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mardi 24 avril 2018

Douze heures de la vie d'une femme invisible


L'Ave Maria de Schubert en boucle. Les invités qui s'impatientent dans l'église lyonnaise parée de ses plus beaux atours pour ce qui devrait être un GRAND mariage. Les enfants d'honneur qui s'égaillent. Les parents des futurs mariés qui angoissent. Et pour finir, après ces vingt minutes qui ont paru un siècle, l'annonce du fiancé à son futur beau-père: Louise a quitté la maison d'hôtes où elle se préparait, mais en taxi et vêtue d'un jean, d'un chemisier et de sandalettes. Après un rapide conciliabule entre Charles-Constant, ses parents et ses beaux-parents, les invités sont informés du report du mariage pour cause "d'un malaise de la fiancée" et priés néanmoins de se rendre au cocktail, puis au dîner d’apparat pour certains.

En trois pages à l'écriture serrée, Laure Mi Hyun Croset a tissé la base de son premier roman, "Le beau monde" (Albin Michel, 204 pages). Elle y greffera une vingtaine de témoignages, pièces d'un puzzle qui compose l'image de l'absente, cette Louise qui sera à la fois portée aux nues et traînée dans la boue. On se doute bien qu'au fur et à mesure de l'avancée du repas, les boissons faisant leur effet, les orateurs se feront plus enflammés, dressant à la fois le portrait de Louise et, en creux, celui, pitoyable, de ce monde, le leur, dont ils sont si fiers.

Sur un sujet instable, un mariage parfait dans le grand monde, la romancière compose un livre qui fait souvent bien rigoler, tout en offrant un immense plaisir de lecture grâce à son style aiguisé. Quelle joie d'y trouver du passé simple et de l'imparfait du subjonctif! "Je voulais absolument garder la langue qui se perd un peu", confie Laure Mi Hyun Croset, de passage à Bruxelles. "J'ai fait des études de littérature, notamment sur le XVIIe siècle. En fait, j'aime plus travailler le style que conter en soi-même."  L'écrivaine suisse est née en 1973 à Séoul, puis a été adoptée par une famille genevoise, ville où elle réside toujours.

"Le beau monde" se déroule à Lyon, chez les aristocrates à double particule, dont Charles-Constant est un représentant. Qui est Louise, venue de Genève? Seule certitude, elle partage l'initiale de son prénom avec sa créatrice. Pour le reste, on est obligé de s'en remettre aux témoignages des uns et des autres. Amaury, Léopold, Matteo, Vladimir, Jean, Mathilde, Gilbert, Agathe, Harry, Hubert, Edgar, Géraldine, Augustin, Alexandre, Catherine..., autant d'orateurs plus en moins en verve, qui vont tour à tour décocher leurs flèches de miel et de fiel contre l'absente.

En douze heures de temps, de 3 heures de l'après-midi à 3 heures du matin, on va découvrir les facettes de Louise. Trente-cinq ans de vie débités en tranches goûteuses, avec de nombreux flash-back, des témoignages qui se contredisent les uns les autres. L'enfance de Louise, Louise chez les scouts, Louise romancière, Louise à l'école, Louise au restaurant, Louise et l'alcool, les tics et les tocs de Louise, Louise au lit... Sans oublier cette question qui tient l'assemblée et nous-même en haleine jusqu'à la fin: la future mariée va-t-elle apparaître? L'ensemble, superbement monté, est parfaitement réjouissant.

Si Laure Mi Hyun Croset ne s'est pas enfuie de son propre mariage, elle a parfaitement saisi la situation et nous la sert avec une lucidité teintée d'acidité qui donne à son premier roman une force insoupçonnée par rapport à son sujet. L'admiratrice de Flaubert pour son ironie et son côté amusant, de Proust pour sa profondeur, a disséqué le beau monde sans que le sang ne coule officiellement mais réussit un excellent portrait d'une part de la société.

Sept questions à Laure Mi Hyun Croset

Comment est né ce premier roman?
Ce roman n'est pas du tout autobiographique. Le sujet m'a été proposé au téléphone par Richard Ducousset (éditeur chez Albin Michel) à qui l'écrivain Jean-Christophe Grangé, que j'avais rencontré lors d'une soirée littéraire à Genève, avait fait lire un de mes livres précédents, "Les velléitaires". Il m'a demandé si j'avais un projet. Je lui ai proposé un roman choral polyphonique dont l'héroïne ne serait pas là. De faire son portrait en creux comme dans les contes de Canterbury ou dans le Decameron. Que des gens soient rassemblés pour raconter et écouter des histoires sur une même idée mais sans que la personne ne soit là. C'était un défi pour moi car le roman de 200 pages n'est pas mon format.

Ce premier roman n'est donc pas votre premier livre?
Non, j'en ai écrit cinq autres précédemment, dont deux livres de nouvelles chez l'éditrice belge Luce Wilquin, l'un de micro-événements, "Les velléitaires" (2010), l'autre de fragments autobiographiques, "Polaroïds" (2011).

Comment avez-vous mis en forme "Le beau monde"?
Il y a une unité de temps, une temporalité de douze heures, de 3 heures de l'après-midi à 3 heures du matin. Et la question constante, va-t-on retrouver Louise? Comme dans le film "Chaînes conjugales" de Mankiewicz où on ne sait pas quel époux est parti. Je voulais un roman classique dont le personnage principal soit absent, comme dans "Rebecca" de Daphné du Maurier ou "Les dix petits nègres"  d'Agatha Christie. Les témoignages subjectifs des uns et des autres, non écrits à la première personne, se contredisent. L'un ou l'autre a raison, même si parfois certains vont loin dans leur délire.

Vous avez l'air de bien connaître ce milieu.
Le beau monde n'est pas mon milieu, je viens d'une famille assez simple. Mais j'ai lu les manuels de savoir-vivre de la baronne. Je l'ai appris comme on apprend une langue. Et j'ai côtoyé les milieux huppés en Suisse. J'aime bien les codes pour pouvoir les contourner quand je le veux. J'aime connaître le bon français et aussi l'argot pour savoir quand je fais une entorse. J’aime connaître pour contourner.

Les titres des chapitres sont les sacrements chrétiens.
J'avais les témoignages écrits mais seulement juxtaposés. Il me fallait les structurer. Les dix commandements étaient déjà pris, les sept péchés capitaux déjà vus. J'avais déjà le mariage et l'extrême-onction. Je me suis dit que j'allais ajouter les autres, vus de façon laïque. Tout était là pour faire une espèce de progression. Il me fallait regrouper les témoignages. Certains se sont donc déplacés dans le texte. Quand j'ai eu fini, j'ai relu tout le texte intégralement à deux amis pour avoir un regard neuf. C'était casse-pieds mais nécessaire pour qu'il n'y ait pas d'incohérence.

Comment avez-vous imaginé tous ces témoignages?
Beaucoup viennent d'un microcosme de banquiers mais d'autres datent du début de l'existence de Louise pour aller jusqu'à son mariage, soit trente-cinq ans de vie en tout. Il fallait que je trouve une personne pour chaque étape de la vie de Louise. Avec des parties marrantes si possible. Et un peu de moi. Le poète, par exemple, descend mes ouvrages à moi. J'ai travaillé à partir de la réalité telle qu'on l'imagine, avec nuances, subtilités, ambivalences.

Je pensais que vous aviez pris plaisir à écrire ce livre qu'il est un plaisir de lire.
Mon écriture, c'est énormément de travail! J'écris toujours tout très vite, puis je relis pendant six ou sept mois avec des critères différents, pour différencier les émotions, éviter les répétitions de mots, vérifier la ponctuation, que les phrases de même statut aient la même manière. Je travaille au dictaphone, j'écoute et réécoute très souvent. C'est très long mais cela me permet d'avoir une vision d'ensemble.
J'ai l'amour de la langue, de sa musicalité. Je contrôle l'écriture, je vérifie tout pour qu'il y ait plaisir de lire, que la phrase soit limpide. Le passé simple donne une dimension littéraire aux propos les plus triviaux. La plupart de ceux qui s'expriment sont des imbéciles.

Pour lire le début du roman "Le beau monde", c'est ici.






vendredi 20 avril 2018

L'amour de l'homme, ou de l'enfant, pour le livre


Le 23 avril, troisième jour du signe astrologique du Taureau, c'est:
  • le 113e jour de l'année (114e en cas d'année bissextile) du calendrier grégorien.
  • la fête de Saint Georges et variantes George, Georget, Georgi, Georgio, Georgy, Giorgio, Jerzy, Jo, Jordi, Jordy, Jorg, Jorge, Joris, Jory, Jorys, Jürgen, Yuri et en formes féminines Georgette, Georgia, Georgiana, Georgiane, Georgie, Georgina, Georgine.
  • depuis 1995, la Journée mondiale du livre et du droit d'auteur, décrétée par l'Unesco, commémorant le jour de l'année 1616 où décédèrent trois écrivains majeurs, William Shakespeare, Inca Garcilaso de la Vega et Miguel de Cervantes.
  • pour la vingtième fois dans nos contrées francophones, la Fête de la Librairie par les libraires indépendants. Comme toujours, elle est célébrée le samedi le plus proche de la date par l'offre d'une fleur et d'un livre spécial à tout client de la librairie ce jour-là. En cette année 2018, ce sera le 28 avril (lire plus bas).

Le 23 avril est aussi la date qu'a choisie l'ADEB (Association des éditeurs belges) pour promouvoir la lecture des enfants. Comment? Grâce à une fort jolie affiche signée Anne Herbauts. Il y est proclamé "J'offre un livre à un enfant", et précisé en petit que cela peut aussi se faire par un emprunt en bibliothèque, ou un choix dans sa bibliothèque personnelle. Cela devrait donc être prendre le temps de lire un livre à un enfant, mais ce n'est pas écrit.

Bonne idée de soutenir la lecture des plus jeunes, dont les résultats dans ce domaine sont déplorables si l'on se réfère aux résultats de l'enquête internationale PIRLS 2016 (Progress in Reading Literacy Study). Les élèves belges francophones de 4e année primaire sont les plus faibles lecteurs de l'Union européenne et des pays membres de l'OCDE.

Bien sûr, il existe déjà des manifestations en faveur du livre et de la lecture en Fédération Wallonie-Bruxelles. Des mesures ont été prises à l'école via le plan lecture. De nombreuses personnes agissent au quotidien. Au vu des résultats, c'est insuffisant.

Une affiche lançant un appel à l'action fera-t-elle mieux? C'est ce que pensent les éditeurs de livres jeunesse et scolaires (Acrodacrolivres, Alice Jeunesse, Au Gai Savoir, A pas de loups, Auzou, CotCotCot, Dupuis, Dargaud-­Lombard, Averbode, Casterman, Plantyn, Kate'Art, Ker, Bayard et Milan, Mijade, Pastel-l'école des loisirs, Philéas & Autobule, Versant Sud Jeunesse), en partenariat avec l'ADEB, rejoints par la Foire du livre de Bruxelles et le Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles.

Ils ajoutent: "Cette journée du 23 avril n'est pas l'aboutissement d'une action, mais le début d'une mobilisation afin que le livre, mais surtout la lecture et la maîtrise de la langue française, soit à la fête tous les jours !"

Parfait. Mais pourquoi ne pas mettre un livre entre les mains des enfants pratiquement alors? Cela se fait de diverses manières en France, pour le plus grand plaisir des lecteurs, de leurs familles, des auteurs et des éditeurs.

Pourquoi choisir la date du 23 avril, qui est la date officielle de la journée du livre mais dont on sait qu'elle se déplace par commodité à un samedi?

Pourquoi, puisqu'il s'agit de jeunesse, ne pas s'aligner sur le 2 avril, jour de l'anniversaire de Hans Christian Andersen, où, depuis 1967, à l'instigation de l'organisation IBBY (International Board on Books for Young People) est célébrée la Journée internationale du livre pour enfants qui vise à inciter à l'amour de la lecture et à attirer l'attention sur les livres pour enfants de tous âges.

Ne faudrait-il pas grouper les forces plutôt que les éparpiller?




J'en reviens à la Sant Jordi, Journée mondiale du livre et du droit d'auteur où sera célébrée cette année la 20e Fête de la librairie par les libraires indépendants. Un événement chaque année fort réussi.


Ce samedi 28 avril 2018, plus de 480 librairies en France mais aussi en Belgique (liste en fin d'article), au Luxembourg et en Suisse francophone prendront part à l'opération "un livre une rose".
Chaque librairie s'occupera de se fournir en fleurs. Mais un livre illustré broché en noir et blanc et en grand format, sur un sujet formidable, le livre fondateur de trente-deux éditeurs et éditrices, jeunesse et "vieillesse", vingt hommes et douze femmes, sera offert aux clients des librairies participant à la journée. "L'homme-livre" est tiré à 23.000 exemplaires en partenariat avec Actes Sud.

Il est extrêmement amusant de découvrir ce que ces trente deux femmes-livres et hommes-livres indiquent comme étant leur livre fondateur, vital et  souvent à l'origine de leur vocation. L'émotion pointe toutefois dès qu'on ouvre le recueil, dédié à Paul Otchakovsky-Laurens, le fondateur des éditions P.O.L., brutalement disparu début janvier dans un accident: "Nous dédions ce livre à notre très regretté et incomparable Paul Otchakovsky-Laurens. Tous nos vœux pour la pérennité de son catalogue."

Ensuite, après la très belle préface de Marie-Rose Guarniéri de l'Association Verbes  et de la librairie parisienne Les Abbesses rendant hommage aux libraires, se succèdent par ordre alphabétique les trente-deux témoins, superbement photographiés par Jérôme Bonnet, femmes et hommes de l'ombre qui se retrouvent, pour une fois en pleine lumière.

A découvrir donc, les récits et les livres choisis par José Alvarez (Editions du Regard), François Besse (Parigramme), Jacques Binsztok (Tohu Bohu), Thierry Boizet (Finitude), Adrien Bosc (Editions du Sous-sol), Lidia Breda (Petite bibliothèque, Rivages), Laurent Cauwet (Al Dante), Caroline Coutau (Zoé), Bruno Doucey (Editions Bruno Doucey), Jean Hubert Gailliot et Sylvie Martigny (Tristram), Oliver Gallmeister (Gallmeister), Sophie Giraud (Hélium), Marie Hermann (Agone),  Marion Jablonski (Albin Michel jeunesse), Laure Leroy (Zulma), Liana Levi (Liana Lévi), Thierry Magnier (Thierry Magnier), Jean-Maurice de Montrémy (Alma), Patrick Mauries (Thames & Hudson et Presses de Serendip), Maurice Olender (La librairie du XXIe siècle, Seuil), Yves Pagès (Verticales, Gallimard), Michel Parfenov (Solin /Actes Sud), Philippe Picquier (Philippe Picquier), Eric Poindron ("Curiosa & cætera", Le Castor Astral), Gilles Rozier (Editions de l'Antilope), Thomas Simonnet (L'Arbalète, Gallimard), Sophie  de Sivry (L'Iconoclaste), Claire Stavaux (L'Arche), Jean-Yves Tadié (Folio classique, Gallimard), Marie-Catherine Vacher (Actes Sud), Olimpia Verger (Syrtes).

Quatre des éditrices qui témoignent. (c) Verbes-Actes Sud.

Qui a choisi "Journal d'un curé de campagne", "L'enfance de Bécassine", "Les petits chevaux de Tarquinia", "L'île au trésor", "Love", "Bleu de travail", "Le petit Robert" et d'autres titres encore? Réponse le samedi 28 avril chez les libraires indépendants.

Les librairies belges associées à l'événement

  • Tropismes  Galerie des Princes, 11 1000 Bruxelles
  • Tulitu Rue de Flandre, 55 1000 Bruxelles
  • Candide Place Brugmann, 1-2 1050 Bruxelles 
  • Les yeux gourmands Avenue Jean Volders, 64A 1060 Bruxelles 
  • Librairie Jaune Rue Léopold 1er , 499 1090 Bruxelles
  • U.O.P.C.  Av. Gustave Demey, 14-16 1160 Bruxelles 
  • La Licorne Chaussée d'Alsemberg, 715 1180 Bruxelles 
  • A Livre Ouvert-Le Rat conteur Rue St Lambert, 116 1200 Bruxelles 
  • Cook & Book Place du Temps Libre, 1 1200 Bruxelles 
  • L'Ivre de Papier Rue St Jean, 34 1370 Jodoigne 
  • Au P'tit Prince Rue de Soignies, 12 1400 Nivelles 
  • Graffiti Chaussée de Bruxelles, 129 1410 Waterloo
  • Le Baobab Rue des Alliés, 3 1420 Braine-l'Alleud
  • Livre aux Trésors Place Xavier Neujean, 27A 4000 Liège
  • La Parenthèse Rue des Carmes, 24 4000 Liège
  • Pax Place Cockerill, 4 4000 Liège
  • Siloë Rue des Prémontrés, 40 4000 Liège 
  • Le Long Courrier Avenue Laboulle, 55 4130 Tilff
  • La Dérive Grand Place, 10 4500 Huy
  • Les Augustins Pont du Chêne, 1 4800 Verviers
  • Papyrus Rue Bas de la Place, 16 5000 Namur
  • Point-Virgule Rue Lelièvre, 1 5000 Namur
  • Antigone Place de l'Orneau, 17 5030 Gembloux
  • DLivre Rue Grande,  67A 5500 Dinant
  • Libre à toi Avenue de Forest, 30 5580 Rochefort 
  • Molière Bld Tirou, 68 6000 Charleroi
  • Croisy Rue du Sablon, 131 6600 Bastogne
  • Du tiers et du quart Rue de Neufchâteau, 153  6700  Arlon
  • Le Point Virgule Grand Place, 21 6700 Arlon 
  • Le Temps de lire Rue du Serpont, 13 6800 Libramont
  • Oxygène Rue St Roch, 26 6840 Neufchâteau
  • Leto Rue d'Havré, 35 7000 Mons
  • Ligne Claire Grand-rue, 66 7000 Mons 
  • Polar & Co Rue de la Coupe, 36 7000 Mons
  • Ecrivain Public Rue de Brouckère, 45 7100 La Louvière
  • Librairie de la Reine Grand Place, 9 7130 Binche
  • Quartier Latin Rue Grande, 13 7330  Saint-Ghislain
  • Chantelivre Quai Notre-Dame, 10 7500 Tournai
  • Decallonne Grand Place, 18 7500 Tournai







mercredi 18 avril 2018

"Qui a bouleversé le contenu de ma tirelire?" Un concours de nouvelles pour les jeunes auteur(e)s


La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse a lancé hier, 17 avril, un premier concours de nouvelles à destination des auteur(e)s jeunesse débutants ou en voie de professionnalisation, chartistes ou non. "émergences!" s'avère une initiative réjouissante qui clouera aussi le bec à tous ceux qui affirment que la Charte ne fait que se plaindre ou manifester. On se souvient toutefois avec plaisir des événements créés à l'occasion du salon de Montreuil par exemple (lire ici et ici). Sans oublier évidemment, pour le côté actif, les voyages à Bologne pour les illustrateurs.

Le concours donnera lieu à l'édition d'un recueil réunissant les nouvelles lauréates, à deux journées de formation en novembre (comment présenter son projet; comment négocier son contrat) pour leurs auteur(e)s, à des rencontres privilégiées avec des éditeurs pendant le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, fin novembre et à la création, début 2019, d'un spectacle théâtral à partir de ce travail littéraire.

Le projet "émergences!" concrétise la volonté des auteurs réunis sous la bannière de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse (1.400 personnes), d'accompagner les talents émergents sur le chemin de la professionnalisation. Que faire quand on débute dans l'écriture, où aller, qui rencontrer? Autant de questions qui ne trouvent pas toujours de réponses aisées et que les chartistes souhaitent faciliter.

Pour participer à "émergences!", les auteur(e)s doivent avoir à leur actif entre une et trois publications. Ils enverront au jury avant le 18 juin une nouvelle écrite pour l'occasion: maximum 5.000 signes, public de 9 à 12 ans, à partir de la phrase "Je casse ma tirelire. Elle est vide! Où est mon argent? À la place, juste une feuille de papier pliée".

Le recueil des douze nouvelles sélectionnées par le jury sera édité par la Charte des auteurs et illustrateurs de jeunesse et adressé aux professionnels du livre, éditeurs, libraires, journalistes, responsables de salons et de festivals, afin de promouvoir la jeune création en littérature de jeunesse. Edité en version bilingue français-anglais, il sera aussi présenté à l'international.

Calendrier
  • Appel à concours le 17 avril
  • Date limite d'envoi des nouvelles le 18 juin
  • Délibération du jury et proclamation des résultats mi-septembre
  • Date de parution du recueil "émergences!" mi-novembre

Pour participer
Deux documents sont à télécharger.

  • la fiche d'inscription (ici)
  • le règlement du concours (ici)

Renseignements supplémentaires: ecrire@la-charte.fr
00 33 (0)1 42 81 19 93.



lundi 16 avril 2018

Grandir en confiance dans ce vaste monde

Deux grands yeux pour bien voir. (c) Rouergue.


Une sélection de sept albums pour enfants qui concernent les tout-petits. Quand, au début de leur vie, ils bénéficient d'un accompagnement bienveillant.


Ah tu verras, tu verras!


Tu vas voir
Frédérique Bertrand
Rouergue, 40 pages

De double page en double page de ce moyen format, deux grands yeux apparaissent, tournés vers la droite du lecteur, comme pour lui dire "tourne la page". En dessous, les trois mots "tu vas voir". Le mécanisme se met vite en place, ici deux yeux avec un indice, là une situation spécifique, gracieusement dessinée à l'habitude de l'auteure-illustratrice. On reconnaît vite et avec plaisir ses enfants aux bouilles sympathiques, ses collages de papier quadrillé, ses points de couleur... (lire ici).

Un univers graphique personnel, doux et joyeux, qui présente chaque fois une situation et plusieurs possibilités, assorties du rappel "c'est à toi de voir..." Les questions sont celles des enfants, marcher, s'amuser, s'affirmer, se différencier, choisir sa musique. Le livre avance comme la vie, avec d'autres choix, d'autres réalités, mais toujours cette liberté de choisir. Les propos philosophiques mènent à des cup-cakes gourmands et à une double ration de chance.

Ces "tu vas voir" répétés accompagnent idéalement le tout-petit confronté à ses premiers choix en lui ouvrant bien grand le champ des possibles. Un splendide album illustré tout en délicatesse. A partir de 2 ans.

Deux doubles pages successives. (c) Rouergue.


Girafon fonfon


Si petit
Florian Pigé
HongFei, 36 pages

Ce petit format presque carré réalisé à l'encre et aux tampons met en scène un tout jeune girafon rose-rouge, qui paraît bien petit dans son vaste univers alors que lui-même ne s'y sent pas mal. Il est le premier album en solo, fort réussi, de Florian Pigé qui avait déjà illustré trois albums chez le même éditeur (lire ici) et deux ailleurs. Il est aussi le premier d'un triptyque rendant hommage aux tout-petits: "Si gourmand" paraîtra en mai et "Si curieux" en août.

"Si petit" conte en d'originales illustrations la découverte du monde par le petit girafon. La bienveillance de l'adulte qui prend soin de lui s'accorde bien avec l'humour des situations, que le bébé girafe se cache avec les fourmis, qu'il se lance en bateau sur la mer, qu'il se juche sur la tête d'un hippopotame, qu'il rentre chez lui transporté par un oiseau au cou aussi long que lui, qu'il fasse des bêtises, qu'il ait besoin d'aide pour se nourrir, qu'il ait peur le soir ou qu'il puisse à son tour venir en aide au "grand" qui le protège. Un petit qui va loin parce qu'il se sent en confiance. A partir d'un an.

Explorer et se retrouver parfois en situation compliquée. (c) HongFei.


Une place pour toi 


Tout petit
Marie Sellier et Ilya Green
Casterman, 32 pages

Un doux chant d'amour à la vie et au bébé qui grandit de page en page dans cet album qui fait poétiquement l'inventaire de l'univers du nouveau-né, Papa et Maman bien entendu mais aussi Poc le chien et l'arbre du jardin, plus grands que lui, le papillon bleu, l'écureuil gris, le bébé chien et le chat du voisin qui sont, eux, plus petits. Une jolie façon d'amener la notion de la diversité sur terre et de la complémentarité de tous.

Le texte de Marie Sellier est d'une belle musicalité, les scènes enfantines croquées par Ilya Green (lire ici) d'une beauté lumineuse et paisible. Un très bel album sur la beauté du début de la vie et la juste place de chacun. Pour tous dès la naissance et après.

Un tout petit qui grandit de page en page. (c) Casterman.


Etre soi-même


Lia
Daniela Tieni
Rouergue, 32 pages

Superbe premier livre en solo de l'Italienne qui avait déjà magnifiquement illustré l'album "A quoi rêve Marco?" de Luca Tortoloni (même éditeur, 2017). Elle y met en scène, sur un joli papier crème, Lia, une petite fraise qui aimerait bien être quelqu'un d'autre. Un autre fruit donc. Lia s'interroge à la première personne en se projetant dans la peau d'une pomme, d'une poire, d'une banane, d'une pastèque, d'une prune, d'une cerise, d'une myrtille... Chaque fois, elle y voit plein d'avantages mais aussi plein d'inconvénients. A tel point qu'elle se sent totalement perdue. Mais sa maman est là qui veille et rassure l'égarée: "Tu es libre de devenir qui tu veux (...) mais n'oublie pas qui tu es, il faut croire en toi."

L'album a un propos fort intéressant, assurer chacun de l'importance d'être unique, qui est véritablement porté par un graphisme épatant, tout en douceur dans les différentes scènes imaginées au départ des formes des fruits, tout en vitalité avec ces deux oiseaux bleus, un grand et un petit, qui semblent participer à la conversation entre Lia et elle-même. Lia, une petite fraise à la mère humaine en qui peuvent s'identifier tous les enfants. A partir de 3 ans.


Si j'étais... mais... (c) Rouergue.



Tendre bienveillance


Quand tu seras grand
Emily Winfield Martin
traduit de l'anglais par Ilona Meyer
Les éditions des éléphants, 40 pages

"Quand je te regarde et que tu me regardes, je me demande quelle personne merveilleuse tu seras." En face de ces mots, une maman et sa petite fille. "Quand tu étais petit, trop petit pour me dire bonjour, je savais déjà que tu étais quelqu'un que je souhaitais connaître." Cette fois, un père s'adresse à son fils bébé. Ensuite, on aura toujours la voix du parent, chaque fois différent, qui s'adresse à son enfant mais l'adulte n'apparaîtra plus dans l'image.

Un discours qui rappelle l'amour de l'adulte pour l'enfant et place sa confiance en lui pour l'avenir. Autant de questions qui abordent tous les aspects de la vie, la générosité, la justice, la musique, l'imagination, le partage, l'éducation, le souci de l'autre, le courage, la curiosité... Toutes ces interrogations se posent sur de très jolies illustrations à l'ancienne où évoluent des tas d'enfants de tous les âges, de toutes les couleurs et de toutes les humeurs. Elles aboutissent à cette superbe conclusion: "Je t'aimerai toi, qui que tu sois." A partir de 3 ans.


Interrogations et bienveillance. (c) Les éditions des éléphants.


L'aventure en grand


Pas de géant
Anaïs Lambert
Les éditions des éléphants, 48 pages

Un album vu au ras du sol, comme un jeune enfant voit la nature. Des scènes bucoliques exquisement dessinées racontent l'expédition du héros dans son jardin. Un vaste monde qu'il découvre, chaussé de ses bottes vertes. Un vaste monde qu'il réinvente avec son imagination.

Entre pâquerettes, liserons, trèfles, radis, rhubarbes, fougères et autres espèces botaniques aisément reconnaissables, le tout petit narrateur conte ses observations: un combat féroce, une course folle et gluante, des monstres piquants, une caravane en route, des hélicoptères, des  rivières et des forêts. Sa façon de voir les insectes et les éléments naturels. Il va jusqu'à penser croiser un ours, un éléphant, un crocodile, une girafe, un kangourou... Un jeu joyeux avec ce qu'il voit, sent et entend jusqu'à ce que résonnent des pas lourds... Un géant? Parfois le salut est dans la fuite...

Un album vibrant, remarquablement illustré, qui célèbre jusqu'à sa chute rassurante l'imaginaire enfantin qui voit tout bien plus fort que la réalité. A partir de 3 ans.




Des bottes vertes et une imagination d'enfant. (c) Editions des éléphants.

A noter que les illustrations originales de "Pas de géant" sont exposées jusqu'au 20 juin au Wolf (Maison de la littérature de jeunesse, 18/20 rue de la Violette, 1000 Bruxelles, accès libre du mercredi au dimanche de 10 à 18 heures).


Dodo, l'enfant do


Allez, au nid!
Jo Witek et Christine Roussey
De La Martinière Jeunesse, 28 pages


Un cartonné de bon format pour préparer le coucher de façon douce et paisible, par un tandem bien rôdé (lire ici). Le soleil couché, un petit garçon se prépare à faire la même chose que l'astre. Le texte mélodieux de Jo Witek détaille les différentes étapes avant la mise au lit, la mise au nid plutôt. Toilette, déshabillage, pyjama ou chemise de nuit, souhaits de bonne nuit, bisous, rangements des jouets et des doudous. Pas tous les doudous. Le petit héros en garde un avec lui , qu'il tranquillise, qu'il rassure, à qui il raconte l'endormissement avant de plonger dans ses rêves et de se réveiller plein d'entrain pour un nouveau jour.

Sur fond blanc et en format à l’italienne pour la plupart, les images expressives et dépouillées de Christine Roussey apportent à la fois de la tendresse et de la vitalité à ce tendre album qui revisite très agréablement les rites du coucher. A partir d'1 an.


C'est l'heure de se coucher comme le soleil. (c) Ed. De La Martinière Jeun.








vendredi 13 avril 2018

"Profession du père" en bande dessinée

Sorj Chalandon et Sébastien Gnaedig.

Lire un roman, c'est recevoir et interpréter soi-même les mots de l'auteur.
Lire une bande dessinée inspirée d'un roman, c'est découvrir les mots de l'auteur dans l'interprétation de celui qui l'a adapté et illustré. Surtout quand on connaît le roman initial.

C'est mon cas pour l'épais et remarquable album "Profession du père" que signe Sébastien Gnaedig d'après le livre du même titre de Sorj Chalandon (Futuropolis, 232 pages). Je n'ai donc pas totalement  "découvert" cette excellente bande dessinée puisque j'en connaissais l'histoire - comment l'oublier? - mais j'ai beaucoup apprécié la manière dont elle a été transposée, de façon pudique tout en étant explicite, d'un bout à l'autre, dans ce gros album en bichromie.

Il fallait bien cet important nombre de pages pour rendre justice à Emile, le héros dont l'enfance et sans doute la vie ont été bousillées par un père terrifiant, manipulateur, en un mot fou dangereux. Et pour laisser le lecteur respirer un peu entre deux chapitres.  Les événements, datés, s'enchaînent en autant de séquences davantage dessinées que dialoguées. Les funérailles du père d'abord, où ne sont présents que sa veuve âgée et son fils arrivé dans la deuxième moitié de son existence. Suit alors un long flash-back qui reprend de nombreuses scènes de la vie d'Emile à l'école ou à la maison. On voit le garçon grandir, toujours aussi isolé. Il croit les folles déclarations de son père. Tout y passe. Agent secret, ex-membre des Compagnons de la chanson pour ce qui prête à rire. Pro OAS, anti de Gaulle pour ce qui porte davantage à conséquence. Ce petit homme, gravement fou, sans garde-corps, malin et organisé dans sa méchanceté, terrorise deux personnes.

La première page. (c) Futuropolis.

Jeune, Emile adhère aux thèses paternelles. Pourrait-il faire autrement? Il n'a aucune autre référence. Ce ralliement ne lui permet toutefois pas d'éviter les coups de son bourreau, les raclées et les infernaux entraînements de gymnastique malgré son asthme. La seule chose qui le préserve un peu est son amour pour le dessin, dont il fera sa profession plus tard. La mère est là, bien sûr. Elle tente d'apaiser son mari qui la frappe et la punit régulièrement, de consoler comme elle peut Emile. Elle ne dit rien mais voit tout. On en aura la confirmation dans une des dernières pages de cet album prenant, à l'issue des funérailles. La boucle est bouclée, dans le livre comme dans la vie de cette mère et de ce fils qui n'avaient pas mérité ça.

LA question qui donnera le titre, présent depuis toujours. (c) Futuropolis.

Sébastien Gnaedig a eu la bonne idée de ne pas en montrer trop dans ses dessins, tout en faisant bien ressentir ce qu'Emile a enduré. Sa version en bande dessinée apparaît plus universelle, donnant à entendre la voix de tous les enfants battus par leur père que l'histoire personnelle de Sorj Chalandon petit. Une manière de préserver le gamin d'hier, l'homme d'aujourd'hui, mais de partager son drame et la force qui lui a été nécessaire pour s'en sortir.  Sa "Profession du père", simple et sobre, est moins douloureuse mais dit la même chose, une tragédie domestique et une relation manquée.

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On retrouvera ici l'interview que Sorj Chalandon m'avait accordée en septembre 2015 à l'occasion de "Profession du père" (Grasset).

jeudi 12 avril 2018

Les prénoms mixtes d'Amélie

"Les prénoms épicènes", à paraître le 22 août. (c) Albin Michel.

Ambroise, Camille,
Céleste, Charlie, Claude, Dany, Dominique, Hippolyte, Leslie, Lou, Stéphane, Yannick... autant de prénoms qui se portent au masculin comme au féminin, même si on ne le sait pas toujours.

Amélie Nothomb.
On peut parler à leur propos de prénoms mixtes, mais il existe aussi une appellation beaucoup plus savante, que, scoop d'avril, Amélie Nothomb a justement choisie pour son roman à paraître à la prochaine rentrée, le vingt-septième, le 22 août, chez Albin Michel comme toujours. Ce sera "Les prénoms épicènes". Le titre est définitif et la couverture est là - bizarrement, pas d'accent visible sur le "é" d'Amélie. Le livre, nous dit-on, traitera d'une relation fille-père au contraire de son précédent qui abordait la relation mère-fille ("Frappe-toi le cœur", Albin Michel, 2017, lire ici).



mercredi 11 avril 2018

L'imagination au pouvoir, disaient-ils

Charivari se réveille tout joyeux. (c) Little Urban.

Inhabituels, farfelus, délirants, une sélection de sept albums jeunesse qui savent ce que rire et imaginer veulent dire.


Jour de marché


Les Britanniques John Yeoman au texte et Quentin Blake à l'illustration constituent depuis cinquante ans  un duo de choc, élevant la joie, l'imagination et la fantaisie au rang des beaux-arts. La preuve encore dans l'album "Charivari" ("Rumbelow's Dance", traduit de l'anglais par Valérie Le Plouhinec, Little Urban, 48 pages), délicieux opus qui nous arrive maintenant en français alors qu'il est né en 1982.

Comme il présente une histoire du passé, cela n'a guère d'importance.
Charivari, un petit garçon à connaître, se lève pour aller rendre visite à ses grands-parents qui habitent à la place du marché. Une marche très longue et très fatigante au cours de laquelle il rencontre toute une série d'autres promeneurs se rendant au marché mais déjà fatigués. A tous, Charivari applique sa solution, danser sur le chemin pour avancer plus facilement.

La recette est excellente et nous vaut une extraordinaire farandole, chaque double page amenant un nouvel invité que l'on a plaisir à découvrir: un fermier et son cochon, une fleuriste et ses bouquets, un rétameur et ses casseroles... en tout huit personne que la bonne humeur communicative de Charivari transforme en danseurs improvisés. L'arrivée chez les grands-parents est toute aussi réussie.

Première rencontre sur la route du marché. (c) Little Urban.

Voilà un album tout simple, fort bien traduit car ses phrases ritournelles chantent, excellemment illustré, complètement joyeux et positif, qui donne aussi au passage une idée du mode de vie du passé. A partir de 5 ans.

La version originale de 1982.


Julien l'explorateur


Dans un petit album carré, toilé, en jaune et bleu, un explorateur nous raconte les civilisations qu'il a rencontrées au cours d'un "très long voyage d'exploration dans l'espace". Un joyeux défilé non sense de créatures étranges apparaît dans l'album "La vérité sur les habitants des autres planètes" de Julien Baer et Magali Le Huche (Les fourmis rouges, 72 pages). Les observations se succèdent à bon rythme, le plus souvent une à gauche, une à droite, créant tout de suite une atmosphère d'humour absurde mais néanmoins tendre. Sans doute parce que leurs références sont les nôtres. On apprend ainsi que "le Martien est une main tout simplement", que "le Vénusien a beaucoup de doigts", que "le Mercurien a souvent froid", que "le Saturnien a plusieurs jambes"... Plus on s'éloigne du Soleil, plus les formules s'enrichissent.

A quoi ressemblent nos voisins de l'espace? (c) Les fourmis rouges.

Le texte de Julien Baer captive par son inventivité, parfaitement relayée par les illustrations de Magali Le Huche. On ne s'ennuie pas un instant avec ces découvertes de nos voisins, jusqu'au mot final, empli de sagesse. Pour tous à partir de 5 ans.


Compétitions entre fanfarons


Prenez trois enfants copains quasi teenagers, branchez-les sur un sujet, il ne faudra pas attendre longtemps pour qu'ils deviennent des rivaux, pour rire ou pour du sérieux, qu'ils inventent et projettent des plans de plus en plus grands, de plus en plus dingues. C'est cet esprit de compétition que Gaëtan Dorémus saisit avec humour et bienveillance dans "Les goûters méga chouettes de Machinette" (Albin Michel Jeunesse, 88 pages).

La mienne est plus haute que la tienne. (c) Albin Michel Jeunesse.

Trois histoires drôlissimes où Machinette, Rinono et Pia, une vache rouge parente de celle qui rit, un rhinocéros jaune et un oiseau bleu, se lancent dans d'incroyables escalades de mots pour s'impressionner l'un l'autre. Un délire verbal soutenu par un graphisme expressif et efficace avant qu'il ne retombe dans la réalité toute simple, que personne n'avait vraiment quittée. La crêpe-partie devient une grande bouffe junior, la douche collective un nouvel épisode du Grand bleu, la tour de Kaplas (planchettes de bois) une reprise de la tour de Babel. A partir de 5 ans.


Olympisme de cuisine


Les Jeux Olympiques, c'est bien, mais les sports potagers, c'est mieux. La preuve par Françoise De Guibert et ses "Dieux du stand" (P'tit Glénat, 32 pages) où elle nous présente trente fruits et légumes de compétition. Il faut bien avouer qu'ils sont totalement rigolos, ces végétaux en situation sportive dans une discipline qui détourne à peine leurs noms. Les attitudes des uns et des autres sont diablement bien croquées et on se réjouit de découvrir de nouveaux sports comme le lancer de petit pois et le navélo, le water-poireau et la bananatation, l'aubergymnastique, la courge à pied et la courge d'orientation, le fraisebee et d'autres encore. A partir de 4 ans.

Sport jardinier. (c) p'titGlénat.



Ombres en folie


Album muet et énigmatique que "Ombres" de la Portugaise autodidacte Marta Monteiro (La joie de lire, 40 pages), aussi cinéaste d'animation. Pas de texte donc mais des doubles pages colorées où évoluent une foule d'humains. Tout de suite, on voit que quelque chose cloche par rapport à notre normalité. Certains personnages paraissent incongrus, comme ce cosmonaute qui lit dans le métro. Mais surtout, ce sont les ombres qui n'en font qu'à leur tête! Projections des pensées de leurs propriétaires? Magie?

Ainsi, le matin, un jeune homme est assis sur son lit face à la fenêtre, mais son ombre reste tranquillement couchée. Quand il manque rater son métro, son ombre lui en tient les portes ouvertes. Les passagers du transport public ont tous leurs pensées secrètes affichées derrière eux. Autant de pistes graphiques à explorer.

Scène au parc. (c) La joie de lire.

On retrouve le héros du début en tenue de gardien de parc public. On va passer la journée avec lui, son ombre et celles de tous ceux qu'il croise ou côtoie. Tout est à regarder deux fois, la scène en elle-même et celle que créent les ombres, obéissantes ou non. L'arbre dont le tronc projeté par le soleil fait un crochet pour laisser le soleil à deux femmes couchées dans l'herbe. Celle du pêcheur qui devient une pièce d'eau pour lui et un enfant. Celle qu'utilise le balayeur. Celle d'un "méchant" que chasse le chien... Et ainsi jusqu'au retour chez lui du gardien du parc, content de retrouver son lit après nous avoir partagé d'autres ombres, pensées et rêves, passionnantes.

L'auteure-illustratrice signe un album diantrement réussi, plastiquement remarquable et drôlement interpellant par toutes les interprétations qu'il permet. A partir de 6 ans.


Rien à voir avec Marilyn


Lire "Pou Poupidou" sur une couverture, c'est déclencher dans sa tête la voix suave de Marylin - cela peut aussi être le rappel d'un film ou le nom d'une pince à jupe pour rouler à vélo. Ce sera désormais aussi un album joyeusement graphique d'Edouard Manceau (Albin Michel Jeunesse, 72 pages) mettant en scène Pou, en bleu, et Poupidou, en rouge, et un nombre considérable de leurs crottes, toutes rondes et noires. Deux artistes qui, dans ce livre, créent une œuvre d'art.

Leur manière de dessiner est spéciale: ils font des petites crottes bien régulières qui finissent par former une ligne qui se met à danser. Rien de sale toutefois, mais une initiation à la géométrie originale et joyeuse avec ces lignes de crottes qui se prêtent à toutes les contorsions jusqu'à composer un tableau dans l'esprit de Calder. A partir de 3 ans.

Lignes parallèles. (c) Albin Michel Jeunesse.


Un livre extraordinairement nul


Ce n'est pas moi qui le dit, mais l'éditeur. A propos de "Bonjour chez vous, Monsieur Caca!" d'Antonin Louchard (Saltimbanque éditions, 34 pages), "le livre le plus bête du monde" selon la couverture. Il parle de la journée d'un homme ordinaire, plutôt sympathique, qui a la particularité de s'appeler M. Caca. On imagine déjà la joie des jeunes lecteurs lors d'une lecture à voix haute.

(c) Saltimbanque éditions.
En octosyllabes agréablement tournés, l'auteur nous raconte la vie de son personnage, tellement aimable que tout le monde le salue d'un "Bonjour chez vous, Monsieur Caca!". Le comique de répétition qui détourne les codes est bien entendu au rendez-vous. C'est aussi un moyen de rappeler l'interdit de la grossièreté car l'histoire se révèle particulièrement douce, attendrissante jusqu'à l'impeccable finale. Les illustrations en teintes sépia et rouge saisissent admirablement les instants de la vie de cet homme sociable et pondéré. A partir de 3 ans.

En route pour le boulot. (c) Saltimbanque éd.