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jeudi 28 juin 2012

LA parfois du mal avec les "faux-amis"

Mais elle n'est pas la seule.
Car si les pièges existent entre version française et version anglaise d'un mot ou d'une expression, c'est pareil dans la réciproque, entre anglais et français. Et une traduction littérale peut entraîner le néophyte sur un terrain glissant car signifiant tout autre chose que ce qu'imaginé dans la langue d'atterrissage.

Le dernier exemple en date est celui de  Joanne Kathleen Rowling. Oui, la "mère" de la saga Harry Potter (7 tomes, Gallimard Jeunesse).
Qui ignore encore que la Britannique a momentanément quitté le terrain de la littérature de jeunesse pour s'adresser dans son nouveau roman aux adultes? Carrément!
Elle va publier à la rentrée son "first novel for adults" ou "first novel for grown-ups", selon les interviews.
Il est vrai que les premiers lecteurs de Harry Potter ont bien grandi.
Qui ignore encore que la date de sortie de la version originale de "The Casual Vacancy" est fixée au 27 septembre de cette année? Tout comme les traductions française et allemande.
Embargo, isolement des traducteurs, on est bien parti pour un barnum digne des précédentes sorties  du feuilleton sorcier. Tout bon pour le tiroir-caisse.
Mais ce qui prête à rire est que la romancière insiste lourdement pour que la version française, titrée "Une place à prendre" (Grasset, traduction de Pierre Demarty)  soit accompagnée d'un bandeau, indiquant "roman pour adultes"(traduction littérale d'une expression anglaise tout à fait convenable) mais qui, chez nous, est réservée aux romans au moins érotiques sinon pornographiques.

dimanche 24 juin 2012

LM aller au zoo

Surtout avec des tout-petits.

C'est dire si "Pop-up zoo" (Seuil Jeunesse) de Martine Perrin tombe à point.
Martine Perrin s'était fait remarquer en 2003 avec "Méli-Mélo" (Milan).

"Pop-up zoo" est un petit imagier carré, dont les pages s'animent quand on les tourne.
Un pop-up donc. Sobre, graphique et assez résistant, ce qui permet de le laisser entre de petites mains sans trop de craintes.


"Venez visiter mon zoo, c’est le plus pop !", invite le gardien à casquette à l’ouverture de l'album animé.
A chaque page tournée, surgit en relief un nouveau personnage.
Le gardien d'abord, puis toute une série d’animaux.
Particularité de cet ouvrage élégant: les animaux ne sont pas nommés quand ils apparaissent mais on peut deviner de qui il s'agit grâce à leurs caractéristiques : le plus malin de tous, la plus grande, le plus gros, le plus beau…




L'album s'arrête à la fermeture du zoo avec le retour de l'homme à la casquette. "On ferme, parce que c'est l'heure de faire dodo", annonce le gardien en finale du livre.

On retrouve alors un petit voleur coquin que les plus attentifs auront débusqué sans peine dans les pages précédentes. Et une liste reprenant les noms des différentes espèces rencontrées.

L'ensemble est tout simple mais excellent.

mercredi 20 juin 2012

LF olle d'Amir, tout simplement

Amir, c'est le nouveau personnage créé par Anaïs Vaugelade, un bambin qui va à la crèche. Un coffret de quatre mini-livres cartonnés, "4 histoires d'Amir" (L'école des loisirs), nous le présente sous différentes coutures. C'est tellement chou, tellement juste, tellement sincère, tellement délicieux qu'on a tous... envie d'aller à la crèche avec Amir. Moi en tout cas!

Amir s’intègre parfaitement dans la grande famille que forment déjà Monsieur Guillaume, Flore, Léonardichon, Zuza et les 73 petits Quichon, de précédents personnages d'Anaïs Vaugelade, auteure-illustratrice décidément ultra-douée.

Les mini-livres réunis dans "4 histoires d’Amir" peuvent se lire chacun séparément des autres, même s'ils se complètent. A noter que pour "Canards", la reliure se place vers le haut. "Mouche", "Chatons" et "Tracteur" utilisent la manière habituelle.

Amir est un très petit garçon, il va à la crèche. C'est un petit bout plein d'imagination. Mais le public auquel les livres s'adressent peut aussi être à l'école maternelle. Ou plus grand encore, il se rappellera alors de ce temps.

Dans "Mouche", "inspiré d'une histoire vraie", le bambin  ne trouve pas le sommeil au moment de la sieste. Alors que ses petits camarades dorment, il préfère marcher au plafond en compagnie d'une mouche qui lui confère ce pouvoir. Il volera même dans la pièce en compagnie de son hôtesse et recommencera le lendemain. Quelle force que celle de l'imagination! Quels magnifiques dessins que ceux d'Anaïs Vaugelade!

Amir vole avec la mouche sa copine. (c) L'école des loisirs.

"Tracteur", de pure fiction, précise l'auteure, mérite le détour en ces temps de surprotection de l'enfance. Sur le chemin de la crèche, Amir admire tous les jours un gros tracteur vert. "Tut-tut", fait celui-ci. Le gamin grimpe, ravi, et arrive à sa destination. Là, c'est un déchaînement de klaxons. Le tracteur vert ne veut pas quitter son jeune conducteur. Il réveille même les bébés de la crèche, au grand mécontentement des puéricultrices. Amir repart à son volant et croise le fermier, propriétaire de l'engin, étonné et compréhensif.

Heureusement que le livre permet de vivre de telles aventures par procuration. Heureusement que des auteur(e)s les consignent dans des livres.

"Chatons" est une charmante expédition à l'assaut des bottes de paille de la grange, "Canards" se déroule au bord de la mare.

Chaque fois, un petit suspense et une conclusion autour de tartines partagées. Anaïs Vaugelade a toujours aimé évoquer la nourriture et avec elle, manger, c'est très souvent aussi faire la fête.



On aime aussi beaucoup sa Zuza (prononcer Zouza), dont les trois dernières des onze histoires sont réunies dans "Courage, Zuza!"  (l'école des loisirs), mais il existe d'autres albums contant les péripéties de la vie de l'héroïne au nom si doux.
Cette demoiselle de papier est si vivante, si attachante avec son imaginaire pétillant, que campent admirablement des illustrations inattendues et acidulées. Elle  est accompagnée d'un spectaculaire compagnon crocodile - son double?, timide, discret, rassurant, toujours là au bon moment.

"Zuza a grandi", nous a dit Anaïs Vaugelade, "elle est maintenant à l'école". Pas de douzième histoire alors? Officiellement non, à moins que... Dans ce dernier opus en date, notre Zuza chérie a trois soucis: l'anniversaire de son bébé de sœur aux innombrables copines, l'école dont la maîtresse l'empêche de rêver, ses amies qui lui chiperaient bien, justement, sa sœur. Pauvre Zuza: piquée par la jalousie, révoltée par la dure loi scolaire, privée d'air pour exister. Heureuse Zuza qui trouve en son crocodile l'occasion de rebondir sans se perdre.


Il y a trois ans sont sortis les deux albums derniers dédiés aux Quichon,  nom de famille de ces cochons roses si humains. En tout, ils sont 73 petits porcelets et leurs parents. Anaïs Vaugelade les croque depuis 2004 avec talent, tendresse, imagination et humour. Voilà porté à sept le nombre de portraits de Quichon. Puisse-t-il y en avoir encore d'autres.


Des petits cochons très humains. (c) l'école des loisirs.



C’est une course en famille – nombreuse évidemment – qui sert de point de départ à l’excellent "Dans les basquettes de Babakar Quichon" (l'école des loisirs). Cléo, la plus jeune de tous, en donne le coup d’envoi. Grands et petits se précipitent, dans un concert de "hop hop hop", "tap tap tap", "roule roule roule" et autres bruits de course à pied (de cochon). Equipé de fantastiques "basquettes", ultrarapides, Babakar Quichon double tout le monde. Il va même tellement vite qu’il dépasse le paysage, le son et aussi la lumière… On baigne dans le même univers que Claude Ponti. Mais ne dit-on pas que les porcelets d'Anaïs Vaugelade sont les cousins des poussins pontiens?
Quelle superbe idée en tout cas, remarquablement mise en images et qui retrouve avec une aussi belle imagination le chemin de la réalité !




L'autre album, de facture plus classique, est également très réussi: "La poussette de Cléo Quichon" (l'école des loisirs).  Campée sur ses petites jambes, la benjamine pousse sa poussette, vide évidemment, et refuse énergiquement que quiconque y soit posé ou s'y installe… Ni le lion de Stéphanie, ni les poupées d'Annabella et Stella, ni quatre de ses grands frères, ni même Papa qui le lui demande pourtant tellement gentiment. C'est évidemment Maman qui aura le mot de la fin, avec la petite Cléo qui s'installera tout bonnement dans sa poussette pour une sieste. Du vécu à croquer!


Une poussette à succès. (c) l'école des loisirs.



vendredi 15 juin 2012

LM rait être à Anvers aujourd'hui

On y parle depuis hier, de poésie. Il en sera encore de même tout au long de ce vendredi.
Poésie, ce mot qui fait peur aux lecteurs, aux éditeurs de journaux, on se demande pourquoi finalement. Il n'y a pas d'examen à passer, il suffit d'écouter, de lire, de laisser venir les mots à la rencontre des images mentales. Et vice-versa. Cela se passe à Anvers, au Felix Poetry Festival, quatrième édition d'un festival international de poésie.


La soirée d’inauguration a été placée sous le signe de la poésie belge. Et le Hollandais Benno Barnard, traduit en français au Castor Astral, en a écrit le discours d'ouverture. "Existe-t-il une poésie belge ?", se demande ce néerlandophone qui s’intéresse beaucoup à la poésie belge francophone.

Benno Barnard a cosigné en 2005, avec Werner Lambersy et Paul Dirkx, le recueil "Ceci n'est pas une poésie" (Atlas, 2005, indisponible), une anthologie belge francophone embrassant 150 ans de poésie wallonne.








Benno Barnard a ouvert  le Felix Poetry Festival hier jeudi 14 juin avec son "Apologie van een Belgische dichtkunst" (Apologie d’un art poétique belge).
Le festival propose encore ce vendredi  un échantillon de la poésie belge, néerlandophone et francophone, avec des interventions de Werner Lambersy, Caroline Lamarche, Bernard Dewulf, Vincent Tholomé, Pascal Leclercq, Y.M. Dangre, Antoine Boute et Eric Brogniet, notamment.

Le programme complet se trouve ici: http://www.antwerpenboekenstad.be/felix

Mais, en apéritif ou en digestif, ou en plat principal,  voici le texte que Benno Barnard a composé pour le Felix Poetry Festival 2012.

 
Admirez-vous les uns les autres !

La poésie belge existe-t-elle ?
Cette question est une variante subtile de celle qui remet en cause l’existence même de la Belgique, de la nation belge, du peuple belge… et la réponse négative qu’elle suscite menace ces jours-ci de surgir des colonnes du premier quotidien venu pour vous frapper en plein visage. Convenons-en, le profane a décidément l’impression que les Belges ne veulent pas être. "Nous n’existons pas !" vous expliqueront-ils. "Nous sommes des fantômes… Nous errons sans but dans la maison de l’Histoire européenne. Nous sommes un vortex fortuit et arbitraire d’atomes, imaginé par Lord Palmerston, et que n’anime aucune divinité nationale !"
Il n’en a pas toujours été ainsi.
En 1914, la Belgique était la cinquième économie du monde, en chiffres absolus. Le pays jouissait d’un prestige énorme, inversement proportionnel au nombre restreint de ses habitants. Et sa poésie – pour autant qu’elle fût écrite en français– était tout entière auréolée de gloire. Maurice Maeterlinck… nul besoin de vous remettre en mémoire son prix Nobel de 1911. Et on reconnaissait Émile Verhaeren, qui selon moi était plus digne encore de cette couronne de lauriers, jusque dans les rues de Moscou.
C’est un fait – la poésie belge était de la poésie francophone, même si ses artisans les plus importants étaient des Flamands, car ces autres amants des Muses qu’étaient Georges Rodenbach, Charles Van Lerberghe et Max Elskamp, et dont vous vous souvenez peut-être, n’étaient pas des Wallons non plus. Les évocations de béguinages et de beffrois gothiques, de nonnes, de paysans, de charretiers, de huttes, de crucifix et du port d’Anvers, de blés ondulants au milieu desquels des métayers industrieux s’employaient pittoresquement à la moisson – ces images étaient flamandes, même si elles étaient accommodées à la sauce de la décadence et de la "lassitude" parisiennes alors en vogue, comme les servait Maeterlinck. Ou à une autre sauce, celle du socialisme de salon, comme pour Verhaeren et ses "Villes tentaculaires" qui menaçaient de corroder les idylliques campagnes.
La Flandre faisait pour ainsi dire le tour de l’Europe grâce au véhicule de la langue française, et le visiteur cultivé était sans doute dépité que le premier péquenaud flamand venu s’obstinât à s’exprimer dans un dialecte bas francique occidental aux accents rudes, parfaitement incompréhensible.

Mais la vieille Europe courait au devant de sa ruine. La guerre mondiale et un mélange d’émancipation et de nationalisme pousseraient nombre de peuples à constituer leurs propres petits États. La Belgique se changea en un autre pays. Et après la guerre suivante et l’établissement de la frontière linguistique, elle devint la proie de la sottise. La lutte sociale avait jadis été portée d’un commun accord par les ouvriers wallons et flamands, mais l’alliance stérile de l’opiniâtreté nationaliste du Nord et de l’incompréhension bornée du Sud accoucha d’un conflit ethnique sans aucun motif historique. Triste fruit d’un siècle d’émancipation !
Force est donc de conclure qu’en tout cas, une poésie belge "a existé".
On trouvera naturellement des Flamands pour le nier fougueusement,ne serait-ce que parce que le reflux de leur frustration provoque automatiquement chez eux un haut-le-cœur à l’ouïe des mots "Belgique" et "belge". Mais tout adepte du flamingantisme culturel, polyglotte, et je dirais presque "vieille France" – une espèce qui, au risque de vous étonner, suscite en moi un mélange d’attendrissement et de déférence – reconnaîtra promptement qu’il existe une poésie belge "historique"… et expliquera aussitôt qu’elle est aussi archaïque que la Belgique elle-même.
Mais la poésie a sa propre anarchie. Les poètes flamands francophones sont comme les adeptes du flamingantisme culturel – on rencontre toujours des exemplaires vivants de ces espèces en voie d’extinction. Werner Lambersy est né à Anvers. Daniel De Bruycker est un Bruxellois avec deux parents flamands. En 2007, Jan Baetens a remporté le Prix Triennal de Poésie de la Communauté Française. Jan Baetens ne vient même pas d’un milieu francophone; il écrit ses poèmes en français pour y instiller une certaine distanciation critique, comme il l’explique lui-même
.
Les poètes flamands avec une plume française existent donc encore. Mais leur patrie est devenue obscure, et leur art poétique ne sera pas souvent qualifié de "belge", ni en Belgique, ni en France, et encore moins aux Pays-Bas ou à Moscou. Néanmoins leur poésie a indéniablement un caractère belge ; et il a beau être moins apparent qu’il y a cent ans,même une patrie devenue hypothétique, brumeuse et ambiguë influence la manière dont le chanteur lance ses trilles.
La Belgique se perpétue encore d’une autre façon dans la poésie. Il y a aujourd’hui dans ce pays les inévitables poètes qui "thématisent" la Belgique, qui écrivent des vers ironiques ou non sur la Belgique, qu’ils rejettent ou embrassent en tant que patrie.Jean-Pierre Verheggen, par exemple, dont l’un des poèmes commence ainsi :

À Bruxelles, une vraie moule est toujours bien en chair : grosse, grasse, bien blanche et flamande.

Il suffit de l’entendre le déclamer, avec son accent bruxellois gros et gras, pour chasser tous les doutes… c’est du Belge !
Ou que pensez-vous de Leonard Nolens, qui dit dans un vers célèbre qu’il est né en Belgique, mais que la Belgique n’est jamais née en lui ? Et la liste des noms, qu’ils soient flamands ou wallons, est longue…
Un cas récent qui mérite l’attention est celui du recueil que l’organisateur de ce festival, Michaël Vandebril, a publié : "Het vertrek van Maeterlinck". Ce même recueil s’intitule également "L'exil de Maeterlinck" et contient une traduction intégrale des poèmes originaux. Un tel degré de belgitude parmi les jeunes Flamands postmodernes est pour le moins insolite. En français, et pas en anglais ? Dans cette conjoncture maussade ? C’est un peu comme cuisiner du chou-fleur à la sauce blanche, ou devenir catholique, ou refuser le divorce. Le recueil de Vandebril, cet exemple coruscant de pensée à contre-fil, peut se résumer en un mot ; et c’est un mot du Glossaire des Termes Belges Intraduisibles : "foert" !
Mais ce n’est pas tout.
Je crois qu’il existe aussi une poésie belge "involontaire". Ou même une poésie belge "inconsciente". Sa spécificité belge est pour ainsi dire clandestine, sous-jacente – ce qui, en un certain sens, dote cette poésie d’un caractère subversif. Elle va, plus ou moins par accident, à l’encontre des forces dominantes du présent.
Mais qu’y a-t-il précisément de belge, dans ces poèmes belges ? À quoi reconnaît-on immédiatement qu’un poème belge "est" belge ? Le savoir conduirait à pouvoir élaborer une poétique belge. Et à la placer en regard de la poétique flamande régionaliste prêchée dans l’introduction de "Hotel New Flandres", la volumineuse anthologie de la poésie flamande d’après-guerre, publiée par Dirk van Bastelaere, Erwin Jans et Patrick Peeters.D’après ces anthologistes, il existe un "système poétique flamand", et pour ce système, "les Pays-Bas sont l’étranger, tout comme la France, l’Amérique ou l’Inde".
Cette affirmation est loin d’être innocente. Elle épouse l’idéologie sur laquelle est basée
VTM, cette chaîne de télévision qui cantonne les Flamands dans le provincialisme, entre autres en sous-titrant les séries télévisées hollandaises. Et elle est encore moins innocente lorsqu’on sait que les poètes hollandais résidant en Flandre n’y sont pas répertoriés. Le livre exprime une rancœur petite-bourgeoise et sert finalement l’agenda séparatiste. "Vlaanderen boven", la Flandre au sommet, n’est-ce pas. Nous n’avons rien à voir avec ces arrogants de Bataves et de Francophones. Dans "Hotel New Flandres", le régionaliste Van Bastelaere est comme un paysan dans un tableau de Permeke, les pieds solidement plantés dans la glaise de son fief et appuyé sur le manche de son croc à fumier, qui voit défiler avec méfiance les hordes de poètes étrangers à son peuple.
Vouloir combattre ce prétendu système, signifie définir les particularités que possède d’après moi la poésie belge contemporaine. La chose ne sera pas facile, puisque nous parlons ici avant tout d’un certain "je-ne-sais-quoi". Commençons par dresser la liste de ce que le lecteur peut rencontrer dans les poèmes belges.
Expressionnisme, mysticisme, catholicisme, anticatholicisme, post-catholicisme, description de paysages, régionalisme, l’arrière-pays ressenti comme une terre étrangère, le cochon vu comme un humain, l’humain vu comme un cochon, l’anarchie, la méfiance cultivée,l’humour absurde, l’obsession de l’oralité, la langue, le labeur langagier, la bouffe à tire-larigot, le "bédéisme"… autant de caractéristiques, de thèmes, de sujets, de courants et de préoccupations dont on trouve maints alliages dans les poèmes écrits dans cette plaine alluviale et ses collines.
Oh oui, il existe une poésie belge, que dis-je, "un système poétique belge". Et à ce système appartient aussi indéniablement cette névrose : la comparaison permanente avec – ou l’assujettissement à, ou la rébellion contre – la poésie d’un pays voisin plus grand, qui publie vos œuvres, et un jour peut-être, qui sait, vous plante une couronne de lauriers sur le crâne…

J’ai lu récemment "Wijvenheide" de Luuk Gruwez. J’y ai trouvé tous les thèmes déclinés plus haut.Un bon exemple de poème avec des traits dominants belges est celui-ci, intitulé "De snor van Flaubert", soit "La Moustache de Flaubert" :
 
       Waarom toch droeg Flaubert een snor? Wist hij het zelf?
       Toch niet om zich de mond te snoeren? Te verbergen wat hij
       te vertellen had? Uit heimwee naar zijn coq-au-vin, zijn tripes
       à la mode de Caen, de allereerste moedermelk?
       De snor van Flaubert placht ouder gewoonte
       een heel eigen leven te leiden. Straalde dedain of
       bewondering uit, overeenkomstig zijn krulling.
       Een even grote afkeer van het mensdom was hem
       eigen als zijn drager, voltijds bezig met hekel.
       En dan het kokhalzen. Die misselijke cocktail
       van gestolde etensresten. De talloze mislukte liefdes.
       En die belachelijke papegaai die keer op keer 
       om nabootsing vroeg van wie zichzelf altijd al had geïmiteerd.
       Gustave Flaubert verbleef in Croisset, in Rouen,
       in Parijs. Maar verreweg het meest in zijn snor.
       Gustave Flaubert was heel zijn snor. 

Traduction en français par Daniel Cunin:

Pourquoi donc Flaubert portait-il la moustache ? Le savait-il lui-même ? Pour se clouer le bec ? Dissimuler ce qu’il avait à dire ? Par nostalgie du coq au vin, des tripesà la mode de Caen, du tout premier lait maternel ?   La moustache de Flaubert avait la vieille habitude de revendiquer son quant-à-soi. Dégageait admiration ou dédain suivant le tour que prenaient ses pointes.Elle cultivait la même misanthropie que son propriétaire,rebroussant tout dans le sens de la détestation.Et avec ça les haut-le-cœur. Répugnants cocktails de rogatons tout durs. Les innombrables échecs en amour.Tandis que sans relâche le grotesque perroquet demandait à imiter celui qui s’était toujours imité.Gustave Flaubert a vécu à Croisset, à Rouen, à Paris. Mais bien plus encore à même sa moustache.Cette moustache, c’était tout Flaubert.

Peu de Hollandais apprécieront à quel point ce poème est humoristique.Et moins d’entre eux encore reconnaîtront la blague absurde dans le dernier vers ; la moustache du plus grand styliste de la langue française se voit dotée de la même fonction que celle de la langue dans le célèbre cri de guerre de l’émancipation flamande : "De taal is gans het volk", la langue est tout le peuple…
Ce sont des éléments de ce genre qui, sans être particulièrement visés, émaillent – en quantité variable, bien entendu – les œuvres de presque tous les poètes flamands et wallons.
Même Dirk van Bastelaere n’y échappe pas. Dans "De wind uit het elders 2" (le poème se trouve dans son anthologie nouvelle-flamande), il met en scène un Français (le philosophe Baudrillard), qu’il cite en français ; quant à la Belgique, il en dit :
"Les trottoirs sont étroits dans ce pays, les maisons laides, la nourriture riche, mais douteuse."

Non seulement le plaisir d’ironiser sur la Belgique est éminemment belge – tous les clichés sont présents – mais l’indifférence grammaticale du poète l’est aussi. À moins évidemment que l’on considère que le pantagruélisme belge mérite un emploi du verbe au pluriel : "la nourriture sont riche".

En résumé, cher auditeur, la poésie belge n’est jamais innocente. Elle est, et par définition, "politique" – même lorsqu’elle n’y prétend pas. Du moins à condition qu’elle existe, ce que je ne peux pas prouver, et ceci est en soi une donnée éminemment belge aussi. En tout cas, je suis d’avis qu’un poème belge est un acte implicite de résistance. Contre quoi, je vous en laisse seuls juges.
C’est pourquoi je veux crier en conclusion aux poètes belges et à leurs lecteurs ce que qu’Émile Verhaeren criait aux peuples européens : "Admirez-vous les uns les autres !"



 


lundi 11 juin 2012

LE encore au Marathon des mots de Bruxelles

Arthur H. (c) Emmapic.
Elle écoute le disque "L'or noir" d'Arthur H et Nicolas Repac (Naïve) que son chéri lui a offert à l'issue du spectacle vendredi soir au Théâtre National. Ah, la voix d'Arthur H, rocailleuse, envoûtante, qui épouse les textes d'Aimé Césaire, Edouard Glissant, Dany Laferrière, James Noël... L'histoire des crânes, celle du couple à motocyclette et des textes plus connus, mariés aux sons que Nicolas Repac extrait des instruments les plus improbables.







Mais voilà, le troisième Marathon des mots de Bruxelles, c'est fini. Restent les bons souvenirs de ce week-end dédié aux lectures à haute voix. D'impeccables choix de livres, et des lectures offertes avec générosité à un public, finalement peu nombreux. Dommage pour les absents. Ils ont tort, on le sait.


Samedi


Marie-Christine Barrault.
Marie-Christine Barrault remporte son défi: lire les "Mémoires d’Hadrien" de Marguerite Yourcenar en quatre tranches d'une heure, entrecoupées chaque fois de trente minutes de pause. Le public a répondu présent. Une centaine de marathoniens occupent une salle aux murs de marbre de l'Académie de Bruxelles, le lieu même où l'écrivaine fut invitée en 1970, dix ans avant d'être élue à l'Académie française!  Surprise: certains n’hésitent pas à suivre la lecture dans leur exemplaire personnel du livre, souvent ancien à juger son apparence. Quelques académiciens du cru les ont rejoints et écoutent tout aussi religieusement la comédienne française.


 

A La Bellone, Anne Alvaro lit "La chienne de Naha", de Caroline Lamarche, en sa présence, devant une trentaine de personnes seulement.

Au centre Galego-La Tentation, cuisine rime avec littérature. Recette des "Savoureuses": prenez une Milady Renoir pour le choix des textes. Ajoutez une Sandrine Mossiat pour les idées de recettes. Mélangez avec la Troupe poétique nomade. De quoi pimenter l’après-midi. Un florilège de textes liés à la nourriture est offert aux gourmands, invités ensuite à user de leur cuillère, pour tester notamment un hommage à la morue à la fraise de Gaston Lagaffe. Parmi ceux qui écoutent, plusieurs auteurs et lecteurs du Marathon. Ils sont trop chou avec leur cuillère jetable à la main.

Dimanche

Frédéric Dussenne. (c) Garjan Atwood.
Aux Riches-Claires, le matin, on patiente. Paul Fournel, auteur de "La liseuse" dont Frédéric Dussenne donnera une très belle lecture, a raté son Thalys, mais il est dans le suivant. Arrivé à la gare du Midi, il saute dans un tram pour éviter le gigantesque marché de la gare du Midi. Ouf, il est là. Il repartira assez vite: il doit encore voter...Les extraits choisis concernent plutôt la vie de l’éditeur raconté dans le roman. Mais il est précisé ensuite que "La liseuse" comporte aussi d’autres thèmes moins sombres.


L’après-midi réunit une vingtaine de personnes au centre Arthis où Angelo Bison donne quatre nouvelles de Bernard Quiriny, extraites de "Une collection particulière", celles sur la littérature de l’ennui, le changement de nom, l’échangisme et l’élixir pour rajeunir. Le public apprécie. Lecteur et auteur se retrouvent: c'était déjà Angelo Bison qui avait lu des extraits des "Contes carnivores" il y a quatre ans.

Au même moment, mais aux Riches-Claires, Fanny Cottençon, toujours très appréciée par les Bruxellois, rallie un vaste public pour sa lecture de "Trois Guinées" de Virginia Woolf.

Maria de Medeiros lui succède et présente superbement des lettres provenant de la correspondance échangée entre Clarice Lispector et l’écrivain brésilien Fernando Sabino. Quelle malice, quelle pétulance, quel appétit de vivre dans ces courriers d'une romancière trop mal connue chez nous alors que les Editions des femmes ont traduit quasiment tous ses livres.

Enfin Jacques Mercier lit fort bien l’excellent Thomas Bernhard, "Mes prix littéraires", où l’écrivain autrichien confie ironiquement ses expériences. Trois textes ont été choisis: la jubilatoire remise du prix Grillparzer (1972), celle du prix de littérature de l’Etat autrichien (1967) où le récipiendaire fit fuir le ministre de la culture et le discours qui motiva ce départ.





Rien que du  bon, pour ceux qui étaient là. Où étaient les autres ? Voir Johnny, regarder le foot, le tennis, écouter la musique sur la place voisine, pique-niquer devant la Bourse, surveiller le blocus des enfants, profiter du beau temps tout simplement? Tant pis pour eux mais dommage.



jeudi 7 juin 2012

LD compte les jours

Ben c'est zéro. Ou tout comme. C'est ce soir que commence le troisième Marathon des mots à Bruxelles. Estival par ses dates au moins.
En apéritif, une soirée ce jeudi à Flagey (20h15) consacrée à l'écrivain espagnol Javier Marias et à "Los enamoramientos" (traduction à paraître chez Gallimard).
Oui, ses livres sont gros mais ils valent la peine. Dixit Anne Alvaro qui donnera une lecture dimanche à 17 h aux Riches-Claires du tome 3 de "Ton visage demain" ("Poison et ombre et adieu", traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, Gallimard).

Anne Alvaro nous dit:
Je n'avais rien lu de lui. J'ai commencé par l'extrait de "Poison et ombre et adieu" sélectionné par le Marathon des mots de Bruxelles. Je ne connaissais pas les personnages, mais j'ai tout compris. Ensuite j'ai terminé le livre, 600 pages tout de même, et je l'ai repris au début. Cela m'a donné envie de lire les deux volumes qui ont précédé celui-ci. Ce sera pour mes vacances, j'espère. En vacances, je lis, et j'adore cela. D'ailleurs, j'adore lire tout court.

Vendredi soir, au Théâtre National, à 20h, ce sera le spectacle d'Arthur H, "L'or noir", présenté pour la première fois en Belgique (il était montré au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo durant le week-end de Pentecôte). Un mélange de musiques et de textes d'Edouard Glissant, Dany Laferrière, Aimé Césaire, René Depestre et James Noël.






Après ces mises en bouche vespérales, ce sera le moment de chausser ses meilleures chaussures et de glisser un parapluie de secours éventuel au fond de son sac. Car les journées de samedi et de dimanche seront riches en lectures diverses programmées en plusieurs lieux bruxellois.


La plus folle,
la plus incroyable,
la plus audacieuse,
sera sans conteste la lecture-marathon que Marie-Christine Barrault fera des "Mémoires d'Hadrien"
de Marguerite Yourcenar (Folio). Quatre séances de lecture d'une heure, entrecoupées de pauses de trente minutes (le samedi à 14h, 15h30, 17h et 18h30). Dans le cadre prestigieux du Palais des Académies dont Marguerite Yourcenar, décédée il y vingt-cinq ans, fut membre dès 1970, dix ans avant son élection à l'Académie française.
Si la comédienne se montre enthousiaste devant ce projet un peu fou, qui ne peut donc lui déplaire, elle se demande aussi si elle aura un public marathonien. Qui écoutera les quatre lectures à la suite l'une de l'autre? C'est une façon idéale d'appréhender ce livre extraordinaire, écrit en 1951.

Celle qui a été désignée comme "Intemporelle" par le Marathon ne sera pas seule dans sa section.

L'y rejoignent Virginia Woolf avec Fanny Cottençon qui lira des extraits de "Trois Guinées" (10/18) le dimanche, 14h, Centre culturel des Riches-Claires, et Clarice Lispector dont Maria de Medeiros lira des extraits inédits en français de sa correspondance avec Fernando Sabino (dimanche, 15h30,  Centre culturel des Riches-Claires).







Plus "Actuelles", les lectures d'auteurs contemporains

"Les Raisons de mon crime" de Nathalie Kuperman (Gallimard), par Fanny Cottençon (samedi, 14h, La Bellone)
"La chienne de Naha" de Caroline Lamarche  (Gallimard), par Anne Alvaro  (samedi, 15h30, La Bellone)
"La liseuse" de Paul Fournel (P.O.L.), par Frédéric Dussenne (dimanche, 11h, Riches-Claires)
"Kosaburo, 1945" de Nicole Roland (Actes Sud), par Christelle Cornil (dimanche, 17h, Arthis), lire aussi un message précédent http://lu-cieandco.blogspot.be/2012/04/lemu-par-nicole-roland.html



Les "Exclusives"
En avant-goût des prochaines rentrées littéraires.  :
"Les cruelles étoiles de la nuit" de Kjell Eriksson (Gaïa, en librairie et des extraits d'un livre à paraître), par Bernard Yerlès (samedi, 17h, La Bellone)
"Congo", de David Van Reybrouck (Actes Sud, 12 septembre 2012), par Ben Hamidou (dimanche, 11h, Passa Porta)
"Citoyen Park", de Charly Delwart (Seuil, 23 août 2012), par Yannick Renier (dimanche, 14h, La Bellone)
"Ziyan", de Hakan Günday  (Galaade, début 2013), par Simon Wauters (dimanche, 15h30, Arthis)

Les "Impertinentes"
Trois lectures pour faire swinguer tous les zygomatiques :
"Une Collection très particulière", de Bernard Quiriny (Seuil), par Angelo Bison (dimanche, 14h, Arthis)
"La maison des célibataires", de Jorn Riel (10/18) par  Dominique Pinon (dimanche, 15h30, La Bellone)
"Mes Prix littéraires", de Thomas Bernhard (Folio), par Jacques Mercier (dimanche, 17h, La Bellone)




Les "Traverses"
Une littérature des marges d’auteurs écorchés vif.
"Une femme avec personne dedans" de Chloé Delaume (Seuil), par elle-même (samedi, 19h, La Bellone)
"Au Bord du gouffre" et "Spirale", de David Wojnarowicz (Le serpent à plumes et Laurence Viallet), par Joffrey Verbruggen (Samedi 20h30, La Bellone)

Sans oublier les écritures numériques, les ponts entre français et néerlandais, les Microfictions, les "Savoureuses", le slam, les lectures jeunesse, les rencontres, les dédicaces.

Bref, pour avoir les plans, les calendriers, et tout le reste, c'est ici www.lemarathondesmots.be

vendredi 1 juin 2012

L100 va à Orbæ

Avec son port de mer et ses larges remparts, Saint-Malo est la ville idéale pour accueillir une exposition des dessins originaux de l'album
"Le secret d'Orbæ" (Casterman),
de  François Place, tout entier tourné vers les découvertes et les grands espaces - ce qui nous ramène finalement toujours à nous-même.
Surtout quand les illustrations sont montrées à l'Ecole de marine marchande de la ville!
Cela a été un des multiples ancrages du Festival Etonnants Voyageurs qui s'est déroulé dans la cité malouine du 26 au 28 mai.

Nous avions déjà évoqué cet album, trop brièvement, dans ce blog http://lu-cieandco.blogspot.be/2012/05/ld-gaine-ses-francois.html

Il fallait évidemment revenir sur cet épatant travail, remarquable à plusieurs égards.
Par sa présentation, un coffret cartonné fermé par un aimant, contenant deux romans écrits à la première personne, indépendants mais complémentaires, passionnants, et un portfolio cartonné à l'ancienne, abritant dix-huit illustrations de toute beauté.
Par son contenu romanesque.
Par sa maîtrise graphique.
Tout le grand art de François Place!

A noter que "Le secret d'Orbæ" a reçu le prix Bologna Ragazzi 2012 en section fiction.
On y part à la découverte d'une terre lointaine, recelant un lieu mystérieux, la Montagne bleue. Un pays de légende, au cœur de la quête de Cornélius et Ziyara, les héros de cette prenante épopée.

Le village de Vinh Gao. (c) François Place/Casterman.

Les deux histoires parallèles des romans finissent par converger. Ces deux récits de quête explorent le monde mythique d’Orbæ. "Le Voyage de Cornélius" retrace le parcours d’un fils de drapier parti d’Europe du Nord à la recherche de la "toile à nuage", tissu plus fluide que la soie. "Le voyage de Ziyara" explique comment Ziyara, fille du sud, trouve une fève en forme de dauphin dans un pain d’épices, un talisman qui  la désigne Grand amiral de la flotte. Elle sera ensuite bannie et entamera une longue errance sur les mers. Ils se rencontreront et tenteront de cheminer ensemble.

François Place a répondu à nos questions dans la cité malouine.

Comment avez-vous imaginé ce projet qui apparaît tellement original par rapport à ce qui se publie aujourd’hui?
J’avais envie d’écrire deux histoires en miroir, celle d’un homme, Cornélius, et celle d’une femme, Ziyara. Ils font deux grands voyages calqués, l’un sur la route de la soie, l’autre sur la route des épices, l’un terrestre, l’autre maritime. Ce sont deux aimantations différentes. Cornélius part à la recherche de la "toile à nuage", une soie particulièrement fine. Ziyara qui est l'amie des dauphins se retrouve jetée sur les mers par un signe du destin. Si lui a toujours devant lui un horizon, jusqu'à l'obsession, elle voyage par contre en liberté. Puis, bannie, elle devient une vagabonde des mers. Je voulais allier au plaisir du voyage celui de la découverte.

Les destins de ces deux voyageurs vont se rencontrer.
Oui, à un moment du roman, Cornélius et Ziyara se rencontrent et font alors un voyage commun pour retrouver la femme capable de tisser la "toile à nuage". Mais Ziyara souffre lors de ce chemin, elle est trop liée à la mer. Tous les jours, elle se baigne avec les dauphins! Ils vont donc se séparer. Elle va l'attendre, sur terre, mais près de la mer. Mais on se demande aussi si la Montagne bleue, but du voyage, ne serait pas la montagne de la mort. Cornélius n'a, en effet, pas l'air de revenir de son expédition. Pour l’aider, Ziyara dessine alors sur une carte le but qu’il ne parvenait pas à voir tout seul.

Le titre du coffret comporte le mot Orbæ qu’on a déjà croisé dans votre œuvre.
Oui, c’est à l’île d’Orbæ, vue dans l’album "L’atlas des géographes d’Orbæ" (1), que Ziyara attend Cornélius, au Palais des cartes. Il y a là quantité de cartes, non seulement sur Orbæ mais aussi sur le monde extérieur. Dans le palais, il y a différentes chambres, contenant chaque fois des cartes : celle des Timides, imprécises, maladroites, celle des Effacées, tellement anciennes qu’on n’arrive plus à les déchiffrer, celle des Maudites, qui sont interdites, dont la divulgation est punie de mort! Pour ces dernières, je me suis basé sur un fait réel. Les cartes de la route d’Amérique étaient jadis interdites. Les capitaines qui rentraient de voyage devaient donner leurs journaux de bord à Séville où se trouvait une carte-mère sur laquelle on reportait toutes les expéditions. Il était interdit de consulter cette carte sous peine d’une sentence immédiate. Pour en revenir aux livres, dans le Palais se trouve aussi la chambre des Endormies, concernant l’autre côté du monde, là où on dort quand on est éveillé chez nous.
Mon travail est aussi une réflexion amoureuse sur la cartographie.

Dans la farde réalisée à l’ancienne, fermée par un ruban à nouer, on trouve aussi dix-huit illustrations indépendantes, séparées des livres.
Oui, il y a dix-huit vues des paysages traversés, six du voyage de Cornélius, six du voyage de Ziyara, six de leur voyage commun. J’avais envie que les illustrations soient séparées des romans, que ceux-ci soient sans image, rien que du texte, que chacun puisse agencer librement les images, que chacun se fasse son voyage. C’est pour cela qu’elles sont sur papier libre. Je donne les ingrédients, à chacun de se faire son plat.

Cornélius et Ziyara, on les connaissait aussi déjà un peu.
Oui, ils étaient tous les deux dans l’ "Atlas", mais leurs histoires n’étaient pas finies. Dans ces romans-ci, on repasse par certains pays de l’ "Atlas". J’ai tiré un fil qui passe d’un pays à l’autre et emmène les personnages plus loin pour donner finalement le véritable sens de l’île d’Orbæ.

(1) Rappelons que "L’atlas des géographes d’Orbæ" (Casterman) est un atlas imaginaire (superbe) où les frontières des vingt-six pays rêvés suivent le tracé des lettres de l’alphabet et abritent autant d'univers distincts.