Laurence Tardieu. |
Laurence Tardieu entre discrètement en littérature avec un premier roman, "Comme un père", paru en 2002 chez Arléa, maison grandement découvreuse de nouveaux talents.
Après un autre publié à la même enseigne, "Le jugement de Léa", deux ans plus tard, elle part chez Stock et son flamboyant patron, Jean-Marc Robert, un ami et une oreille pour ses auteurs. Les titres se suivent: "Puisque rien ne dure" (2006), "Rêve d'amour" (2008), "Un temps fou" (2009) et "La confusion des peines" en 2011. Depuis ce roman autobiographique et libérateur (lire ci-dessous) où la romancière revenait, dix ans après les faits, sur la condamnation de son père pour corruption, rien, aucun roman, le trou noir.
C'est cette période de vingt et un mois où elle n'est pas parvenue à écrire une seule phrase admissible à ses yeux que Laurence Tardieu analyse, dissèque, examine de loin et de près dans "L'écriture et la vie", un petit ouvrage sensible et vrai, lové derrière la couverture rose vif des Editions des Busclats (104 pages) que dirigent Marie-Claude Char et Michèle Gazier. Un livre qui a été relu peu de temps avant sa mort par Jean-Marc Roberts, qui lui en a glissé le titre, même s'il n'était pas cette fois son éditeur...
"L'écriture et la vie" est consacré à une panne d'écriture, puisque c'est écrire que Laurence Tardieu a choisi de faire dans sa vie, mais son propos peut s'étendre à d'autres situations. Pourquoi, à un moment donné, est-on incapable de faire ce qu'on a choisi de faire?
Laurence Tardieu était de passage à Bruxelles, je l'ai rencontrée.
Quand on lit votre analyse de ces vingt et un mois d’arrêt de l’écriture, on ne peut qu'avoir de la tendresse devant cette détresse. Composer "L'écriture et la vie" a-t-il été comme une convalescence?
La convalescence est la sortie de la maladie, c'est rare en littérature. En général, on a la chute et pas la remontée. Ecrire le livre m’a pris six semaines. Je l’ai commencé très vite, dix jours après que me soit parvenue la demande des Editions des Busclats. Michèle Gazier ne savait rien de mon état. Ma chance a été de pouvoir écrire sur ce qui m’obsède. J’étais encore dans la maladie alors. Mais après trois phrases, j’ai su que c’était ok. Après, cela n’a été que du bonheur. J’ai avancé à tâtons, mais j’avançais vers la clarté. Je retrouvais des mots qui ne soient pas faux. L’écriture a été comme un bonheur.Votre première qualité est sans doute l’honnêteté, la recherche de la vérité. Mais vous semblez parfois dure envers vous-même, presque inquisitrice.
Après "La confusion des peines", la justesse et la vérité sont encore devenues plus importantes à mes yeux. Je ne m’étais jamais coltinée à l’autobiographie avant ce roman. J'en suis sortie pleine d’effroi. Il y a eu la bataille familiale. Mon éditeur, Jean-Marc Roberts, est tombé malade. J’étais extrêmement fragilisée. Je craignais de ne plus arriver à écrire. Et la peur a grandi. Je suis dure… j’étais en combat avec moi-même. Même dans le désespoir, on est très lucide.Vous donnez l'impression d'une pelote qu’on démêle sans casser le fil.
Oui, je voulais dérouler tout doucement le fil vers la lumière, après vingt et un mois de ruminations, et chasser la peur.La langue très importante dans votre œuvre, vous avez un travail de plasticienne.
Après le silence ouaté de "La confusion des peines", la langue a été mon meilleur allié, comme le dit si bien Annie Ernaux. Avant, je recherchais la musicalité de la langue. Après, j’ai éprouvé la nécessité de la précision, pour rendre compte de la complexité du réel. Rien n'est ni noir ni blanc ni gris. Les nuances sont justement permises par la langue."La confusion des peines" apparaît comme un alpha et un omega dans votre bibliographie, vous ouvrant à l'autobiographie et clôturant un cycle familial.
Je l'ai écrit pour me sauver et face à un mur. Ce livre a été la fin du premier temps d’un travail, un écho à "Comme un père", mon premier roman. "L’écriture et la vie" marque un virage. J’étais dans la nuit et je cherchais la lumière. J’ai retrouvé ma liberté d’auteur. Tout a un temps, il faut trouver son chemin. Aujourd'hui, il y a la magie, la joie, de la publication de ce nouveau livre, sorti en janvier. Les renvois des lecteurs me rendent très heureuse.Vous analysez les frontières de l’écriture mais aussi les frontières en soi-même comme cette apparente nécessité pour vous d’écrire face à un mur.
J'ai toujours envie de creuser à l’intérieur. Avant, j’avais peur que l’extérieur m’en empêche et j'écrivais face à un mur. Quand je me suis installée près des fenêtres, j’ai eu comme une sensation d'élargissement.Depuis tout cela, avez-vous écrit un nouveau livre?
Oui. Mon nouveau livre est fini. Il sortira à la rentrée chez Flammarion. Je suis en train d’en chercher le titre. Mais "Le carnet d’or" de Doris Lessing figurera en exergue. Je l’ai commencé tout de suite après avoir terminé "L'écriture et la vie". Michèle Gazier est ma fée. La peur m’empêchait d’écrire car quand j’écris, je plonge la tête la première dans le livre.
A propos de "La confusion des peines" (Stock, 2011, Le Livre de Poche, 2013), roman que Laurence Tardieu a osé contre l’avis de son père.
"Tu ne veux pas que j’écrive ce livre. Tu me l’as dit. Tu me l’as demandé. (…) Ce livre, Laurence, tu l’écriras quand je serai mort." Les premières phrases interpellent. Que s’est-il passé dans cette famille? Qu’y a-t-il à cacher? Qui est ce père qui pèse sur sa fille trentenaire? On l’apprendra tout au long de ce très beau roman. Autobiographique et libérateur, il dit "je" et interroge "tu". "Tu", un père qui, à sa fille qui lui confiait vouloir écrire, le rêve de sa vie, et abandonner son travail, avait dit: "Fais-le, autrement, tu le regretteras toute ta vie."
La romancière met fin avec ce livre à un silence long de dix ans, né lors de la condamnation de son père pour corruption, suivie de la mort de sa mère, à 59 ans, la même année 2000. Pas que la parole ait été la règle de vie de ses parents. C’était plutôt ne rien dire, ni la douleur ni l’amour. Ne rien montrer. Cacher le bonheur comme le malheur.
"J’ai toujours su qu’un jour, ce livre, je l’écrirais", me disait en 2011 Laurence Tardieu. "Il m’a fallu du temps. Il m’a fallu écrire d’abord d’autres livres, plus doux, plus feutrés, inventer des histoires, sans doute tentatives d’approche de celui-ci." En août 2009, la romancière d'alors 37 ans comprend qu’elle doit affronter ce autour de quoi elle tourne depuis toujours: "Pour la première fois de mon existence, je fais quelque chose que tu m’as priée de ne pas faire. Je prends la parole parce que je ne peux pas faire autrement. Je prends la parole pour reprendre mon souffle."
C’est son histoire que Laurence Tardieu raconte ici, comme une nouvelle naissance. Il s’agit du livre d’une fille à son père, mais combien universel! Ecrit sans chercher la vérité absolue. "On a tous des petits arrangements avec le désordre du monde, et notre propre désordre", note-t-elle.
Ce superbe texte, en petites touches, compose, de souvenirs en phrases dites, le portrait d’un père. En creux, celui d’une mère, maillon essentiel de cette famille. En miroir, celui d’une adulte qui s’extrait de sa chrysalide. Car un moment vient où il n’est plus possible de refuser de comprendre, même si l’ignorance est confortable. Laurence Tardieu a voulu se rapprocher de son père, tenter d’expliquer pourquoi il a trahi son idéal, s’est laissé corrompre, a gardé le silence avant de se rétracter au procès.
Le monde n’est pas en ordre, le monde ne se range pas, a-t-elle découvert en reconstituant enfin le passé. Elle ajoute: "Ecrire, c’est aussi tenter de mettre en ordre ce qui dans ma vie l’était si peu." Ne plus buter contre l’image qu’elle a de son père, mais être confrontée enfin à lui, voilà le fruit de cette démarche familiale vitale, à laquelle chacun peut s’identifier.
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