Nombre total de pages vues

vendredi 24 décembre 2021

Frédéric Pajak, merveilleux passeur

LU & approuvé

L'attachement mélancolique à l'enfance de Frédéric Pajak.
(c) Noir sur Blanc.

Comment présenter Frédéric Pajak? Voyageur, écrivain, dessinateur, éditeur, commissaire d'exposition, réalisateur? Insuffisant. Frédéric Pajak est ce gars dont la culture, historique, littéraire, philosophique, est aussi immense que son incroyable don pour la partager sans compter. Et sans nous assommer. Il a le talent  fou d'emporter ses lecteurs à sa suite, croisant les disciplines où il excelle, à l'occasion d'épais récits écrits et dessinés.

L'auteur du "Manifeste incertain" (lire ici) nous entraîne cette fois avec l'épais volume illustré titré selon Rimbaud  "J'irai sur les sentiers" (Noir sur Blanc, 296 pages) à la rencontre de trois poètes, Isidore Ducasse, mieux connu sous le nom de comte de Lautréamont, Arthur Rimbaud et Germain Nouveau. Trois figures du genre poétique qui vécurent à Paris à la fin du XIXe siècle. Trois poètes précoces qui furent à leur meilleur à leurs dix-sept ans. Dix-sept ans, c'est également l'âge qu'avait Frédéric Pajak quand il découvrit la poésie et en fut renversé. Envoûté à vie.

L'auteur a eu l'excellente idée pour ce nouveau livre, conçu comme ses précédents en textes et en dessins jouant tellement bien sur le noir, de se pencher sur cette partie de sa vie, quasiment cinquante ans après, et de placer ses souvenirs personnels en ouverture et en fermeture de ce carnet magnifique relatant évidemment principalement les destins des trois jeunes poètes. Une merveille que ces biographies documentées et virevoltantes, riches de mille faits, illuminées de réflexions et de croisements judicieux, abondamment illustrées. Le noir et le format unique créent un épatant tempo. La patte Pajak.

Fin connaisseur de ses sujets, il est aussi un conteur chevronné qui sait tenir ses lecteurs en haleine, les combler de son savoir et à qui il dépose son vivifiant rapport texte-images. Qui imaginerait trouver tout un bestiaire, pélicans, rhinocéros, renard, etc., dans un traité de poésie? Des animaux qui ont autant leur place que les portraits des trois poètes et de leurs familles ou les lieux où ils ont vécu/sont passés ou les scènes croquées sur l'instant. Sans oublier les dessins liés aux dix-sept ans de l'auteur. 

Parfois nostalgique, "J'irai sur les sentiers" est un livre qui nous entraîne surtout dans le formidable appétit de vivre, même à la folie, de ses protagonistes, donnés ici dans toute leur vérité et qui ont fait écho chez Frédéric Pajak grand ado.





Une belle diversité de dessins magnifiques.
(c) Noir sur Blanc.





mercredi 22 décembre 2021

100 livres jeunesse ici, 100 livres jeunesse là-bas

In "100 grands livres pour les petits". (c) Gründ.

Dès l'avant-propos de leur guide parcourant la littérature de jeunesse "100 grands livres pour les petits" (Gründ, 240 pages), les auteures Raphaële Botte et Sophie Van der Linden affichent la couleur: "On a bien souvent l'habitude d'attendre d'un livre pour enfants qu'il instruise ou divertisse, un peu moins de le considérer comme une œuvre littéraire ou artistique à part entière. C'est pourtant la manière dont nous, auteures de ce g
uide et critiques, abordons cette production éditoriale." Elles ont raison, c'est aussi le point de vue que je défends depuis plus de quarante ans, alors que ces optiques primordiales disparaissent souvent des commandements prescripteurs d'apprentissages. Place donc au "plaisir esthétique", au "rapport profond au monde", à la "multitude de choses, petites ou grandes, qui touchent au bien-être, à la connaissance de soi, à la rencontre avec l'autre, (...) essentielles pour les enfants dans leur construction de soi." Ce sont, en d'autres mots, les fonctions de l'album jeunesse, telles que les définissait dès 1965, Jean Fabre, un des fondateurs des éditions de l'école des loisirs (lire ici): un miroir de soi-même, un porte-voix de ses émotions et une fenêtre ouverte sur le monde.

Les 100 livres annoncés en titre sont en réalité bien plus nombreux, chaque choix étant assorti de recommandations supplémentaires. Heureusement pour nous, lecteurs, et pour les auteures qui ont été confrontées, je suppose, à des choix cornéliens. Concrètement les livres élus apparaissent par ordre croissant d'âge supposé des lecteurs auxquels ils s'adressent, de 3 à 12 ans. On rencontre albums, textes illustrés, documentaires, premières lectures, romans junior, nés en français ou traduits. Des incontournables et des pépites moins connues. De même, ce ne sont pas toujours les titres les plus célèbres des auteurs qui ont été sélectionnés, dans l'idée d'ouvrir le champ des lectures (ils figurent souvent dans les recommandations supplémentaires).

Le premier des 100 livres est l'album "Le secret" d'Emilie Vast (MeMo), le centième le roman de Marine Carteron "Les autodafeurs" (Rouergue Jeunesse). Entre les deux, on croisera une foule de titres enchanteurs, anciens ou plus récents. En réalité, beaucoup de titres plus récents, sans doute parce que le guide ne recense que des livres toujours disponibles en librairie: 6 titres parus en 2021, 32 entre 2016 et 2020, 24 entre 2011 et 2015, ce qui nous fait 62% des entrées du guide pour les dix dernières années, mais aussi 11 ouvrages parus avant 1976.

Tous d'excellents choix. En ouvrant le guide cinq fois au hasard, je suis tombée sur
  • "Tout un monde" d'Antonin Louchard et Katy Couprie (Thierry Magnier, 1999)
  • "Premier matin" de Fleur Oury (Les fourmis rouges, 2015)
  • "Je veux mon chapeau" de Jon Kassen (Milan, 2011)
  • "Un grand jour de rien" de Beatrice Alemagna (Albin Michel Jeunesse, 2016)
  • "Fifi brindacier" d'Astrid Lindgren (Hachette Jeunesse, 1945)
Cela donne un aperçu de l'éclectisme qualitatif des choix opérés.

On pourra toujours pinailler sur l'absence de X ou de Y - pour ma part Henri Galeron, Bruno Heitz et Louis Joos - alors que Z y apparaît, faire remarquer que V est cité trois fois alors que W ne l'est qu'une fois. Laissons cela aux esprits chagrins et réjouissons-nous du travail accompli. Il suffit de parcourir l'index des auteurs, comportant plus de 300 noms, pour se rendre compte du beau parcours dans l'histoire de la littérature de jeunesse, albums et romans, auquel nous convient Raphaële Botte et Sophie Van der Linden dans ces pages remarquablement agencées.

In "100 grands livres pour les petits". (c) Gründ.

Une mise en page sur double page agréable et fort bien pensée propose pour chaque livre une mine d'informations, toujours orchestrées sur le même schéma. En page de gauche, un onglet indiquant l'année de parution, une illustration du livre, son titre qui sert de titre à la page, le nom de(s) auteur(s), le nom du/de la traducteur/trice, la maison d'édition, l'année de sortie, le nombre de pages, un texte de belle longueur, présentation critique courant sur les deux pages. En page de droite se trouvent la reproduction de la couverture, le conseil d'autres titres analogues et un espace libre dédié aux notes personnelles. En fin d'ouvrage, un index des titres et des auteurs et un album photos de vingt personnalités de la littérature de jeunesse, de Beatrix Potter à Béatrice Alemagna.

In "100 grands livres pour les petits". (c) Gründ.



Et au Japon

Née à Los Angeles en 1963, Yukiko Hiromatsu a grandi à Tokyo où elle vit toujours. Elle a consacré toute sa vie à la littérature de jeunesse. Editrice, directrice de bibliothèque, conservatrice en chef du Musée Chihiro, puis autrice, critique littéraire et commissaire d'exposition. Si elle publie beaucoup au Japon, albums de fiction, documentaires, contes, ainsi que des ouvrages scientifiques sur la littérature jeunesse, elle n'est que peu, très peu, traduite en français. Un seul album pour les plus jeunes: "Sur le chemin de la maison" (illustrations de Tomoko Koyama, traduit du japonais par Vincent Portier, Le Cosmographe, 2019). On l'a vue aussi dans les jurys de la foire de Bologne (2010) et de concours internationaux, notamment à Bratislava (2013, 2015 et 2017).

Aujourd'hui Yukiko Hiromatsu publie en japonais l'essai illustré "100 years, 100 illustrators, 100 books" (100 ans, 100 illustrateurs, 100 livres, Tamagawa University Press) consacré aux albums japonais. Un véritable défi que de procéder à de tels choix!

Quels sont les 100 livres illustrés qu'elle a choisis? Sakae Okano (1880-1942) pour l'année 1913, Fuyuhiko Okabe (1922-2005) pour l'année 1959, Yosuke Inoue (1931-2016) pour l'année 1986.

Pour l'année 2008, c'est le merveilleux "Little tree" ("Petit arbre") de Katsumi Kogamata

"Little tree" apparaît à l'année 2008.

Un album qui a d'abord été publié dans une édition bilingue japonais-anglais, puis dans une édition bilingue coréen-anglais et enfin dans une édition trilingue japonais-anglais-français par les merveilleuses et historiques Trois Ourses en 2009. Le livre reçut une mention spéciale en catégorie Fiction aux Bologna Ragazzi Awards 2010. Si les Trois Ourses ont fermé boutique le 31 mars 2019, les Editions Le Cosmographe ont réédité "Petit arbre" fin 2018 dans son édition trilingue.




"Petit arbre" de Katsumi Komagata. (c) Le Cosmographe.

"Little tree" est un livre d'artiste, cher, il faut le savoir. Mais quelle merveille que ces papiers choisis avec soin par Katsumi Kogamata, aux découpes délicates qui racontent l'histoire de la vie d'un arbre dans une ville. L'arbre grandit au fil des saisons, habité et chéri, et s'il disparaît un jour, c'est pour renaître. Une magnifique évocation de la fragilité et de la force de la vie.




Les artistes japonais choisis pour les années 1913, 1959 et 1986.





lundi 20 décembre 2021

La poésie des Immenses ce jeudi midi à Bruxelles


Comment appelle-t-on les personnes qui vivent dans la rue? Sans-abri? Sans-domicile? Sans-papiers? SDF? Précaires? Mal-logés? Habitants de la rue? On peut dire tout ça. Mais ce sont des dénominations, réductrices au mieux, stigmatisantes au pire. Alors qu'on pourrait aussi les appeler les Immenses (Individu dans une Merde Matérielle Énorme mais Non Sans Exigences). Ils se sont regroupés au sein du Syndicat des Immenses, fondé en mars 2019, groupe de pression et d'action pour lutter contre le mal-logement - à l'instar du syndicat des propriétaires ou de celui des locataires.

Dans le cadre de sa 73e saison, les Midis de la poésie invitent le Syndicat des Immenses à présenter le "Thésaurus de l'immensité", soit plus de 60 mots nouveaux pour dire le vécu des personnes en mal-logement ou en non-logement, à commencer évidemment par le mot "immense". Des mots réunis dans un livret non seulement en tant que révolution sémantique mais également en tant qu'engagement poétique. Des mots pour décrire le quotidien des immenses, largement méconnu des escapés (Non-Immenses). Un recueil conçu comme un dictionnaire pour donner, quand ils font défaut, les mots nécessaires pour parvenir aux causes défendues. Quelques exemples: "Enferdettement: n.m. La spirale infernale de l'endettement." "Étoiler (s'): v. Préférer dormir à la rue tant l'abri proposé est rebutant, sale, bruyant, dangereux ou non-individualisé." "Sparadisme: n.m. Politique privilégiant systématiquement les solutions temporaires, au détriment des solutions structurelles."

La séance des Midis de la poésie dévoilera ces nombreux mots nouveaux mais évoquera également le processus de rédaction collective du thésaurus.


Pratique
Quand?  Le jeudi 23 décembre de 12h40 à 13h30.
Où? La Vénerie – Espace Delvaux, 3 rue Gratès, 1170 Bruxelles (CST exigé à l'entrée).
Avec qui? Laurent d'Ursel (DoucheFlux et Syndicat des Immenses), Marilou Galichet (Syndicat des Immenses), Arshia Azmat (United Stages) et d'autres membres ou sympathisants du syndicat. Lectures: Thierry Hellin. Animation: David Courier, journaliste.
Combien? 8 euros tarif plein (réductions possibles).

vendredi 17 décembre 2021

KWA29 chez Grasset Jeunesse?

"Le chat", Baudelaire et Jean-François Martin.
(c) Grasset Jeunesse.

Parcours dans la très belle production récente de Grasset Jeunesse.

Anthologie féline


Pourrait-on vivre sans les chats? Non, assurément. C'est fou aussi comme de tous temps, ces petits animaux ont inspiré les écrivains. On en a la confirmation dans l'anthologie "Petits portraits de chats" (collectif, Grasset Jeunesse, 32 pages) où onze illustrateurs jeunesse ont illustré onze textes du patrimoine littéraire. Cet album de grand format et de belle fabrication est le septième titre de la collection "La collection" qui fonctionne selon deux principes, l'un littéraire, montrer aux enfants d'aujourd'hui que la littéraire est vivante et leur est accessible, l'autre graphique, réaliser un dessin en quatre couleurs seulement et dans un temps très court, une journée seulement dans ce cas-ci.

Le résultat est formidable, une célébration des chats, de la littérature, de la poésie ici, et de l'illustration en autant de croisements percutants et féconds. Jean-François Martin ouvre l'album avec son chat illustrant Charles Baudelaire. Suivent


"Petits portraits de chats" traverse les époques et compose une magnifique galerie de portraits. Pour tous.

Gérard DuBois et Jacques Roubaud. (c) Grasset-Jeunesse.

Alain Pilon et un texte anonyme. (c) Grasset Jeunesse.



Enfance sans paroles


Elaborées sur Instagram pendant le confinement (ici), enrichies, complétées, développées, les "Toutes petites histoires" de Miguel Tanco (Grasset Jeunesse, 80 pages) sont aujourd'hui un délicieux petit format à l'italienne. Très à l'italienne même puisque chaque page accueille les trois images carrées d'origine composant chaque fois une courte histoire. Un album cartonné sans paroles à l'exception des titres, un par double page, traduits en français par Christian Demilly.



Trois des "Toutes petites histoires". (c) Grasset Jeunesse.

L'artiste espagnol installé à Milan avec femme et enfants saisit avec délicatesse dans cette septantaine de séquences en petits dessins rapides plus ou moins aquarellés, toutes les facettes de l'enfance. Rêves, imagination, réalité, jeux, expériences... Avec un charme fou, un brin d'humour et une tendresse inouïe. "Toutes petites histoires" est un album bienveillant à partager avec les jeunes lecteurs à partir de 4 ans. Ils décrypteront les charmants dessins et pourront s'y identifier ou s'y projeter. Un album qui sert de tremplin à l'imagination. A noter que les images sont visibles aussi sur le site de Miguel Tanco (ici).


Les trois dessins tels que publiés sur Instagram.

"Un suspect idéal", la même séquence publiée en livre.
(c) Grasset Jeunesse.



Edition collector


Dix ans après sa parution, "Le Yark", conte drôle et poétique de Bertrand Santini au texte et Laurent Gapaillard aux illustrations, reparaît dans une édition anniversaire de luxe, revue et enrichie (Grasset Jeunesse, 80 pages). Format agrandi, édition cartonnée, nouvelle mise en page, chapitres introduits par des lettrines dessinées, l'ouvrage est plus que beau. Quant à l'histoire, elle porte bien ses dix ans. L'impressionnant monstre n'a pas pris une ride et attend aujourd'hui les lecteurs qui n'étaient pas en âge de le découvrir lors de sa première publication.

Rappelez-vous le début du texte!
"Parmi tous les types de Monstres qui grouillent sur la terre, l'Homme est l'espèce la plus répandue.
Il en est une autre, cependant, plus rare et moins connue.
C'est le Yark.
 
Le Yark aime les enfants.
Il adore sentir leurs petits os craquer sous sa dent et sucer leurs yeux moelleux comme des bonbons fondants.
Il raffole de leurs petits doigts, de leurs petits pieds, de leurs petites langues qu'il mâchouille avec un brin de menthe comme une friandise sucrée et merveilleusement gluante.
Fin gourmet, il aime également siroter leur cerveau qui – paraît-il – a le goût du Chamallow.
Pas raciste pour un sou, il en dévore de toutes les couleurs. Qu'ils soient noirs, jaunes ou blancs, tous les enfants du monde ont le sang rouge et le cœur succulent.
Gare à sa morsure…
Cet ogre de six mètres a la dent dure!
Il plane en silence au-dessus des maisons endormies et l'odeur de la chair fraîche le guide comme un phare dans la nuit. Attention!
Sa main tourne la poignée de votre porte…
Et quand bien même elle est fermée, ses ongles crochus lui serviront de clé."

Le problème du Yark est qu'il ne se nourrit que d'enfants sages. Et des enfants sages, il n'y en a plus beaucoup. Le monstre va donc parcourir le monde à leur recherche, ce qui lui vaudra de fameuses expériences. Dont la rencontre avec la très gentille Madeleine. Va-t-il la manger? De quoi faire autant frissonner que rigoler les jeunes lecteurs (dès 7/8 ans). Un texte de qualité et des illustrations expressives qui rappellent Gustave Doré.

Le Yark et Madeleine. (c) Grasset Jeunesse.


Sortis plus tôt dans l'année


La très grande aventure
Anne Cortey
Olivier Latyk
Grasset Jeunesse
32 pages
dès 4 ans

Les aventures délirantes d'un petit pois, Marcello, et d'un haricot vert, Nanni, engloutis par un coq glouton et nourris dans l'estomac du volatile par la fourmi Monica. A l'ouverture d'une porte magique, le duo va filer de sa prison, en vespa, vers la mer et plein d'autres aventures trépidantes lançant des clins d'œil au cinéma italien. Des images rafraîchissantes mais un texte un peu long pour de très jeunes lecteurs.



Un trésor lourd à porter
Maxime Derouen
Grasset Jeunesse
80 pages
dès 7/8 ans

Sixième titre dans la collection "Les P'tits reliés" composés de romans très illustrés, divisés en courts chapitres, parfaits pour la lecture orale et pour les enfants qui commencent à lire tout seuls, un conte moderne et initiatique mettant en scène un petit dragon soucieux de bien faire mais différent de sa lignée et une petite princesse en cavale. D'une écriture riche et vivante, soutenue par de vigoureux dessins en noir et blanc, rehaussés de jaune, l'auteur nous fait partager les réflexions de son héros dragon sur le sens de la vie en général et de l'argent en particulier.

"Un trésor lourd à porter". (c) Grasset Jeunesse.




La baignade
Emma Lidia Squillari
traduit de l'italien par Christian Demilly
Grasset Jeunesse
40 pages
dès 3 ans

Une histoire animalière estivale pleine de charme et de rires. De quelques frissons aussi. Tout commence un matin tellement beau qu'il donne l'idée à Odile, cane blanche de son état, d'aller se baigner à l'étang. Elle n'y emmènera pas son colocataire, le chat Charlot, mais ses amies Coco et Pattie, une cochonne et une pie. La séance ne se déroule pas comme escompté et Odile se sent bien isolée avec ses envies de baignade. Où est sa journée parfaite? Elle plonge seule et tombe bec à nez avec un monstre des profondeurs. C'est le déclic qui va décoincer les amies et leur permettre de barboter joyeusement. Au passage, de récolter quelques trésors. Une belle histoire d'amitié, de peur dépassée et de rires partagés, délicatement illustrée à l'ancienne.


En route pour l'étang. (c) Grasset Jeunesse.




La malédiction des flamants roses
Alice de Nussy
Janik Coat
Grasset Jeunesse
48 pages
dès xx ans

Il y a deux noms d'auteures en couverture mais en réalité, elles sont trois à avoir réalisé cet album atypique car il faut y ajouter le nom de l'éditrice Valeria (Vanguelov). Ce grand format rose flashy est à la fois un petit manuel d'édition expliquant les différentes étapes de la création d'un livre et une immense blague car les personnages s'y révoltent sans cesse contre les choix de celles qui les inventent, à savoir l'auteure, l'illustratrice et l'éditrice. 

C'est ludique et foisonnant, plein de surprises, très graphique. Bref, un joyeux bazar qui conduit en finale à la construction d'un livre. Enfin, quasiment un livre car il demeure certaines pages blanches. En bonus (ici), des décors et des personnages à imprimer pour créer sa propre histoire. Pour quel âge? Je n'en sais rien.

Rébellion chez les personnages. (c) Grasset Jeunesse.







jeudi 16 décembre 2021

Les Fables de Jean, les dessins d'Henri et Pascal

"Le Paon se plaignant à Junon", par Henri Galeron.
(c) Les Grandes Personnes.

Les fables de Jean de La Fontaine (1621-1695), combien y en a-t-il au fond? Dix? Vingt? Trente? Cent? Deux cents? Il y en a 243 exactement, répertoriées actuellement en douze livres et publiées entre 1668 et 1694. Toutefois, on cite toujours les mêmes, "La cigale et la fourmi", "Le corbeau et le renard", "La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf", alors qu'il y en a 240 autres... Des textes toujours aussi délicieux, quatre cents ans après la naissance du fabuliste. Ils ont donné lieu à de multiples versions illustrées,  Gustave Doré, Grandville, Marc Chagall, Benjamin Rabier, François Chauveau, Jean-Baptiste Oudry, Gustave Moreau, Boutet de Monvel, Jean Effel,.. et plus récemment par René Hausman, Voutch, Emmanuel Guibert, Rebecca Dautremer, Joann Sfar, Marc Boutavant, Thierry Bosquet (lire ici),.. En voici deux nouvelles, et pas des moindres, qui s'ajoutent à la longue liste. Deux recueils dont les fables ont été choisies par ceux qui les ont illustrées.


Fables
Jean de La Fontaine
choisies et illustrées par Henri Galeron
Les Grandes Personnes
56 pages

Elles sont au nombre de 42, les Fables choisies par l'auteur-illustrateur français pour ce recueil cartonné en format à l'italienne. Les Fables, "choses feintes et inventées pour instruire ou pour divertir", selon la propre définition de Jean de La Fontaine. De quoi plaire à l'esprit piquant d'Henri Galeron (lire ici). Ce dernier nous régale par ses choix se portant sur de nombreuses fables peu connues sans oublier les plus célèbres et par ses dessins qu'il y pose, les prolongeant et ou les interprétant de manière exquise. Qu'ils soient sur pleine page, sur demi-page ou en vignette détourée, ils révèlent toute la maîtrise de la patte Galeron. Maître du dessin animalier comme on le sait, il donne l'impression d'avoir pris un immense plaisir à se mesurer à ces textes enchanteurs.

Ouverture en majesté avec "Le Renard et les Raisins" joyeusement croqué. A table encore avec "Le Rat de ville et le Rat des champs" et "Le Cygne et le Cuisinier". On chemine ensuite au gré des pages et de leurs images jusqu'à "La Poule aux œufs d'or", de découverte de textes rimés en admiration d'illustrations. Une promenade exquise où une fable appelle l'autre. Et tout d'un coup, c'est déjà fini.

Henri Galeron. (c) Les Grandes Personnes.




Comme chiens et chats
Jean de La Fontaine
fables choisies par Julie Maillard
illustrées par Pascal Lemaître
L'Aube
138 pages

Un petit format carré broché, illustré en noir et blanc de manière sobre et expressive par l'auteur-illustrateur belge Pascal Lemaître. Dix fables de chats pour commencer, neuf fables de chien pour terminer et au milieu, place obligée, "La Querelle des Chiens et des Chats, et celle des Chats et des Souris". Vingt fables en tout, dont cinq en double avec le recueil Galeron. Souvent peu connues, ce qui donne le plaisir de les découvrir, elles sont accompagnées d'explications de vocabulaire quand leurs mots sont difficiles et de la mention du livre dont elles sont issues.

"Le Cochet, le Chat et le Souriceau",
par Pascal Lemaître. (c) L'Aube.
Les dessins mettent joyeusement les chiens et les chats en scène, les célébrant avec beaucoup de talent. Seuls en scène ou dans des compositions, ils nous guident vers ces fables dont beaucoup sont à découvrir car sortant du répertoire connu. Comme "L'Aigle, la Laie et la Chatte" ou "Le Chien à qui on a coupé les oreilles". A aboyer  et miauler de joie.
"Le Chat et un vieux Rat",
par Pascal Lemaître. (c). L'Aube.


"L'Ane et le Chien", par Pascal Lemaître. (c) L'Aube.













vendredi 10 décembre 2021

Passer toute une année au jardin

Raconter dans un livre une année au jardin, l'idée est plaisante et donne de très beaux résultats. En voici trois, un ancien qui vient d'être réédité, un récent et un tout nouveau.

Dessins de Josef Capek pour le livre de son frère Karel. (c) L'Aube.


L'année du jardinier
Karel Capek
traduit du tchèque par Joseph Gagnaire
illustré par Josef Capek
L'Aube, 280 pages

1933.
Tout qui s'intéresse au jardinage a eu au moins une fois en main ce formidable almanach poétique de Karel Capek (1890-1938), un des plus grands écrivains tchèques de la première moitié du XXe siècle, illustré de façon drôlissime par son frère Josef. Paru en 1929 à Prague, le livre a été traduit en français dès 1933 chez Stock et a bénéficié de multiples versions en format de poche, chez 10-18 notamment.

C'est dire si on danse de joie devant cette belle édition cartonnée qui vient de paraître. Si "L'année du jardinier" est un almanach, où le narrateur distille, de mois en mois, à la première personne, observations amoureuses et conseils pratiques, c'est aussi un vrai livre de littérature tant l'écriture est agréable. Certains conseils d'hier pourront paraître incongrus aux adeptes de nouvelles techniques de culture en vogue actuellement, permaculture et autres... Mais dans l'ensemble, cent ans après leur parution, les recommandations de Karel Capek demeurent infiniment précieuses. A mettre en pratique ou à simplement lire, pour le plaisir de les découvrir. Le livre est en effet délicieux par son humour, sa fausse naïveté, son autodérision fréquente envers les manies du jardinier et ses émerveillements au cours des différentes saisons. La mise en page aérée, avec de nombreuses exergues seules en page, permet d'encore plus goûter à cette promenade illustrée en boucle de janvier à décembre qui est devenue un classique.

Une mise en page mettant les textes en valeur. (c) L'Aube.



Voyages dans mon jardin
Nicolas Jolivot
HongFei, 216 pages

Merveilleuse glycine. (c) HongFei.

Il est parfois de curieuses prémonitions. Ainsi, l'auteur-illustrateur Nicolas Jolivot, grand voyageur de son état (lire ici), décide début 2019 de rester deux années chez lui avec le projet de ne  voyager que dans son jardin. Un confinement anticipé de quelques mois en quelque sorte qui ce concrétise aujourd'hui dans ce beau livre cartonné, bien épais et de bonne taille, qui retrace l'histoire d'un jardin, le sien, depuis 1821. Soit deux cents ans. "Un carnet d'émerveillements", en dit-il.

L'album est à la fois un almanach déclinant l'année de mois en mois, observant les plantes et les animaux d'une jolie plume, et un herbier légendé. Un carnet de dessins en couleurs très travaillés et une suite de peintures japonisantes. Les pages sont aussi illustrées de vues de la nature sur doubles pages à bords perdus, de scènes du jardin en tout ou en détail, de la faune et de la flore locales. En parallèle, l'auteur-illustrateur nous conte à chaque fin de mois, l'histoire de ce jardin familial, lopin de terre pareil à tant d'autres, investi en 1821, jusqu'à aujourd'hui. On suit l'évolution du lieu, ses transformations ainsi que la vie des personnes qui s'en occupent. Nicolas Jolivot réunit dans cet ouvrage aussi beau que dense une autobiographie familiale et un traité très complet de jardinage, très abondamment illustré. Pour les ados et les adultes.


Le jardin en 1995. (c) HongFei.



Carnet d'un voyageur immobile
dans un petit jardin
Fred Bernard
Albin Michel, 2020, 216 pages

Avril 2018 en Bourgogne. (c) Albin Michel.


Merveille des merveilles que ce journal aquarellé où Fred Bernard, aussi connu en littérature de jeunesse qu'en bande dessinée adulte, partage avec le lecteur ses croquis, ses notes manuscrites, ses observations sur le jardin en Bourgogne qu'il a acquis en 1999 et dans la maison duquel il s'est installé en famille en 2016. A suivre la vie fourmillante de ce jardin au fil des mois et des saisons, on remarque l'évolution de la démarche artistique de l'auteur-illustrateur qui semble s'être pris à son propre jeu. Les croquis seulement légendés du début deviennent rapidement de courts épisodes, ponctués de traits d'humour et de passages littéraires ou plus scientifiques, sans oublier la recherche du chat Mila. Cette variété d'approches crée un bel effet de surprise et accroît l'intérêt.

Ce beau livre a le formidable atout de la spontanéité. On découvre le carnet de l'artiste comme il l'a composé de séance en séance. Fred Bernard nous raconte comment il a débroussaillé ce jardin avec son frère - ce frère qu'il aimait tellement, trop tôt et trop brutalement disparu depuis -, comment il l'a pensé, comment il l'a planté, comment le jardin a réagi, qui lui-même a invité. De toute beauté, les aquarelles prises sur le vif nous font nous imaginer entomologiste, naturaliste, zoologue et même jardinier! Une magnifique célébration de ce coin de Bourgogne tant apprécié et si aimablement partagé.

Où est le chat? (c) Albin Michel.