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jeudi 20 février 2014

LC qu'un romancier est né, Antoine Wauters



C'est donc lui, le lauréat du Prix Première 2014 de la RTBF (5.000 euros), Antoine Wauters, pour son magnifique premier roman, "Nos mères" (Verdier). Un trentenaire liégeois fort bien de sa personne, aussi beau en photo qu'en vrai - je l'écris parce que tout le monde le dit jusqu'à la radio. Pourtant ce n'est pas cette beauté physique qui a influencé le jury d'auditeurs, certains n'ayant reçu le livre que quelques jours avant la délibération finale.
Cela mérite d'être signalé car on se rappelle des ricanements dont a été l'objet le Suisse Joël Dicker quand il a obtenu le Prix Goncourt des lycéens 2012 pour "La vérité sur l'affaire Harry Quebert" (de Fallois). L'auteur était trop jeune, trop beau! Il créait involontairement des émeutes lorsqu'il rencontrait, procédure prévue dans le cadre de ce prix, ses (é)lectrices. Donc, rien de cela ici puisque c'est à la proclamation ce jeudi 20 février que les jurés ont découvert les traits du lauréat.

Si "Nos mères" est un livre un brin déconcertant dans les premières pages avec ses multiples personnages qui font irruption, il révèle tout de suite une écriture poétique particulièrement musicale, au service d'une histoire de mères et de fils, d'amours et de haines, de pères absents ou trop présents. On se régale des phrases bien agencées qu'on lit lentement pour ne rien en laisser. Il faut prendre son temps avec ce premier roman très réussi, le laisser infuser, se laisser toucher. "Je suis du côté de la lenteur", reconnaît Antoine Wauters qui a laissé longtemps mijoter ses idées avant d'écrire. "La lenteur est le tempo qui me convient le mieux."

Par rapport à ce début original, il s'explique: "Je voulais garder intacte l'impression de l'enfance et de son mode de fonctionnement, avec des points de vue différents, des éclairages multiples qui se croisent." Très vite, on trouve ses repères dans le roman et on ne lâche plus ces pages composées de courts chapitres, qu'entrecoupent régulièrement des séquences de mots qui se suivent, se répètent, s'inversent, se répètent encore, au rythme des mélopées arabes.

Car c'est dans un pays du Proche-Orient qu'on rencontre Jean Charbel, enfant perdu au milieu d'une guerre mais enfant avant tout, orienté du côté de la vie. Qui s'invente des amis, des mères, des activités. Qui se raconte une vie rêvée alors que les bombes l'enferment chez lui. Qui pense déjà à devenir écrivain. Qui se perd parfois dans ses divagations. Qui y trouve un refuge contre le destin, contre sa mère, contre l'absence de son père mort, contre la maladie du grand-père.

Petit, Antoine Wauters n'a jamais pensé, lui, devenir écrivain. "Enfant, j'étais enfant. Mais j'aimais le pouvoir de la fabulation, ces voix plurielles qu'on invente." Il en a repris l'idée pour son jeune personnage: "Raconter une histoire, commenter un moment, mettre des mots sur ce qui se passe, permet d'accepter des choses difficiles à vivre."

On chemine en compagnie de Jean dans les trois parties qui composent le récit. De l'enfance qui éclate à cause de la vraie guerre à la maturité dans un autre pays, en paix mais où une autre guerre, intérieure, ronge sa mère adoptive, en passant par la période où Jean apprend à dire "Je". A la fin, l'enfant devient l'éducateur de sa seconde mère, cette Sophie en perdition et partage avec elle sa faculté de rebondir, de vivre. "Nos mères" est aussi une discrète histoire de résilience. Jean libère Sophie de son passé, comme lui-même a été libéré du sien par la jeune Alice. "Alice est mon petit plaisir personnel dans le livre, avec cet amour réciproque entre Jean et elle. L'amour, c'est la vie. La littérature doit être du côté de la vie."

"J'ai commencé à penser à  ce livre lors d'une résidence en 2009. Puis je suis allé au Salon du livre de Beyrouth où j'ai passé pas mal de temps à écouter les gens me raconter la guerre. J'ai été frappé par le fait que nous, Occidentaux, avons une vision négative de la guerre alors que pour les habitants des villages près de Beyrouth, la guerre forçait les pères à rester à la maison, unissait les familles, en devenait presqu'une parenthèse enchantée. Je suis aussi très attentif à la nature et j'ai vu là-bas combien la guerre ravage les hommes bien entendu, mais également la nature, l'herbe est brûlée, les arbres sont abattus comme les animaux à l'exception des oiseaux qui sont parvenus à se sauver." 

Dans ce livre, Antoine Wauters explore avec beaucoup de force les rapports contradictoires d'amour et de haine, les sentiments qui ne sont pas raccord, l'immense soif de vie dans un pays massacré, détruit. Il montre des souffrances parallèles, les incompréhensions souvent dues à une pudeur excessive, les espoirs de lumière, le paradoxe de la vie qui jaillit dans un pays en guerre et des conflits invisibles, mortifères, dans un pays en paix. Surtout, il se met au diapason de la force de l'enfance qui a la capacité d'imaginer et de rêver.

Antoine Wauters, à la Foire du livre.
Ses portraits ont la vérité de la chose vécue, autant la mère débordante d'amour dans un monde en guerre que la mère handicapée de l'amour, non démonstrative et pleine d'attentes, dans un monde pacifié. "Nos mères", vocable délibérément au pluriel, est un récit qui réjouit le cœur parce qu'il touche aux tripes et à l'émotion et la tête pour son écriture. "Chaque fois que je me lance dans un texte, c'est comme si je me lançais dans une langue étrangère", explique encore celui pour qui l'écriture est le métier du doute.


Antoine Wauters dédicacera "Nos mères" à la Foire du Livre de Bruxelles, le samedi 22 février de 14 à 16 h, au stand des Editions Gallimard (310).



Les précédents lauréats du Prix Première

2013 Hoai Huong Nguyen, "L'ombre douce" (Viviane Hamy)
2012 Virginie Deloffre, "Lena" (Albin Michel)
2011 Nicole Roland, "Kosaburo, 1945" (Actes Sud)
2010 Liliana Hazar, "Terre des affranchis" (Gaïa)
2009 Nicolas Marchal, "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises)
2008 Marc Lepape, "Vasilsca" (Galaade)
2007 Houda Rouane, "Pieds-blancs" (Philippe Rey)


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