d'asile, réfugiés, le mot est en général utilisé au pluriel. Normal. Il l'est aussi en couverture du second roman de Maïa Kanaan-Macaux (Julliard, 186 pages), le très beau, engagé et citoyen "Les réfugiés". Mais ici, ils ne sont que deux, la Française Isabelle et le Guinéen Ibrahim dont les voix alternent de chapitre en chapitre. Une adulte d'ici et un mineur de là-bas dont les routes vont se croiser par hasard durant leurs errances respectives. Leur rencontre donne un roman différent sur les réfugiés (lire ici), un pied dans leur monde, l'autre dans celui de Monsieur ou Madame Tout-le-monde.

Ayant quitté soudainement son mari et son travail d'enseignante, Isabelle descend vers le sud, sans but précis. Lors d'une halte, elle croise Ibrahim, qui a quitté son pays pour venir en aide à sa famille. Est arrivé en France en payant des passeurs. Elle le recroise, s'attache à lui, se prend à vouloir défendre ce gamin englué dans les règlements en matière d'asile. Une cause nouvelle pour elle. Pas si nouvelle puisqu'elle a aussi quitté sa campagne natale pour vivre en exil dans une grande ville. Rien de comparable bien entendu dans leurs situations. La détresse d'Ibrahim la touche et l'obligera aussi à s'affronter elle-même, à savoir pourquoi elle a voulu "s'éloigner de son existence", partir ailleurs. Ces deux errants vont faire un bout de chemin ensemble, chacun enrichissant l'autre. 

"J'ai écrit ce livre", m'expliquait Maïa Kanaan-Macaux lors de son passage à Bruxelles, "pour les gens qui ne connaissent rien aux réfugiés MENA (mineur étranger non accompagné) et à la question de la migration. J'ai envie qu'ils fassent le chemin avec le gamin, qu'ils le comprennent, qu'ils le connaissent, qu'ils le reconnaissent."

De fait, le roman nous fait suivre le parcours d'Ibrahim, sa terrible histoire qu'il est sommé de répéter à de multiples reprises, un parcours entre la Guinée et la France, les séances chez l'avocate, chez le juge, la menace d'expulsion, le recours, et également ces rencontres qui peuvent sauver un destin. En l'occurrence, Jean, l'oléiculteur local pour le boulot, Isabelle pour le soutien moral. Si on passe par toutes les angoisses que vivent les demandeurs d'asile et leurs hébergeurs, la fin du livre est ouverte. "J'ai vécu moi-même une histoire avec un jeune migrant qui ne s'est pas bien terminée. Je voulais faire quelque chose de cette colère. La littérature permet de raconter des histoires fictives en s'ancrant dans le réel. Le parcours des MENA est connu, le vivre intimement est affreux."

"Les exilés" se déroule en France, il pourrait tout autant avoir la Belgique pour cadre tant les procédures et les règlements sont similaires. L'histoire d'Ibrahim est au centre du roman, mais comme le livre est une fiction et non un témoignage, on découvre aussi le destin d'Isabelle, ses rêves, ses échecs, ses réflexions, ses décisions. Un lecteur peu coutumier de l'hébergement des mineurs pourra ainsi s'interroger sur ses apriori, sur ses idées toutes faites. "Il y a une montée du FN qui est très effrayante", me disait la romancière, bien avant les élections présidentielles. "Aussi bien dans la société civile que dans les autres courants politiques. Mais il faut dire NON. Il y a des droits fondamentaux. Il y a des conventions. On ne peut pas s'en abstraire."

Voilà un roman qui réjouira les hébergeurs et les hébergeuses car tout y est vrai. L'envie de bien faire, les incompréhensions, les couacs dans la relation, les colères et le découragement, le yoyo de la joie et du désespoir, les démarches fastidieuses, les exigences des autorités impossibles à honorer... Ils s'y reconnaîtront.

Voilà un roman qui pourra ouvrir le cœur et l'esprit de ceux qui s'inquiètent de l'arrivée de demandeurs d'asile. La situation n'y est en rien idéalisée. On y trouve la réalité imposée par des lois qui ne sont plus justes. Et Maïa Kanaan-Macaux s'engage, faisant ainsi notamment dire à l'avocate d'Ibrahim: "A défaut de pouvoir empêcher qu'on construise des frontières de plus en plus hautes qui font de la Méditerranée un sanctuaire, qui valide le fait que des adolescents errent dans nos rues sans protection, tout en laissant entrer et prospérer des sociétés qui ne paient pas d'impôts et s'arrogent le droit de faire travailler ces mêmes hommes et ces mêmes femmes dans des conditions dignes de pays auxquels on donne des leçons de morale, je peux faire mon travail. (...) Personne ne quitte sa maison à moins que sa maison ne soit la gueule d'un requin."

Roman rude et lumineux, économe en mots pour laisser le pouvoir à l'imagination, "Les exilés" avance en deux voix, la bonne idée d'écriture. "Au départ, Isabelle racontait tout", se rappelle l'auteure. "Mais cela n'allait pas. J'ai décidé alors de donner sa voix à chacun de mes deux personnages. Il n'est pas facile de parler à la place d'un gamin guinéen de quinze ans. Ce n'est pas grave s'il y a un décalage avec Isabelle, beaucoup plus âgée, qui est aussi en fragilité. Elle n'est pas militante. Elle ne revendique rien. Cette histoire lui tombe dessus. Je voulais que le lecteur puisse s'identifier à elle. Elle, fragile, mais qui sort de sa zone de confort et qui découvre sa capacité à s'ouvrir." Combien y a-t-il d'Isabelles qui s'ignorent?






















vendredi 17 juin 2022

Voyager en couvertures imaginaires

Lionel Koechlin pour l'expo "The Traveler".

Très belle exposition
intitulée "The Traveler" à partir d'aujourd'hui et jusqu'au 27 août à la galerie Huberty & Breyne au 33 de la place du Châtelain (Bruxelles). Une cinquantaine d'artistes, dessinateurs, illustrateurs jeunesse, affichistes et auteurs de bande dessinée, ont été invités à créer la couverture d'un magazine imaginaire intitulé "The Traveler", où ils proposent un voyage dans un lieu qui leur est cher. Bien entendu dans l'esprit et dans la forme du célèbre magazine américain "The New Yorker", fondé en 1925 et qui sort actuellement 46 fois par an. Une formule déclinée déjà à plusieurs reprises avec succès ("The Parisianer", "The Tōkyōiter", "Le Montréaler", "The Londoner", "The Brusseler", etc.).

Le moins qu'on puisse dire de cette exposition, considérable par la qualité des artistes comme par le nombre d'œuvres exposées, c'est qu'elle en jette, ravit et enchante! En effet, la galerie expose les couvertures des différents artistes, ainsi que l'œuvre originale qui en a permis la réalisation. En supplément aux cimaises, une centaine de "unes" inédites, non publiées.



Rébecca Dautremer. (c) The Traveler.

Si Bruxelles, Paris, New York et Berlin sont des villes très aimées et donc très présentes, on voyage aussi un peu partout dans le monde dans ces merveilles de dessins. Et ce sans aucune empreinte carbone. L'Italie, la Grande-Bretagne, l'Ecosse, l'Asie, l'Ukraine figurent aussi parmi les destinations appréciées, proposant le lien de cœur de l'artiste avec l'une ou l'autre ville.

New York, Christophe Chabouté. (c) The Traveler.

New York, Laurent Durieux. (c) The Traveler.

New York, Louis Joos. (c) The Traveler.

Localisation bruxelloise oblige, on tombe à l'entrée de la galerie sur les contributions de Philippe Geluck et Jannin & Liberski. Mais ils ne sont pas les seuls Belges à avoir été sollicités. On croise plus loin les noms de Louis Joos, Josse Goffin, Eric Lambé, David Merveille ainsi que ceux de Tom Schamp, Ever Meulen ou Brecht Vandenbroucke. On notera toutefois que plusieurs des couvertures sur Bruxelles avaient déjà été présentées lors de l'exposition "The Brusseler" en mars 2021.

Bruxelles: Beppe Stasi, Philippe Geluck, Josse Goffin, Régis Lejonc, David Merveille.
(c) The Traveler.

Ce qui est très amusant et intéressant dans l'exposition "The Traveler", c'est de confronter ses connaissances graphiques aux œuvres exposées, que l'on soit proche de la bande dessinée ou de la littérature de jeunesse. Les représentants des deux genres sont bien présents et on est enchanté de découvrir leurs rêves de voyage. Pour la littérature de jeunesse par exemple, Rébecca Dautremer rafraîchit Paris avec un Paname à la montagne, Olivier Balez se reconnaît à ses couleurs posées sur l'île de Pâques tout comme Nathalie Novi qui nous invite à Arezzo en Toscane. On identifie Carole Chaix à ses traits, Jeanne Macaigne à ses couleurs, Lionel Koechlin à son tremblé coloré, François Roca à ses portraits de femmes. La bande dessinée est bien présente aussi avec la regrettée Dominique Corbasson, Nicolas de Crécy, Miles Hyman, Jean-Claude Götting, Loustal, Alain Lachartre pour les plus anciens, de nombreux artistes plus jeunes étant également présents.

Miles Hyman. (c) The Traveler.

Nathalie Novi. (c) The Traveler.

Tom Schamp. (c) The Traveler.


Participent à "The Traveler", par ordre alphabétique

  • Alfred
  • François Avril
  • Benjamin Bachelier
  • Olivier Balez
  • Théo Bouvier
  • Brüno
  • Christophe Chabouté
  • Carole Chaix
  • Jérémie Claeys
  • Dominique Corbasson
  • Rébecca Dautremer
  • Dominique David
  • Nicolas de Crécy
  • Laurent Durieux
  • Manuele Fior
  • Filippo Fontana
  • Philippe Geluck
  • Jean-Claude Götting
  • Josse Goffin
  • Jorge Gonzalez
  • Maran Hrachyan
  • Miles Hyman
  • Alexandra Huard
  • Jannin & Liberski
  • Martin Jarrie
  • Mickael Jourdan
  • Louis Joos
  • Lionel Koechlin
  • Alain Lachartre
  • Eric Lambé
  • Régis Lejonc
  • Loustal
  • Jeanne Macaigne
  • Manara
  • Jean-François Martin
  • Matteo
  • David Merveille
  • Ever Meulen
  • Hugues Micol
  • Nathalie Novi
  • Nylso
  • François Roca
  • Tom Schamp
  • Andrea Serio
  • Beppe Stasi
  • Brecht Vandenbroucke
  • Danijel Zezelj

Trois des huit couvertures proposées pour le catalogue.

Un catalogue de l'exposition "The Traveler" est en vente à la galerie, proposant huit images de couverture différentes.


Pratique
Galerie Huberty & Breyne Bruxelles Châtelain
33 place du Châtelain
1050 Bruxelles
+32 (0)2 893 90 30
Du mardi au samedi de 11 à 18 heures.

mercredi 15 juin 2022

Se souvenir du cycle de la vie


La veille du solstice d'été, le soir du lundi 20 juin, la compagnie Albertine clôt la saison Portées-Portraits 2021-2022 par une activité au carré et en un autre lieu. La lecture-spectacle musicale habituelle sera précédée par un atelier d'écriture-illustration, le tout se déroulant dans le cadre charmant du jardin de la Maison des Arts de Schaerbeek. Les horaires habituels sont donc légèrement modifiés.


Valérie Rouillier et Geneviève Damas.

De 18 à 20 heures, un atelier d'écriture-illustration sur le thème "Je me souviens" sera animé conjointement par Geneviève Damas, auteure et comédienne, et Valérie Rouillier, illustratrice du recueil de Violaine Lison "Ce soir, on dort dans les arbres" (Esperluète).


Violaine Lison et Victoire de Changy (c) Ornella Somma et Lou Verschueren.

A 20h15 commencera la lecture-spectacle musicale croisée des recueils de Victoire de Changy et de Violaine Lison, "La paume plus grande que toi" (L'arbre de Diane) et "Ce soir, on dort dans les arbres" (Esperluète). Le premier évoque les mystères de la maternité, le second parle avec tendresse et humour des dernières semaines d'une grand-mère. Cette double lecture évoquant le cycle de la vie sera lue et accompagnée au violon par Pénélope Guimas et Juliette Tracewski, dans une mise en voix de Candy Saulnier.

Cette fois, c'est à l'issue de la lecture-spectacle que les auteures Victoire de Changy et Violaine Lison rencontreront le public. Un verre sera alors offert.


Le jardin de la Maison des Arts de Schaerbeek.

Pratique
Quand? Le lundi 20 juin.
Où? A la Maison des Arts, 147 chaussée de Haecht à 1030 Bruxelles.
A quelle heure? Atelier d'écriture-illustration à 18 heures (durée 2 heures). Lecture-spectacle à 20h15 (durée 1 heure). Rencontre avec les auteures à l'issue de la lecture-spectacle
Combien? 20 euros pour l'atelier d'écriture illustration et la lecture-spectacle.
8 euros pour la lecture-spectacle (avec un verre offert). A verser sur le compte BE94 2100 9673 4314 en indiquant nom et nombre de places.
Réservation indispensable: reservations.compagniealbertine@gmail.com





mardi 14 juin 2022

Là-haut sur la montagne


N'y-a-t-il que les hommes et les bêtes à l'alpage? (c) Helvetiq.

Des montagnes découpées, un inquiétant ciel rouge et une silhouette de femme qui court. La couverture du nouvel album du jeune auteur de bande dessinée suisse Fabian Menor frappe davantage que son titre, "Derborence" (Helvetiq, collection "Ramuz graphique", 140 pages). Trois syllabes qui parleront toutefois à l'amateur de géographie car c'est un lieu du Valais suisse, à l'amateur d'histoire car il s'y déroula une tragédie il y a plus de trois siècles et au lettré car ce drame a inspiré l'immense écrivain suisse Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947). Publié en 1934, "Derborence", un de ses derniers romans donne la trame de ce splendide roman graphique dont la lecture coupe le souffle. Par son histoire, ses histoires plutôt, et par son traitement graphique de toute beauté. Si Fabian Menor est entré en littérature par la jeunesse (lire ici), ce nouveau travail qui le consacre est destiné aux ados et aux adultes.
Comment expliquer que Charles-Ferdinand Ramuz soit si peu connu en Belgique? Il n'y a que 800 kilomètres entre Derborence et Bruxelles. Je me souviens encore des gloussements de joie de ma consœur vespérale qui parcourait les deux volumes de ses romans parus dans la Bibliothèque de la Pléiade en 2005. Mieux faire connaître les auteurs helvètes était évidemment une des missions du festival Allegra, quinzaine du livre suisse en Belgique qui vient de se terminer (lire ici et ici).
Près de cent ans après Ramuz, plus de trois cents ans après le drame, Fabian Menor crée avec "Derborence" un formidable pont entre passé et présent. "Le livre est une commande des éditions Helvetiq", m'explique le dessinateur, 25 ans, passager de l'allègre Blablabus. "Elles ont décidé de se lancer dans la bande dessinée avec la collection "Ramuz graphique". Pour cela, elles ont choisi trois de ses livres qu'elles ont confiés à trois dessinateurs différents. J'inaugure la collection." 

Fameuse inauguration car "Derborence" est un album aussi beau que fort dont la lecture bouleverse. Nous sommes en 1714 dans le Valais. Dans la montagne d'alors, vide, silencieuse, refuge d'un diable et de ses diabletons. Comme chaque printemps, les hommes montent les vaches à l'alpage de Derborence. Les femmes et les enfants restent au village. Les couples doivent se séparer, les familles se partager. Telle est la vie là-bas. Jusqu'à cette nuit où la montagne s'écroule sur l'alpage, tuant hommes et animaux. En bas, c'est le deuil et le désespoir. Sauf pour Thérèse, jeune mariée, enceinte, qui ne veut pas croire à la mort de son Antoine. Elle ignore alors quel mari elle va voir revenir un jour de cet enfer, hébété, hagard, persuadé qu'il a abandonné Séraphin, son vieux compagnon, et résolu à le retrouver. Quand le futur père repart dans cette montagne ennemie, hantée par un fantôme, la future mère sait ce qu'elle va faire, envers et contre tous. Parce que Thérèse est la vie et l'amour.

Thérèse, sûre d'elle. (c) Helvetiq.

Histoire poignante et intemporelle, le "Derborence" de Charles-Ferdinand Ramuz explose dans ce puissant roman graphique. On sent que Fabian Menor s'est rendu sur les lieux du roman, s'en est imprégné. "Derborence est un lieu touristique", dit-il. "Le Valais y apparaît dans toute sa splendeur, avec ses forêts, ses montagnes. J'ai été séduit par l'aspect du lieu et par le côté littéraire du texte. C'est à la fois une histoire vraie, celle d'un éboulement, et une histoire d'amour et de confiance."
"Je connaissais Ramuz, j'ai découvert son écriture. J'ai lu le livre sans appréhension de la grande figure littéraire qu'il est. Il y a beaucoup de liberté chez Ramuz. J'ai essayé d'avoir la même liberté pour moi. J'ai d'abord lu le texte comme un lecteur lambda. Puis je l'ai relu pour choisir les passages les plus intéressants. Enfin j'en ai fait un récit qui est ma vision du livre. Lors du découpage, j'ai créé un effet d'entonnoir pour chaque scène. J'ai fait mes choix instinctivement, en me laissant aller. Personne ne sait exactement d'où vient l'inspiration."
Superbe réussite que cet album qui porte le récit par le texte comme par l'image et le découpage. Toute en tons de noir bleuté, l'excellente scène de l'éboulement se poursuit sur plusieurs doubles pages, violentes à l'égal des éléments furieux. "Pour ce livre, j'ai travaillé à l'encre de Chine pour le noir et en lavis pour les gris. La couleur est numérique", commente l'illustrateur. Fabian Menor joue sur toutes les ressources du roman graphique pour rythmer son récit, pages à deux, trois, quatre, cinq ou six cases, pleines pages à bord parfois perdu, choix des couleurs. Celles-ci distinguent les scènes du haut où planent les superstitions et les scènes d'en bas où la vie va. Après la nuit de bruit, de fumée, de stupeur d'où émergent des survivants et où sont comptés les absents, les couleurs coulent de noir en gris, de gris en sépia. Toujours justes, les tons s'allument et s'éteignent selon les épisodes. "J'ai voulu qu'il y ait beaucoup de pages en cases car il y a beaucoup d'histoires et j'ai voulu beaucoup de pages avec des paysages parce que c'est cela, ce coin du Valais. J'ai placé les ambiances couleur que "Derborence" m'inspirait. Je ne pratique pas le coloriage à la Tintin. Pour moi, la couleur est à la fois une émotion et un personnage du livre."

(c) Helvetiq.
"Derborence"
est aussi une magnifique histoire d'amour. "Quelle foi cette femme a en la survie de son mari! Il y a des fantômes aussi, des mystères, des diablotins, c'est l'époque qui veut cela. Mais quelle force, quelle force que son amour! Il n'y a pas de gestes tendres dans le couple dans le livre original, à l'inverse de la bande dessinée où je les ai représentés. L'éboulement a été comme la fin du monde là-bas, le bruit terrible de la falaise qui se détache, le peu d'infos qui ont circulé. Cela a été une forme d'enfer sur terre." Adapté par Fabian Menor, "Derborence" ouvre magnifiquement la collection "Ramuz graphique". 





jeudi 9 juin 2022

Il y avait les mots, puis il y eut les chiffres

LU & approuvé

Geneviève Brisac. (c) Jean-François Paga/L'Olivier.


"Un dos étroit, des cheveux fous", Geneviève Brisac nous propose un formidable nouveau roman où l'on retrouve Nouk, son double littéraire, son porte-voix. Le roman d'une vie au travail. Le roman de sa vie au travail. En vingt-trois chapitres titrés avec un panache parfois sarcastique, la romancière nous partage ses ruses de vie. "Pour survivre, il ne faut ni obéir, ni désobéir", écrit-elle. "Il faut ruser." Et ses citations préférées bien entendu. "Les enchanteurs" (Editions de L'Olivier, 192 pages) apparaît comme un texte de liberté après quelques années plus sombres. N'est-ce pas une phrase d'Anne Sylvestre qui l'introduit?

C'est la sixième fois que Geneviève Brisac, une vingtaine de livres -  principalement des romans  - en littérature adulte, une trentaine en jeunesse, appelle Nouk pour se dire (*). On la découvre aux études, arrivant dans son "carrosse", une 4L de couleur bronze, à Fontenay, découvrant sa chambre cellule. "Tout est toujours plus triste chez les filles que chez les garçons." On la voit écouter le Pop Club de José Arthur, se découvrir une conscience politique grâce aux Chiliens. Croire au pouvoir des mots. 

En quelques paragraphes, on retrouve tout l'art littéraire de Geneviève Brisac. Son attention aux petites choses pour faire comprendre les grandes sans devoir les dire. Sa plume légère, qui virevolte mais peut soudainement mordre. Son choix de parler en "je" ou en "elle" avec Nouk, alternance attrayante. Sa défiance devant la misogynie et, corollaire, son féminisme. Son ton faussement désinvolte qui cache une extrême sensibilité.

En suivant d'un bout à l'autre la carrière de Nouk, c'est l'évolution du monde du travail et celui de l'édition qu'elle connaît intimement en particulier que la romancière passe à son élégant et efficace scalpel. A dix-huit ans, l'idéaliste jeune femme pensait vivre, aimer, espérer, créer, vibrer. "La passion des mots et des livres ne me quittera plus jamais, j'en suis sûre." Elle va vivre, aimer, espérer, avoir deux enfants, créer, vibrer, et aussi morfler. Le métier change, même chez les plus vertueux. L'édition qui publiait des livres de mots auxquels les éditeurs croyaient glisse sur une pente où elle fabrique des livres dont les chiffres doivent clignoter en doré dans les bilans comptables.

Pourtant, Nouk avait cru en Olaf. Mais ce premier éditeur s'est rapidement séparé d'elle. Elle s'est relancée avec Werther, grand éditeur, excentrique et visionnaire. Cela finira mal aussi. Geneviève Brisac nous confie tout cela d'un air léger, faussement désinvolte, qui décrypte une brutalité feutrée et une misogynie généralisée. Un livre sur le travail lucide, romançant son histoire personnelle dans de rutilantes clés à décrypter. Un roman cinglant que ce soit à propos de la profession, du pouvoir dans l'entreprise, du sexe au travail ou de la place des femmes a fortiori quand elles sont mères.

Il y a de la désillusion, de la colère et de la mélancolie dans "Les enchanteurs" mais le roman est aussi et surtout une merveille d'écriture dont chaque phrase se savoure, composant une ode à la résistance et une célébration de la vie. De son ton piquant, Geneviève Brisac épingle les travers des uns, des unes et des autres. On ne peut s'empêcher de sourire et de rire. De s'insurger qu'une femme comme Nouk soit sacrifiée au nom de la "cause". Nombreuses seront les femmes qui se sentiront moins seules après avoir lu "Les enchanteurs". La lucidité donne une force intérieure sur laquelle aucun patron n'a de prise. Nouk le sait, Nouk le vit, Nouk nous l'offre.



(*) On a vu Nouk, alter ego littéraire ou porte-voix de la romancière dans 
  • "Les filles" (Gallimard, 1987)
  • "Petite" (L'Olivier, 1994)
  • "Week-end de chasse à la mère" (L'Olivier, prix Femina 1996)
  • "Voir les jardins de Babylone" (L'Olivier, 1999)
  • "52 ou la seconde vie" (L'Olivier, 2007)
D'autres notes sur Geneviève Brisac ici.



mardi 7 juin 2022

Ernest et Célestine encore massacrés

LU & déploré

Mais quelle mouche pique-t-elle les éditeurs? Dupuis veut faire refaire Gaston Lagaffe par un Delaf qui n'a rien compris à l'esprit d'André Franquin même s'il s'en sort sur le plan graphique. Casterman en est déjà à son onzième album, en cinq ans, de la collection issue de la série animée inspirée d'Ernest et Célestine sur France 5. J'avais occulté les dix précédents, merci Freud. Le onzième est devant moi, "Ernest et Célestine, La fête des fleurs" (Casterman, 32 pages). Je me suis étranglée en voyant la couverture. Tellement sans rapport avec les personnages originaux.

Le texte est, comme pour certains des épisodes précédents, d'Alexandra Garibal. A qui attribuer les images? A Gabrielle Vincent, pseudonyme que prenait Monique Martin quand elle faisait de la littérature de jeunesse, qui a inspiré la série animée? Difficile tant elles sont laides. Comme sont laids tous les albums dont les illustrations sont des images de dessins animés inspirés d'albums aux dessins exquis - le procédé est apparu avec l'animation numérique.

Quant au scénario, il est à pleurer. Et j'en ai pleuré. De rage devant sa bêtise et de désespoir devant la négation d'une œuvre d'une qualité extraordinaire, sur le fond comme sur la forme. J'aime passionnément les livres de Gabrielle Vincent (lire ici) et les enfants d'aujourd'hui y sont toujours aussi sensibles que ceux d'hier et d'avant-hier. "La fête des fleurs" n'a rien à voir avec l'annonce qui en est faite, "une histoire fidèle à l'univers de Gabrielle Vincent, teintée d'humour et d'une immense tendresse". Quelle est la fête des fleurs annoncée en titre? Une fête de souris, à laquelle les ours sont interdits. Même si Ernest y est finalement toléré, condition pour que Célestine s'y rende, il y accumule bêtises et stupidités, à l'opposé du personnage original. A tel point qu'il quitte les festivités puis y revient pour commettre d'autres impairs. Pauvre Gabrielle Vincent. Je suis tellement désolée que ce genre de livres puisse être imaginé, occultant son talent et son esprit plutôt que le célébrant. Je l'écrivais déjà à la sortie du roman et puis du film d'Ernest et Célestine (lire ici et ici en fin de note). Et dire que cette série d'albums est faite avec l'accord de la Fondation Monique Martin! Je persiste à penser que les vingt-cinq albums pour enfants que Gabrielle Vincent a créés sont ses seuls ambassadeurs valables. Encore faut-il que les enfants en connaissent l'existence et y aient accès.

L'invitation à la fête. (c) Casterman.


Et comme un malheur n'arrive jamais seul, on nous annonce la sortie d'un second long métrage à la fin de l'année, "Ernest et Célestine: Voyage en Charabie", réalisé par Julien Chheng et Jean-Christophe Roger, où on retournera au pays d'Ernest, la Charabie, où la musique est interdite.


lundi 6 juin 2022

Joie! L'écrivain belge Antoine Wauters lauréat du prix du Livre Inter 2022


L'écrivain et poète belge Antoine Wauters (lire ici), 41 ans, a remporté la 48e édition du prix du Livre Inter ce lundi 6 juin avec son quatrième roman, le magnifique "Mahmoud ou la montée des eaux" à la forme peu conventionnelle mais tellement naturelle à la lecture (Verdier, 144 pages). Présidé par Delphine de Vigan, le jury composé de douze auditeurs et de douze auditrices de la radio publique française a rapidement choisi cet ouvrage parmi les dix qui lui étaient proposés. "Le texte a énormément touché les lecteurs, il y a beaucoup d'émotion, certains ont éprouvé le besoin de nous lire des passages à voix haute pendant les 4h30 de délibérations", a déclaré Delphine de Vigan. "C'est un livre qui a manifestement touché (...) A travers ces échanges, ce sont aussi des convictions différentes de la littérature qui s'opposent. Même si le texte d'Antoine Wauters a été très vite plébiscité, on s'est vraiment interrogés tous ensemble sur ce qu'on attendait des livres."

La sélection 2022.

Ce n'est pas la première récompense pour "Mahmoud ou la montée des eaux", sorti à la rentrée littéraire 2021. Pour ce livre, Antoine Wauters a notamment déjà reçu le prix Wepler - Fondation La Poste (autres sélections et palmarès de haute volée littéraire, lire ici), le prix Marguerite-Duras, le prix des libraires Payot.

Ouvrage complètement hors des clous, roman poétique écrit en vers libres, "Mahmoud ou la montée des eaux" traite de la guerre en Syrie, touche et enchante au-delà de toute ce que peut faire un roman habituel ou un essai. On est avec ce vieux Syrien dans sa barque à rames au milieu d'une immense étendue d'eau. Il sait qu'en dessous de lui se trouve sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973. Partout autour de lui, c'est la guerre. Alors, muni d’un masque et d'un tuba, il va plonger. Et on va plonger. Il va ainsi revoir sa vie entière, ses enfants au temps où ils n'étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté. Et on avec lui, vieil homme dans la guerre.

"Je me suis dit que j'allais écrire l'histoire de la Syrie à travers la voix de ce vieil homme, en le laissant plonger dans ses souvenirs et les eaux de ce lac, avec une parole extrêmement simple, poétique", a expliqué Antoine Wauters à Eva Bettan de France Inter. "J'avais envie d'essayer de montrer en quoi la guerre est un engloutissement. Pour moi c'est une image très simple: un vieil homme sur une barque qui descend dans son passé."

Formidable bibliothèque que les lauréats des quarante-huit éditions du prix du Livre Inter. Antoine Wauters est le deuxième lauréat belge, après Henry Bauchau en 2008.


Palmarès
  • 2022 Antoine Wauters "Mahmoud ou la montée des eaux" (Verdier)
  • 2021 Hugo Lindenberg "Un jour ce sera vide" (Christian Bourgois).
  • 2020 Anne Pauly "Avant que j'oublie" (Verdier)
  • 2019 Emmanuelle-Bayamack-Tam "Arcadie" (P.O.L.)
  • 2018 David Lopez "Fief" (Seuil)
  • 2017 Jean-Baptiste Del Amo "Règne animal" (Gallimard)
  • 2016 Tristan Garcia "7" (Gallimard)
  • 2015 Valérie Zenatti "Jacob, Jacob" (L'Olivier)
  • 2014 Céline Minard "Faillir être flingué" (Rivages)
  • 2013 Alice Zeniter "Sombre dimanche" (Albin Michel).
  • 2012 Nathalie Léger "Supplément à la vie de Barbara Loden" (P.O.L.)
  • 2011 Olivia Rosenthal "Que font les rennes après Noël?" (Verticales)
  • 2010 Cloé Korman "Les hommes-couleurs" (Seuil)
  • 2009 Mathias Enard "Zone" (Actes Sud)
  • 2008 Henry Bauchau "Le boulevard périphérique" (Actes Sud)
  • 2007 François Vallejo "Ouest" (Viviane Hamy)
  • 2006 Jean Baptiste Harang "La chambre de la Stella" (Grasset)
  • 2005 Joël Egloff "L'Etourdissement "(Buchet-Chastel)
  • 2004 Patrick Lapeyre "L'homme-sœur" (P.O.L.)
  • 2003 Pierre Péju "La petite chartreuse" (Gallimard)
  • 2002 Christian Gailly "Un soir au club" (Minuit)
  • 2001 Laurent Mauvignier "Apprendre à finir" (Minuit)
  • 2000 Antoine Volodine "Des anges mineurs" (Seuil)
  • 1999 Ahmadou Kourouma "En attendant le vote des bêtes sauvages" (Seuil)
  • 1998 Martin Winckler "La maladie de Sachs" (P.O.L.)
  • 1997 Nancy Huston "Instruments des ténèbres" (Actes Sud)
  • 1996 Agnès Desarthe "Un secret sans importance" (L'Olivier)
  • 1995 Jean-Noël Pancrazi "Madame Arnoul" (Gallimard)
  • 1994 Robert Bober "Quoi de neuf sur la guerre?" (P.O.L.)
  • 1993 Frédéric Boyer "Des choses idiotes et douces" (P.O.L.)
  • 1992 Agota Kristof "Le troisième mensonge" (Le Seuil)
  • 1991 Nina Bouraoui "La voyeuse interdite" (Gallimard)
  • 1990 Daniel Pennac "La petite marchande de prose" (Gallimard)
  • 1989 Philippe Hadengue "Petite chronique des gens de la nuit dans un port de l'Atlantique Nord" (Maren Sell)
  • 1988 François Salvaing "Misayre! Misayre!" (Balland)
  • 1987 Jean Raspail "Qui se souvient des hommes" (Robert Laffont)
  • 1986 René Belletto "L'enfer" (P.O.L.)
  • 1985 Jean-Jacques Brochier "Un cauchemar" (Albin Michel)
  • 1984 Marek Halter "La mémoire d'Abraham" (Robert Laffont)
  • 1983 Hortense Dufour "Le bouchot" (Grasset)
  • 1982 Marcel Schneider "La lumière du Nord" (Grasset)
  • 1981 Marguerite Gurgand "Les demoiselles de Beaumoreau" (Mazarine)
  • 1980 Elie Wiesel "Le testament d'un poète juif assassiné" (Seuil)
  • 1979 Béatrix Beck "La décharge" (Le Sagittaire)
  • 1978 Daniel Boulanger "L'enfant de bohême" (Gallimard)
  • 1977 Agostin Gomez Arcos Ana Non (Stock)
  • 1976 Jacques Perry "Le Ravenala ou l'arbre du voyageur"(Albin Michel)
  • 1975 Catherine d'Etchea "Des demeures et des gens" (La Table Ronde)

vendredi 3 juin 2022

Deux jours belgo-suisses à Bruxelles

Maeva Rubli, Catherine Daele
Anne Herbauts, Germano Zullo.

Comment choisir dans l'alléchant programme Allegra des éditeurs et auteurs suisses qui sillonnent la Belgique en ce moment à bord de leur Blablabus (lire ici)? Au "vogelpik" comme on dit à Bruxelles? Nooooon. Selon "affinités"? Ouuuuiiiiii.

Pour moi, ce sera donc en tout cas un jeudi 9 juin littérature de jeunesse et bande dessinée en trois étapes et un vendredi 10 juin entre traduction et vénération.

Jeudi 9 juin


14 heures
"Rituels"

Maison européenne des Auteurs et des Autrices (MEDAA)
Rue du Prince Royal 87, 1050 Bruxelles

Quels sont les rituels d'écriture des écrivains et des écrivaines? Sont-ils les mêmes en Suisse et en Belgique? Table ronde autour de ces questions avec quatre artistes de littérature jeunesse, deux Belges, deux Suisses, les écrivains Catherine Daele (B) et Germano Zullo (S), les auteures-illustratrices Anne Herbauts (B) et Maeva Rubli (S).

Pour s'y préparer, on peut écouter les podcasts "Alinéas" (ici) où Aurore Engelen interroge sur la place que l'écriture prend dans leur vie Joëlle Sambi, Céline Delbecq, Anne Herbauts et Philippe Marczewski.


16 heures
"Exils"

Maison européenne des Auteurs et des Autrices (MEDAA)
Rue du Prince Royal 87, 1050 Bruxelles

Barrack Rima, Isabelle Pralong.
Comment représenter les frontières et leur franchissement, qu'elles soient géographiques, mentales, physiques ou de genre? Dialogue entre l'artiste Barrack Rima (BD et cinéma), né à Tripoli au Liban en 1972 et établi à Bruxelles où il étudié la BD et l'illustration à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles et le cinéma à l'IAD à Louvain-la-Neuve et la bédéiste suissesse Isabelle Pralong, auteure de l'album multiprimé "Polly" (avec Fabrice Melquiot, La joie de lire, lire ici), retraçant le chemin de quelqu'un qui est né ni fille ni garçon.


20 heures 30
"Duos graphiques"

Halles Saint-Géry
Place Saint-Géry, 1, 1000 Bruxelles

Huit auteurs et autrices de différentes régions linguistiques de Suisse et de Belgique se découvrent et se racontent en image: Albertine, Pierre Wazem, Andreas Kiener, Fabian Menor, Isabelle Pralong, Eva Rust, Wide Vercnocke et Mortis Ghost.








Vendredi 10 juin


Traduction en quatre temps à la Maison européenne des Auteurs et des Autrices (Rue du Prince Royal 87, 1050 Bruxelles)
  • 13 heures: Lirez-vous le romanche?
  • 14 heures: Traduire les textes féministes
  • 15 heures: Traduire au fil de la partition
  • 16 heures: Traduire, un pas de deux
Traduction en deux temps à la Bellone (Rue de Flandre 46, 1000 Bruxelles)
  • 16 heures: Lost in multilingualism (en néerlandais)
  • 17 heures: Poethreesome (en néerlandais)

18 heures 30
"Manifeste incertain"

Librairie Librebook
Chaussée de Wavre 125, 1050 Bruxelles

Frédéric Pajak.
(c) Louise Oligny.
Le "Manifeste incertain" est une formidable aventure éditoriale en neuf volets parus entre 2012 et 2020, entremêlant textes et images, souvenirs personnels et histoire littéraire, poésie et songes (Editions Noir sur Blanc, lire ici). Superbe idée de pouvoir écouter son auteur, le merveilleux Frédéric Pajak.







20 heures 30
"Jukebox littéraire"

Halles Saint-Géry
Place Saint-Géry, 1, 1000 Bruxelles

Ingrédients du Jukebox littéraire belgo-suisse: cinq auteurs et autrices sur scène, Odile Cornuz, Marie Darah, Seckou Ouologuem, Walter Rosselli, Michelle Steinbeck, un animateur, Rafael Blatter, une musicienne, Els Aards, bien connue dans le milieu de l'édition belge sous son vrai nom, et le public qui proposera des mots, déclenchant une recherche suivie de la lecture de textes.