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vendredi 29 septembre 2017

Hop, hop, hop, gravissons le mont Blanc

Une image contemporaine de l'exploit de Saussure et ses 17 guides. 


Voilà un album jeunesse au dessin infiniment délicat qui retrace l'aventure vraie que vécut en 1787 le naturaliste et géologue suisse Horace Bénédict de Saussure quand il escalada le mont Blanc, réalisant ainsi son plus grand rêve. Une histoire vraie que l'auteur-illustrateur français Pierre Zenzius rend attirante pour les enfants dans ce premier album  quasi sans texte titré "L'ascension de Saussure" (Rouergue, 40 pages). Un régal pour les yeux car tout est à examiner dans les images sur doubles pages.

Dans des paysages grandioses s'aventurent une suite infinie de personnages aux chargements divers. Ils accompagnent Horace Bénédict de Saussure dont une courte biographie ouvre le livre. Une ribambelle d'adultes équipés pour la montagne et un chien serpentent le long des sentiers, petites fourmis dans une nature immense. De jour en jour, ils avancent, le pied sûr ou plus maladroit au réveil. Leurs moyens sont ceux d'alors, plutôt les moyens du bord, échelles, cordes... Ils avancent, s'aident. Quand l'un ou l'autre glisse, les autres viennent le repêcher. C'est à la fois impressionnant et cocasse, hautement réjouissant en tout cas, jusqu'à la surprise finale qui permet d'identifier le narrateur. Quant à la descente, elle se déroule en quatrième de couverture.

Pour concocter ce récit, l'auteur-illustrateur s'est librement inspiré de deux ouvrages de Horace Bénédict de Saussure, "Journal de l'ascension du mont Blanc" et "Voyages dans les Alpes". Son "Ascension de Saussure", impressionnant par sa qualité graphique et délicieux par les innombrables scènes que racontent ses images, fait un peu penser, mutatis mutandis, aux premiers Tours de France, quand il était bienvenu de s'amuser à la bonne franquette sur son vélo. Les splendides dessins de Pierre Zenzius semblent également inspirés aux livres d'aventures anciens où les humains apparaissent minuscules dans les décors pour faire ressentir la grandeur des paysages - François Place avait utilisé ce procédé inhabituel aujourd'hui dans "Les derniers géants" (Casterman, 1992). Mais si les alpinistes sont tout petits, les paysages dans lesquels ils évoluent relèvent de la fiction. Peut-être l'artiste s'est-il inspiré également des dessins de l'époque, montrant l'apprenti-alpiniste suisse accompagné de ses dix-sept guides. Une fameuse cordée!





Les quatre premières doubles pages. (c) Rouergue.






Une fantastique fable écologique sans parole

Des albums jeunesse, il m'en passe sous les yeux chaque semaine. Des bons, des très bons, des moyens, des ratés, des "joliment copié". Il arrive aussi, une ou deux fois par an, parfois trois, qu'un ouvrage pour enfant me souffle littéralement. Waaahhh! Que c'est beau! Que c'est intelligent! Que c'est bien pensé! Que c'est bien fait! C'est le cas pour l'album "Changeons!" de l'Italien Francesco Giustozzi qui paraît en Suisse, à la Joie de lire (40 pages).

Choc que cet album sans texte qui délivre une puissante fable écologique terriblement actuelle. Ses images sur double page, à bords perdus, rapportent impeccablement les rapports entre l'homme et la nature. Les couleurs s'accordent avec les situations décrites, pastel en temps normal, grises et de plus en plus foncées en temps de crise, pastel à nouveau quand la situation se régularise. Evidemment, chacun repère ce qu'il veut dans ces images de toute beauté qui ouvrent la porte à mille questions. Le splendide graphisme est au service du scénario, pas l'inverse heureusement. L'un remarquera les arbres, l'autre les cheminées, le troisième sera sensible à la croissance du bâti, le quatrième verra tout de suite la graine qui germe dans le macadam...

Est-il trop tard pour le climat? Oui? Non? Espoir? Changeons donc vite nos habitudes tant qu'il est encore temps. Francesco Giustozzi communique graphiquement avec ses lecteurs (à partir de 5 ans). Il leur montre une ville près de la mer, qui croît, croît, croît, jusqu'à ce qu'elle et ses déchets occupent tout l'espace de la double page, de la mer au ciel... Les arbres se raréfient, l'espace libre et l'air aussi. Les humains apparaissent écrasés par les constructions de béton et les fumées menaçantes. Ils finissent par quitter les lieux. Merveille de la vie, cette désertion permet à la nature de reprendre petit à petit ses droits et ses espaces. Une autre manière de vivre, plus harmonieuse, mariant la nature et les maisons, se fait jour. On respire. On revit!

Superbe fable écologique dont les images, diantrement bien pensées et remarquablement réalisées, parlent d'elles-mêmes. Ce n'est qu'en respectant la nature qu'on respecte l'homme, un message très lisible dans cet ouvrage hors du commun et totalement réussi.




La ville croît... (c) La joie de lire.

Après les heures sombres, la lumière à nouveau. (c) La joie de lire.





jeudi 28 septembre 2017

Le quotidien de l'enfance réenchanté

Un auteur d'hier et un illustrateur d'aujourd'hui qui vont parfaitement bien ensemble, écrivais-je à propos de "Une année dans les bois" de Henry David Thoreau et Giovanni Manna (Plume de Carotte, lire ici). La formule s'applique tout aussi bien, en la mettant au féminin pour les dessins, à propos de l'album jeunesse "Petit jardin de poésie" de Robert Louis Stevenson qu'illustre Ilya Green (texte français de Christian Demilly, Grasset Jeunesse, 32 pages).

Grand format, beau papier mat, mise en pages délicate, "Petit jardin de poésie" est une magnifique célébration de l'enfance, celle qui joue, celle qui rêve, celle qui imagine. Les sujets du quotidien sont réenchantés par ces textes peu connus de l'Américain Robert Louis Stevenson (1850-1894). Ils proviennent de son recueil "A Child's Garden of Verses" (1885). L'illustratrice française Ilya Green a su adoucir son trait, souvent très noir, pour se couler dans l'atmosphère de douceur et de poésie des extraits choisis. Ses images sont autant de petits tableaux subtils et évocateurs, joyeux et paisibles, privilégiant une belle couleur ocre orangé qui se marie fort bien avec le vert bleu choisi pour de nombreux autres éléments.

Ce "Petit jardin de poésie" crée une merveilleuse ambiance conduisant au rêve, à la découverte et aux voyages, que ce soit dans la maison ou dans le monde. Le principe de la double page, texte à gauche, illustration à droite, dans des teintes qui se répondent, génère un rythme propice à la lecture. Ce très bel album appelle à célébrer l'existence tout en se coulant à hauteur d'enfant. Pourquoi aller dormir dans son lit quand il fait clair? Pourquoi partager ses jouets avec un plus petit? Mais aussi, et surtout, il invite à imaginer des voyages lointains depuis le haut du cerisier ou le bord de la rivière, à transformer son lit en bateau, un coin de jardin en royaume... La nature et la maison ont tant à offrir pour peu qu'on pense à les regarder.

La poésie des textes n'est toutefois ni naïve, ni gnangnan, mais d'une simplicité et d'une évidence telles qu'on ne peut que se laisser happer par elle. D'autant qu'Ilya Green a su trouver de parfaits prolongements visuels aux textes de Stevenson. Un album tranquille et délicieux, à ne pas rater. Pour tous.


Le texte de Robert Louis Stevenson apparaît en page de gauche. (c) Grasset Jeunesse.

L'illustration d'Ilya Green se trouve en regard, en page de droite. (c) Grasset Jeunesse.

Cet album est le deuxième de la collection "La collection". Son premier principe, littéraire, est de puiser dans le patrimoine littéraire, passé et présent, des textes adaptés aux jeunes lecteurs, puis de les mettre en images en faisant appel à des illustrateurs contemporains. Son second principe est graphique. Les illustrateurs ne disposent que d'une semaine pour poser leur regard sur les textes et réaliser des images dans une palette limitée à trois ou quatre couleurs. Une contrainte qui donne de super beaux résultats! Le premier titre de "La collection" est "Histoires naturelles" de Jules Renard illustré par Jean-François Martin (2016). Le troisième paraîtra en octobre, "Valse de Noël" de Boris Vian illustré par Nathalie Choux.






mardi 26 septembre 2017

La mort de l'éditeur Robert Delpire

Robert Delpire.

Né le 24 janvier 1926 à Paris, l'éditeur de livres d'art Robert Delpire y est mort tôt matin ce mardi 26 septembre. Il avait 91 ans. On le connaît bien sûr pour les ouvrages de grande qualité sur la photographie qu'il publiait depuis 1951. William Klein, Henri Cartier-Bresson, Marc Riboud ou Robert Frank, mais encore Koudelka, son épouse Sarah Moon ou Michel Vanden Eeckhoudt ont jalonné une carrière de 70 ans.

L'ambition de Robert Delpire a toujours été la même: créer des livres comme autant d'ouvertures sur le monde qui nous entoure comme sur notre monde intérieur. Après quelques années difficiles, Delpire Éditeur a rejoint en 2012 le groupe Libella de Vera Michalski.

Jeune étudiant en médecine, Robert Delpire avait lancé en 1950 la revue "Neuf" où il publia notamment Breton, Prévert, Miller, Michaux et Sartre. Puis il y éditera Cartier-Bresson, Brassaï, Doisneau, Lartigue, Robert Franck... "Neuf" durera quatre ans.

Se rappelle-t-on toutefois assez que Robert Delpire joua aussi un grand rôle dans l'émergence en France de la littérature de jeunesse? En 1953, il crée sa maison d'édition. Il y publiera des albums jeunesse de 1955 à 1969, avec un retour pour un livre en 2004, dont des titres majeurs.

  • "Max et les maximonstres" de Maurice Sendak en 1967, le plus connu (l'école des loisirs reprendra le titre en 1973, lire ici)
  • "On vous l'a dit" de Jean L'Anselme et André François en 1955
  • "Les Larmes de crocodile" d'André François en 1955 (prépublié dans "Neuf" en 1953, republié sous deux versions en 1967, réédité en format original en 2004, lire ici))
  • "C'est le bouquet" de Claude Roy et Alain Le Foll en 1963
  • "Les rhumes" d'André François en 1966
  • "Sindbad le marin" d'Alain Le Foll en 1970

Réédition de 2004.
Une des versions de 1967.
La couverture à plat de "C'est le bouquet!".

La collection "Poche Illustrateur" de Robert Delpire mit à l’honneur les plus grands noms de l'illustration. Il venait d'en publier un, en février 2017, consacré à Tomi Ungerer. Il a été précédé par Etienne Delessert, Georges Lemoine, Alain Le Foll, André François, Gustave Doré, Honoré Daumier, JJ Grandville, RO Blechman, Wayne Anderson sans oublier bien sûr Saul Steinberg!












"J'étais en congé. Elle avait pris le métro."

Voilà un petit livre, en format de poche, qui va enchanter tous ceux qui aiment flinguer les gauchos, les bobos, les droits de l'hommistes et autres belles âmes solidaires. Intitulé "Un jihad de l'amour", il appelle à la réconciliation. On les entend déjà ricaner, persifler, médire, tous ceux qui aiment culpabiliser ceux qui se bougent plutôt qu'agir eux-mêmes, qui critiquent à tout va mais ne font rien. Réconciliation? Mais entre qui, bon Dieu, vont-ils dire? Y aurait-il un problème? Moi, autruche à la tête bien enfoncée dans le sable, je ne vois rien.

Oui, il y a un problème. Celui qui a pour conséquence qu'on peut mourir pour rien, juste parce qu'on est à un endroit, et qu'un fou de Dieu se sent le droit de tout faire sauter. Comment vivre désormais avec les attentats, se demande-t-on. Oui, mais quand on en est soi-même victime? Comment réagir à cette injustice? Ne pas avoir la haine? Aller de l'avant quand tout semble perdu? C'est ce qu'explique l'auteur, Belge, dans ce livre, à la fois hommage poétique d'un veuf à son épouse et message humaniste d'un père appelant à l'amour et à la fraternité. Il a en effet perdu sa femme, mère de leurs trois enfants, dans l'attentat du métro de Bruxelles, à la station Maelbeek, le 22 mars 2016. Elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.

Il dit combien cela lui fait mal, atrocement mal, de vivre sans elle, d'envisager l'avenir sans elle. Il dit que seul l'amour pourra lui venir en aide. Et sa religion sans doute. Son texte prend aux tripes, rappelle qu'il y a un an et demi, plus de trente personnes ont été tuées dans les attentats de Bruxelles, endeuillant et traumatisant encore davantage de familles, tétanisant la population.

Le pire lui est arrivé et il veut transformer son immense chagrin en message de paix et de tolérance. Des milliers de personnes l'ont entendu témoigner dans les médias et ont visionné son message diffusé à la veille de Noël. Aujourd'hui, il le reprend en livre et le complète de l'évocation de son enfance, de son amour pour Loubna, de sa vision de l'Islam toute en modernité. Il s'appelle Mohamed El Bachiri et mérite respect et admiration pour avoir publié "Un jihad de l'amour" (propos recueillis par David Van Reybrouck, version française établie par Philippe Noble, JC Lattès, 116 pages). C'est un grand, c'est un juste. Chapeau.


Pour feuilleter en ligne le début de "Un jihad de l'amour", c'est ici.








lundi 25 septembre 2017

Un taxi-brousse sénégalais à Bruxelles

Qui suis-je?

Devinette.
"J'ai quitté l'industrie pétrolière et le boulot sûr qu'elle m'a assuré dans le Golfe de Guinée pendant sept ans (1983-1990) pour venir étudier à Lyon à l'école Emile Cohl (1990-1992) et devenir auteur-illustrateur comme j'en avait toujours rêvé. Qui suis-je?"

Indice
"Je suis à Bruxelles toute cette semaine."

Autre indice
"Le Sénégal du titre est une fausse piste".

Réponse
"Je suis Christian Epanya, auteur-illustrateur camerounais, principalement jeunesse, vivant aujourd'hui à Annonay, la patrie des frères Montgolfier, en Ardèche."


Ce n'est pas parce qu'il vit en France depuis 1990 que Christian Epanya ne retourne pas au Cameroun. "J'y vais au moins une fois tous les deux ans", m'explique-t-il, " pour voir mon frère et ma sœur, ainsi que mes amis. Et pour puiser l'inspiration et retrouver les couleurs du pays."

Car l'illustrateur a besoin d'inspiration pour créer ses livres, une vingtaine actuellement publiés en France bien entendu (Syros, Seuil, Sorbier) mais aussi aux Etats-Unis, en Allemagne, en Guinée, au Cameroun... Albums pour enfants ou livres ayant trait à l'histoire.

On peut découvrir douze de ses originaux à la peinture acrylique dans une exposition qui se tient au Wolf (à Bruxelles, jusqu'au 15 octobre (entrée libre du mercredi au dimanche de 10 heures à 18 heures). Mélangées aux cimaises, elles proviennent des albums suivants: "Le voyage de l'Empereur Kankou Moussa" (Le Sorbier, 2010), "Les rois de la Sape" (Océan Editions, 2014), "Le taxi-brousse de Papa Diop", l'album qui l'a fait connaître (Syros, 2005), "Le grand retour du taxi-brousse de Papa Diop" (Syros, 2016) et "Le petit photographe de Bamba" (Le Sorbier, 2007).

Une double page du "Taxi-brousse de Papa Diop" (Syros).

On peut aussi rencontrer Christian Epanya, en résidence au Wolf cette semaine, ce mercredi 27 septembre à 18 heures. Il sera en bonne compagnie, celle de Dominique Mwankumi, autre auteur-illustrateur africain (gratuit sur inscription).

Créateur, mais aussi formateur d’illustrateurs, Christian Epanya expliquera peut-être sa manière de réaliser un livre. Prenons par exemple "Le petit vendeur de beignets" qui paraîtra à Paris aux Editions A vol d'oiseau début 2018, sur un texte de Didier et Jessica Reuss-Nliba. L'histoire d'un petit garçon au Cameroun, dernier né d'une famille polygame de trois femmes et de très nombreux enfants. Avec les siens, il prépare des friandises qui sont vendues aux passagers lors des haltes du train. Par les fenêtres car entrer dans le train est interdit aux villageois.

  1. Il écrit ou reçoit le texte.
  2. Il découpe le texte en idées d'images.
  3. Il fait les crayonnés.
  4. Il pose un calque sur les dessins et passe au crayon noir d'un côté du calque, au crayon blanc de l'autre.
  5. Il peint les fonds foncés des images.
  6. Il pose le calque côté blanc sur les fonds foncés et repasse au crayon ou avec un bâton pointu pour imprimer.
  7. Il pose ses couleurs, toujours du foncé au clair.
  8. Il se réserve un dernier plaisir, représenter les motifs des tissus.

"C'est un travail énorme mais on a les ambiances qu'on veut. Contrairement à l'aquarelle, avec l'acrylique, on n'est pas obligé de tout faire en même temps." 

On peut évidemment aussi lire les albums de Christian Epanya, dont le trait et la couleur se reconnaissent de loin. "Je veux montrer aux Africains et aux non-Africains que l'Afrique est riche en littérature et en histoires pour enfants. Je veux faire connaître le patrimoine africain et pas seulement le patrimoine camerounais. Pour moi, un bon album pour enfants est un album qui interpelle les lecteurs et qui a une longue vie. J'ai souvent recours à l'imaginaire et à l'humour, tant dans mes textes que dans mes images."


Dans ma bibliothèque désormais bien rangée, j'en ai immédiatement repéré trois.

Le début de l'aventure. (c) Syros.


Le taxi-brousse de Papa Diop
Christian Epanya
Syros 2005, 2015 avec cd ou en poche

Dans le nord du Sénégal, entre Dakar et Saint-Louis, Sène, un enfant, accompagne et aide son oncle, Papa Diop, chauffeur d'un taxi-brousse. En faisant le compte-rendu des trajets, le gamin raconte le quotidien de la société sénégalaise.

Une suite vient de lui être réservée, "Le grand retour du taxi-brousse de Papa Diop" (Syros, 2016). "On me demandait souvent une suite au "Taxi-brousse", raconte Christian Epanya. "Je voulais garder le héros mais me renouveler. Du coup, l'histoire se passe maintenant dans le sud du Sénégal et l'enfant est devenu un adulte."

Malin comme dix singes
Christian Epanya
Seuil Jeunesse
2006

Comme il a de la peine à compter avec des bâtonnets, Petit Bolo le singe se fait aider par sa maman qui lui apprend à compter en bananes!
Le petit photographe de Bamba
Christian Epanya
Le Sorbier
2007

Une histoire qui s'est vraiment passée au Ghana mais qui se déroule au Mali dans l'album et qui est un clin d’œil de l'artiste à la Biennale de Bamako.



Il y en a plein d'autres aussi.

In "Le voyage de l'empereur Kankou Moussa". (c) Le Sorbier.



Infos et réservations: le Wolf.

vendredi 22 septembre 2017

L'énigmatique frère du 43e mineur mort à Liévin

Sorj Chalandon. (c) JF Paga/Grasset.

Qui se rappelle de la catastrophe minière qui a eu lieu à Liévin-Lens le 27 décembre 1974? Quarante-deux mineurs y ont perdu la vie, en pleine trêve des confiseurs. Quarante-deux morts, par défaut de prévoyance, par appât du gain. Qui se rappelle de ce drame? Sorj Chalandon qui lui consacre son huitième roman, le très beau "Le jour d'avant" (Grasset, 332 pages). Sorj Chalandon, journaliste depuis toujours, romancier depuis 2005 et "Le petit Bonzi", infiniment respectueux des hommes.

"Le jour d'avant", où un élément historique véridique se double du drame personnel que vit le narrateur, Michel Flavent, frère cadet d'un des mineurs décédés, est un bon coup de poing dans l'estomac. Ou dans les dents. Sans recourir au pathos, les situations se suffisent à elles-mêmes. Ce roman de vie, de mort, de souffrance, de culpabilité, de mensonge et de vengeance vient d'être considéré par plus de 300 libraires français comme le meilleur titre de l'année en littérature francophone - en littérature étrangère, c'est "Underground railroad" de Colson Whitehead (traduit de l'américain par Serge Chauvin, Albin Michel) qui a été choisi. Juste compensation à l'absence de Chalandon des sélections des grands prix littéraires de l'automne. Mais il le sait: "Inviter à table 42 ouvriers morts n'est pas très convenable...".

Terriblement prenant, ce nouveau roman de Sorj Chalandon est construit sur deux périodes qui alternent tout au long des chapitres, les événements de décembre 1974 et des mois suivants ainsi que l'enquête que le narrateur mène à leur sujet à partir de mars 2014 et ses conséquences. Michel Flavent veut savoir pourquoi le nom de son frère mineur n'apparaît pas dans les listes des tués de la fosse Saint-Amé. Pour lui, 16 ans au moment de la catastrophe, Joseph Flavent, Jojo, en est le 43e mort. Un deuil qu'il est incapable de faire et qu'il associe aux 42 mineurs morts par manque de souci d'eux. Une obsession remâchée durant quarante ans et qu'en 2014, devenu veuf, il décide de rendre prioritaire. Il vend tout ce qu'il a et revient s'installer incognito dans sa région natale. La mine a fermé mais il retrouve des témoins d'hier. Il retrouve surtout celui qu'il tient pour responsable de l'accident, Lucien Dravelle. Et il fourbit sa vengeance, terrible. Le lecteur suit, compatit, approuve, ignorant qu'il faut parfois se méfier des belles histoires. Mais le romancier a tous les droits, y compris de dérouler la vie de Michel Flavent tel qu'il ne fait. C'est pour mieux dévoiler la part sombre de chacun, le chemin vers le pardon, individuel ou collectif. "Le jour d'avant" est un roman aussi impressionnant sur le drame social qu'il dénonce que sur le parcours que le narrateur a cru pouvoir emprunter pour se protéger. Humain, terriblement humain.

Quel lien entre les mineurs du nord de la France d'hier et Sorj Chalandon? De passage à Bruxelles, il s'explique: "A l'origine de "La légende de nos pères" (2009), le biographe familial du roman écrivait deux biographies en parallèle, celle d'un faux résistant et celle d'un mineur. C'était trop pour un seul roman. J'ai mis le mineur sur le côté en lui promettant de ne pas l'oublier."

Ensuite, Sorj Chalandon a écrit d'autres livres, inspirés de sa vie mais de vrais romans. "Je devais d'abord régler l'Irlande, ce que j'ai fait dans "Mon traître" et "Retour à Killibegs" (lire ici), puis mon père, fait dans "Profession du père" (lire ici), enfin la guerre, avec "Le quatrième mur" (lire ici)". Aujourd'hui que j'ai réglé tout cela, je suis retourné vers mon mineur. C'est lui qui m'a appelé."

Un lien ancien réunit le héros et l'écrivain: "En 1974, j'étais un jeune journaliste de 22 ans, à Libé. Quand on a entendu l’annonce de la catastrophe, on a tout de suite su que toutes les précautions n'avaient pas été prises. Les morts nous ont appelés. Serge July et Blandine Janson ont couvert le drame. Des papiers faits la rage au ventre. De mon côté, j'ai couvert la grève des mineurs anglais dix ans après. Ce livre n'est pas autobiographique, mais c'est celui de ma colère."

"Le jour d'avant" refuse de juger le narrateur et c'est en cela qu'il est lumineux au-delà de sa noirceur. "Je l'aime bien, Michel", conclut Sorj Chalandon. "Il est humain."


Pour lire le début du roman "Le jour d'avant", c'est ici.




jeudi 21 septembre 2017

Ecouter le monde à l'invitation de H. D. Thoreau

La "pièce" préférée de Thoreau. (c) Plume de Carotte.

Henry David Thoreau en 1854.
Henry David Thoreau est ce philosophe, naturaliste et essayiste américain qui vécut principalement au Massachusetts de 1817 à 1862. Une vie courte mais une pensée libre. Son livre le plus connu est assurément "Walden ou la vie dans les bois" publié en 1854 et fort de 200 traductions à travers le monde. En français, il a été traduit en 1921 par Louis Fabulet par l'entremise d'André Gide et en 2010 par Brice Matthieussent. Faut-il rappeler que Thoreau a aussi écrit "La désobéissance civile"?

Revenons-en à "Walden". L'ouvrage culte bénéficie à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Henry David Thoreau d'une première adaptation illustrée pour les enfants, le très bel album "Une année dans les bois" (extraits choisis par Laura Maranesi, traduits de l'anglais par Emmanuelle Urien, Plume de Carotte, 32 pages), illustré par Giovanni Manna (né aux prestigieuses éditions US Créative Editions et donc mis en page par Rita Marshall, lire ici).

On le sait, "Walden ou la vie dans les bois" raconte les deux années deux mois et deux jours, entre 1845 et 1847, où Thoreau vécut dans un chalet qu'il avait lui-même construit près de l'étang de Walden, dans l'état du Massachusetts, afin de "vivre en toute conscience". Il y décrit son séjour et y expose ses vues sur l'industrialisation et son rapport à la nature (il y a plus de cent cinquante ans, rappelons-le). Pour la version jeunesse, les deux années ont été condensées en une, présentée au fil des saisons mais selon des extraits de l'œuvre originale.

Les débuts de l'aventure Walden. (c) Plume de Carotte.

"Une année dans les bois" est un album grand format très agréable à parcourir. L'auteur d'hier et l'illustrateur d'aujourd'hui vont parfaitement ensemble. Ecrit à la première personne du singulier, le texte consigne l'expérience de l'auteur, détaille la maison qu'il s'est bâtie, pourquoi il a trois chaises, quelle est sa pièce préférée. Henry David Thoreau raconte son environnement, l'étang, les bois, les oiseaux. Il détaille son quotidien entre entretien du potager et baignades. Il s'interroge aussi sur son apparente solitude, se réjouit de la richesse de sa vie et invite chacun à vivre la vie qu'il imagine, à écouter le monde autour de lui et à s'engager.

Giovanni Manna complète parfaitement les propos de Thoreau avec ses aquarelles qui célèbrent la nature, que ce soit dans des paysages, dans des scènes avec Thoreau ou des gros plans. Il place souvent le narrateur de dos, invitant ainsi encore davantage le lecteur à entrer dans ce très bel album. Pour tous à partir de 6 ans.

Pour feuilleter en ligne "Une année dans les bois", c'est ici.





mercredi 20 septembre 2017

S'évader pour aimer plus fort la vie

Hervé Le Tellier.

Dès qu'on lit le titre du nouveau livre de Hervé Le Tellier, même sans rien connaître de la vie de l'écrivain, même sans lire le sous-titre, "J'ai toujours su que ma mère était folle", on se doute que c'est un fake. Un oxymore pour le dire en mode plus littéraire. "Toutes les familles heureuses" (JC Lattès, 224 pages), il fallait l'oser. Le titre vient d'une phrase de Tolstoï dans "Anna Karénine". La version complète est pire: "Toutes les familles heureuses se ressem-blent; chaque famille malheureuse l'est à sa façon."

C'est l'histoire d'une famille non heureuse, la sienne, que déroule l'écrivain dans cet ouvrage terriblement attachant. Rien de larmoyant, de revanchard ou de plaintif, mais de l'autodérision. Une succession de faits ancrés dans l'histoire d'un pays, un récit ouvert qui accueille le lecteur, suscite l'empathie, accompagnera peut-être ceux et celles qui souffrent d'un parent toxique. Hervé Le Tellier se donne aujourd'hui le droit d'écrire ce livre, de raconter sa vie d'enfant à part. Son père et son beau-père sont morts, sa mère placée sous tutelle ne le lira pas. Les faits sont souvent glaçants mais perce constamment la petite flamme d'un enfant qui veut vivre, aimer la vie, qui a compris sans savoir l'identifier que quelque chose n'était pas normal et qui a su fuir et s'en sortir. Rarement l'expression "folle de jalousie" aura mieux été portée que par la mère du narrateur. Une jalousie qui ne s'explique pas vraiment, due sans doute à la trahison des hommes et au désir de vengeance qui est en né. Une vengeance aveugle, prenant pour cible principale son propre enfant. Ce qu'elle ignorait, c'est qu'elle n'allait pas réussir.

"Je n'ai pas été un enfant malheureux, ni privé, ni battu, ni abusé", explique l'auteur. "Mais très jeune, j'ai compris que quelque chose n'allait pas, très tôt j'ai voulu partir, et d'ailleurs très tôt je suis parti. Mon père, mon beau-père sont morts, ma mère est folle. Ils ne liront pas ce livre, et je me sens le droit de l'écrire enfin. Cette étrange famille, j'espère la raconter sans colère, la décrire sans me plaindre, je voudrais même en faire rire, sans regrets. Les enfants n'ont parfois que le choix de la fuite, et doivent souvent à leur évasion, au risque de la fragilité, d'aimer plus encore la vie."

C'est aussi l'histoire d'une génération dans la France d'alors que ce très beau récit extrêmement bien documenté. Hervé Le Tellier a l'art de placer des digressions intéressantes, comme cet avion sans train d'atterrissage non mobile, l'art de faire des affaires avec les assurances ou la place des Noirs dans la famille. S'il critique l'attitude maternelle, il montre aussi que le petit garçon qu'il était a trouvé des appuis. On se plait en compagnie de ce texte qui distille ses surprises et ses portraits.

"Ecrire "Toutes les familles heureuses" est une idée récente", me dit Hervé Le Tellier, de passage à Bruxelles. "Je l'ai commencé il y a deux ans et demi. Avec le premier chapitre qui n'a pas bougé. L'OuLiPo (NDLR: Ouvroir de Littérature Potentielle dont il est membre) organise des lectures publiques. Ce texte a été écrit pour qu'il soit oral, avec de l'humour, pour faire sourire un public de 300 personnes. Le feuilleton a duré pendant un an et demi. J'avais réduit les chapitres à sept ou huit minutes de lecture. J'ai conservé l'idée générale pour le livre, que le public découvre mon histoire familiale."

Le livre est toutefois plus intime, plus ironique aussi. Il se déroule de manière chronologique tout en étant parsemé de portraits thématiques. "C'est un livre binaire. La charnière est venue avec l'écriture. Au début, j'avais l'idée d'un livre ironique de bout en bout. Mais j'aurais été incapable de tout continuer sur le même ton. J'ai retrouvé l'ironie dans l'avant-dernier chapitre, pour le portrait de ma mère."

Chaque chapitre est titré, donnant une idée de ce qu'on va y trouver, les prénoms de la famille, mais aussi "Ma sœur la pute" ou "La mort de Piette". "Au début de l’écriture",  se rappelle Hervé Le Tellier, "j'avais fait des résumés en tête des chapitres, mais je les ai supprimés pour que le texte soit plus fluide. Par contre, j'ai gardé les exergues, que j'ai trouvés après. Je voulais un extrait de "L'Eglise" de Céline pour Guy, la phrase de Tolstoï pour le dernier chapitre."

Le cours de la famille Le Tellier aurait-il été différent si Hervé était né garçon? "Si j'avais été une fille, je n'aurais pas été investi du rôle qui consistait à venger mon père et mon grand-père. Je n'aurais pas fait Polytechnique. Mais ça ne se serait pas forcément mieux passé. Peut-être mon père aurait-il eu un rapport différent avec moi? En réalité, j'ai été sauvé par mes grands-parents. En écrivant le livre, j'ai calculé que je n'avais pas vu ma mère entre un an et quatre ans. Le lien avec ma mère ne s'est pas construit. Chez nous, on n'avait pas de salle à manger parce qu'on mangeait toujours à la table de ma grand-mère. Ma mère avait comme rêve de réunir trois générations, un rêve paysan, incompatible avec la société dans laquelle on était. Elle avait un rapport très fort avec ses parents dont elle était incapable de se séparer. Elle était une femme fragile et blessée, elle avait besoin de ce lien permanent. Pour elle, il était inconcevable que son fils rompe le lien."


Et aussi

Jamais deux sans trois
Deux des potes belges de l'auteur apparaissent au début de "Toutes les familles heureuses", Jean-Pierre Verheggen et Jean-Claude Pirotte. Le troisième larron, Thomas Gunzig, Hervé Le Tellier se le réserve pour la vraie vie.

Dix-huit chapitres
"Parce que 18 ans est l'âge de la majorité,
parce que le chiffre 18 signifie "en vie" dans la kabbale
et pour une raison personnelle."

L'amnésie d'une génération
Durant la guerre, deux institutrices parisiennes ont caché chez elles des élèves juives, ce qui n'a pas empêché que vingt-quatre d'entre elles soient déportées, des condisciples de la mère et de la tante de l'écrivain. Sans leur en laisser aucun souvenir. "L'amnésie d'une génération a entraîné la révolte de la jeunesse. Il est frappant de voir qu'elles ont des prénoms français." Hervé Le Tellier leur rend justice et publie leurs noms: Mira Adler, Nicole Alexandre, Jacqueline Berschtein, Alexandra Cheykhode, Fortunée Choel, Paulette Cohen, Renée Cohen, Paulette Goldblatt, Thérèse Gradsztajn, Rosette Heyem, Marceline Kleiner, Janine Lubetzki, Estelle Moufflarge, Colette Navarro, Huguette Navarro, Ethel Orloff, Gilberte Rabinowitz, Rose Rosenkrantz, Françoise Roth, Jacqueline Rotszyld, Jacqueline Rozenbaum, Marguerite Margot Scapa, Rose-Claire Waissman, Olga Zimmermann.

Le retour de Piette
Piette est apparue dans un roman précédent, "Assez parlé d'amour" (JC Lattès, 2009). La revoilà dans "Toutes les familles heureuses". "Je suis passé du "il" au "je". Du coup, j'ai pu faire plus de choses, ajouter des éléments psychologiques plus intimes. Le chapitre a augmenté. Piette a été une fulgurance, six ou sept mois de ma vraie vie. Avec le recul, cela me paraît presque irréel d'autant que c'était caché. A vingt ans, soit on bascule dans le noir, soit on oublie."

Une nouvelle à l'OuLiPo
Clémentine Mélois, qui a dessiné l'arbre généalogique de la famille Le Tellier, vient d'entrer à l'Ouvroir de Littérature Potentielle.

Les Le Tellier & co par Clémentine Mélois. (c) JC Lattès.

Poudlard
Extrait: "Non je ne trouve pas très sympathique l'atmosphère de Poudlard, dans "Harry Potter".
Explication: "J"ai des problèmes avec Harry Potter parce qu'il est tellement british. J'ai tellement détesté mon enfance british."


Pour lire en ligne le début de "Toutes les familles heureuses", c'est ici.



mardi 19 septembre 2017

Le vaste monde selon Björn, ours bienheureux

Björn et sa tortue. (c) Fourmis rouges.

L'an dernier, Delphine Perret nous avait réjouis avec son album "Björn, six histoires d'ours" (lire ici). Un album bonheur. Bien, très bien même, apprécié unanimement. Laissant sans doute un petit goût de trop peu. C'est qu'on en aurait volontiers repris quelques-unes en plus, de ces merveilleuses histoires d'ours. Un souhait aujourd'hui largement exaucé avec la sortie de "Björn et le vaste monde" (Les fourmis rouges, 64 pages), tout aussi réussi et enchanteur. A l'inverse du précédent, les pages sont cette fois jaune pâle et la couverture d'un bleu léger. On retrouve le trait précis et expressif de Delphine Perret, le caractère enjoué de Björn et ses amis, la jolie typo et l'excellent rapport texte-images. On savoure ce nouvel album et on jubile à nouveau de connaître Björn et Delphine Perret.

Dès "Réveil", on retrouve le ton enchanteur des "Six histoires d'ours". C'est le printemps dans ce deuxième volume. L'ours se réveille en douceur d'une longue sieste et croise plusieurs amis qui ont fait pareil que lui, la tortue, une nouvelle venue, le blaireau... D'autres copains leur racontent la neige, les petits faits de l'hiver. Mais c'est tous ensemble qu'ils prennent une pluie de pétales de cerisier.

La fantaisie, le don pour le bonheur et les réjouissances, le mélange entre des choses actuelles comme un téléphone portable et la vie dans la forêt sont à nouveau là, la cohabitation entre animaux et humains aussi. Tout ça se tricote harmonieusement dans les cinq histoires suivantes. "Téléphone" permet à chacun des animaux de commander la pizza de son choix avant de tout oublier pour des prunes bien mûres. "Pique-nique" célèbre la nature de façon absolument charmante. "L'invitation" réinvite Ramona pour une séance de piscine peu commune. "Bus 43" est une balade à hauteur d'enfants voyageurs. Quant à "La lettre", ce chapitre un rien philosophique traite entre autres de l'amitié et fait la boucle avec la nouvelle amie rencontrée dans "Réveil".

Pas facile de réussir un second volume aussi séduisant et délicat que le premier. Delphine Perret le fait haut la main, avec toujours ce souci des détails et dans le texte et dans l'image. Björn, son ours qui cultive le bonheur, est là, à ne pas rater. A partir de 4 ans.




"Réveil" dans "Björn et le vaste monde". (c) Les fourmis rouges.