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mardi 25 août 2020

Le roman d'amour à la lecture d'Amélie Nothomb

Amélie Nothomb. (c) Jean-Baptiste Mondino/Albin Michel.

Comme d'habitude, entamons la rentrée littéraire 2020 et ses 511 titres annoncés par le nouveau roman d'Amélie Nothomb, présente pour la vingt-neuvième fois depuis qu'"Hygiène de l'assassin" est sorti en 1992, "Les aérostats" (Albin Michel, 176 pages). Un roman au titre énigmatique dont, comme d'habitude, la quatrième de couverture ne nous dit rien, se contentant de piquer notre curiosité: "La jeunesse est un talent, il faut des années pour l'acquérir." Lecture faite, il s'agit d'n roman pétillant, presque sans champagne, qui se déroule à Bruxelles, célèbre la littérature et m'a égoïstement enchantée.

J'ai retrouvé encore une fois dans "Les aérostats" le style d'Amélie Nothomb que j'aime tant, vif, plus travaillé sans doute qu'il n'y paraît, ses mots choisis, ses dialogues, ses formules, ses observations et ses piques pleines d'humour, l'usage du passé simple qui me réjouit. Plaisir supplémentaire, elle y parle de littérature et de jeunes qui aiment lire alors qu'ils pensaient le contraire, tout simplement parce qu'ils n'avaient pas essayé. Ou n'y avaient pas été obligés.

On y rencontre, Ange Daulnoy, une jeune femme de 19 ans au prénom épicène, étudiante en lettres bruxelloise plutôt sérieuse, qui vit en colocation avec une infâme Donate, à peine plus âgée, 22 ans, maniaque jusqu'au bout des ongles et assez désagréable. On suit Ange qui  a répondu à une petite annonce, donner des cours particuliers quotidiens à un grand ado dyslexique, chez Pie Roussaire, 16 ans, de nationalité suisse mais scolarisé au Lycée français, un étudiant du genre rebelle, notamment à la littérature.

Entre ces deux, elle de 19 ans et lui de 16 ans, se tisse immédiatement un lien. Ce n'est pas "Le diable au corps" de Radiguet même s'ils ont les âges de Marthe et François car ils ne vont pas jusqu'au bout mais ils communient intimement dans leurs lectures communes. En effet, Ange n'y va pas de main morte lors de sa première rencontre avec Pie. Elle lui ordonne de lire "Le Rouge et le Noir" en un jour! Initiation au bonheur de lire radicale.

Le lecteur suit les rencontres entre l'étudiante et le lycéen, discussions passionnantes sur les livres lus et à lire, sur la littérature et la lecture. De joyeux moments de critique littéraire. Quel plaisir de redécouvrir en leur compagnie "L'Iliade", "L'Odyssée", "La Métamorphose", "Le Diable au corps", "Le Bal du Comte d'Orgel" ou "La Princesse de Clèves". Mais "Les aérostats" n'est pas qu'un roman qui chante et celèbre la littérature, il dit aussi les partages entre Ange et Pie sur les sujets chers à ce dernier, les aérostats en général, les zeppelins en particulier, il constate de solides problèmes familiaux chez l'adolescent, coincé entre un père assez pervers et une mère sérieusement à l'ouest et il est le terreau de plusieurs amours. Sans oublier qu'il nous promène en divers endroits de Bruxelles.

Si on se laisse volontiers porter vers le haut par la romancière dans les épisodes qui se succèdent dans "Les aérostats", on ne peut hélas en dire autant de la fin du roman, loupée. Ce qui n'empêche pas de largement apprécier les pages précédentes, célébrant la jeunesse sans nier ses difficultés et montrant comment la légèreté peut survenir, qu'on soit Pie, coincé dans sa vie, ou Ange, dramatiquement sérieuse.

Pour lire le débit des "Aérostats", c'est ici.

Amélie Nothomb, métronome de la rentrée littéraire
  • 1992 "Hygiène de l'assassin", Prix René Fallet
  • 1993 "Le Sabotage amoureux", Prix de la Vocation / Prix Alain-Fournier / Prix Chardonne
  • 1994 "Les Combustibles"
  • 1995 "Les Catilinaires", Prix du Jury Jean Giono
  • 1996 "Péplum"
  • 1997 "Attentat"
  • 1998 "Mercure"
  • 1999 "Stupeur et tremblements", Grand Prix du roman de l'Académie française
  • 2000 "Métaphysique des tubes"
  • 2001 "Cosmétique de l'ennemi"
  • 2002 "Robert des noms propres"
  • 2003" Antéchrista"
  • 2004 "Biographie de la faim" 
  • 2005 "Acide sulfurique"
  • 2006 "Journal d'Hirondelle"
  • 2007 "Ni d'Ève ni d'Adam", Prix de Flore
  • 2008  "Le Fait du prince", Grand Prix Jean Giono pour l'ensemble de son œuvre
  • 2009 "Le Voyage d'hiver"
  • 2010 "Une forme de vie"
  • 2011 "Tuer le père"
  • 2012 "Barbe Bleue"
  • 2013 "La nostalgie heureuse" (lire ici)
  • 2014 "Pétronille" (lire ici)
  • 2015 "Le crime du Comte Neville" (lire ici)
  • 2016 "Riquet à la houppe"
  • 2017 "Frappe-toi le cœur" (lire ici)
  • 2018 "Les prénoms épicènes" (lire ici)
  • 2019 "Soif"
  • 2020 "Les aérostats"

Tous les livres d'Amélie Nothomb sont publiés chez Albin Michel, et ensuite, en format poche, au Livre de Poche.




jeudi 20 août 2020

Entre force, humour et délicatesse, un week-end entier dédié aux lectures à Namur


L'Intime Festival est désormais LE rendez-vous littéraire belge de la fin des vacances d'été, faisant le pont entre livres d'hier et nouveautés de la rentrée. En sept éditions, il a démontré sa force et sa raison d'être, drainant des milliers de personnes dans les salles du Théâtre de Namur, alléchées par son programme exigeant et la qualité des interventions. Au programme habituel: de longues lectures par des comédiens ou une bonne pinte de lecture par un professionnel suivie d'un entretien avec l'auteur du livre, des rencontres et des dédicaces.

Il en sera évidemment autrement pour la huitième édition de l'Intime Festival, le Chapitre 8 qui se déroulera du vendredi 28 août au dimanche 30 août, crise sanitaire et jauges limitées à cent personnes obligent. Changement de lieu d'abord, ce sont deux églises namuroises, la Cathédrale Saint-Aubain et l'Eglise Saint-Loup, ainsi que la Cour de l'Athénée qui prêteront leurs murs à la manifestation littéraire, permettant la distance physique entre spectateurs. Changement de braquet ensuite, les auteurs des livres choisis ne seront pas présents, sauf exception. Mais maintien du thème,  vies ordinaires, liens avec la nature et les animaux, voix de la jeunesse, décliné en grandes lectures (GL), petites lectures (PL) et discussions. Sans oublier un concert et un exercice d'admiration. Et maintien du niveau littéraire.

Des décisions qui ont été dures à prendre par l'équipe du festival qui voulait absolument, et à raison, maintenir la manifestation. Chloé Colpé, directrice de l'Intime Festival, s'en explique sur le site.
"Nous avons décidé de maintenir le chapitre 8 de l'intime festival en l'adaptant aux dernières mesures imposées par la crise sanitaire:
• les jauges sont réduites à 100 personnes
• chaque événement demande un ticket pour vous assurer d'avoir une place dans le confort et en toute sécurité.

Plutôt que de faire la liste de ce à quoi nous avons dû renoncer: la présence des auteur.es, les salles du théâtre bondées, une exposition photographique, les projections cinéma le matin, l'insouciance d'être ensemble… Regardons ce que nous avons pu conquérir: une cathédrale et une église. Regardons ce que nous avons pu préserver: seize lectures, un concert et trois discussions, en gardant intact… notre enthousiasme à partager les textes, à proposer le débat, à questionner le monde.

Par la force des choses et dans un dépouillement qui frise l'ascèse, nous revenons à l'essentiel: un livre, une table, un.e comédien.ne qui nous embarque dans un récit. Les histoires de ce chapitre singulier racontent les vies ordinaires, interrogent nos liens visibles et invisibles avec la nature et les animaux, donnent voix à la jeunesse. Il s'en dégage de la force, de l'humour et de la délicatesse.

Si vous saviez comme on se réjouit de vous retrouver!"


Programme

Vendredi 28 août


Cathédrale Saint-Aubain, GL, 20:00-21:00
"Avant que j'oublie" d'Anne Pauly (Verdier, 2019), lu par Catherine Salée (lire ici).

Samedi 29 août


Cour de l'Athénée, 11:00-12:00
Discussion avec l'écrivain nord-irlandais Robert McLiam Wilson, francophone et francophile, en résidence à Namur (ses romans sont édités chez Christian Bourgois, traduits par Brice Matthieussent).

Cathédrale Saint-Aubain, GL, 12:15-13:15 (aussi dimanche)
"Le mur invisible" de Marlène Haushofer (traduit par Liselotte Bodo, Actes Sud, 2014), lu par Dominique Reymond.

Eglise Saint-Loup, PL, 13:30-14:00
"Papa" de Régis Jauffret (Seuil, 2020), lu par Philippe Jeusette.

Cathédrale Saint-Aubain, GL, 14:00-15:00
"La petite femelle" de Philippe Jaenada (Julliard, 2015), projection de Valentine Fournier, lu par l'auteur (lire ici).

Eglise Saint-Loup, PL, 15:15-15:45
"Une bête aux aguets" de Florence Seyvos (L'Olivier, 2020, en librairie aujourd'hui), lu par Adeline Vesse.

Cathédrale Saint-Aubain, GL, 16:00-17:00 et 20:30-21:30
"Entre eux" de Richard Ford (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, L'Olivier, 2017), lu par Reda Kateb.

Eglise Saint-Loup, 17:00-18:00
"Penser le trouble", discussion avec le Professeur Éric Caumes et Guillaume Lachenal, historien des sciences.

Cathédrale Saint-Aubain, PL, 18:00-18:30
"Elmet" de Fiona Mozley (traduit de l'anglais par Laeticia Devaux, Joëlle Losfeld, 2017), lu par Emile Falk.

Cathédrale Saint-Aubain, PL, 19:15-19:45
"Chroniques d'une station-service" d'Alexandre Labruffe (Verticales, 2019), lu par Fabrice Murgia (lire ici).

Eglise Saint-Loup, PL, 19:30-20:00
"Les enfants des autres"  de Pierric Bailly (P.O.L., 2020), lu par Yoann Blanc.



Dimanche 30 août


Eglise Saint-Loup, 12:30-13:30
Autour d'Olga Tokarczuk ("Les Pérégrins", traduit du polonais par Grazyna Erhard, Editions Noir sur Blanc, 2010), prix Nobel de littérature 2018, exercice d'admiration par Philippe Vauchel.

Cathédrale Saint-Aubain, GL, 13:00-14:00
"Un mal qui répand la terreur" de Stewart O'Nan (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Ménard, L'Olivier, 2001, lu par Jean-Benoît Ugeux.

Cathédrale Saint-Aubain, PL, 15:00-15:30
"Il est des hommes qui se perdront toujours" de Rebecca Lighieri (P.O.L, 2020), lu par Félix Vannoorenberghe.

Eglise Saint-Loup, 15:30-16:30
Concert, le premier post-confinement, avec Fabrizio Cassol, Tcha Limberger et Philippe Thuriot.

Cathédrale Saint-Aubain, GL, 16:30 — 17:30
"Le mur invisible" de Marlène Haushofer (traduit par Liselotte Bodo, Actes Sud, 2014), lu par Dominique Reymond.

Eglise Saint-Loup, 17:30-18:30
Discussion avec François Gemenne, chercheur en sciences politiques et (à venir).

Cathédrale Saint-Aubain, GL, 19:00-20:00
"Croire aux fauves" de Nastassja Martin (Verticales, 2019), lu par Anne-Cécile Vandalem.


Autant de rendez-vous alléchants qui célèbrent la littérature telle que je l'aime.

Renseignements et réservations ici.


mardi 18 août 2020

Donner à voir et transformer la réalité

Centre pénitentiaire. (c) Light Motiv.

On a le cœur qui cogne et l'estomac noué après avoir parcouru le terrible livre photographique "Les Enfermés" (Editions Light Motiv, 208 pages). "Les Enfermés", des êtres humains photographiés en divers lieux de privation de liberté, qu'on sait exister mais qui demeurent opaques au grand public. Centres pénitentiaires, maisons centrales, maisons d'arrêt, centres de détention, centres de rétention administrative, centres éducatifs fermés, locaux de garde à vue, hôpitaux psychiatriques... Des lieux qui traitent les humains qui y sont enfermés, hommes, femmes, enfants, bébés, de manière similaire, qu'ils soient condamnés, présumés innocents ou "illégaux".

Les textes sont d'Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) en France et des contrôleurs qui travaillent avec elle. Leurs rapports, recommandations, avis sont glaçants. Leurs extraits s'insèrent, classés par thématiques, enfermement, violences, saleté, oisiveté, occupations, parloirs, intimité, entre les photos extraordinaires de Jean-Christophe Hanché qui a eu accès à tous ces lieux pendant trois ans. Des photos qui ne sont légendées que du type de lieu où elles sont prises. Qui rendent visible l'invisible. "Les Enfermés" reflète ce qui se passe en France mais est-ce différent dans les autres pays?

(c) Light Motiv.

De temps en temps, les médias s'intéressent à ce qui se passe de l'autre côté des grilles. Trop de rats ici, un délabrement excessif là, un suicide parfois ou une agression de gardien... Mais après? Un rien change parfois, l'essentiel demeure, des conditions de vie indignes, dont tout le monde ou presque se fout royalement. "Les Enfermés" donne très précisément à voir et à comprendre ce qui se passe là. Les observations photographiques de Jean-Christophe Hanché, photographe et contrôleur des lieux de privation de liberté, sont sincères, instructives et choquantes. Ses images magnifiques, même si le mot peut sembler bizarre, sont un parallèle aux terribles mots provenant des extraits argumentés de rapports de visite ou de recommandations en urgence émises par le CGLPL et aux extraits effroyables de lettres envoyées par les détenus au CGLPL.

Centre pénitentiaire. (c) Light Motiv.

Dans sa préface, Adeline Hazan qui dirige le CGLPL, rappelle que la première mission de son organisme est de "donner à voir" ce qui se passe dans les lieux de privation de liberté. Elle enchaîne avec sa seconde mission, "transformer la réalité", soit recommander en plus de décrire.
"Cet ouvrage se veut à la fois un vecteur d'information et un levier pour l'amélioration de la situation des personnes privées de liberté."
Adeline Hazan abat également une troisième carte, celle du retour à la vie en société: "A la lumière des images, des constats et des témoignages qu'il trouvera dans ce livre, j'invite le lecteur à se demander si les conditions d'enfermement qu'a connues la France au cours des dix dernières années préparent de manière pertinente un retour des « enfermés » à la liberté."


Maison d'arrêt. (c) Light Motiv.

"Les Enfermés" montre formidablement, et esthétiquement, combien la privation de liberté, peu en importe la raison, entraîne pareillement souffrances, désarroi et dépendance. Grâce à la mise en pages sobre et intelligente qui leur donne toute leur force, textes et photos disent surtout la promiscuité, la saleté, la violence, la solitude, la peur, le découragement. Egalement les occupations, travail, étude, lecture. Entres ces détresses fleurissent quelques rares moments de vie, une séance de gym, une partie d'échecs ou de foot, l'arrivée d'enfants au parloir, un bébé qui dort.

Centre pénitentiaire. (c) Light Motiv.

De son travail de photographe, Jean-Christophe Hanché dit ceci:
"Accéder ainsi aux lieux d’enfermement, aussi longtemps que nécessaire, sans restriction d'accès, est une chance rare dans ma profession de photographe. Je me le répétais sans cesse afin de rendre compte de ce que je voyais au plus près, au plus juste, sans en rajouter ni en soustraire.
[…] L'immersion sensible dans la plupart de mes photographies n'est pas due à mon audace ou à un engagement téméraire mais uniquement à tout ce temps, invisible et patient, de rencontre avec les personnes qui deviennent les sujets de mes images.

Si l'enfermement est malheureusement le principal moyen de punir, il n'en reste pas moins le plus excluant. C'est à l'écart du monde que les personnes privées de liberté poursuivent leur vie, rendant leur future réinsertion d'autant plus délicate. […]
Photographier ces personnes permet de les sortir de l'invisibilité au monde extérieur, de tourner leur situation vers un extérieur salutaire, mettant ainsi en exergue leurs droits fondamentaux."

Centre de détention. (c) Light Motiv.

Le livre photographique "Les Enfermés" est à charge bien entendu, au-delà de sa beauté. C'est pour cela qu'il est nécessaire de l'ouvrir et de se confronter à son contenu.




vendredi 14 août 2020

La "Saison 5" de la saga "Sauveur & Fils" nous promène hors du cabinet de consultation

Le 12, rue des Murlins à Orléans dans la vraie vie.


Dans une petite semaine, le 19 août, arrivera en librairie la "Saison 6" de "Sauveur & Fils", l'excellente saga romanesque de Marie-Aude Murail centrée sur un psy, sa famille à moins que ce ne soit ses familles, ainsi que les divers petits mondes qui gravitent autour de lui. Une "Saison 6" qui sera, on le sait, suivie d'une "Saison 7" (lire ici).

Sauveur, c'est-à-dire Sauveur Saint-Yves, psychologue clinicien d'une quarantaine d'années, d'origine Martiniquaise, adopté là-bas à trois ans par un couple de Blancs, exerçant sa profession à Orléans depuis le décès de sa femme dans un accident.
& Fils, c'est-à-dire Lazare, petit garçon métis qu'on voit grandir de volume en volume.
& Fils, c'est-à-dire peut-être Gabin, grand ado qui vit aussi au 12, rue des Murlins.
& Fils, c'est-à-dire peut-être encore Paul, le grand ami d'école de Lazare, le petit frère d'Alice, le deuxième enfant de Louise, l'amoureuse de Sauveur, le trio s'étant aussi installé dans la maison.
Une maison largement ouverte puisqu'elle accueille encore de façon permanente Jovo, ex-SDF, ex-légionnaire, au passé mystérieux. Voilà, si on y ajoute les célèbres hamsters, pour le côté cour.
Côté jardin, on a les patients de tous âges que l'on rencontre successivement dans le cabinet de consultation de Sauveur Saint-Yves, miroirs de nous-mêmes, porte-voix de nos émotions, fenêtres ouvertes sur notre monde.
L'ensemble étant traité avec sensibilité et aussi beaucoup d'humour.

Pour se préparer à cette sortie, on fonce ou on relit la "Saison 5" de "Sauveur & Fils" (l'école des loisirs, Médium, 320 pages, septembre 2019), un épisode qui diffère des précédents. D'abord, parce qu'il débute deux ans après la fin du précédent, le lundi 12 mars 2018, et court jusqu'au dimanche 8 avril 2018, une semaine après Pâques. Une semaine de moins que la "Saison 6", cinq semaines qui s'achèvent à la Noël 2018. Ensuite, parce qu'on va beaucoup sortir du cabinet de consultation, notamment en compagnie de Louise, en reportage, ou de ses enfants, quand on ne suit pas les patients dans leurs activités. Et avec Sauveur qui va emmener son fils dans un lieu très important pour eux deux.

Quatre semaines donc, où il va se passer un maximum de choses, côté cour comme côté jardin, qu'on suit avec la même attention, la même émotion que dans les épisodes précédents, en passant du rire et aux larmes et en saluant le talent de conteuse hors-pair de Marie-Aude Murail. Pas une ligne de trop, des dialogues savamment agencés, des ruptures de rythme, et bien sûr des surprises, et des grosses, dans l'intrigue.

Dès les premières pages, on plonge dans le grand bain. Une nouvelle patiente, Louane, venue des Etats-Unis à la recherche d'un psy pratiquant le "soutien émotionnel animalier", une spécialité qui va coller à la peau de Sauveur et nous vaudra de sacrées pages humano-animalières. Louane, dont Sauveur ne se doutait pas, ce jour-là, de ce qu'il allait découvrir par la suite comme secret enfoui chez elle. Gabin, toujours au lit à midi. Samuel qu'on a déjà rencontré en consultation et qui nous apprend qu'il a rompu avec Margaux. Madame Tapin, Raymonde de son prénom, mal dans sa vie "qu'on lui a volée". Sans oublier Alice qui découvre les tourments de l'adolescence et les grands sujets de société, la petite Maylis qui se débat toujours pour exister entre ses parents et la famille recomposée que forment maintenant Sauveur et Louise avec tout ce que cela suppose de difficultés, d'ajustements, de joies, de crises et de remises en question ou en perspective. Et évidemment le couple Sauveur-Louise, amour ou dévouement pour elle, amour ou travail jusqu'au burn-out pour lui?

Les questions se succèdent au cabinet et interrogent le lecteur, un "comment sait-on qu'on est amoureux" cachant évidemment un "comment faire savoir à l'autre qu'on est amoureux de lui/d'elle". Par exemple.

Les enfants de la famille ont grandi et se cognent avec nous à la société, prof qui fait battre le cœur, pétition contre des mesures de l'école, flicage téléphonique parental, séparation des parents et harcèlement entre ex, nouvelles naissances, #balance ton porc, machisme, féminisme et homophobie, polyamour... Bref, la vie comme elle est, avec aussi un rappel discret d'une crise sur les réseaux sociaux ayant conduit au retrait d'un livre.

Au fil des jours, les événements privés se succèdent, joies, déceptions, peurs, rêves, détresses, questionnements, engueulades et fou-rires conférant de l'action et du suspense. En parallèle, les patients défilent, personnages de papier dont on aime avoir des nouvelles ou découvrir. Avec en fil rouge, cette phrase d'André Malraux: "Pour l'essentiel, l'homme est ce qu'il cache: un misérable petit tas de secrets".

Quatre semaines donc, cette "Saison 5", tellement riche et pleine de vie(s) qu'elle nous fait penser qu'il y en a au moins le double. Vite, vite, la "Saison 6"!

Pour rappel
la "Saison 1" (lire ici) court sur six semaines, du 19 janvier 2015 au 1er mars 2015,
la "Saison 2" (lire ici) sur six semaines également, du 7 septembre au dimanche 18 octobre 2015,
la "Saison 3" (lire ici) embraie directement sur la deux et court sur deux gros mois, du dimanche 18 octobre 2015 au vendredi 25 décembre 2015,
la "Saison 4" (lire ici) court sur cinq semaines seulement, du 4 janvier au 7 février 2016.

Pour lire un extrait de la "Saison 5", c'est ici.



mercredi 5 août 2020

A quoi mesure-t-on qu'une cause est juste?

"Marine", aquarelle de Geneviève Babe.


Tout qui connaît la situation des réfugiés en Belgique, qu'ils soient demandeurs d'asile ou candidats au passage en Angleterre, et ce qui s'est passé ces dernières années au Parc Maximilien (Bruxelles) où des centaines d'entre eux étaient nourris et conduits vers des familles qui les hébergeaient se retrouvera avec grand plaisir dans le second roman de Luc Bawin, "Soustractions" (Academia, 132 pages). Oui, Luc Bawin, le médecin généraliste de Hannut qui exerce comme bénévole à la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. Et aussi Luc Bawin, le conseiller médical au service adoption de l'ONE.

"Soustractions" n'est toutefois pas qu'un roman sur ce qui s'est passé au parc bruxellois et chez les "amigrants". Il n'est pas que la dénonciation des déplorables politiques européenne et belge en matière d'asile. C'est un vrai roman qui croise plusieurs personnages, chacun ayant ses soucis, ses enthousiasmes, ses rêves, ses chagrins et ses interrogations sur la filiation. Avec de très intéressantes interactions entre eux. L'auteur a eu la très bonne idée de passer de l'un à l'autre, entraînant le lecteur dans un plaisant chassé-croisé. L'école, la maison, la voiture, le train, le parc, l'hôpital...

En principal, il y a deux couples d'amis, Tom et Gaëlle, Eric et Alice. Les deux hommes sont enseignants, plutôt de gauche et concernés par les droits de l'homme, ce qui n'est vraiment pas le cas de tous leurs collègues. Ils le déplorent et développent une sacrée énergie pour les amener à leur cause. Gaëlle est coiffeuse et passionnée d'aquarelle, un art à laquelle l'a éveillée son grand-père et auquel elle se livre sans filet. Elle se remet d'une intervention chirurgicale pour grossesse extra-utérine. Alice, elle, vient d'avoir un bébé, Anaïs, désirée mais à laquelle elle ne se fait pas. Au contraire, la jeune maman plonge dans la dépression et ce n'est pas qu'un baby-blues.

Entre eux naviguera Younes, un réfugié tchadien qui ne sera plus hébergé chez Eric et Alice le temps qu'elle guérisse mais chez Tom et Gaëlle qui découvrent cette expérience. Gaëlle surtout, qui, entre son désir de maternité contrarié et ses questions sur ses origines - elle est une enfant adoptée bébé -, porte beaucoup d'attention à son protégé et à ce qu'il lui dit des coutumes de son pays natal par rapport aux maux d'Alice. Gaëlle qui devra tenter de comprendre ses choix inconscients et faire face à son adoption.

Luc Bawin.
On circule avec plaisir entre ces divers intervenants qui ont leur sincérité et leur honnêteté pour eux, qui ne se considèrent pas comme des héros mais qui sont des hommes et des femmes avec leurs forces, leurs faiblesses et leurs fragilités. L'écriture de Luc Bawin est particulière, des phrases courtes, énormément d'alinéas, presque à chaque phrase, et des dialogues bien conduits. Précise, sans emphase grossière, elle s'accorde bien au sujet du livre. On s'y fait après quelques lignes et on peut alors apprécier la précision du choix des mots et les innombrables détails qui ne peuvent provenir que de son expérience de médecin et d'hébergeur.