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vendredi 28 mai 2021

Comme le martinet, le Picture! Festival revient

Dessin de Dominique Goblet pour le Picture! Festival 2021.

Deuxième édition en majesté malgré les soucis liés aux contraintes sanitaires, de ce samedi 29 mai au dimanche 20 juin, du Picture! Festival bruxellois, cette manifestation qui, fin 2019, avait secoué dans le meilleur sens du terme l'habitude des événements autour de l'illustration un peu planplan (lire ici). Plaisir de savoir qu'aura bien cette riche deuxième édition (une vingtaine d'expos et une foule d'autres rendez-vous) présentée ainsi:
"Quoi de mieux que l'illustration pour accompagner l'élan de reconquête après les saisons immobiles que nous avons traversées? Picture! Festival revient et montre combien les illustrateur.ice.s sont les témoins sensibles de nos mouvements intérieurs.
Leurs images sont le reflet de notre besoin d'horizons dégagés, de l'envie impérieuse de tendre la main aux autres et de célébrer ensemble. Généreuse, poétique et intense, l'illustration se déploie à Bruxelles comme un vol de martinets de retour de migration! Ouvrez les yeux!"
Comme lors de la première édition, le Picture! déroulera une aventure inédite autour de l'illustration, en différents lieux de Bruxelles. Expositions, concerts dessinés, fresques, masterclasses, ateliers… donnant l'occasion d'explorer durant un mois l'univers foisonnant de plus de 50 illustrateurs belges et internationaux, artistes reconnus et jeunes talents audacieux. De quoi s'en mettre plein les yeux, et un peu les oreilles.


Expositions

Ostende
, de Dominique Goblet (Musée BELvue).
Les marines que la plasticienne et autrice de bande dessinée belge a peint durant les confinements dans son atelier d'Ostende. Des gouaches qui seront rassemblées dans un futur livre chez FRMK.

Still life, a collector's world, d'Atak (7, Galerie Bortier).
Les natures mortes pleines de vie de l'artiste allemand.


La colonie de vacances
, de Fanny Dreyer (Galerie Encore).
Les originaux de son nouvel album illustré (Albin Michel, Trapèze) où elle plonge dans ses souvenirs d'enfance en Suisse.

Je veux un chien!
, de Kitty Crowther (Canine)
Accrochage des dessins du livre dans un... magasin pour chiens, performance au blanc de Meudon en vitrine le 29 mai et lecture-dédicace le 5 juin.

Foot! Match
, de ArBA-EsA & Créahm-Bxl (Brasserie de l'Union).
Créations issues d'une résidence partagée entre les diplômés de l'Académie Royale des Beaux-Arts et les résidents du Créahm-Bxl (Art et Handicap mental).

The swift, les martinets
, de Sarah Cheveau (Maison ABC).
L'artiste a recueilli quelques martinets en papiers découpés tirés de son dernier livre à paraître aux éditions Corraini (Italie): planches originales, collages et mobiles, atelier mobile et découpages pour petites mains.

Miam miam ping pong
, de Saehan Parc & Jina Choi (Centre culturel coréen) 
La correspondance de deux illustratrices coréennes, de vraies gourmandes, confinées à Strasbourg et à Louvain.

Uramado
, de Julie Stephen Chheng (See U)
Esprits de la nature issus de la mythologie japonaise et réalité augmentée.

Be Gore Now
, de Caroline Sury (Sterput)
Papiers découpés et sérigraphie de l'artiste française underground.


Par quatre chemins
, de Thisou Dartois, Noémie Marsily, Émilie Plateau & Sophie Palisse (Jacques Franck)
Quatre illustratrices, un parcours au travers de leurs bandes dessinées, fanzines, lithographies, gravures et autres dioramas en papier découpé.

This must be the place
, de Hell'O (Alice Gallery)
Confinement et résilience, horizon limité à l'intérieur, équilibre et douceur de vivre dans la trentaine de dessins du duo belge Antoine Detaille et Jérôme Meynen.

The Brusseler
, collectif (La maison de l'image)
En ligne sur thebrusseler.eu et en tirages sur place, plus de 100 réponses à la proposition d'illustrer une couverture fictive sur Bruxelles, dans la veine iconique du New Yorker!

Ever Meulen
(MAD)
Commandés par Louis Vuitton, les 120 dessins originaux qui forment un carnet de voyage sur Bruxelles, ville inspiratrice.

Mater Baltica
, de Elena Tognoli (Le Clignoteur)
En avant-première, les œuvres écrites et dessinées d'un ouvrage bleu et blanc, profond comme la mer.


Sur l'herbe
, de 10e Arte (8-12 rue Royale)
Sur la palissade de BOZAR entre la place des Palais, le parc Royal et le mont des Arts, la fresque du binôme artistique formé par Almudena Pano et Elisa Sartori, ou quand le street-art s'empare du tableau d'Édouard Manet.

Printed Noises
, de Pablo Dalas (Grafik)
image | afbeelding : Pablo Dalas
Une seule technique d'impression pour ces œuvres entre grotesque et humour noir, la risographie. 


Jindrich Janicek
en résidence à Bruxelles (Grafik)
Cofondateur de la maison d'édition Take Take Take et microéditeur avec Fake Fake Fake, il a été auréolé du Grand prix tchèque de design dans la catégorie illustration. Il exposera à la galerie Grafik ses créations et y diffusera ses éditions.





 

Toutes les expositions sont gratuites mais certaines nécessitent à cause des mesures sanitaires une réservation, mention apparaissant sur la page du programme (ici) la présentant.

Pour les dates et les heures précises d'ouverture des expositions, voir ici.

Lieux
  • Alice Gallery (4 Rue du Pays de Liège)
  • Bibliothèque Wittockiana (23 Rue du Bemel)
  • Brasserie de l'Union (55 Parvis de Saint-Gilles)
  • Café Belga (18 Place Eugène Flagey)
  • Canine (61 Chaussée d'Alsemberg)
  • Centre culturel coréen (4 Rue de la Régence)
  • Galerie Bortier (Rue de la Madeleine)
  • Galerie Encore (91 Rue de Flandre)
  • Grafik (30 Avenue Louis Bertrand)
  • Jacques Franck (94 Chaussée de Waterloo)
  • Le Clignoteur (30 Place de la Vieille Halle aux Blés)
  • MAD (10 Place du Nouveau Marché aux Grains)
  • Maison ABC (13 Place Gaucheret)
  • Maison de l'Image (29 Place de la Vieille Halle aux Blés)
  • Musée BELvue (7 Place des Palais)
  • See U (8 Rue Fritz Toussaint)


Performances et ateliers

Brecht Evens.


Des lectures dans le cadre de Brussels, city of stories, journal vivant avec des artistes le 16 juin à Bozar, fresques avec le public les 4 et 5 juin place de la Monnaie, atelier Anne Brugni à la librairie Candide le 4 juin, atelier mini-fanzine le 2 juin à la Wittockiana, rencontres avec Brecht Evens le 13 juin au Café Belga, avec Kitty Crowther le 1er juin au Palais des Académies, promenade illustrée dans Matonge le 19 juin avec Jeroen Janssen, conférence de Delphine Beccaria le 3 juin sur l'illustration tchèque et Jiri Salamoun en particulier au Palais des Académies, rencontre le 5 juin avec les 27 artistes exposés au CBBD dans "United Comics of Belgium", atelier Zine Club le 5 juin à Muntpunt, atelier "martinet" avec Sarah Cheveau le 29 mai à la maison ABC, Salon de microédition et de l'image imprimée #PrintIsNotDead les 18 et 19 juin à Lavallée.

Certaines activités sont gratuites, d'autres pas, certaines nécessitent une inscription, d'autres pas  (vérifier ici).


Jiri Salamoun.

Anne Brugni.

jeudi 27 mai 2021

Le Prix Bernard Versele 2021, pour lequel ont voté 34.000 enfants grands lecteurs

Mais oui, les enfants lisent! (c) Ligue des Familles.

Malgré les difficultés liées à la situation sanitaire, le prix Bernard Versele de la Ligue des familles affiche un beau résultat cette année, le vote de 34.350 enfants, pour définir le meilleur de la littérature jeunesse (sur base de cinq livres présélectionnés pour chacune des cinq catégories d'âge). Soit 10.000 de plus que l'an dernier (lire ici), malgré des conditions pas franchement meilleures. Un succès qui met un peu de baume sur le cœur à l'heure où le secteur culturel paie cher la crise sanitaire.

Cette année, les enfants privés de nombreuses autres activités ont lu avec plaisir, chez eux ou en classe. Une belle satisfaction pour Michèle Lateur, coordinatrice historique de l'opération: "Nos passeurs de livres ont bravé les conditions sanitaires compliquées, trouvant des solutions créatives pour l'accès des plus petits à nos livres: capsules vidéos de lecture enregistrée, organisation de visioconférences pour leur lire les livres sélectionnés… Je suis impressionnée par leur généreuse participation malgré toutes ces interdictions sanitaires."

L'édition 2021 du prix se caractérise par des votes souvent tranchés (voir la sélection complète ici). Dans chacune des catégories d'âge, les livres gagnants étaient largement en tête. Et porteurs de thèmes forts: la peur, le deuil, l'empathie, la quête d'idéal, l'intégration, la pauvreté... Un palmarès varié où apparaît deux fois le nom d'Henri Meunier!

Palmarès

1 chouette
(dès 3 ans)


Lauréat
Moi, j'ai peur du loup
Emilie Vast
MeMo

Sur fond noir mat, évoquant la nuit, deux yeux jaune or effrayants surplombent deux lapins qui se font face et dialoguent. Les confidences commencent. "Je peux te confier un secret?" "Oui, bien sûr!"
Il sera question de loup, d'autres animaux, de peur, de frissons et de rire de ses peurs.


Label
Dans l'œuf
Emma Lidia Squillari
Seuil Jeunesse

Un livre à jouer, compter, identififier, etc., intelligemment mené.







2 chouettes
(dès 5 ans)


Lauréat
Le jardin d'Evan
Brian Lies
traduit de l'américain par Françoise de Guibert
Albin Michel Jeunesse

La forte amitié très forte entre Evan, un renard jardinier, et son chien, survivra au décès de ce dernier.


Label
Le bon côté du mur
Jon Agee
traduit de l'anglais par Gallimard Jeunesse
Gallimard jeunesse

La pliure du livre figure un mur et permet de ne pas se fier aux apparences.





3 chouettes
(dès 7 ans)


Lauréat
Coyote et le chant des larmes
Muriel Bloch 
Marie Novion
Seuil Jeunesse

Imbu de lui-même, autoritaire, violent, cruel et sourd à l'autre, le coyote éprouvera ce qu'il a fait endurer à la colombe. 


Label
Taupe & Mulot. Les beaux jours.
Henri Meunier
Benjamin Chaud
Hélium

Trois courts récits très drôles qui abordent l'art, une scène de pêche et l'aveuglement auquel peut conduire l'amour.




4 chouettes
(dès 9 ans)


Lauréat
La face cachée du prince charmant
Guillaume Guéraud
Henri Meunier
Rouergue

Un anti prince charmant révélé par l'exquis jeu littéraire qu'est le caviardage (biffer des mots d'un texte afin de révéler un sens nouveau à la phrase).


Label
Nous avons rendez-vous
Marie Dorléans
Seuil Jeunesse

L'aventure simple et heureuse d'une famille en vacances, partie marcher tôt parce qu'elle a rendez-vous avec le lever du soleil.





5 chouettes 
(dès 11 ans)


Lauréat
Un été d'enfer !
Vera Brosgol
traduit de l'américain par Alice Delarbre
Rue de Sèvres

Un roman graphique, partiellement autobiographique, sur les vacances d'une jeune adolescente russe dans une colonie où elle ne parvient pas à s'intégrer.

 
 

Label

La chanson perdue de Lola Pearl: Hopper
Davide Cali
Ronan Badel

L'élan vert

Une enquête basée sur douze tableaux d'Edward Hopper.



 


 








lundi 17 mai 2021

La Guadeloupéenne Maryse Condé lauréate du Prix mondial Cino Del Duca 2021

Maryse Condé.

S'il y a bien quelqu'un qui mérite le Prix mondial Cino Del Duca (Fondation Simone et Cino Del Duca, Institut de France, 200.000 €) destiné à récompenser et à faire mieux connaître un auteur français ou étranger dont l'œuvre constitue, sous forme scientifique ou littéraire, un message d'humanisme moderne, c'est bien Maryse Condé. Elle en est la lauréate 2021, pour l'ensemble de son œuvre littéraire. Une œuvre originale, foisonnante et précieuse, qui se décline en romans, essais, théâtre, littérature de jeunesse, tellement mal connue. A noter que la romancière guadeloupéenne avait toutefois déjà reçu en 2018 le prix Nobel alternatif (lire ici).

Biographie

Maryse Condé naît à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe le 11 février 1934. Elle est choisie pour préparer au Lycée Fénelon de Paris le concours d'entrée à l'École Normale Supérieure. Elle épouse en 1958 le comédien guinéen Mamadou Condé. En 1959, elle part pour le collège de Bingerville en Côte d'Ivoire.

En 1960, elle va enseigner le français au Ghana. Lors du coup d’état en 1966 et après un court séjour en prison, elle est déportée à Londres où elle travaille au service français de la BBC.

En 1969, elle est affectée au lycée Gaston Berger à Kaolack au Sénégal où elle rencontre Richard Philcox, qui deviendra son deuxième mari et traducteur. En 1970, elle retourne en France et travaille  à Présence Africaine tout en entamant  un doctorat de littérature comparée sous la direction du professeur René Etiemble.

En 1975, elle obtient à la Sorbonne Nouvelle un doctorat en littérature comparée. L'année suivante, elle publie son premier roman, "Heremakhonon" (1976), réédité plus tard sous le titre "En attendant le bonheur".

En 1989, elle part enseigner la littérature francophone à l'invitation  de l'Université  de Berkeley aux États-Unis. Elle est invitée à enseigner aux universités de la Virginie, du Maryland, de Harvard et de Columbia où elle crée le Centre d’Études Francophones.

En 2004, elle devient la première Présidente du Comité pour la Mémoire de l'Esclavage. En 2005, elle quitte Columbia comme Professeur émérite et se retire à Gordes en Provence. Son roman "Ségou" devient un best-seller lors de sa parution en 1984.

En 1986, elle reçoit le Grand prix littéraire de la Femme pour son roman "Moi, Tituba sorcière... Noire de Salem" et le prix  Marguerite-Yourcenar  pour  son  roman  "Le cœur à rire et à pleurer" en 1999, écrit autobiographique qui fait le  récit  de  son  enfance.  "Victoire, les saveurs et les mots" reçoit le Prix Tropiques en 2006.

En 2012, elle raconte sa vie en Afrique dans "La vie sans fards", suivi du "Fabuleux et triste destin d'Ivan et Ivana" paru en 2017.


Témoignage

"Je ne me préoccupe pas seulement d'écrire de belles histoires. Je n'écris pas seulement pour divertir le lecteur bien que l'humour et la dérision soient mes armes principales. J'ai vécu dans des pays où les dirigeants ne se souciaient pas de leurs peuples et où ceux-ci étaient privés de tout. Aussi à travers mes livres, je tente d'imaginer un monde meilleur, plus tolérant. Je rêve du temps où la terre sera enfin ronde.

J'écris, comme j'aime à le dire, en Maryse Condé car pour moi un écrivain n'a pas de langue maternelle. J'écris  comme  dit  un  autre  écrivain  antillais,  le  Martiniquais  Édouard  Glissant, en présence de toutes les langues du monde. J'essaie de composer à chaque fois l'idiome qui conviendra le mieux à mes rêves et à mes aspirations."

 

Actualité

Maryse Condé publiera un nouveau roman à la rentrée littéraire 2021, "L'Évangile du Nouveau Monde" (Buchet Chastel, 2 septembre). Sur une petite île du Nouveau Monde, un soir de Pâques, un nouveau-né est déposé dans le jardin d'un couple d'horticulteurs. Pascal a le teint brun et les yeux gris-vert comme la mer. D'où vient cet enfant? N'est-il pas le fils de Dieu? Au fil des années, signes et miracles se multiplient, faisant enfler la rumeur. Mais que doit-on faire si l'on est le fils de Dieu? Peut-on changer le destin des hommes, adoucir les haines et rendre le monde plus juste? Au gré des joies et des peines, des voyages et des épreuves, Pascal partira en quête de ses origines pour comprendre le sens de sa mission. Que révèlera cet Évangile du Nouveau Monde sur la nature des hommes et la place des dieux? Maryse Condé a construit "L'Évangile du Nouveau Monde" comme son dernier appel au sursaut des humains. Sa lucidité est aussi impitoyable que sa foi en la fraternité et l’amour, qui restent nos forces les plus extraordinaires et les plus salvatrices.



vendredi 14 mai 2021

Renaissance d'un splendide poème humaniste de Claude Clément

La première double page de la nouvelle version
du "Mot sans lequel rien n'existe". (c) Editions du Pourquoi Pas?

Claude Clément
est une des créatrices inspirées qui a contribué à faire émerger la littérature de jeunesse telle qu'on la connaît aujourd'hui. Elle entame actuellement sa 41e année de publications et affiche une très impressionnante bibliographie de plus de cent livres. On a tous en tête des titres que cette écrivaine française a écrits, et qui ont été portés à leur meilleur par des illustrations adéquates.
Pour rappel, quelques albums marquants, publiés avant 2000.
  • Avec Frédéric Clément, "Le peintre et les cygnes (sauvages)" (Duculot, 1986),  "Le luthier de Venise" (l'école des loisirs/Pastel, 1988), "La funambule et l'oiseau de pierre" (Milan, 1994)
  • Avec Catherine Mondoloni, "Le Pierrot de Venise" (Fleurus , 1988)
  • Avec Mireille Vautier, "Aladdin" (Nathan, 1991)
  • Avec Loïc Jouannigot, la série des "Pataclous" (Milan, années 1990)
  • Avec John Howe, "Le musicien de l'ombre" ( Duculot, 1989),  "L'homme qui allumait les étoiles"  (Duculot, 1992), "La ville abandonnée" (Casterman, 2004)
  • Avec Georges Lemoine, "Le batelier du Nil" (Nathan, 1993)
  • Avec Jame's Prunier, "Longtemps" (Casterman, 1997)



Avec Sylvie Montmoulineix, amie devenue très chère à l'auteure au fil des ans, prématurément décédée en 2012 à l'âge de 54 ans, il y avait eu en 1995 "Le mot sans lequel rien n'existe" (Sorbier/Amnesty international). Un livre dont les illustrations originelles étaient devenues introuvables car dispersées.
Le splendide texte poétique de Claude Clément reparaît aujourd'hui dans une version non illustrée mais typographiquement recherchée et dans un tout autre format, petit et en hauteur (Editions du Pourquoi pas?, 24 pages). Une renaissance pour ce classique de la littérature de jeunesse qu'est devenu "Le mot sans lequel rien n'existe" avec cette version livre d'art, aux feuilles cousues de rouge et à la jaquette en papier calque. Naviguant de l'alpha à l'omega qui, mêlés, symbolisent un oiseau dans un élégant et sobre habillage graphique dû à Cyril Dominger, graphiste, professeur à l’Ecole Supérieure d'Art de Lorraine-site d'Epinal.

On retrouve avec émotion ce grand oiseau blanc qui picore les beaux mots positifs d'un livre échoué sur la plage, les engloutit, s'en rassasie avant de s'envoler vers d'autres cieux. On frémit lors des descriptions des lieux vers lesquels il se dirige, dunes arides, tempête, ville refermée sur elle-même, gens riches et malheureux, gens pauvres et affamés.

En chaque endroit où il se pose, nature asséchée, ville triste, pays en guerre, l'oiseau sème quelques-uns des beaux mots qu'il a récoltés. De retour à son point de départ, il se rend compte qu'il a oublié de picorer le mot le plus important, celui sans quoi rien n'existe. Malgré sa fatigue, il détache ce mot du livre et le lance en l'air d'un coup de bec. Un mot qui figure bien entendu dans le texte mais qu'on ne révélera pas pour suivre le cheminement de l'écrivaine.

Dans cette élégante version au papier très blanc, pages de textes et mots picorés écrits en grand en noir et rouge alternent de gauche à droite, créant un rythme qui met en valeur le message humaniste du poème. Un texte qui est toujours indispensable, vingt-cinq ans après sa naissance.

"C'est au retour d'interventions scolaires au sein d'établissements d'une banlieue de Caen que j’ai écrit ce texte," se souvient Claude Clément, "quasiment d'un seul jet, dans le train qui me ramenait à Paris. J'étais profondément bouleversée. Soudain, une évidence m'est apparue: sans l'attention aiguisée et le dévouement constant des enseignants, des bibliothécaires, du professeur de théâtre et jusqu'au cuisinier de la cantine qui veillait à fournir au moins un repas de qualité par jour à ces enfants, les mots JUSTICE, PAROLE, LIBERTÉ, ÉCOUTE, DIGNITÉ, TOLÉRANCE, PAIX, TENDRESSE, DIFFÉRENCES, JOIE, COMPASSION, AMITIÉ, n'auraient été pour eux que de dérisoires coquilles vides, dépourvues de sens."

A l'époque, il y a vingt-cinq ans, la guerre faisait rage en ex-Yougoslavie. Régine Lilenstein, directrice des Editions du Sorbier, avait demandé à Claude Clément d'écrire un conte poétique sur les Droits de l'Homme, qui serait publié sous l'égide d'Amnesty International.

"Par la fenêtre du wagon", poursuit l'écrivaine, "j'ai aperçu un oiseau blanc - mouette ou goéland - qui survolait un plan d'eau où flottait un journal amené là par le vent. L'oiseau descendait en piqué, par intermittences, pour y picorer. "Ingurgiter quoi?" me suis-je dit tristement. "Probablement des horreurs, à cause des récits d'actualité truffés de bombardements, de mitraille, de massacres et de charniers!" Presque aussitôt, par réaction, j'ai songé: "Et s'il se nourrissait plutôt de mots bienfaisants, afin de les disséminer sur cette terre en proie à toutes les formes d'absurdité et de violence? Est-ce si utopique d'imaginer cela?"

Puis, la pensée des enseignants que je venais de quitter m'est revenue. Et j'ai ancré l'espoir d'un monde plus équitable et meilleur autour d'un mot sans lequel aucun des autres ne peut développer son sens."



mercredi 5 mai 2021

#THOMIZE: Lize et Thomas se sont mariés!

Les mariés Lize Spit et Thomas Gunzig. (c)  Bob Van Mol – Flirt Flamand.

Depuis le 24 avril, plus de 3.000 internautes suivaient #THOMIZE, la conversation amoureuse  WhatsApp entre les écrivains fiancés Lize Spit et Thomas Gunzig sur l'application Skagen (lire ici), et 1.000 en discutaient abondamment dans un foyer virtuel Facebook (ici). Un mariage arrangé qu'avait imaginé Flirt Flamand pour rapprocher nos deux langues nationales et nos auteurs, poètes, slameurs et illustrateurs.

Un long apéritif plein de péripéties à la Foire du livre de Bruxelles qui commence ce 6 mai (lire ici). L'un comme l'autre ont réservé des surprises, des angoisses, des émotions et des colères à ceux qui s'étaient vite pris au jeu de suivre leurs échanges. Etait-on dans une nouvelle variation des "Liaisons dangereuses"? La question hantant les commentaires étant: les fiancés allaient-ils se marier comme annoncé, la séparation ne semblant jamais loin. Hé bien, oui, Lize Spit et Thomas Gunzig se sont mariés finalement, masqués, leurs "ouis" ont été bénis par les poètes nationaux Carl Norac (sortant) et Mustafa Kör (entrant).

Deux fiancés et deux officiers. (c) Bob Van Mol – Flirt Flamand.


Extraits de la cérémonie

"Il arrive alors que deux êtres
qui tissaient, détissaient le réel
se rencontrent au bord d’un livre
et prennent langue à leur tour.
Leur pays, dont les chemins parfois
font tant de détours pour contourner
les miroirs, les murs, les bras levés,
s’accorde soudain en leur bouche
comme une chanson."
Extrait du poème "Un flirt", écrit à cette occasion par Carl Norac.

"Regarde ici, je suis auprès de toi comme transi devant des falaises
Tôt ou tard toute eau trouve son fleuve
Même si nous avons conflué, tu as toujours
été le nord de mes suds"

Extrait du poème "Comme l'eau", écrit à l'occasion par Mustafa Kör
(traduit par Noëlle Michel).


"Mon cher Thomas, lama au corps musclé, beau caniche aux cheveux en macaroni, toi qui finis toutes tes phrases par des points d’exclamation.

Il n'y avait pas meilleure porte d'accès que la tienne pour découvrir la littérature belge francophone!

Quelle chance que le Matchmaker nous ait réunis; sans lui, je n'aurais jamais su à quel point tu as l'air sérieux quand tu réfléchis, que tu ne bois que du café noir quand tu écris, avec quelle agilité et quelle espièglerie tu utilises le langage, à quel point ton frigo est en désordre, et aussi combien ton humour s’avère intraduisible pour les Flamands, qui sont un brin plus rigides. Je n'aurais jamais su à quel point nous – et nos écritures – sommes complémentaires, toi le fan de slalom, moi qui préfère foncer droit au but. Parfois, assise à la table de la cuisine, je me rends compte que tu me manques, comme on peut regretter un personnage après avoir refermé un livre. Mais heureusement, tu existes aussi en vrai, et cette pensée me réconforte à tous les coups!"

Lize Spit
(traduit par Noëlle Michel)

 

"Chère Lize

Je n'ai pas aimé travailler avec toi,

j'ai adoré travailler avec toi!

J'ai aimé ton gros chat noir, tes soupes aux tomates, ton thé bizarre, tes tartines aux fromages et ton étrange fauteuil dans lequel on s’assied en étant à genoux.

Ces quelques jours passés en ta compagnie ont été: passionnant, inspirant, épuisant, exigeant, électrisant, instructif et drôle.

On ne se connaissait pas… Du tout.

On a appris à se connaître… Un peu.

Et à chaque instant passé avec toi je t'assure que je me disais: "quelle chance j'ai de pouvoir travailler avec des gens aussi formidables que Lize Spit".

Normalement, quand j'ai fini un travail je suis toujours heureux de l'avoir fini.

Je me dis: "voilà, ça c'est fait".

Avec toi, ça ne s’est pas passé comme ça: je me suis dit: "zut, ça va me manquer".


Thomas Gunzig

Baiser avec plexiglas. (c) Bob Van Mol - Flirt Flamand.


Carl Norac

"Monsieur Thomas Gunzig, consentez-vous à prendre pour épouse Mademoiselle Lize Spit ici présente?"

Thomas Gunzig

"Oui."

Mustafa Kör

"Juffrouw Lize Spit, neemt u tot echtgenoot de heer Thomas Gunzig, hier aanwezig?"

Lize Spit.

"Ja."

Mustafa Kör

"Je vous déclare unis par les liens du mariage."

Carl Norac

"Ik verklaar u in de echt verbonden."


Le mariage en vidéo ici.


Demain 6 mai commence la Foire du livre de Bruxelles, virtuelle cette année (ici).



mardi 4 mai 2021

Sylvain Prudhomme, raconteur d'"histoires"

Sylvain Prudhomme. (c) Francesca Mantovani/Gallimard.


J'attendais le verdict de l'Académie Goncourt qui décernait ce mardi 4 mai plusieurs prix Goncourt de printemps, dont celui de la nouvelle, car mon préféré, Sylvain Prudhomme, y figurait pour son dernier recueil en date, "Les orages" (L'Arbalète/Gallimard, 174 pages). Il ne l'a pas eu. Loin de moi l'idée de critiquer le choix des académiciens, n'ayant pas lu les autres titres retenus (lire ci-dessous). Par contre, ce recueil publié en début d'année m'a provoqué un enchantement continu et tenace. Tant par les sujets que par les mots choisis pour les raconter.

Quelle merveille d'écrivain que Sylvain Prudhomme, récompensé à juste titre par le prix Femina 2019 pour son roman "Par les routes" (L'Arbalète, Gallimard, lire ici), qui vient de sortir en poche (Folio).

Appartenant au genre du recueil de nouvelles, "Les orages" porte très judicieusement le mot d'"histoires" qui apparaît sous le titre. On pourrait aussi dire "éclats de vie" car ces treize textes sont autant de bijoux ciselés, donnant magnifiquement vie à leurs personnages. Pas un mot de trop mais des phrases souvent longues, tellement bien balancées, d'un art littéraire total et d'une expressivité telle qu'on se coule dans chacun de ces récits. L'émotion du cœur et l'émotion littéraire s'y rejoignent. Treize moments de bouleversement ou de retour à la lumière. Les textes disent "je" ou pas, sont parfois très courts, se passent ici ou en Afrique, terre chère à l'auteur.

Ainsi s'ouvre la première "histoire", intitulée "Souvenir de la lumière":
"C'est le 20 septembre 2013 qu'il fut donné à Ehlmann de vivre la scène qu'il me raconta la seule fois où je le vis, et dont il m'affirma d'emblée qu'elle avait changé sa vie - qu'elle allait la changer à jamais désormais, c'était du moins le serment qu'il se faisait à lui-même, qu'il venait de se faire, puisqu'elle s'était déroulée quelques jours à peine avant notre rencontre."
On entre ensuite dans la toute petite chambre des urgences pédiatriques, la 817, où Ehlmann et A., sa compagne, ont veillé leur enfant alors nourrisson pendant deux semaines. L'infirmière qui était présente et se rappelle de cette famille, la douleur d'un enfant, la présence de ses parents et leurs émotions, tout cela et la manière dont le narrateur a fait la connaissance d'Ehlmann, Sylvain Prudhomme nous le confie. Et il nous bouleverse.

Il y a aussi le grand-père qui ne veut pas admettre qu'il vieillit et que son petit-fils tente de protéger comme il le peut contre son inconscience. Les voisins qui exultent quand ils font l'amour à la grande inquiétude d'autres habitants du lieu. L'équipée au cimetière d'un quadragénaire et de ses parents, renversant le cours habituel des générations. Awa qui épluche des crevettes pour sa patronne en rêvant d'ouvrir son salon de beauté... Toutes ces "histoires" délicatement racontées, célèbrent l'humain, saisissent ses failles et ses façons de les combler. Qu'il est dur de refermer ces "Orages"!

Pour feuilleter en ligne le début du recueil "Les orages", c'est ici.


Palmarès de printemps

Les Académiciens Goncourt, réunis ce mardi 4 mai par visioconférence, annoncent les lauréates et lauréats des Goncourt de printemps 2021.

Goncourt du premier roman
Emilienne Malfatto, "Que sur toi se lamente le Tigre" (Elyzad)
préférée à 
Abigail Assor, "Aussi riche que le roi" (Gallimard)
Olivier Hercend, "Zita" (Albin Michel)
Dimitri Rouchon-Borie, "Le Démon de la colline aux loups" (Le Tripode, lire ici)
Goncourt de la nouvelle
Shmuel T. Meyer, "Et la guerre est finie" (Metropolis)
préféré à
Sylvain Prudhomme, "Les orages" (L'arbalète Gallimard)
Cyril Roger-Lacan, "Derniers jours" (Grasset)
David Thomas, "Seul entouré de chiens qui mordent" (L'Olivier)
Goncourt de la biographie Edmonde Charles-Roux
Pauline Dreyfus, "Paul Morand" (Gallimard)
préférée à
Marianne Alphant, "César et toi" (P.O.L)
José Alvarez, "Helmut & June, portraits croisés" (Grasset)
Olivier Mony, "Louis Jouvet "(Folio inédit)
Thomas Sertillanges, "Edmond Rostand, les couleurs du panache" (Atlantica)
Goncourt de la poésie Robert Sabatier
Le grand poète Jacques Roubaud, mathématicien, écrivain, essayiste, membre de l'OULIPO, qui aime à se définir comme un "compositeur de mathématiques et de poésie" est couronné pour l'ensemble de son œuvre (publiée chez de nombreux éditeurs).