Nombre total de pages vues

samedi 31 juillet 2021

A Beyrouth pour les dix ans de mon blog

Dans "Mon port de Beyrouth". (c) P.O.L..

Depuis son magnifique hommage illustré aux chanteuses égyptiennes  "Ô nuit, ô mes yeux" (P.O.L., 2015, lire ici), Lamia Ziadé a poursuivi dans cette veine graphique originale qu'elle a inventée. Le dessin d'après photo ou document d'archive comme élément du récit, le récit étant une histoire de l'Orient mêlée à sa propre autobiographie. Elle a ainsi publié "Ma très grande mélancolie arabe" (P.O.L., 2017), soit un siècle au Proche-Orient, et "Bye Bye Babylone" (P.O.L., 2019), la guerre à Beyrouth entre 1975 et 1979 dans une réédition très largement augmentée de son livre publié chez Denoël en 2010.


On se doute que l'explosion des silos du port de Beyrouth le 4 août 2020, il y a quasiment un an, a profondément bouleversé la Libanaise qu'est Lamia Ziadé. Elle en a conçu un époustouflant récit illustré, toujours selon le même procédé graphique, dessinant de son trait caractéristique, rapide et expressif, sans aucun liséré noir, d'après des photos arrivées sur les réseaux sociaux le 4 août et ensuite ou d'après ou des documents de presse, d'une force égale au désespoir dont il témoigne. Elle l'a achevé le 20 janvier, il a été publié le 1er avril. La capitale libanaise était alors toujours sous le choc et entamait à peine une énième reconstruction. A la lecture, on ressent l'urgence de créer ce livre de larmes et de colère, bouleversant et très documenté. "Mon port de Beyrouth" (P.O.L., 2021) est en effet né dès le lendemain de l'explosion qui a détruit la moitié de la ville de Beyrouth le 4 août 2020. A 18h07, précise l'auteure. Un mois après la catastrophe, le 4 septembre 2020, Lamia Ziadé publiait son journal intime sur ce drame dans le magazine "M Le Monde" (ici, article pour les abonnés). Largement étoffée, cette contribution est devenue "Mon port de Beyrouth".

Beyrouth, 4 août 2020. (c) P.O.L.

"C'est une malédiction ton pauvre pays!", le sous-titre du livre est en réalité le message que Lamia Ziadé reçoit sur son téléphone le soir du 4 août 2020. Elle est à Paris où elle réside depuis ses dix-huit ans et ignore encore la tragédie qui afflige Beyrouth. Le WhatsApp familial est en pleine   ébullition aussi. On comprend son angoisse quand elle découvre par bribes les conséquences de la déflagration, les ravages du "blast". Le désespoir se mue en détresse. En larmes. En dépendance totale d'un téléphone. Pour avoir des nouvelles. Pour mesurer l'étendue du cataclysme. Parce que les silos du port, "symbole le plus immuable de Beyrouth" à ses yeux, ont été pulvérisés. Comme si la ville allait ensuite "sombrer dans les ténèbres".

Le souffle de l'explosion. (c) P.O.L.

"Mon port de Beyrouth" est à la fois la chronique d'un désastre et l'analyse de tout ce qui a pu le causer, et l'histoire d'un pays à travers la vie de la famille de la chroniqueuse, hier et aujourd'hui. L'auteure-illustratrice nous partage ces terrifiantes journées d'août, les morts, les blessés, les destructions, en textes et en dessins souvent en couleur, dont de saisissants portraits de ceux qui ont perdu la vie dans l'explosion. Rien de morbide mais une émotion juste, teintée de colère, déchirante, une exaspération devant les choix et les non-choix politiques qui ont mené à la catastrophe, une reconnaissance infinie pour ceux qui se sont dévoués, parfois à en mourir, et pour tous les autres qui se sont montrés solidaires. Lamia Ziadé raconte aussi l'histoire du Liban qu'elle a quitté mais auquel elle revient sans cesse et dont elle analyse avec clairvoyance l'évolution. Petit pays en taille coincé entre des grands qui le convoitent ou l'utilisent. 

Quelques portraits de victimes de l'explosion. (c) P.O.L.

Ce témoignage poignant sur cette explosion qui n'aurait jamais dû arriver est aussi une réflexion sur l'alpha et l'oméga de la nature humaine, oscillant entre malversations et enrichissement personnel et dévouement total. "Mon port de Beyrouth" crie de douleur et de révolte,  dit la stupéfaction et l'incompréhension, pose les questions fondamentales. Il est aussi précieux car il fixe dans le temps les effets d'un événement atroce que la reconstruction rapide des lieux efface peu à peu. On sort de cette lecture terriblement ému et ravagé, nourri par les interrogations de l'auteure.

Le livre s'achève ainsi:
"Depuis le 4 août, on ne photographie le silo que sous un angle, du côté de l'explosion. Décharné, défiguré, mutilé, carcasse monstrueuse.
Vu de l'autre côté, côté ouest, il est encore bien blanc et bien droit, pratiquement intact. J'y vois un signe, tout n'est pas perdu. D'autant plus que le côté ouest, c'est celui qui prend la lumière. La lumière qui vient de la mer. La lumière du soleil couchant."

Les silos côté intact, en juin. (c) RB.



Pour feuilleter en ligne le début de "Mon port de Beyrouth", c'est ici.





Une autre vision de la capitale libanaise est donnée par Ryoko Sekiguchi dans "961 heures à Beyrouth (et 321 plats qui les accompagnent)" (P.O.L., 254 pages) que l'écrivaine présente tout de go comme un "livre de cuisine"! "Pas seulement un manuel pour apprendre à préparer des plats (...) à la fois un concentré des goûts d'une époque, et une mémoire intime ou familiale (...) l'archive des cinq sens d'une époque". Partie là-bas pour une résidence littéraire d'un mois et demi, de 961 heures précisément, du 6 avril au 15 mai 2018, elle avait le projet de faire le portrait de la ville à travers les gestes de ses cuisiniers et les histoires de cuisine partagées par les Beyrouthins.

A ce moment, on ne devinait ni la révolution d'octobre 2019, ni la révolte anti-corruption de février 2020, ni la terrible explosion du port de Beyrouth en août 2020.  Après tous ces événements, il n'est plus possible à la Japonaise voyageuse de s'en tenir à son projet d'écriture initial. Son livre devient dès lors l'exploration de la ville telle qu'elle était avant tout cela, dans cet état d'avant-drame teinté de la nostalgie qui précède les catastrophes. Antérieurs aux drames, les récits de Beyrouthins donnent finalement l'espoir que la vie y redevienne comme elle y a été. Joyeuse, partageuse, accueillante, dans une société multiethnique et multiconfessionnelle.
"C'est précisément ce que l'on pense, chaque fois qu'une catastrophe se produit. Heureusement qu'on a connu l'avant-catastrophe. Ou même, heureusement qu'un tel est décédé avant, sans connaître ce désastre."
Surtout que Ryoko Sekiguchi sait ce que c'est que de vivre le pire en en étant loin. Elle se trouve à Paris lors du tremblement de terre, suivi du terrible tsunami et de l'accident de la centrale nucléaire qui a frappé le nord du Japon le 11 mars 2011. Elle est rivée à sa télévision. Les images qui s'impriment sur sa rétine lui rappellent d'autres catastrophes antérieures qu'elle a vues, qui ont touché le Japon. Pressée par un sentiment irrésistible, elle se met à écrire. A "transcrire". C'est le livre "Ce n'est pas un hasard" (P.O.L, 2011). Dans "961 heures à Beyrouth", elle fait autant allusion au Japon qu'au travail de mémoire de Lamia Ziadé.

Le livre se compose de 321 micro-chapitres titrés et numérotés qui, tous, font écho d'une façon ou d'une autre à une recette de cuisine, un plat, une saveur. Un prenant méli-mélo où s'enchaînent réflexions, rencontres, conseils, observations, expériences gustatives, souvenirs, sons, odeurs, saveurs, correspondances, différences, rapprochements. Tout au long des pages, on est avec Ryoko Sekiguchi dans la ville de Beyrouth et on éprouve un immense plaisir devant ses observations sur les mœurs "orientales", au Japon et au Liban bien entendu mais aussi en Iran et en Syrie. Que la cuisine est belle quand elle ouvre aux questions de transmission, de mythes, de traditions, de symboles culinaires, de mémoire et même d'immigration. 


Pour feuilleter en ligne le début de "961 heures à Beyrouth", c'est ici.



Quelques photos de Beyrouth, prises en juin 2021.
Explosions, destructions, restaurations.

Le Palais Sursock. (c) RB.

Maison traditionnelle en restauration. (c) RB.

Mur dédié aux victimes. (c) RB.

L'Electricité du Liban. (c) RB.

Restauration en face du port. (c) RB.

Quartier Mar-Mikhaël. (c) RB.

Rue Gouraud. (c) RB.

Rue Sursock. (c) RB.

Quartier Mar-Mikhaël. (c) RB.

Immeubles restaurés du quartier Gemmayzé. (c) RB.



**
*

Il y a dix ans, le 31 juillet 2011, j'entamais ce blog au si joli logo créé par un ami très cher, dédié à la littérature, au bonheur de lire grand (libellé "littérature générale") ou petit (libellé "jeunesse").

Aujourd'hui, je frôle les deux millions de visites. C'est vertigineux.

Dix ans, l'occasion de se pencher sur quelques chiffres.

Sans surprise, ce sont toujours les décès qui sont le plus consulté. Les plus connus demeurent sur le podium, Maurice Sendak, Robert Doisneau ou Babette Cole. D'autres descendent dans la liste, malgré tout l'amour et l'intérêt qui leur sont toujours portés, Mario Ramos, Jean-Hugues Malineau ou la très chère Claire Franek. Et certains sujets se maintiennent comme le discours de Meg Rosoff à l'ALMA, la très grande interview de Charles Dantzig ou les livres mis à l'index à Venise.


D'où viennent tous ces internautes? Du monde entier! En bonne part, un tiers, de France sur la période des dix ans, mais pas cette dernière année, dominée par la Russie. Des espions ou des robots sans doute. Suivent les Etats-Unis, la Russie, la Belgique, l'Allemagne, la Suisse et les Pays-Bas. Google Analytics indique aussi 1% d'internautes localisés en Norvège, Ukraine, Canada, Suisse, Royaume-Uni, Espagne, Tunisie, Indonésie, Italie, Emirats arabes unis, Pologne et 9 % encore, non localisés.





Et dix ans, c'est aussi l'idée de prendre des vacances. Retour après le 15 août.






vendredi 30 juillet 2021

Enfin, la fin de la série "50 nuances de Grey"

Une histoire d'amour qui s'est déjà écoulée à plus de 150 millions d'exemplaires de par le monde? C'est la très navrante série culte "50 nuances de Grey" dont vient de sortir en français le sixième et dernier tome qui était, nous dit l'éditeur, tant attendu. "More Grey, cinquante nuances plus claires par Christian" d' E L James (traduit de l'anglais par Denyse Beaulieu,  Dominique Defert et  Carole Delporte, JC Lattès, 550 pages) est paru juste avant les vacances.
Une page se tourne donc, la série ayant commencé il y a dix ans. Fin 2017, à la sortie du tome 5, je vous en disais tout le mal que j'en pensais. Que j'en pensais même depuis le début. C'est à lire ici

Pour l'éditeur, c'est évidemment tout bénéfice. Et on peut le comprendre en ces temps difficiles pour l'édition, surtout s'il investit ses bénéfices dans d'autres genres plus littéraires.

Voici comment il présente ce tome final: 
"Une page se tourne… Après 10 ans d'un tourbillon romantico-érotique qui a déchaîné les passions et révolutionné le monde de l’édition, la saga "Fifty Shades of Grey" touche à sa fin avec la sortie du 6e et dernier tome: "More Grey", dans lequel romantisme et érotisme atteignent leur paroxysme!
150 millions d'exemplaires vendus, des livres traduits en 50 langues, une série de films ayant généré plus d'un milliard de dollars de recette… les chiffres de la saga "Fifty Shades of Grey" donneraient presque le tournis! De son propre aveu, E L James, l'auteure, ne s'attendait pas à un tel succès. Et le dernier tome ne devrait pas déroger à la règle… d'autant qu'il offre un tout nouveau regard sur la saga et ses personnages. Une fin en apothéose qui devrait combler les fans, tout en les laissant sans aucun doute un peu déçus de devoir dire adieu à Christian et Anastasia, qui figurent désormais dans la liste des couples de fiction mythiques.
Ici, on redécouvre leur histoire à travers les yeux de Christian, le personnage qui a capturé le cœur des fans avec son histoire oscillant entre ombre et lumière. On ne peut pas vous en dire plus, au risque de vous gâcher la surprise de la découverte, mais sachez que ce dernier tome donne les clés pour mieux comprendre Christian, enfant maltraité et abandonné devenu l'un des milliardaires les plus convoités des USA. "More Grey" est aussi l'occasion d'une plongée très caliente dans l'univers du bondage et du SM… Passé maître dans le domaine, Christian ne mâche pas ses mots quand il s'agit de décrire les ébats avec sa chère et tendre, et les lecteurs ne devraient pas s'en plaindre! Il ne retient pas non plus ses émotions. Dans ce couple, le dominant n'est peut-être finalement pas celui que l'on croit. Eh oui, dans ce dernier tome, Christian se révèle un amoureux transi et ultra dépendant de son épouse, tandis qu'Ana s'affirme et rejette toute forme de soumission… sauf dans la chambre à coucher bien sûr! "More Grey"  permet aussi de découvrir sous un jour nouveau les différents personnages de la série, notamment les membres de la famille de Christian, grâce à une multitude de scènes inédites. Une jolie manière de célébrer les 10 ans d'une saga qui, si l'on en croit la dévotion de ses fans, n'a pas fini de faire parler d'elle!" 
Sans commentaire.

Pour feuilleter en ligne le début de "More Grey", c'est ici.


Demain, un anniversaire de dix ans d'un tout autre genre!




vendredi 16 juillet 2021

Bourgeoise, as-tu du cœur?

Colombe Schneck. (c) Francesca Mantovani.

Journaliste, cinéaste et écrivaine, Colombe Schneck a ceci de particulier qu'elle écrit des livres, douze et un album jeunesse déjà, qui ressemblent à des romans mais racontent en réalité sa vie, sa famille, ses proches, ce qu'elle a vu, entendu, découvert, réfléchi. Des livres courts, nerveux, sans gras, qui semblent répondre à des impulsions, quasiment tous publiés chez Stock, anodins à première vue mais qui marquent profondément. Des livres personnels qui invitent le lecteur dans leurs pages. Il n'en est pas autrement avec son nouveau titre, le douzième pour adultes donc, "Deux petites bourgeoises" (Stock, 140 pages).

Dédié à la mémoire d'une amie née comme l'auteure en 1966 et décédée trop tôt, à 52 ans, ce livre raconte Esther et Héloïse, deux petites bourgeoises amies pour la vie. Elles se sont rencontrées en sixième année. Elles avaient onze ans. Elles étaient dans la même classe de la très chic école Alsacienne, prestigieuse école privée parisienne. Elles se sont reconnues, sont devenues immédiatement amies. Inséparables. La seule différence entre elles, Héloïse est bourgeoise de sang, Esther parce que ses parents sont de nouveaux riches.

Entièrement daté, "Deux petites bourgeoises" s'ouvre sur une scène d'août 2018. Héloïse et Esther se retrouvent à la fin des vacances. La mort les séparera deux semaines plus tard. Colombe Schneck déroule alors un immense flash-back qui commence en 1977 (lire l'extrait ci-dessous) et d'achève en 2020. On va suivre les deux gamines durant toutes ces années, adolescentes, adultes, épouses, mères, divorcées, amoureuses à nouveau. Deux petites bourgeoises, deux grandes amies, deux tempéraments, deux destins, deux approches de la vie, quelques dissensions, des retrouvailles. Ont-elles du cœur, ces deux petites bourgeoises vouées à leur classe sociale? Oui, évidemment et pas toujours où on les attend. Héloïse et Esther nous balancent leurs questions sur la vie, la mort et l'amitié. De ce ton doux-amer qui fait mouche car il est une fine observation des êtres humains.

Extrait

"1977
Sur les riches, sur les bourgeois, on croit savoir d''avance, c'est comme les cochons, on ne les aime pas.
Bourgeois ou borné, selon un excellent dictionnaire des synonymes, bourgeois ou commun, bourgeois ou conformiste, conventionnel, égoïste, formaliste, grossier, lourd, médiocre, moyen, pantouflard, philistin, médiocre, singe, trivial, bourgeois ou vulgaire.
Les bourgeois sont malheureux et c'est leur faute. Ils sont là, à geindre avec leurs problèmes de riches, leurs dépressions, leurs régimes, les travaux dans leur appartement, la poussière, leurs domestiques, la queue aux télésièges. Quant aux bourgeoises? Forcément étriquées, mal baisées, la peau trop tendue, les pieds serrés dans des escarpins, la main accrochée à leur sac. Et leurs enfants, et leurs filles surtout? Aucun espoir que cela s'arrange.
Esther et Héloïse se rencontrent donc en sixième, elles sont dans la même classe à l’école Alsacienne, une école privée parisienne, une école pour bourgeois libéraux, les pires, ceux qui ont toutes les chances, sans les règles, qui pensent être du bon côté parce qu'ils sont de gauche, qu'ils échapperaient ainsi à cette accusation, "Bourgeois!". Sale race.
Elles sont des filles à papa, des gosses de riches, la cuillère en argent dans la bouche, pendant longtemps elles ne connaîtront rien d'autre, des lunettes noires sur les yeux, leurs pistons, leurs stages, leurs tee-shirts agnès b, leurs meilleures places dans le train. Qu’elles souffrent comme tout le monde. Qu'on les enferme. Qu'elles soient humiliées, rabaissées. Qu'elles subissent ce que toutes les petites filles, les adolescentes, les femmes du monde subissent, il n'y a pas de raison qu'elles échappent, parce qu'elles sont nées dans les bons quartiers, au sort qui leur est réservé.
Pourquoi Héloïse et Esther et pourquoi pas nous?"

L'auteure ajoute plus loin: "On peut les détester de ne rien voir. C'est facile et cela arrivera et elles seront punies, enfin surtout Héloïse."


Pour lire le début en ligne de "Deux petites bourgeoises", c'est ici.




mercredi 14 juillet 2021

La province française, théâtre de Bruno Heitz

Avant Emile. (c) Gallimard.


Chic! Une nouvelle série BD en noir et blanc de Bruno Heitz, dans la lignée de l'excellent "Un privé à la cambrousse" (Seuil d'abord, Gallimard ensuite, lire ici), dont le titre, "Les Dessous de Saint-Saturnin", est déjà tout un programme. Le premier tome est paru, "Le Bistrot d'Emile" (Gallimard, 104 pages), - le suivant, "Tiff'Annie" est annoncé l'an prochain. Et il est fameux! Avec exactement tout ce qu'on aime chez Heitz, une narration bien menée, des personnages truculents, des dessins efficaces, des dialogues qui claquent, des détails à repérer, des reparties à apprécier et une intrigue de polar. Léger, le polar mais prenant. Au service de l'histoire plutôt qu'en moteur principal de l'album.

Avec Emile. (c) Gallimard.


Cette nouvelle série se déroule à Saint-Saturnin, village dont les différents habitants vont tour à tour être les héros des différents tomes. En premier, Emile, qui n'en est pas natif mais vient de Balarin-les-Flots. Il y était garçon de café. A Saint-Saturnin, il reprend le bistrot du village et le baptise à son nom. Sous l'impulsion des rires incroyables du nouveau tenancier, le café reprend vie. Explose de vie. Devient le lieu de rencontre de tous les habitants. Bruno Heitz nous les raconte comme il sait si bien le faire. Mais après "dix ans de rires, d'apéros, de blagues, de belotes, de torgnoles parfois, dix ans de re-rires", Emile annonce qu'il a vendu son bistrot et s'en va. Saint-Saturnin s'enfonce, s'écroule. Le passé se désagrège au profit d'un sinistre présent.

Sans Emile. (c) Gallimard.

Une seule solution, faire revenir Emile. Plus facile à dire qu'à faire car toutes les jalousies, rancœurs, secrets qui s'étaient endormis grâce à la bonne humeur et aux attentions d'Emile ressurgissent, pires que jamais. L'arrivée d'une banque et de sa conseillère financière rajoute encore une couche aux frictions existantes. Il faudra l'opiniâtreté d'Annie la coiffeuse pour dégoter une première piste en direction d'Emile. Une initiative qui va envoyer la villageoise dans une aventure haute en rebondissements dont nous savourons toutes les péripéties, les jeux de mots et de langage.

A la recherche d'Emile. (c) Gallimard.






Promotion de la Légion d'honneur en France


La France a décrété la lecture "grande cause nationale"
. Fort bien. Mais quand on parcourt la liste des 467 promus de la Légion d'honneur, à parité homme-femme, en ce 14 juillet 2021, on cherche en vain les écrivains. Auraient-ils tous refusé la rosette? Les seules personnes approchant de la littérature sont le sociologue-philosophe centenaire Edgar Morin et l'académicien et ancien avocat François Sureau.
Cela s'explique sans doute par la répartition des décorés du jour: 29% appartiennent au secteur public ou à celui des organisations internationales, 26,9% relèvent des activités économiques, 18,5% œuvrent dans le domaine de la santé, 8,1% sont impliqués dans la recherche et l'enseignement, 7,5% sont des élus et assimilés, et 6,5% ont comme champ d'activité la culture et la communication.

Sont notamment sortis aujourd'hui du chapeau, en un inventaire digne de Prévert
  • les chorégraphes Carolyn Carlson et Georges-François Hirsch
  • le comédien et réalisateur Samuel Le Bihan
  • la philosophe Corine Pelluchon 
  • le coureur cycliste Lucien Aimar
  • les journalistes Harry Roselmack, Roger Cohen et... Jean-Pierre Pernaud
  • l'artiste lyrique et comédienne Natalie Dessay
  • l'actrice Laetitia Casta
  • la médecin Marina Carrère d'Encausse
  • le navigateur Jean Le Cam
  • l'ancien commissaire européen Pascal Lamy
  • le préfet de police de Paris Didier Lallement, 
  • le protecteur de la nature Allain Bougrain-Dubourg
  • l'ancien ministre Pierre Moscovici


Bon, c'est pas tout ça, j'ai des livres à lire, moi.



mardi 13 juillet 2021

Récits de vie de 0 à 18

Susie Morgenstern.

Fée de la littérature de jeunesse avec une centaine de titres publiés et grandement appréciés, Susie Morgenstern a déjà raconté abondamment sa vie dans des romans et des albums destinés à toutes les tranches d'âge de l'enfance et de l'adolescence. Habituée des manifestations littéraires jeunesse, salons, festivals, rencontres scolaires, Susie Morgenstern n'a jamais hésité à y partager de nombreux événements de sa vie, petits ou grands, joyeux ou tristes. Pour peu qu'on soit amateur de littérature de jeunesse, on sait beaucoup de choses sur celle qui est née Susie Hoch à Newark dans le New Jersey aux Etats-Unis le 18 mars 1945 et est arrivée en 1965 en France, à Nice précisément, après avoir rencontré en Israël, à 18 ans, un mathématicien français, Jacques, l'amour de sa vie dont elle allait prendre le patronyme!

A lire "Mes 18 exils" (L'Iconoclaste, 224 pages), sa passionnante autobiographie publiée du haut de ses 76 ans, on se rend compte que Susie Morgenstern ne vous avait pas tout dit. Le reste, elle nous le confie de sa plume singulière, vive et sensible, si proche de sa diction qu'en la lisant, on entend son épouvantable accent américain. Le reste. Son immense amour de la vie, peu importe les surprises. Son appétit pour chaque jour qui commence avec, si possible, ses grands éclats de rire distinctifs. Son état d'esprit ouvert à l'aventure de vivre. Pas par militantisme mais parce qu'elle est comme ça, Susie.

En décidant de baser son autobiographie sur un mot à même de faire peur et d'occulter un récit extrêmement passionnant, digne d'un roman ("Quelle vie! Plus pleine, plus riche, plus drôle qu'un roman") et en le déclinant 18 fois, Susie Morgenstern peut donner l'impression de vouloir dérouter son lecteur. C'est mal connaître cette professionnelle de l'écriture, cette championne des déclarations. Son lecteur, elle le rattrape tout de suite par un bref cahier photo en ouverture de l'ouvrage et par un bref résumé des "18 exils" qu'elle a définis. Du premier, "naître", au dix-huitième, "mourir", en passant par tout ce qui a fait d'elle l'être humain aussi original qu'attachant qu'elle est: son sexe, sa famille, sa religion, ses rencontres amicales, amoureuses, ses maternités, son changement de pays, ses études, son boulot, ses joies et ses deuils, ses tristesses, son veuvage, sa maladie, sa résurrection amoureuse...

Tout cela, Susie Morgenstern nous le confie avec sincérité, nous entraînant à sa suite dans cette incroyable aventure qu'est sa vie, qu'est la vie. Une vie qu'elle a toujours croquée à pleines dents, forte de ses appétits variés, manger, lire, écrire, aimer, enseigner, donner. Même si elle a parfois morflé, l'énergique qu'elle est a thésaurisé chaque fois. Elle nous partage son évolution, ses doutes, ses questions, ses réussites, ses rigolades. Sa volonté farouche de suivre sa voie, de quitter certaines choses et d'en découvrir d'autres. Son impertinente liberté.

"Mes 18 exils" se lit avec curiosité et plaisir, hymne à la vie lucide et plein d'émotions, de rires et d'autodérision. Quel parcours! Merci à Susie de nous le partager et de nous inciter à vivre nos vies et à profiter de chaque moment.
"L'ultime exil, on essaie tous de ne pas y penser
Mais quand on n'en est pas loin, c'est difficile.
Ma prière quotidienne: "Merci d'être en vie!"
Restons le plus possible dans cette vie
dont on se plaint mais qu'on aime tant-tant-tant!"
"Exil 18, Mourir".




Les petits bonheurs de Susie Morgenstern par elle-même

Mes petits bonheurs

Rester à la maison
Se lever
Se laver
Presser les oranges du jardin
Écouter les gazouillements de la cafetière
Toaster
Tartiner
France Inter
Se brosser les dents
Contempler le ciel bleu azur
Faire le lit avec des beaux draps
Faire une lessive
Attacher une montre sur le poignet
Faire du stretching pour le dos en miettes
S’habiller dans des vieilles guenilles 100 % coton
Écrire une page dans un journal intime
Répondre à de vraies lettres
Arranger les coussins de toutes les couleurs
Allumer l’ordinateur
E-mail
Regarder la mer au loin
Penser à Jacques
Arroser les plantes
Parler au téléphone
Cuisiner pour Mayah et Jean-Marc
Tendre le linge sur le toit
S’allonger cinq minutes au soleil
Penser à Yona et à Noam
Taper trois pages


 

mardi 6 juillet 2021

Le décès paisible d'Axel Kahn, médecin, penseur, marcheur, écrivain

L'image d'Axel Kahn qu'on gardera en tête.

Axel Kahn, médecin, généticien, président de la Ligue française contre le cancer, chercheur, écrivain est mort ce 6 juillet d'un cancer galopant. Il avait 76 ans. "Je lutte contre le cancer et il se trouve que la patrouille m'a rattrapé", avait-il déclaré à France Inter. Il avait annoncé sa maladie sur son compte Facebook le 21 mai parce qu'il ne pouvait plus lui échapper et qu'il savait qu'il allait perdre. Régulièrement depuis, il donnait de ses nouvelles, santé et moral, sur le réseau social, faisant montre de réflexions et de décisions solidement mûries auxquelles il n'allait pas déroger. En gros, quand ce serait trop douloureux, le loup, surnom qu'il s'était donné, arrêterait de vivre.


On peut retrouver une sélection de ces notes qu'Axel Kahn avait lui même opérée dans une partie de son blog intitulée "La chronique apaisée de la fin d'un itinéraire de vie" (ici). Son chemin vers la mort qui avait accompagné des milliers de personnes pendant les derniers mois de l'intéressé. On peut aussi regarder l'interview d'Axel Kahn dans la Grande Librairie du 23 juin (ici, à partir de la minute 8).

Axel Kahn, j'avais eu la chance de le rencontrer il y a six ans, lors de la sortie de son livre "Entre deux mers, voyage au bout de soi" (Stock). Une note de blog que j'avais intitulée "Marcher au bout de soi", à retrouver ici.






lundi 5 juillet 2021

Je cherche un guide de littérature jeunesse

Plusieurs illustrations des "Droits du lecteur" selon Quentin Blake et Daniel Pennac
figurent dans "Tout..." (c) Gallimard Jeunesse.

Pour entrer en littérature de jeunesse aujourd'hui, il faut être soit passionné, soit complètement naïf. D'abord parce que ce secteur s'étend des albums pour les tout-petits aux romans pour les grands ados, en passant par les albums, les romans illustrés, les romans non illustrés, les bandes dessinées, les documentaires et quelques percées numériques. Ensuite parce qu'il y sort environ quinze mille nouveautés par an! Une montagne à escalader pour les néophytes.

Comment s'y retrouver? Par quoi commencer? Comment s'y orienter? Autant de questions que je n'ai pas eu à me poser, étant arrivée en littérature de jeunesse au moment où elle entamait son envol. Dans les années 1970. Pour rédiger mon mémoire universitaire (ULB, 1980), je me suis installée deux mois dans des librairies jeunesse tout juste ouvertes à  Bruxelles. Avec application, je vidais les rayons les uns après les autres. Sagement assise à ma table, je lisais tout avec précaution. Et je remettais ensuite proprement les livres en place. Pas mal d'heures de lecture quand même, mais une fois l'effort fourni, j'étais à niveau. Il m'a ensuite suffi de suivre les nouvelles parutions. Ce que je fais encore aujourd'hui.

Mon système D ne serait toutefois plus opérationnel de nos jours. Les librairies proposent en général les nouveautés et les valeurs sûres du fonds. Beaucoup de titres majeurs ont disparu. Les créations d'aujourd'hui sont, on l'oublie trop souvent, le fruit - ou le contre-fruit - de ce qui est né hier. Encore faut-il savoir ce qui s'est fait hier ou avant-hier. Les spécialistes actuels manquent souvent de recul dans leurs analyses. A se demander quelle mémoire à plus de cinq ans ils ont.

C'est dire si le nouvel ouvrage de la Française Sophie Van der Linden, critique spécialiste de la littérature pour la jeunesse, essayiste et romancière, bien connue en Belgique notamment pour ses contributions au prix Bernard Versele, "Tout sur la littérature jeunesse, de la petite enfance aux jeunes adultes" (Gallimard Jeunesse, 288 pages) vient à point. Si l'utilisation du mot "Tout" fait sourire certains et d'autres grincer des dents, il faut le comprendre dans l'idée d'être le plus complet possible. De couvrir tous les âges et de s'adresser à tous les publics, du parent au professionnel.

Sophie Van der Linden expliquait il y a peu sa démarche sur sa page Facebook.
"TOUT, donc...
Ceux qui me connaissent un peu savent que ce fut mon très grand chantier ces dernières années. Avec quelle insouciance me suis-je plongée dans ce projet après qu'ayant considéré les multiples réimpressions de "Je cherche un livre pour un enfant", nous avions topé, avec Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse, sur le défi de faire à présent "Le Laurence Pernoud de la littérature jeunesse". 
Donner des repères, faire entrer dans une culture, aider au choix des livres, promouvoir la création, accompagner tous ceux qui veulent se former ou tout simplement mieux connaître la littérature jeunesse n'étaient pas de petites motivations. Elles m'ont permis de mener à son terme un long travail qui a ensuite été porté de mains de maître par Jean-Philippe Arrou-Vignod, Pierre Jaskarzec, Jean-François Saada, Cédric Ramadier. Ils en ont fait un très beau livre qui fera son entrée en librairie le 13 mai. Parents, grands-parents, bibliothécaires, enseignants, animateurs, lecteurs bénévoles, étudiants en illustration, en librairie, ou tout simplement passionnés: ce guide est pour vous."
Un sommaire en rabat de couverture. (c) Gallimard Jeunesse.


Coloré, très structuré dans son approche, avec un sommaire apparaissant sur le rabat de couverture, "Tout sur la littérature jeunesse" s'ouvre sur une phrase extraite des "Essais critiques" de Roland Barthes: "La littérature ne permet pas de marcher, mais elle permet de respirer." Fameuse caution pour la littérature de jeunesse qui continue à être souvent déconsidérée, surtout par ceux qui ne la connaissent pas. Et évidemment, quand on parle de "littérature de jeunesse", on pense à ce qu'elle offre de meilleur et non à ces livres gnangnan ou médicaments qui envahissent les rayons depuis quelques années. Rappelons encore la magnifique formule de Jean Fabre, un des trois fondateurs de l'école des loisirs en 1965 (lire ici), à propos de l'album pour jeune enfant et qui a encore toute sa valeur aujourd'hui: "L'album est pour l'enfant un miroir de lui-même, un porte-voix de ses émotions et une fenêtre ouverte sur le monde."

Le manga expliqué. (c) Gallimard Jeunesse.

Sophie Van der Linden elle-même précise en introduction: "Si aucun livre n'est tout à fait inutile, il s'agit quand même, lorsque l'on souhaite accompagner des enfants et des jeunes lecteurs dans leurs lectures, de distinguer des livres de qualité. A savoir des livres conçus par des auteurs impliqués, fabriqués par des éditeurs attentifs. (...) des œuvres qui prennent le parti de l'écriture, la recherche de sens ou le plaisir esthétique." Quelques remarques liminaires posées, elle entre dans le vif de son sujet, qui se déclinera en huit parties, très richement illustrées de choix de titres accompagnées de leurs couvertures. Ces suggestions de titres, environ 900 au total (!), sont une des grandes richesses de l'ouvrage.

  1. Des repères dans l'histoire du livre pour la jeunesse, ponctués d'une soixantaine de titres marquants et datés, et de quelques considérations sur les tendances de l'édition à différentes époques.
  2. Les grandes caractéristiques de la littérature pour la jeunesse: tranches d'âge et compétences en lecture; relectures innombrables d'un même titre; les séries dont Harry Potter mais pas que; plaisir d'avoir peur; les animaux.
  3. Des conseils en faveur de la lecture enfantine: pour la réussite scolaire, pour l'épanouissement psychique et social, en rite familial, en concurrence avec les écrans, en cas d'écueil, méthode de lecture aux enfants, aux bébés, à un groupe.
  4. Les types de livres: des livres d'éveil au roman jeunesse, en passant par les abécédaires, les albums avec ou sans texte, les livres animés, les livres-jeux, la BD, le manga, les premières lectures et les textes illustrés, sans oublier les livres à écouter et la presse jeunesse.
  5. Les genres: contes, humour, imaginaire, réel, documentaire, théâtre à lire, poésie.
  6. Bibliothèques idéales: des sélections pour huit tranches d'âge croissantes, chaque fois déclinées en 20 incontournables, valeurs sûres illustrées des couvertures et résumées, complétés d'autres titres simplement cités et de zooms sur des livres-phares ou des expériences de jeunes lecteurs, des listes à considérer comme des tremplins vers des explorations plus fouillées.
  7. Polémiques et questionnements à propos de la littérature de jeunesse: préjugés, stéréotypes, moralisme, censure, liberté de création, dangerosité.
  8. Carnet pratique: lieux du livre et de la lecture, repères sur les métiers, formations, chaîne du livre, chiffres sur le livre de jeunesse et une douzaines de sélections (albums, BD, premières lectures, romans junior, romans ados, etc.)
Des listes de titres suggérés dont les "20 incontournables". 
(c) Gallimard Jeunesse.


En moins de trois cents pages, Sophie Van der Linden parvient à démêler cet écheveau complexe qu'est devenue la littérature de jeunesse, cette montagne sur les flancs de laquelle elle dessine des chemins de promenade ou de randonnée qu'elle balise avec sagesse et compétence. Elle balaie son histoire et ses maisons d'édition, peu importe leur taille. Elle donne la parole à de nombreux acteurs de cette branche de la littérature. Avec "Tout...", elle permet aux anciens de prendre du recul et de confronter leur vision à la sienne, aux plus jeunes de s'orienter entre ces milliers de livres dont tous ne valent pas qu'on s'y arrête. Le ton n'est pas celui d'une pédagogue qui délivre son savoir mais d'une experte passionnée qui transmet ses admirations et les raisons de ses enthousiasmes. Voilà un guide extrêmement complet et, surtout, passionnant de bout en bout!

Un focus sur un artiste ici et là. (c) Gallimard Jeunesse.


Pour feuilleter les trente premières pages de "Tout sur la littérature de jeunesse", c'est ici.


Un guide aussi structuré qu'illustré. (c) Gallimard Jeunesse.





jeudi 1 juillet 2021

La projection du film "Avoir lieu" va avoir lieu

"Avoir lieu". (c) Laurent d'Ursel.

Au début de cette année 2021, moment de résolutions et de vœux par excellence, Laurent d'Ursel mettait en ligne le film "Avoir lieu", film d'art contemporain militant consacré à la recherche d'un lieu pour la nouvelle exposition de l'artiste contemporain militant et aussi militant pour les droits humains.

Six mois plus tard, d'Ursel en annonce la première mondiale. Ce sera ce jeudi 1er juillet à 20 heures au cinéma Nova (rue d'Arenberg, 3 à 1000 Bruxelles). C'est gratuit et tout le monde est invité (infos ici). Le public y croisera peut-être les sept destinataires du film qui ont été conviés à la projection mais sont prudemment annoncés "sous réserve", à savoir Carine Fol (directrice de La Centrale), Denis Gielen (directeur artistique du MAC's), Adrien Grimmeau (directeur de l'Iselp), Jérôme Mayer (curateur chez Les Brasseurs), Grégory Thirion (directeur du Botanique), Pierre-Olivier Rollin (directeur du BPS22) et Dirk Snauwaert (directeur du WIELS).

"Avoir lieu", premier long métrage (94 minutes) de Laurent d'Ursel accompagne sa prochaine exposition en tentant de lui trouver un lieu. Titrée "Courage, fuyez", elle n'est pas en lien avec l'actualité de 2020 car il y a trois ans que le bonhomme la prépare, la chouchoute, la propose ici et là. Et là et là et là et là et là. Sans résultat pour le moment. Alors il biaise. Et nous propose ce film au titre bien choisi, dans le cadre de l'exposition "Courage, fuyez".

Le résumé du film: un artiste contemporain militant piège 7 lieux pour y exposer.

Le pitch du film: le courage est à la portée du premier venu et du dernier arrivé.

La morale du film: il faut tourner 7 fois un film dans sa bouche avant de tirer la langue.

A soixante ans passés, Laurent d'Ursel ne s'est toujours pas calmé. Et heureusement. Il est le seul à avoir ce ton fait de gouaille adolescente et de fulgurances philosophiques. Un côté farfelu mais c'est du toc. L'art de mettre le doigt là où ça fait mal.

Avec ce disciple de l'art contemporain militant, même en art, il se passe toujours quelque chose. Et rarement une seule chose. Une apparence de légèreté mais une profondeur à laquelle chacun peut accéder sans être écrasé par la personnalité de l'artiste. Un écrivain, un plasticien, un militant, un enthousiaste, un excentrique, mais cela, on le sait.

"Avoir lieu". (c) Laurent d'Ursel.

"Avoir lieu" vaut la peine d'être vu. Bien sûr, on est un peu décontenancé au début mais on se prend vite au jeu des sept actes militants. L'acte un consiste à se mouler les deux pieds dans des blocs de béton et à  aller batifoler au bord du canal. L'acte deux détruit le concept du "White Cube" en brûlant tout nu dans un "White Igloo". Dans l'acte trois, le réalisateur-acteur se presse le corps avec des serre-joints et des plaques d'imprimerie... Suivent quatre autres performances tout aussi originales, audacieuses, engagées, drôles ou plus tristes, nourrissantes, incitant toujours à réfléchir. A voir sans hésitation.

"Avoir lieu". (c) Laurent d'Ursel.



On peut à nouveau visionner "Avoir lieu" sur la plateforme Vimeo (ici).