Ostende le 22 mai 2021
La mer s'agite, les vagues sont de plus en plus fortes. Le vent souffle
dans mes cheveux et emporte avec lui des grains de sable. Le ciel commence
tout doucement à s'assombrir. Je crois qu'une tempête se prépare.
Je ne devrais pas être là, mais tant pis, qu'est-ce que je risque? J'ai
déjà tout perdu. Même ma vie ne m'appartient plus. Au-dessus de ma tête,
un compte à rebours s'est enclenché. Quoique je fasse je mourrai à la fin
du décompte. Moi qui avais une panoplie de rêves à réaliser, je me rends
compte qu'au final je ne pourrai rien accomplir. Ah… rien que d'y penser
j'ai envie de pleurer.
Il se met à pleuvoir, le temps est en adéquation avec mon
humeur.
Je sens mon téléphone vibrer. Plusieurs appels manqués et une série de
message de mon médecin m'ordonnant de rentrer.
Ai-je envie d'y retourner? Non, certainement pas!
Je n'ai déjà plus beaucoup de temps, je ne vais pas le gaspiller entre ces
quatre murs. Là, j'ai juste envie de balancer mon téléphone dans l'eau et
de tout quitter. Et si je le faisais? La tentation est trop forte.
Je ne peux y résister.
Je me mets à marcher jusqu'à la lisière du sable et de l'eau. J'hésite
quelques secondes avant de rentrer petit à petit dans la mer. Le liquide
froid m'enveloppe et me recouvre totalement. Pour la première fois de ma
vie j'ai un sentiment de liberté…
Est-ce vraiment de la liberté? Un doute m'envahit, mon esprit se trouble,
je n'arrive plus à réfléchir…
Un instant de lucidité me revient. Mais que fais-je? Je suis en train de
tout gâcher! En ce moment je suis vivant, c'est le principal. Ce n'est pas
parce que je suis malade que je dois me croire mort avant l'heure. Sur ces
pensées, je reprends des forces et affronte la tempête pour remonter à la
surface. C'est dur, les vagues me secouent dans tous les sens. Je manque
de me faire emporter plusieurs fois par le courant mais je résiste tant
bien que mal. Il le faut!
Allez, encore un peu de courage. J'y suis bientôt. Je sors ma tête
de l'eau. Je reprends une bouffée d'oxygène et ouvre mes yeux. Ils me
piquent, mes poumons me brûlent et je me mets à tousser mais malgré tout
ça je suis heureux car cela prouve que j'appartiens encore à ce monde.
Grâce à cette expérience, j'ai réalisé que j'avais encore une chose à
accomplir avant de décéder. Une vie sans regret c'est ça que je
veux.
Hôpital le 23 mai 2021
Mes jambes avancent toutes seules. Ce trajet, je pourrais le parcourir les
yeux fermés. Peu importe le nombre de temps à passer ici, je ne peux m'y
habituer. Ces couloirs blancs m'oppressent. L'odeur si particulière de ce
lieu me monte au nez et me donne la nausée. Non, décidemment je n'aime pas
cet endroit. Mais je dois passer par là pour le rejoindre.
Je trouve enfin le bon couloir et marche jusqu'à cette porte. Il me suffit
d'un pas pour la franchir mais je n'y arrive pas. Mon corps commence à
trembler, je ne peux m'arrêter. Je m'accroupis devant la porte et essaye
de reprendre mes esprits. Après cinq minutes j'arrive enfin à retrouver le
contrôle de mes émotions. J'exhale un bon coup et rentre dans la
pièce.
Rien n'a changé, toujours ces murs blancs, ces deux lits au centre séparés
seulement par un rideau et cette unique fenêtre servant à de longues
heures de contemplation où l'on s'imagine être partout sauf ici.
Je me dirige directement vers le deuxième lit, j'ouvre le rideau. Mon
regard se pose sur le petit garçon qui me fait face.
Il me regarde d'un air perplexe jusqu'au moment où il semble me
reconnaitre.
- Tu es revenu! s'exclame-t-il.
- Oui, désolé du retard. Je me suis perdu mais ne t'inquiète pas,
maintenant je suis là, dis-je d'un ton chaleureux.
- Alors, qu'a dit le médecin? Vas-tu rester? s'interroge-t-il.
- Et bien comment dire… Je suis arrivé au même stade que toi et non, je ne
pense pas rester ici.
- Mais tu avais promis de rester avec moi, se plaint-il les yeux plein de
larmes.
- Ecoute Aris, je n'ai pas de rêve à accomplir avant de mourir mais toi tu
en as un. Alors j'ai décidé que mon rêve serait de t'aider à réaliser le
tien.
Ses yeux se posent sur moi, se mettent à briller mais d'un coup je
m'aperçois que leur lueur s'estompe pour laisser place à de la
tristesse.
- Pourquoi es-tu si triste?
Il secoue la tête.
- Non, je veux partir avec toi. Mais comment vais-je faire pour
transporter les machines, dit-il d'un air abattu.
- Oh Aris, ne t'inquiète pas pour ça.
- Mon médecin m'a dit que 'en avais besoin, gémit-il.
Je m'accroupis devant lui et passe mes mains dans ses belles boucles
blondes et le regarde dans ses yeux bleu azur.
- Je ne te l'ai pas dit plus tôt mais aujourd'hui est un jour spécial. Tu
peux quitter ces machines et cette pièce et partir loin d'ici avec moi. Le
médecin m'en a donné l'autorisation.
Il me saute dans les bras et me fait un câlin.
- Merci, merci, chuchote-t-il, sa tête enfuie dans mon cou.
Je lui tends ma main.
- Lève-toi maintenant. On va préparer tes affaires.
28 mai 2021 Sud de la France, Provence :
Les rayons du soleil s'infiltrent à travers mes rideaux et se posent sur
mon visage. Je me réveille en douceur. Mes pas me mènent vers le miroir
accroché à une des poutres de cette vieille bâtisse. J'ai l'impression que
mon reflet est une toute autre personne. Un léger teint halé, les yeux
reposés, tout mon visage s'est décrispé. Heureusement je ne ressemble plus
à un cadavre ambulant. Ça me fait du bien au moral. Je ressens les
bienfaits de cette semaine passée aux côtés d'Aris. Tous les deux nous
avons exploité à fond ces derniers jours pour pouvoir réaliser toutes les
activités que le petit monstre voulait accomplir.
En parlant de lui cela m'étonne qu'il ne soit pas encore venu me
rejoindre. D'habitude il profite de mon sommeil pour se jeter sur mon
estomac et par la même occasion me réveiller. Rien que d'y penser j'en ai
encore des crampes. Mais bon comment lui en vouloir? Il est si mignon.
Je me mets à le chercher dans la maison. Ne le trouvant pas, je commence à
m'inquiéter.
- Aris où es-tu?
Pas de réponse! Je panique vraiment. Jusqu'au moment où j'entends des
rires venant de l'extérieur. Je me précipite à travers les dédales de
couloirs et ouvre la porte menant au jardin. Stupeur! Devant mes yeux se
déroule une scène surréaliste.
L'enfant est en train de courir sur la pelouse tout en se faisant courser
par une poule. A l'instant où j'allais intervenir pour arrêter l'animal,
le gamin tombe et la poule vient lui picorer la main comme si elle voulait
le rassurer. Il se met à rigoler puis me voit et me sourit.
- Simon, tu as vu? La poule et moi faisions un touche-touche, dit-il en se
relevant.
- Oui j'ai vu. Allez, viens te préparer, aujourd'hui c'est le grand
jour.
Après quelques minutes d'attente nous sommes enfin prêts. J'ouvre la
grande porte en bois et nous sortons de la demeure.
- Allons-y à pied ce n'est pas très loin, dis-je en prenant la main
d'Aris.
- Oui, j'ai hâte, s'exclame-t-il.
Nous continuons notre chemin. Sur la route, Aris aperçoit un lézard. Comme
à son habitude il lâche ma main et décide de le courser. En le regardant
si joyeux, j'ai un léger pincement au cœur. Honnêtement, si quelqu'un
passait par là, il ne croirait jamais que ce gamin qui joue dans les
hautes herbes soit malade. Mais bon, je sais que bien souvent les
apparences sont trompeuses. Allons, n'ayons pas de pensée pessimiste,
aujourd'hui est un grand jour pour Aris. Il ne faut pas que je le
gâche.
- Continuons notre chemin sinon nous serons en retard, dis-je avec
entrain.
Il retourne à côté de moi et nous poursuivons notre balade.
- Simon, je n'aime plus le bruit qu'on entend tout le temps à la maison,
me chuchote-t-il comme pour me faire une confidence.
- Le bruit? Ah tu veux dire le chant des grillons?
- Oui et bien ton chant, il m'a réveillé trop tôt ce matin, se plaint-il
d'une moue boudeuse.
- Ne t'inquiète pas, tu t'y habitueras, dis-je en rigolant.
Il ne m'écoute déjà plus, trop absorbé par le lézard qui nous suivait
toujours.
Nous marchons pendant plusieurs minutes jusqu'à notre destination.
Quand nous sommes arrivés, tout était prêt. Nous embarquons dans la
nacelle. Tous les deux nous regardons avec admiration le lancement de
flammes. L'énorme ballon se gonfle doucement au-dessus de nos têtes et
s'élance dans les airs. Plus nous gagnons en altitude plus nous nous
habituons aux crépitements des flammes. Arrivé à une certaine hauteur,
Aris s'agrippe au rebord du panier.
- Fais attention, tu risques de tomber, dis-je d'un ton malicieux.
- Même pas vrai, dit-il en tirant la langue.
D'un coup, le vent se lève et la montgolfière s'accélère. Ça n'a pas du
tout l'air de l'inquiéter. Le petit bonhomme repart de plus belle dans un
fou rire. Nous divaguons encore quelques instants tout en contemplant le
paysage. Soudain, le môme se mit à pleurer. Je reste ébranlé ne sachant
pas d'où vient cette tristesse.
- Pourquoi pleures-tu?
- Parce-que c'est beau…
Un long silence s'ensuit jusqu'au moment où il trouve le courage de
terminer sa phrase.
- Je ne pensais jamais pouvoir ressentir cette sensation un jour. Tels les
oiseaux que j'observais à travers la fenêtre de l'hôpital, je vole et
contemple la Terre.
A ces mots je le prends dans mes bras et nous continuons à regarder ce
paysage si cher aux yeux d'Aris.
Je n'en reviens pas, il y a une semaine, je voulais en finir avec ma vie,
la trouvant triste à souhait. Maintenant, même si je sais que celle-ci va
bientôt prendre fin, je ne suis plus attristé. Au contraire, je suis
heureux d'être là, dans le ciel, aux côtés de la personne que je considère
comme mon frère. Nous profitons du moment, sans penser au lendemain. Pour
une fois, nous, les enfants sans avenir, sommes plus éblouissants que le
soleil.