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mercredi 29 avril 2020

Des 1.001 montagnes aux 1.000 collines

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque25


Extrait d'un des carnets de tournage au Rwanda d'Atiq Rahimi.
Une scène rêvée car impossible que cette femme se baignant nue. (c) P.O.L.

A l'annonce du confinement, je faisais, au figuré, des bonds de joie. J'allais enfin avoir du temps pour lire, pour écrire, pour ranger mes livres chéris. J'allais faire fondre mes PAL. Rattraper mes retards. Je me voyais déjà remonter le temps. Six mois, un an, deux ans, peut-être davantage...

Le confinement décrété, rien de tout ça. Un vertige étourdissant devant cette immensité de temps sans balise de fin. Résultat: impossible de lire plus de trois lignes, l'esprit filait ailleurs. Le désir de lire était là mais pas sa mise en pratique, bousculée aussi par les incessantes nécros à écrire - le coronavirus a ravagé la littérature. Seule consolation, je n'étais pas la seule à vivre cette curieuse expérience.


Ce ni oui ni non a duré plusieurs semaines. Jusqu'au jour, ensoleillé, où je me suis dit que j'allais tenter une autre expérience. Biaiser avec ce blocage et choisir un livre d'un format inhabituel. Ce livre à l'italienne (= horizontal), c'est "L'Invité du miroir" d'Atiq Rahimi (P.O.L., 192 pages), sous-titré "un conte des nuits rwandaises".

Atypique par sa mise en page aérée, mêlant pages de carnets illustrés et texte conté, par sa typo habile comme cette double page disant le mot "génocide" en toutes les langues, le tout posé avec légèreté. Avec une délicatesse inverse à la force des propos écrits. "Il faut nommer l'horreur, sinon elle reviendra. Elle reviendra sous le nom qu'elle voudra, sous le masque qui l'enchantera." Des bouts de ligne, des interlignes, des alinéas, des paragraphes, des caractères italiques, surtout du blanc entre les mots forts, évocateurs, qui laissent de la place à celui ou celle qui lit.

S'ouvrant sur ces mots du poète et saint soufi Bîdèl (1646-1720), "L'invité du miroir/ demeure/ dehors", "L'Invité du miroir" m'a délivrée de mon sortilège, un auto-sortilège sans doute. Peut-être parce que son contenu était mille fois plus grand que mes petits tourments de confinée. Il m'a portée, transportée, rattachée à la lecture, ma passion égarée. Depuis, plus de souci, la PAL descend. Pas aussi vite que je ne le pensais, mais avec plaisir et intérêt.

Originaire d'Afghanistan, le pays des 1.001 montagnes, avant d'être reconnu réfugié politique par la France, Atiq Rahimi a choisi de se rendre au Rwanda, pays des 1.000 collines pour y tourner, en 2018, l'adaptation cinématographique libre du roman "Notre-Dame du Nil" de Scholastique Mukasonga (Gallimard, 2012). Porté par un élan, dit celui dont le pays natal a été détruit successivement par les Russes, les seigneurs de la guerre puis les talibans, un appel à nommer et filmer les désastres de l'Histoire.
"(...) Mon pays des mille et une montagnes est celui dont parlent toute ma vie et toutes mes œuvres.
Aujourd'hui, je m'oriente vers le Rwanda, pays des mille collines, longtemps ravagé par le colonialisme et ses corollaires comme l'esclavage, le racisme, la pauvreté, la haine perpétrant le génocide de 1994."
Marqué à jamais par les horreurs vécues en Afghanistan, l'écrivain-cinéaste se penche sur le génocide rwandais, non d'un point de vue d'historien, mais en tant qu'artiste, éponge des rêves et des cauchemars qui lui ont été confiés par des Rwandais. Il écrit ce magnifique "conte des nuits rwandaises" qui jette sans cesse des ponts entre le pays des 1.001 montagnes et celui des 1.000 collines. La langue d'Atiq Rahimi, belle, précise, poétique ou dramatique, nous emmène dans ce voyage aux pays des horreurs entre rêves et souvenirs.

"L'Invité du miroir". (c) P.O.L.

Entamé aux abords du lac Kivu où travaillent des pêcheurs, il raconte une fille qui se baigne, une femme qui marche, un homme qui s'appuie sur son bâton. Derrière les humains, le soleil, la lumière, la nuit, le dieu Imana. Le dialogue et les pensées de deux hommes, un Noir et un Blanc, les questionnements, les destins, les légendes... Le cinéma et la littérature, le vol et les génocides, les souffrances et les silences éloquents. La mort et les esprits, les chants, les dieux, le sacré, les miroirs sans reflet.

"L'Invité du miroir". (c) P.O.L.

C'est le monde entier, l'humanité dans toutes ses particularités dont les pires qu'Atiq Rahimi convoque et questionne dans ce conte de toute beauté, dont la musicalité attise les interrogations sur soi, sur l'autre, sur les autres. L'innocence, le chagrin, le bien et le mal, le désir de vengeance, les injustices, la désespérance, les rêves de paix et les ordres de tuer. Le dialogue entre les deux hommes se poursuit, le conte s'achève à la tombée de la nuit. On en sort troublé, ébloui par la langue, plus attentif aux questions du monde.

"L'Invité du miroir". (c) P.O.L.

Allant de l'aube à la nuit, basé sur les contes rwandais "Le chagrin de la petite chèvre" et "La genèse du lac Kiu", "L'Invité du miroir" s'achève par un lexique des quelques mots rwandais utilisés dans le texte et leur résonance dans l'histoire personnelle de l'auteur. De fameuses coïncidences.


"L'Invité du miroir". (c) P.O.L.


Pour lire en ligne le début de "L'Invité du miroir", c'est ici.













mardi 28 avril 2020

Une révolte au nom de toutes les femmes

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque24

Par Sarah Trillet, invitée de LU cie & co


Nina Bouraoui. (c) Sarah Trillet.


Dans "Otages" (Editions J-C Lattès, 170 pages), son dix-septième roman, Nina Bouraoui nous raconte un séisme, le drame intime d'une femme ordinaire. Sylvie Meyer a la cinquantaine. Femme volontaire et fiable, parcours sans faute, elle semble parfaitement emboîtée dans le puzzle type de la réussite personnelle et sociale. Mère de deux enfants et cheffe de département dans une entreprise de production, elle poursuit une vie certes sans sel mais qui lui apporte une sécurité confortable.




Première faille. Lorsque son mari lui annonce qu'il la quitte, elle reste de marbre et elle poursuit, sans bruit, sa routine quotidienne.

Deuxième faille. Lorsque son employeur lui impose de collaborer au plan de licenciement de son entreprise, elle s'exécute. Elle obéit avec zèle et, en s'acquittant de cette terrible tâche, elle ressent une forme de jouissance coupable. En vain tente-t-elle de rationaliser la justesse de ses actes. Ce faisant,  elle se détache d'autant plus d'elle-même et de ses valeurs. C'est en goûtant au pouvoir de vie ou de mort sur ses collègues et par l'exercice même de cette violence que le bât blesse enfin. Meurtrie d'avoir étouffé ses principes les plus élémentaires en participant à ce qu'elle considère être un désastre, elle finit de se consumer. Le fragile édifice sur lequel sa vie reposait s'effondre.

A ses yeux, elle n'est plus qu'une enveloppe détestable, haïssable. Vide.
"(...) Le plus grave c’est que tu m'as donné le goût du pouvoir, du vrai pouvoir. Celui qui permet de détruire ou de sauver quelqu'un."
"(...) Et j'ai trouvé ça grisant. Et pire encore, ça m'a excitée. J'adorais. J'y pensais tout le temps. Et tu sais pourquoi? Parce que j'ai cru que j'avais gagné en dignité. J'étais devenue quelqu'un,  j'existais, alors que c'était tout le contraire. Je suis devenue une moins que rien. Je suis devenue ce que je déteste chez les autres, ceux qui profitent du malheur et qui en tirent satisfaction."
Cette reprise de conscience douloureuse la reconnecte à son sens moral et fait rejaillir du plus profond de sa mémoire une tristesse intime, ancienne et attachée à un souvenir d'une violence inouïe.

C'est le point de rupture. Le long silence de Sylvie se mue en rage. Sous une impulsion irrépressible, sa révolte se fixe sur son employeur, Andrieux, à qui elle fait subir un scénario dans lequel les rôles de prédation sont inversés. Réduit pour quelques heures à l'état de captif, il paie, par l'effroi, la monnaie de toutes les violences qu'il a exercées, en tant qu'employeur, en tant qu'homme sur les femmes mais aussi et surtout en tant que représentant de la domination masculine.
"(...) car c'est ça qui m'a choquée dans cette histoire de vivier, c'est la morale: l'histoire d'un type derrière son bureau qui est au-dessus des hommes et des femmes, qui se permet de les piétiner, de jouer avec leurs nerfs, de les humilier même, oui, car c'est toujours de l'humiliation de douter du travail des autres et pire c'est une mise en péril en fait, le doute c'est un petit coup de canif à chaque fois, et au bout de cent petits coups de canif, c'est simple, on crève. On ne crève pas en vrai, on tient toujours debout, on se réveille, on se lave, on se nourrit, on conduit les enfants à l'école, on pointe, on se met au travail, mais à l'intérieur de soi c'est mort, et tous les gestes aussi deviennent morts, et finie la performance, on se sabote: on a été mis en péril."
Par cet acte irréparable, Sylvie se sacrifie et se condamne en toute conscience. Surtout, elle reprend sa liberté. Elle se libère radicalement des servitudes et dépendances qui ont toutes à leur manière, en sourdine, peu à peu asséché sa vie.

Par son geste, elle proclame haut et fort son refus d'un monde qui s'en prend à la liberté des femmes, à leur corps et surtout à leur élan de vie ultime: le désir, qui se nourrit de l'estime de soi et meurt avec elle.

L'héroïne se pose en vengeresse et se révolte non seulement au nom de toutes les femmes mais aussi contre tous les enfermements et ce qui, dans nos vies, nous réduit au silence et aux rôles de captifs.
"(...) tous les jours quand tu la regardes tu pries pour ne pas retrouver la tristesse qui mangeait mes yeux car c'est cette putain de tristesse que tu n'avais pas comprise dont je ne t'ai jamais parlé, qui a tout brûlé. Sois serein, vis ta vie, cette tristesse n'est qu'à moi et tu vois quand je t'écris j'aime qu'elle existe car cela veut dire que moi aussi j'existe encore un peu."
Adapté d'un texte destiné au théâtre, un monologue écrit pour le "Paris des femmes" (festival dédié aux auteurs féminins), "Otages", roman rédigé à la première personne est d'une infinie justesse.  L'écriture de Nina Bouraoui est raffinée, incisive, projetée en salves et tout à la fois d'une délicate beauté poétique.


Pour lire les premières pages de "Otages", c'est ici.






samedi 25 avril 2020

Le coronavirus expliqué aux enfants

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque23


"Le coronavirus expliqué aux enfants". (c) Gallimard Jeunesse.


Comment expliquer le coronavirus aux enfants? En en disant assez? Sans se perdre dans les détails? En les informant sans les terroriser? Les éditions Gallimard Jeunesse viennent de mettre en accès libre une version traduite et adaptée d'un petit album venu d'Angleterre fort bien fait. Le titre est imparable: "Le coronavirus expliqué aux enfants". Il est du à Elizabeth Jenner, Kate Wilson et Nia Roberts. Surtout, il est illustré par Axel Scheffler ("Gruffalo"). A noter que toutes les participations au livre sont bénévoles.

Ce dernier s'explique:
"Je me suis demandé ce que je pouvais faire en tant qu'illustrateur pour enfants pour informer et divertir mes lecteurs d'ici et d’ailleurs. J'ai donc été heureux lorsque mon éditeur, Nosy Crow, m'a demandé d'illustrer ce livre de questions-réponses sur le coronavirus. Je pense qu'il est extrêmement important pour les enfants et les familles d'avoir accès à des informations fiables, et j'espère que la popularité des livres que j'ai faits avec Julia Donaldson permettra à ce livre numérique d'atteindre de nombreux enfants, qui sont maintenant un peu plus âgés, mais qui se souviennent peut-être encore de nos livres d'images."

L'album est agréablement pédagogique, passant des explications scientifiques sérieuses et accessibles à la reconnaissance des émotions que ce virus suscite. "Qu'est-ce que c'est que le coronavirus?", "Comment on l'attrape?", "Que se passe-t-il si on est infecté?, "Pourquoi on en a peur?", "Sait-on le soigner?", "Pourquoi certains lieux sont-ils fermés?", "Rester à la maison tout le temps", "Comment aider?", "Et après?" sont les différents chapitres, illustrés avec humour et malice par Axel Scheffler.

"Le coronavirus expliqué aux enfants". (c) Gallimard Jeunesse.

Pour télécharger le livre en format PDF, c'est ici.
Le livre numérique (fichier epub) est aussi disponible sur les plateformes collectives françaises suivantes:
www.placedeslibraires.fr
www.leslibraires.fr
www.parislibrairies.fr
www.epagine.fr
En Belgique : www.librel.be
En Suisse : www.e-readers.ch
Au Québec : www.leslibraires.ca




Par ailleurs, pour ceux qui parlent ou apprennent l'anglais, Axel Scheffler et Julia Donaldon avaient publié le 4 avril dans le journal britannique "The Guardian" toute une série de dessins de leurs histoires les plus célèbres revus pour le coronavirus afin d'inciter le public à rester à la maison durant la crise sanitaire et à respecter les mesures de sécurité (à voir ici).

"The Squash and the Squeeze". (c) Axel Scheffler et Julia Donaldson 2020.

"The Gruffalo". (c) Axel Scheffler et Julia Donaldson 2020.




vendredi 24 avril 2020

Adil, une histoire de violence policière ordinaire

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque22


"Les violences policières systémiques ne se cantonnent pas à la France, loin de là", écrit Remedium, cet enseignant français qui, artiste engagé par ailleurs, fait connaître les violences policières par ses bandes dessinées (lire ici). "Partout ailleurs, les mêmes causes engendrent les mêmes effets et les mêmes conséquences. Du fond de son quartier populaire de Bruxelles, Adil en a tragiquement fait les frais. Son affaire, véritable scandale comme les Belges savent parfois en créer, commence à faire un peu de bruit. A nous tous de faire en sorte qu'elle ne retombe pas tout aussi vite dans l'oubli."

Scandalisé par l'histoire du Bruxellois Adil, 19 ans, arrivée en même temps quasiment que celle d'un motard français grièvement blessé par la police,, Remedium a traversé la frontière et reconstitué ce funeste après-midi. Voici ce nouveau "Cas de force majeure". Pour qu'on n'oublie pas Adil, ni ceux et celle dont la mémoire est perpétuée dans ces "Histoires de violences policières ordinaires", Cédric, Zineb, Ramatoulaye, Sofiane, Houssam, Mohamed.




















jeudi 23 avril 2020

A 15 heures, lire 15 minutes avec les enfants

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque21

Dessin de Anne Herbauts.

Bizarre impression aujourd'hui, 23 avril, jour de la Sant Jordi où la librairie indépendante est en fête - même si la fête est souvent différée en pratique au samedi suivant - (lire ici) et que toutes les librairies sont fermées. Pas d'opération "Un livre, une rose" en 2020. La faute au coronavirus. J'espère qu'on se rattrapera plus tard. Je l'espère surtout pour les librairies.

Demeure, malgré le confinement et dans une version revue,  l'opération "Tout le monde lit!", organisée par les éditeurs jeunesse belges et soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui lance cette invitation:

"En cette période de confinement, voyageons et évadons-nous avec la lecture!
Peut-être le faites-vous déjà tous les jours.
Que ce soit le cas ou pas, nous vous invitons à vous poser 15 minutes avec nous ce jeudi 23 avril à 15 heures pour lire 15 minutes avec votre ou vos enfant(s).
Offrez-vous ce moment d'évasion, de complicité, de calme, de découvertes...
Et partagez avec nous votre lecture: qu'aurez-vous lu, ce 23 avril à 15h?
Dites-le-nous en commentaire!
Le plaisir de lire commence ici!"

A suivre cet après-midi sur la page Facebook de "Tout le monde lit!" (ici) ou sur sa page Instagram (ici), et bien entendu chaque fois qu'il vous plaira. Aussi sur le site de l'opération (ici).



mardi 21 avril 2020

Coronadessiner sur les fenêtres à Gand

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque20

Temps de dessiner aussi dans ce cas. Et de regarder.

Kristien Aertssen pour son petit-fils.

Géniale initiative que celle de Hanne Deceuninck, une jeune Gantoise qui a invité une vingtaine de ses amis artistes confinés à dessiner sur leurs fenêtres à front de rue afin de rendre la quarantaine Corona de tous un peu plus réjouissante. "Une action pour se surprendre dans cette période bizarre, émouvante, exceptionnelle", note-t-elle.

Le projet fait tache d'huile et toute une série de dessins ont déjà été réalisés. Joyeux, sensibles, vivants surtout!

Quelle superbe idée que cette performance artistique gantoise. Non seulement, cela donne une autre dégaine aux fenêtres de la ville mais en plus, ce peut être une expérience personnelle pour les artistes. Ainsi l'illustratrice jeunesse Kristien Aertssen (lire ici) a décoré les fenêtres de la maison où habite son petit-fils qu'elle ne peut plus prendre dans ses bras à cause du confinement. D'autres ont crayonné leurs propres carreaux, au rez-de-chaussée ou aux étages. D'autres encore les vitrines d'un café ou d'un lieu où ils ont leurs habitudes. Autant d'initiatives réjouissantes.

@Quarantekening.

Le projet s'intitule Quarantekening, la langue flamande permettant le jeu de mot entre "quarantaine" et "tekening" (dessiner). Il est ouvert à tous moyennant quelques consignes.

  1. Créer un dessin de fenêtre et y mentionner @quarantekening
  2. En partager une photo sur Instagram ou Facebook
  3. Identifier @quarantekening et mentionner #quarandrawing et la rue dans la publication

Quelques exemples.


Au travail, à Eeklo.
Eeklo, dessin fini.



Au travail, à Gand.
Gand, travail fini.















Gand.


Plus d'infos sur la page Facebook (ici) et le compte Instagram (ici) de Quaranteking.
Ou par un mail à quarantekening@gmail.com.

En plus, une carte (ici) permet de retrouver les fenêtres dessinées.

Et si cette formidable expérience faisait des petits dans d'autres villes?






lundi 20 avril 2020

Adresse au père et à la mère patrie

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque19

Par Sarah Trillet, invitée de LU cie & co


Edouard Louis. (c) Sarah Trillet.

Dans un précédent roman, "En finir avec Eddy Bellegueule" (Seuil, 2014; Points, 2015), Edouard Louis s'insurgeait contre la brutalité du monde de son enfance et nous dressait le portrait sans concession de parents violents noyés dans l'alcool, le racisme et l'homophobie.


Dans le texte court, "Qui a tué mon père" (Seuil, 90 pages, 2018; Points, 2019), il revisite l'histoire en déplaçant radicalement la focale. En partant de ce qui n'a pas eu lieu entre lui et son père, il explore une nouvelle piste de compréhension et retrace le parcours de cet homme d'origine modeste, les exclusions sociales successives qu'il a subies et auxquelles il a consenti presque "naturellement", jusqu'à en sortir broyé et privé de son propre corps.

En parallèle, Edouard Louis dénonce les inégalités profondes d'une société partagée entre une fraction de la population valorisée et soutenue et l'autre vouée aux plus humiliantes persécutions et dont la raison d'être se réduit à un rôle de chair à produire. Un système consacré et qui se perpétue grâce aux politiques qui se succèdent depuis plusieurs décennies en France.
"Quand on lui demande ce que le mot racisme signifie pour elle, l'intellectuelle américaine Ruth Gilmore répond que le racisme est l'exposition de certaines populations à une mort prématurée."
"Tu appartiens à cette catégorie d'humains à qui la politique réserve une mort précoce."
Edouard Louis s'adresse ainsi à la fois au père et à la (mauvaise) mère patrie. En éparpillant ses souvenirs devant lui, il parle de la France d'aujourd'hui et dénonce. Il s'efforce de comprendre la manière dont les circonstances s'en sont prises au corps de son père, comment elles ont réduit son existence au conformisme le plus étriqué et fait surgir la crainte des différences, jusqu'au rejet de la féminité et le refus de s’émouvoir.
"Toi tu n'étais pas là. Tu n'avais même pas la bouche ouverte parce que tu avais perdu le luxe de l'étonnement et de l'épouvante, plus rien n'était inattendu parce que tu n'attendais plus rien, plus rien n'était violent puisque la violence, tu ne l'appelais pas violence, tu l'appelais la vie, tu ne l'appelais pas, elle était là, elle était."
Adresse unique envers sa mère, qui ne semble exister dans ce récit qu'en coulisses, sans moins participer aux humiliations de l'enfance, si pas plus.

Edouard Louis évoque la manière dont la politique, si elle n'a aucun impact sensible sur l'existence des nantis, a sur d'autres l'effet de rétrécir les vies et rendre certains rêves et destins inaccessibles. Elle peut, comme ce fut son cas, s'insinuer au sein des familles et réduire ceux qui la subissent à l'état de captifs, dépouillés de tout désir de devenir autre chose que ce que leur dictent les convenances.

Edouard Louis relie ces contextes et conditionnements artificiels aux silences de son père, à sa violence, à l'expression impossible de ses attachements et de son amour pour un fils dont la féminité, insupportable miroir, était impossible à concevoir. Un père dont des pans entiers de vie sont restés atrophiés, étouffés par les oppressions imposées par sa condition sociale.
"L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique."
Dans ce huis clos à voix unique, Edouard Louis nous parle non seulement de la France d'aujourd'hui mais aussi et surtout de sa colère, du partage impossible de son amour avec un père brisé et de sa profonde tristesse mêlée à quelques bris de lumière - d'avoir entrevu ce qu'il aurait pu advenir de la vie de ce père et de n'avoir pas eu l'occasion de s'en nourrir. Il frappe juste et dur, mais il frappe aussi un sujet connu. S'il ouvre une réflexion plus large à propos de ce qu'il a vécu, en replaçant sa famille et son histoire dans un contexte socio-économique et politique, il revisite cependant une thématique rebattue.
"Tu as changé du jour au lendemain, un de mes amis m'a dit que ce sont les enfants qui transforment leurs parents, et pas le contraire. Mais ce qu'ils ont fait de ton corps ne te donne pas la possibilité de découvrir la personne que tu es devenu."
Replacé dans le contexte de ses précédents romans, "Qui a tué mon père" apparaît plus ambigu sur la posture que le romancier tient vis-à-vis de son père, sans pour autant être plus nuancé. Ce texte, que je ne parviens pas à situer, semble refléter une phase ultérieure du travail de compréhension et d'acceptation du romancier à l'égard de son histoire et il me laisse davantage le sentiment d'avoir assisté à la progression d'une thérapie. Ce qui est fort louable. Mais cela nous apporte-t-il réellement quelque chose sur le plan littéraire?


Pour lire en ligne le début de "Qui a tué mon père", c'est ici.



jeudi 16 avril 2020

Le décès, à 70 ans, de Luis Sepúlveda

Temps de lire, de relire, de découvrir, de se souvenir, de faire fondre sa PAL,
pour les petits et pour les grands #confinothèque18

Luis Sepúlveda.

On vient d'apprendre la mort ce 16 avril à Oviedo (Espagne), des suites du Covid-19, de Luis Sepúlveda. L'écrivain chilien était né né le 4 octobre 1949.Il a finalement succombé au virus, contracté lors d'un festival littéraire qui s'était tenu dans le nord du Portugal du 18 au 23 février. Il était hospitalisé depuis la fin février.

Homme de conviction, Luis Sepúlveda fut emprisonné au Chili de Pinochet. Amnesty International permet sa libération en 1977, après deux ans et demi de détention. Il commence par sillonner différents pays d'Amérique latine avant de s'installer en Europe en 1982, sans arrêter ses combats pour l'amélioration de la vie quotidienne et politique sur les continents sud-américain et africain. En Allemagne d'abord, puis à partir de 1996, dans le nord de l'Espagne.

Luis Sepúlveda est l'auteur du roman "Le Vieux qui lisait des romans d'amour" (traduit par François Maspéro, Métaillé, 1992). Son premier roman sera traduit en trente-cinq langues et lui apportera une renommée internationale. Il bénéficiera d'une superbe version illustrée par Miles Hyman. Mais pas que. On lui doit une vingtaine de romans, dont des romans noirs, et de récits publiés par les éditions Métailié, passant en poche dans la collection Points du Seuil. "Le vieux qui lisait des romans d'amour" (1992) bien entendu mais aussi "Le neveu d'Amérique" (1996), "Les roses d'Atacama" (2001), "Une sale histoire" (2005), "La lampe d'Aladin" (2009) ou encore "Histoire d'ici et d'ailleurs" en 2011. L'écrivain entretenait aussi des liens étroits avec le cinéma, rédigeant des scénarios, travaillant comme réalisateur, monteur, parfois producteur et même acteur.

Il est possible de lire en ligne le premier chapitre de plusieurs livres de l'auteur sur le site des Editions Métailié (ici, cliquer sur la couverture).





































Luis Sepúlveda est aussi l'auteur de cinq romans en littérature de jeunesse qui ont été magnifiquement illustrés par Joëlle Jolivet pour les quatre derniers et par Miles Hyman pour le premier.



"Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler"
illustré par Miles Hyman
traduit de l'espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié
Métaillé, 1996

Zorbas le chat grand noir et gros a promis à la mouette qui est venue mourir sur son balcon de couver son dernier œuf, de protéger le poussin et de lui apprendre à voler. Tous les chats du port de Hambourg vont se mobiliser pour l'aider à tenir ces promesses insolites. A travers les aventures rocambolesques et drôles de Zorbas et Afortunada, on découvre la solidarité, la tendresse, la nature et à la poésie.



"Histoire du chat et de la souris qui devinrent amis"
illustré par Joëlle Jolivet
traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg
Métaillé, 2013

Max est l'humain de Mix et Mix est le chat de Max. Ils grandissent ensemble, ils sont amis pour de vrai. Lorsque Max part faire ses études, il emmène son chat bien-aimé. Max est souvent absent et Mix, devenu vieux et aveugle, passe de longues journées solitaires. Un jour un bruit suspect lui révèle la présence d'une souris mexicaine très sympathique, qu'il baptise Mex. La souris bavarde et trouillarde, raconte le monde à Mix, qui l'emmène en balade et lui donne un coup de main quand il faut atteindre la dernière étagère du placard.
Ils sont très différents mais entre le chat rêveur et la souris gourmande et volubile naît une amitié comme sait si bien les raconter Luis Sepúlveda.


"Histoire d'un chien mapuche" 
illustré par Joëlle Jolivet
traduit de l'espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié
Métaillé, 2016)

Le chien, prisonnier, affamé, guide la bande d'hommes lancée à la poursuite d'un Indien blessé dans la forêt d'Araucanie. Il a reconnu l'odeur d'Aukaman, son frère-homme, auprès duquel il a grandi dans un village mapuche. Le chien a vieilli mais il n'a pas oublié ce que lui ont appris les Indiens Mapuches: le respect de la nature et de toutes ses créatures. Il va tenter de sauver son frère-homme, de lui prouver sa loyauté aux liens d'amitié que le temps ne peut défaire.


"Histoire d'un escargot qui découvrit l'importance de la lenteur"
illustré par Joëlle Jolivet
traduit de l'espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié,
Métaillé, 2017

Les escargots qui habitent le Pays de la Dent-de-Lion mènent une vie paisible, lente et silencieuse; ils sont à l'abri des animaux et, entre eux, s'appellent simplement "escargots". L'un d'eux pourtant trouve injuste de n'avoir pas de nom et voudrait aussi connaître les raisons de la lenteur. Contre l'avis de tous, il entreprend un voyage qui lui fera rencontrer un hibou mélancolique, une tortue pleine de sagesse, des fourmis très organisées.



"Histoire d'une baleine blanche" 
illustré par Joëlle Jolivet
traduit de l'espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié
Métaillé, 2019

Au large de la Patagonie une baleine blanche est chargée de protéger les morts mapuches puis, lorsque la fin des temps sera venue, de guider toutes les âmes au-delà de l'horizon. Tout est prévu et écrit dans le temps des mythologies. Cependant l'homme vit dans un monde où tout bouge et, au xixesiècle, la chasse à la baleine se développe. La baleine blanche va devoir défendre son monde immobile contre ces prédateurs, en particulier le baleinier Essex du capitaine Achab.

Elle va livrer une guerre sans merci aux baleiniers et devenir un grand mythe de la littérature. Luis Sepúlveda nous raconte cette histoire du point de vue de la baleine blanche qui nous explique comment elle vit et s'intègre dans l'ordre du monde, ce qu'elle découvre des hommes, sa mission secrète, puis sa guerre et les mystères qu'elle protège. Enfin, c'est la mer qui nous parle.