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jeudi 31 octobre 2013

LC quelle conseillère est la faim

Quand l'estomac fait "kruîîk", il faut agir. C'est ce que fait le héros du très rigolo album "Un jeune loup bien éduqué". Une histoire de Jean Leroy, illustrée par Matthieu Maudet (L'école des loisirs, 36 p.), sobre, expressive et efficace. Un duo d'auteurs bien rôdé puisqu'il en est déjà à  sa neuvième collaboration chez cet éditeur en cinq ans seulement. Après huit albums pour les tout-petits, le voilà qui vise les enfants en âge d'école maternelle. Et il vise drôlement bien.

C'est un peu normal, Jean Leroy raconte partout que l'album publié en est la 4807e version, celle où Matthieu Maudet décida de remplacer le mouton prévu par un petit garçon. Un auteur bien éduqué?

Tout commence donc par le "kruîîk" de l'estomac d'un jeune loup à qui, on l'apprend tout de suite, ses parents ont appris les bonnes manières. Il s'en va chasser dans la forêt, seul, pour la première fois. On le voit sortir d'une très haute maison, le toit arrive à la cime des arbres, équipé d'un filet, genre filet à papillons.

Très vite, il attrape un lapin avec son arme! Bien éduqué, il interpelle sa victime: "Bonjour! Que désires-tu avant que je te mange?" Sa liberté étant d'office exclue, le lapin demande au loup de lui lire une histoire. Problème: le chasseur n'a pas de livre avec lui. Ayant appris de ses parents que "la dernière volonté doit toujours être respectée", il retourne chez lui, rassuré par la déclaration du lapin, assis à côté du filet: "Je ne bouge pas d'un poil, c'est promis!" Les images montrent le héros aller, choisir un livre et revenir.

Aller, prendre un livre, revenir. (c) L'école des loisirs.

Bien entendu, à ce moment, le lapin a disparu. Et il faut bien regarder l'image suivante pour savourer la mimique contrariée du loup...

Contrarié il l'est, le jeune loup. (c) L'école des loisirs.

Le chasseur débutant va ensuite capturer une poule qui aura également une dernière volonté et qui lui jouera aussi le tour du lapin. Le loup apparaît de plus en plus furieux et se jette en finale sur un petit garçon pour le manger, après avoir exaucé son souhait ultime. On appréciera au passage les jeux de mots entre poil, plume et cheveu.

Et c'est là que l'album prend toute sa saveur car le petit garçon est aussi bien éduqué que le jeune loup. Lui honore sa promesse de rester sur place. Va-t-il alors être mangé? Sans doute, mais avant, il veut montrer le dessin que le loup lui a fait à des amis à lui. Le lecteur comprendra tout à la page suivante...

Les auteurs ont concocté une fin terrible à "Un jeune loup bien éduqué" tout en laissant chacun libre de l'interpréter à sa guise. Voilà un album à l'excellent rapport texte-images qui déride les zygomatiques et joue habilement sur la peur. Une excellente version finale du projet initial!


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Dans le craquant album venu de Grande-Bretagne "Trois chats & un pingouin",
à l'intéressant graphisme de veine assez contemporaine, de Helen Hancocks (traduit de l'anglais par Elisabeth Duval, Kaléidoscope, 40 p.), on découvre trois chats rouges plutôt affamés. S'ils n'ont rien à se mettre sous la dent chez eux, les matous découvrent par contre quelques pièces de monnaie qui traînent.

En chemin vers l'épicerie, ils croisent un cinéma au programme alléchant: "Le festin de poisson"! Les voilà au cinéma, toujours le ventre vide. A la sortie de la séance, ils sont plus affamés que jamais mais ont une idée: s'offrir leur propre festin de poisson...

Le film "Le festin de poisson". (c) Kaléidoscope.

Pour cela, il leur faut un pingouin. Qu'à cela ne tienne, ils font une visite nocturne au zoo et fourrent un pingouin dans le sac que, prévoyants, ils avaient emmené avec eux. L'affaire n'est pas encore gagnée car ils ne parlent pas bien pingouin et ne peuvent expliquer à leur otage ce qu'ils attendent de lui: pêcher, tout simplement, ce que racontent très clairement les images.
Néanmoins, le lendemain ils partent sur leur tridem, avec le pingouin encagé, en pleine circulation automobile. Ce qui donne l'occasion au prisonnier de s'échapper. On va le voir se fondre dans divers décors appropriés et c'est extrêmement réussi.

Opération camouflage. (c) Kaléidoscope.

Entre les nonnettes sur la place, derrière un homme chapeauté dans le métro, en maître d'hôtel dans un restaurant, le pingouin a toujours une longueur d'avance sur ses poursuivants. Jusqu'au moment où il croise un oiseau qui va définitivement le sauver et inverser la situation au profit du pensionnaire du zoo. Un album tout simple mais bien pensé, graphiquement réussi et extrêmement drôle. Quelque part, on aime toujours que ce soit le plus petit qui gagne.



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Reconnaître un chameau d'un dromadaire, c'est facile. Mais distinguer un crocodile d'un alligator... Ils sont tellement confondus que les cousins Pedro et George décident d'établir leurs différences. Tel est l'incipit du sympathique grand format en noir, blanc, vert et rose "Pedro Crocodile et George Alligator" de Delphine Perret. Il paraît aux toutes jeunes éditions Les fourmis rouges qu'ont lancées début 2013 Valérie Cussaguet (ex-Thierry Magnier) et Brune Bottero.

Et parce que ce sont les enfants de l'autre bout du monde qui les confondent, ils décident d'aller leur faire la leçon. Et pourquoi pas, d'y goûter à ces mômes peu documentés. "C'est un peu sucré mais ça se mange", affirme l'un. Sur son calepin, Pedro Crocodile note donc: "Man-ger des en-fants."

Arrivés à destination, ils apprennent que les enfants sont à cette heure à l'école. Ils s'y rendent illico et déboulent dans la classe de Madame Muiche, en pleine séance de dictée. Si ce n'était que ça. Ceux qui regardent attentivement les images, souvent sur doubles pages, remarqueront tout de suite les mille détails amusants qui enrichissent le récit. Donc Madame Muiche dicte: "Dans le matin frais, virgule...". Elle n'est pas du tout convaincue par les cris de Joséphine qui affirme qu'un crocodile lui mord le pied, jusqu'à ce que son regard quitte son livre de dictées. Elle n'a qu'un mot: "Iiiiimondieuc'estpaspossiblec'estpasvraiqu'est-cequec'estqueca!!", même que Claude croit qu'il doit l'écrire dans sa dictée.

Séance de dictée en classe. (c) Les fourmis rouges.

Finalement George n'avait pas tort: les enfants ne font pas la distinction entre un crocodile et un alligator. Car c'est bien lui qui a mordu le pied de Joséphine, et c'est encore lui qui a été la proie d'une prise de judo de sa victime. Pendant ce temps, Pedro se tenait à carreau!

La classe est en position attaque nucléaire, les élèves cachés sous ou derrière les tables. La maîtresse pense faire une petite leçon de choses: "Regardez, les enfants... Un cro-co-dile!" Mais elle a tout faux comme le lui fait savoir la petite voix de Théodore qui fait à l'assemblée un exposé sur les crocodiles et les alligators. Les uns et les autres vont évidemment se réconcilier et ce sera l'occasion d'autres pages pleines de détails narratifs à débusquer, dont une "semaine du crocodile et de l'alligator".


Tout va bien désormais à l'école. (c) Les fourmis rouges.

Les deux cousins seront toutefois bien obligés de rentrer chez eux un jour. Et on verra en finale de ce très agréable album combien Pedro est un crocodile bien léché et George un alligator retors. La grande force de Delphine Perret est, outre son efficace dessin en ligne claire, le soin qu'elle apporte aux petits riens qui transforment une histoire simple en récit à tiroirs. Entre Pedro et George, on choisit rapidement son ami. Et tant pis, si l'autre a une dent contre vous.

mardi 29 octobre 2013

LA pprécie les pieds nus de Paola Pigani

Son nom est italien mais Paola Pigani écrit en français. Elle est née en Charente de parents immigrés italiens, dans une famille nombreuse. Après différents recueils de nouvelles et de poésie, elle publie son premier roman, le magnifique "N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures" (Editions Liana Levi, 216 pages). Un titre un peu étrange au premier abord mais qui trouve très vite son explication: dans l'introduction que l'auteure fait à son texte. Il s'agit d'un proverbe tsigane. Les Manouches comme on disait il y a trois quarts de siècle sont un sujet très cher à son cœur.  Adolescente, Paola Pigani a côtoyé des familles de gitans, et en particulier Alexienne, 88 ans aujourd'hui, qui lui inspirera le très beau personnage d'Alba. Pas étonnant qu'elle lui ait consacré son premier roman.

Paola Pigani.
Celui-ci se déroule dans le camp des Alliers, près d'Angoulême,  à côté de la ligne de démarcation, un camp d'internement où les "nomades" ont été assignés à résidence durant la Seconde Guerre Mondiale par les Allemands et Vichy.  Mais ils ont fait un an de plus que les autres puisqu'ils n'ont été libérés qu'en mai 1946, un an après la fin des hostilités et l'armistice. Six ans privés de liberté, du droit de circuler, de celui de vivre avec la nature, au jour le jour. Six ans confinés dans des baraques glaciales, à plusieurs familles, sans cesse contrôlés, nourris de soupe réchauffée, sans autre horizon pour la plupart que la barrière du camp et ses gardiens. L'exact contraire de leurs choix de vie.

Paola Pigani suit Alba, 14 ans quand la guerre et le roman commencent. Elle est entre l'enfance et l'âge adulte, une puberté que sa mère, la sensible Maria, a perçue bien qu'aveugle. Elle s'inquiète d'autant plus de ce regroupement, propice aux rencontres...
Autour d'elle gravite une belle série de personnes. Son père, Louis, d'abord, tellement malheureux parce que la  guerre a changé leur rythme de vie. Plus de roulotte, plus de cheval, plus de théâtre ambulant, plus de vente de paniers tressés. Malgré tout, l'envie d'embellir le gris autour d'eux: s'ils recevaient des semences, ils pourraient planter des légumes et des fleurs.
D'autres habitants de la baraque, dont Rita et Adam, vieux couple dynamique et généreux particulièrement attachant. René et Silvère ("homme de peu de mots mais tendre au fond des yeux") également, qui vont bouleverser le destin d'Alba. Et le directeur du camp, qui va découvrir la fierté et la force de ceux qu'il régit: combien d'évasions?

La jeune romancière a le talent de plonger le lecteur au milieu de ses personnages. On commence par faire la route vers le camp avec eux. "C'est une horde de noyés qui franchit le portail du camp des Alliers ce jour de novembre 1940." On a froid avec eux, on est trempés par la pluie avec eux, on a peur avec eux, et faim. On participe à leur détresse, on vit leurs angoisses de l'intérieur. Mais Paola Pigani a aussi le don de dénicher la vie dans ses moindres recoins, dans ses plus infimes sursauts. Les enfants qui jouent avec un rien - comme les petits Syriens aujourd'hui -, une grossesse qui s'annonce,  une fête de Noël célébrée au violon, un amour qui naît,  Michel gardien humain, les promenades à l'extérieur proposées par l'abbé du coin, aux requêtes à l'administration sans cesse renouvelées, et ses ouailles dont la touchante Mine. "Ils avancent mus par ce désir d'air et d'ailleurs: passer de l'autre côté de la guerre et des buissons."

En tout, ce sont quatre hivers qui vont maintenir les tsiganes au camp des Alliers et qu'on suit de près. Paola Pigani rappelle dans ce roman ce qu'amènent les guerres et combien l'esprit de résistance humain peut être plus fort que tout, même que la mort. Elle fait dire à Alba, sermonnée par un médecin: "Pour mourir, on a tout le temps devant nous, Monsieur le docteur. Pour vivre, il faut faire vite." Une déclaration qui explique cette obstination à survivre, à ne pas se laisser dominer par d'autres hommes. Le roman s'achève sur la vie d'Alba et les siens après la guerre, difficile mais à nouveau victorieuse. "N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures" parle d'un ton léger de sujets graves. N'est-ce pas la  manière tsigane?

Alexienne, la véritable Alba. (c) Liana Levi.





dimanche 27 octobre 2013

LC que Lou Reed n'était pas que musicien

Lou Reed, les hommages au musicien décédé à 71 ans ce dimanche 27 octobre pleuvent. "Walk on the wild side" passe en boucle partout. Souvenirs, émotions. Mais qui se rappelle que le poète-rockeur a aussi été écrivain et photographe?




En novembre 2009 sortait en librairie "The Raven (Le Corbeau)", un somptueux album pour adolescents et adultes signé Lou Reed pour le texte et illustré par Lorenzo Mattotti  (d’après Edgar  Allan Poe, traduit de l’anglais par Claro, Seuil, 192 p.). Dans ce grand format carré, plutôt fascinant, le chanteur publie la traversée de l’œuvre d’Egdar Allan Poe qu'il a faite pour un opéra-rock de Bob Wilson en 2003.

A savoir: les illustrations de Lorenzo Mattotti n'ont été réalisées que pour l'excellente version française du livre; traduite par Claro, elle comporte en fin de volume le texte original en anglais et sert de référence pour toutes les éditions à venir.

Dans ce texte, le créateur du Velvet Underground imagine les personnages-narrateurs du Vieux Poe et du Jeune Poe. Il rend splendidement hommage à l’auteur des "Histoires extraordinaires". Lou Reed revisite l’œuvre du conteur et poète américain ("La chute de la maison Usher", "Le corbeau", "Ligeia").

Dans cette version "destinée à être lue intérieurement"», il nous pousse aussi à nous interroger sur nous-mêmes et sur nos comportements. Pourquoi faire ce qu’on ne devrait pas? Pourquoi cette attirance pour le "mauvais côté"? D’où viennent nos forces d’autodestruction? Et ce désir fatal pour ce qu’on ne peut avoir?

Lorenzo Mattotti déploie dans ces pages extraordinaires toute l’étendue de sa superbe palette graphique, pastels colorés, crayon noir, fusain, encre ou aquarelle, toujours merveilleusement en adéquation avec le texte.

Quelques images extraites de l'album "The Raven".







Et une photo-souvenir, prise à Paris en 2009.

Lorenzo Mattotti et Lou Reed dédicacent leur album. (c) Florian Rubis.

samedi 26 octobre 2013

L100 va bien accompagnée vers l'heure d'hiver


Même pas peur.
Plein d'albums pour enfants (à partager avec les grands) sont près de moi et font défiler les saisons.


"Voyage d'hiver" d'Anne Brouillard (Esperluète éditions) en premier lieu. Une épatante fresque en accordéon, au format d'un livre de poche, sans un mot de texte comme à l'habitude de l'auteure. On y suit la vue obtenue probablement au long d'une ligne de chemin de fer. Défilent de page en page des rails, des wagons à l'arrêt, des gens, plus loin des maisons, des arbres, un décor qui se fond dans la brume froide...  Le petit monde d'Anne Brouillard qui est au moins autant peintre qu'illustratrice.

En découvrant ses images selon les plis du livre-accordéon ou en admirant la fresque complète, on contemple tout l'univers pictural de l'artiste, née en 1967 d'un père belge et d'une mère suédoise. Un merle, une route fermée pour le passage du train, un lac sur lequel se reflètent cabane, arbres en tenue d'hiver,  haute maison blanche, trio d'autres demeures, groupes d'autres encore... Chacune des bâtisses a son style et sa couleur et se prête à mille récits. Toutes s’intègrent lumineusement dans ce superbe chant poético-graphique à l'hiver.

Le voyageur (la voyageuse) de papier ne quitte jamais le bord de l'eau qui accueille ici des foulques, là une péniche ou encore une île dédiée aux jeux d'enfants, avant de revenir à notre époque, buildings et embouteillages de voitures, et de parvenir à destination, dans une gare. Même là, la poésie est encore présente.

Si Anne Brouillard aime retravailler les mêmes thèmes, elle les renouvelle chaque fois. Ceux du "Voyage d'hiver", on les a aussi rencontrés dans de précédents albums, les petits bijoux de peinture, de nature, de paix et de fantaisie que sont "De l'autre côté du lac" (Le Sorbier comme son premier album, l'impeccable "Trois chats" créé en 1990), "Berceuse du merle", "La famille foulque", "La vieille dame et les souris", "Le voyageur et les oiseaux", "Le pêcheur et l'oie" (tous les cinq au Seuil Jeunesse).

Ses images sont plus fortes que les mots pour créer des atmosphères, susciter des histoires. A chacun de les accueillir dans ce récit ferroviaire, promenade magnifique qui rappelle aussi que seul le train passe par des paysages insoupçonnés. Une fresque voyageuse et hivernale à partager entre petits et grands.



Trois moments de la fresque d'Anne Brouillard. (c) Esperluète.


A noter que les éditions Esperluète sont encore ce dimanche 27 octobre au neuvième Marché du Livre qui se tient au Musée royal de Mariemont.
Et qu'Anne Brouillard y sera ce dimanche 27 octobre à 16h30 pour prendre part à une conversation avec Anne Herbauts et Geneviève Casterman à propos de leurs relations à l'écriture et au dessin.
Enfin, les originaux du "Voyage d'hiver" sont exposés jusqu'au 31 octobre à Paris à la Librairie des Editeurs associés.




L'album "Après l'été", de Lucie Félix (Les Grandes Personnes) ensuite. Avec une belle pomme rouge découpée en couverture, signe que l'automne approche. Un album pour les plus jeunes, graphiquement réussi, où l'histoire se construit au fil de découpes dans les pages (rond, rectangle, triangle), laissant apparaître des formes simples, dans des couleurs posées en aplats. C'est un peu compliqué à expliquer mais tout simple quand on a le livre en main.

"C'est juste après l'été que les premières sont arrivées...", commence le texte posé sur un fond rouge découpé de trois ronds blancs. Des boules de neige? Pas du tout. La double page suivante donne la réponse: "Toutes rouges et toutes rondes!" On voit trois pommes pendre à des branches feuillues. "Mais je suis trop petite pour les attraper!", poursuit la narratrice, haute sans doute comme...Pleine d'imagination en tout cas puisqu'il lui suffit de poser des rectangles dans une découpe rectangulaire pour obtenir une échelle!
On suit l'invisible petite fille dans sa dégustation de fin d'été, puis dans sa rencontre avec le ver et le rouge-gorge.

A l'automne, elle se met en tête de construire une maison pour ses amis oiseaux, avec le même procédé des formes et des découpes.
La voilà.

La narratrice a construit une maison pour ses amis. (c) Lucie Félix/Les Grandes Personnes.

Quand l'orage éclate, tout est dévasté et des pièces de toutes sortes et de toutes couleurs occupent la page. Il faut un panier pour ranger  les pommes, des clous pour fixer solidement la maisonnette à l'arbre... Formes et découpes sont encore convoqués pour que tous passent un bon hiver, gage d'un printemps plein d'oisillons et de fleurs de pommier.

"Après l'été" est un album rudement bien construit, qui célèbre d'une façon originale le cycle de la vie. Beaucoup plus riche qu'il ne peut paraître au premier abord. A partager évidemment entre générations.




L'album "Après" de Laurent Moreau (Hélium) encore. Un album dont les couleurs font souvent penser à l'automne en majesté même s'il commence par ces mots: "Après l'hiver, le printemps redonne des couleurs." On voit dans la double page remplie de dessins joyeusement botaniques un jeune jardinier blond arroser des plantes énormes sans qu'elles n'aient rien d'effrayant. De nombreux insectes et un oiseau le regardent faire de loin.

Chaque page du livre commence par le mot "après" et aborde les petites et les grandes choses de la vie d'un enfant: la graine qui devient fleur, les flaques après la pluie, le souvenir des rêves après la sonnerie du réveil... Les idées s'enchaînent, parfois clairement, parfois pas. Comme dans la vie.

Le texte est agréablement réduit au minimum, laissant toute le place aux somptueuses illustrations de Laurent Moreau qui excelle autant à représenter la réalité que l'imaginaire.

Les saisons se succèdent, les joies de l'été mais aussi une question aussi existentielle que celle-ci: "Après cette seconde, il n'y aura plus jamais cette seconde."
Quand arrive l'automne, ce sont les promenades dans les bois et les trésors à collecter.

Le tri des trésors collectés après une promenade en forêt. (c) Laurent Moreau/Hélium.

Avec le vent de l'automne et le froid de l'hiver arrivent d'autres grandes questions et d'autres sujets de réjouissances. Cet album plein de points d'interrogation (il comporte 40 pages) s'achève sur une note extrêmement rassurante, entre quelques boules de neige qui volent. Un livre pour confronter les points de vue des enfants et de leurs aînés sur des questions finement proposées.




Pour garder l'été, "Marée haute" de Bernardo Carvalho (Gallimard Jeunesse/Giboulées). Un grand format cartonné sans texte où l'auteur-illustrateur portugais raconte dans ses formidables images une plage à marée basse. On voit les uns et les autres courir ou se promener le long du rivage, se coucher, s'asseoir ou lire sur le sable, jouer et patauger dans les flaques, chercher des vers pour la pêche, découvrir coquillages et autres mollusques, escalader un rocher bien haut.

Mais petit à petit, la mer monte et les activités changent. Le niveau d'eau de la flaque arrive aux mollets, le pêcheur sort son épuisette, on peut plonger dans la mer, sauter dans l'eau depuis le rocher, se faire cueillir par la marée sous le parasol. Le bleu gagne de plus en plus les pages, et les estivants y font le poirier ou le crawl tandis que l'auteur-illustrateur nous donne aussi des nouvelles des poissons sous l'eau.

Une superbe façon de traiter l'été à la mer. Rien n'est écrit mais tout se comprend dans ces merveilleuses images le plus souvent sur double page, d'une sobriété exemplaire.

Le même rivage revient au fil de l'album, la marée montant. (c) Bernardo Carvalho/Gallimard Jeunesse/Giboulées.




Et parce que c'est ce qui nous attend, le nouvel album de Bénédicte Guettier, "L'âne Trotro, où sont les fleurs en hiver?" (Gallimard Jeunesse/Giboulées). Qu'il est mignon ce petit âne gris à crinière blanche dont voici déjà la 27e aventure!

Cette fois, l'amoureux des fleurs s'inquiète de leur sort pendant l'hiver. Il ne les voit plus, même en remuant la neige. L'eau pour les arroser est gelée. A qui poser ses questions? Son ami l'écureuil s'est endormi et les oiseaux sont partis. Reste Maman, qui le rassure: "Les fleurs se reposent dans la terre pour préparer le spectacle du printemps." Une réponse qui permet à Trotro de se consacrer alors à préparer son "spectacle de l'hiver" à lui, fabriquer un grand et beau bonhomme de neige!

Humour et tendresse dans cette jolie histoire à hauteur de tout petit enfant.

jeudi 24 octobre 2013

L7A6E devant le choix de l'Académie française


"L’Académie française, dans sa séance du jeudi 24 octobre 2013, a décerné son Grand Prix du Roman, d’un montant de 7.500 euros, à M. Christophe Ono-dit-Biot, pour son roman "Plonger".

M. Christophe Ono-dit-Biot a obtenu, au 1er tour de scrutin,

11 voix contre 4 voix à M. Thomas B. Reverdy et 3 voix à Mme Capucine Motte."


Tel est le communiqué officiel.

Le bal des prix littéraires a réellement commencé aujourd’hui.

Donc, sur les trente-sept académiciens siégeant actuellement sous la Coupole (il n'en manque que trois pour que les effectifs soient au complet), dix-huit ont participé au vote consacrant ce jeudi 24 octobre 2013 le lauréat du Grand prix du roman de l'académie française.
Et onze d'entre eux ont élu au premier tour de scrutin Christophe Ono-dit-Biot, écrivain et journaliste au "Point" comme on ne peut guère l'ignorer. Il suffit de consulter sa fiche Wikipedia .
Si le communiqué du Quai Conti ne mentionne jamais de nom de maison d’édition, voilà que tombe un premier gros lot dans l'escarcelle de Gallimard. Tant pis pour Flammarion et JC Lattès.

Est-ce l'effet Astérix, dont la sortie du nouvel album en ce jour, revient à chaque bulletin d'info? Les académiciens ont en tout cas couronné un clone de Tragicomix, l'amoureux de Falbala dont Obélix était tellement jaloux.
Les cheveux au vent, la barbe soigneusement taillée à trois jours de pousse, le regard au loin, le sourire ravageur, et cette assurance...
Mais on me dit dans l'oreillette qu'on ne peut pas s'en prendre au physique.
Passons alors au livre.

"Plonger" est le roman que signe le papa tout neuf d'un vrai bébé Hector. Il est écrit pour que le jeune Hector du livre, le même que dans "L'Iliade", sache comment son père et sa mère se sont rencontrés, comment leurs chemins ont ensuite divergé et comment César, le jeune père, double de CODB, ancien journaliste ayant couvert des sujets difficiles, a été obligé de reprendre un avion à destination d'un pays lointain, chose qu'il s'était juré de ne plus jamais faire, afin de reconnaître le corps de Paz, sa compagne et mère d'Hector.
Je peux le raconter car tout figure dans la première page du volume.

"Ils l'ont retrouvée comme ça. Nue et morte. Sur la plage d'un pays arabe. Avec le sel qui faisait des cristaux sur sa peau.
Une provocation.
Une exhortation.
A écrire ce livre, pour toi, mon fils."


César qui nous dit exercer maintenant le métier de père s'adresse à son fils pour fixer ses souvenirs, pour lui transmettre qui a été Paz, sa mère. Pour se rappeler aussi cet amour fou qui lui est tombé dessus un soir à minuit, une nuit de juin, dans une épicerie du XIVe arrondissement de Paris. Loin de chez lui, lui le journaliste culturel ("moine-soldat au service de la culture") travaillant à L'Entreprise (comprenez "Le Point"). Cette femme, de quinze ans sa cadette, il voulait la conquérir. Il a donc actionné tous les les leviers à la portée d'un journaliste. Et il l'a retrouvée.

Le roman se poursuit entre rencontres, rendez-vous réussis et manqués avec la belle photographe asturienne, voyages, installation à deux chez lui, premières incompréhensions, visite de la Biennale de Venise, conception du futur Hector. Et c'est là que Paz perd pied, plonge dans une fascination pour les requins qui lui sera fatale.

Pourquoi pas, une telle histoire? Quoique 444 pages, c'est beaucoup pour la raconter.

Mais, surtout, pourquoi des phrases comme "Le passage qui suit n'est pas pour Hector. Il y en aura d'autres. Quelques-uns. Je ne peux pas tout lui dire. On ne peut pas tout dire à un fils sur sa mère. Beaucoup. Presque tout. Mais pas tout. (...)"

Et ce ton, tellement sûr de lui, si content de se regarder écrire ou de trouver les titres de ses chapitres.

Bon, c'est vrai qu'on se baigne beaucoup dans "Plonger", Paz adore nager. Mais cela suffit-il?



Dès l'annonce du prix, le lauréat 2012 twittait au lauréat 2013:



Et les hommages se multipliaient sur la toile. Mais pas que.



En tout cas, Christophe Ono-dit-Biot a trouvé le temps d'aller saluer les académiciens.




mercredi 23 octobre 2013

LE trop forte, cette Komako Sakaï!

Qu'elle est douée, Komako Sakaï, l'auteure-illustratrice japonaise qu'on a découverte en 2005 avec l'album "Un amour de ballon"  et dont le nouveau titre, tout juste paru, "Réveillés les premiers!" (traduit du japonais par Corinne Atlan, L'école des loisirs), nous enchante une nouvelle fois.

Si les albums sur le coucher des enfants sont nombreux, plus rares sont ceux qui parlent de l'insomnie nocturne. La pleine lune qui vient de passer ce week-end me l'a aimablement rappelé.

Komako Sakaï, née en 1966.
Dans "Réveillés les premiers!", Komako Sakaï raconte la petite Anna qui s'éveille très tôt ce matin-là. La nuit est encore noire, sa grande sœur dort profondément, ses parents aussi. Seul, le chat Shiro a aussi ouvert les yeux. Tout le charme de ce superbe album aux tons bleutés vient de l'ambiance de douceur malgré les ombres et l'obscurité. Pas l'esquisse d'une crainte ou d'une angoisse chez Anna qui se lève avec ardeur et va vivre une expérience réjouissante. Un petit bout de vie sans personne d'autre à ses côtés.

Elle et le chat descendent les escaliers, font un rigolo arrêt pipi en stéréo. Les images sont très réussies, expressives et paisibles. On suit la petite fille et Shiro dans les différentes pièces de la maison. Cuisine de nuit, jeu devant la lune, chapardages à l'aînée endormie, nouveaux jeux sous la couverture...

On perçoit l'amusement intense, la jubilation que suscite chez la cadette cette petite tranche de vie en solo, en secret de toute la famille... Et puis viennent le pigeon qui chante, le jour qui s'est levé incognito et Anna qui sent ses paupières peser. La lumière a blanchi. La petite fille et son chat se sont rendormis. Le lecteur a participé à cette aventure nocturne secrète, sobrement racontée et portée par un graphisme somptueux dans sa simplicité.

Anna et Shiro descendent l'escalier. (c) Komako Sakaï/L'école des loisirs.


Ces qualificatifs de joie, de sobriété et d'excellence tant graphique que scénaristique, on peut les poser sur tous les albums de Komako Sakaï, qu'elle travaille en solo ou en tant qu'illustratrice du texte d'autres personnes. "Réveillés les premiers!" est son onzième album. Tous sont publiés à L'école des loisirs, sauf un, "Moi, ma maman...", publié à La Joie de lire.

Revue chronologique de ses titres


2005
"Un amour de ballon"
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs

Il est difficile de ne pas rapprocher ce premier titre tellement touchant et réussi des albums d'une autre illustratrice japonaise, Akiko Hayashi ("Le premier camping de Nahotchan", "Aya et sa petite sœur", "Ken et le renard d'Aki", tous à L'école des loisirs). On y trouve la même atmosphère de vie pleine mais sereine, la même ambiance intime et poétique, le même prolongement artistique d'une situation quotidienne. Ici, un marchand a donné un ballon de baudruche à Akiko, haute comme trois fois son cadeau. Ficelle nouée au doigt, elle ramène son trésor chez elle. Là, elle lâche le lien et le ballon monte au plafond. Maman le récupère, l'attache à une cuiller, lest qui le maintient à hauteur d'enfant. Une même douceur dans les scènes de jardin où Akiko joue avec sa baudruche, amie qu'elle choie avec l'imagination d'une vraie enfant. Elle lui tresse une couronne de feuilles, lui offre thé et gâteau...
L'album a le ton juste, même lorsqu'un drame pointe: un coup de vent a emmené le ballon dans un arbre. Trop haut pour les bras de Maman-secours. L'épilogue reste dans la tendresse avec un vrai respect de l'imaginaire enfantin. Quelle beauté! Les teintes pastel des aquarelles expressives s'éclairent de touches de couleur: le jaune du ballon, le rouge d'une surpiqûre de pantalon... Peu de mots mais des images narratives qui font avancer l'histoire: l'une révèle pourquoi le marchand attache le ballon au doigt d'Akiko, une autre raconte les chaussures qui quittent les pieds de l'enfant. Un superbe rapport texte-images pour un album dont le classicisme surpasse avec force les graphismes à la mode pour toucher à l'intime du lecteur et le nourrir.


2005
"Moi, ma maman..."
traduction de Corinne Quentin
La joie de lire

Maîtrise graphique et amour maternel dans cet album où un petit lapin parle à la première personne de sa maman, "Moi, ma maman...". Il en a des soucis avec elle, ce pauvre petit lapin! Elle se réveille tard le dimanche, elle prend son temps, elle oublie de faire la lessive.
Et, le pire de tout, elle refuse de se marier avec lui!
Petit Lapin décide de quitter la maison. Il s'en va mais, pas de chance, il a oublié son ballon et est donc obligé de revenir. Humour et tendresse pour cette histoire à hauteur d'enfant, fort élégamment illustrée.



2005
"La fée des renards"
texte de Kimiko Aman
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs

Un album merveilleux où Lio et son petit frère Ken sautent à la corde avec dix renards. Pile à hauteur d'enfant tant est juste et exquis le mélange de réel et d'imaginaire, dans la veine du délicieux "Pousse-Poussette" de Michel Gay (L'école des loisirs, 1983). Graphiquement réussi avec ses illustrations délicates et ses teintes sourdes (vert, gris, noir) que relèvent le rose d'un ruban pour les cheveux, le beige des renards ou l'ocre orangé du soleil couchant.
A la première personne, l'histoire est simple, toute simple: une corde à sauter a été oubliée au parc. En retournant la chercher, Lio et son petit frère Ken entendent des voix, découvrent un sentier inconnu. Ils s'y aventurent et aperçoivent dix renards qui jouent avec la corde gravée au nom de Lio. Qui sautent assez mal, note la fillette: leurs queues s’emmêlent comiquement dans le fil à chaque bond. Le rire des enfants les signale aux acrobates. Après une seconde d'hésitation, les présentations et les jeux à la corde reprennent. Lio donne des conseils, les renards les suivent, tous s'amusent follement, chantent et conversent jusqu'à ce que le soleil couchant renvoie les enfants chez eux. Lio ne serait-elle pas une fée? Teintée de magie, l'atmosphère née du rapport texte-images dans cet album est exceptionnelle.


2006
"Ne bouge pas!"
texte de Nakawaki Hatsue
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs

Une adorable séance d'observation des animaux à sa hauteur par un bébé en vadrouille aussi curieux que mignon. "Bonjour, joli papillon jaune." "Mais où vas-tu?" "Ne t'en va pas!" "Viens pigeon!" "Viens jouer avec moi..." "Attends! Ne bouge pas..." Le tout jeune enfant de l'album veut dire bonjour au papillon, au lézard, au pigeon, au chat, mais tous prennent la poudre d'escampette à son arrivée.
Komako Sakaï montre avec une grande simplicité les situations de la vie des tout-petits et laisse affleurer l'émotion qu'elles contiennent pour eux. Son dessin intimiste, totalement juste, saisit l'instant: l'élan du désir et le pincement de la déception aussitôt chassé par un nouveau désir.
Ses traits légers sur fond blanc dans un décor épuré nous montre le petit passant d’une curiosité à l’autre à la découverte de son environnement. Un album doux et réaliste, plein d'un charme contagieux.


2006
"Jour de neige"
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs

Maman prévient le jeune narrateur encore dans son lit: il n'aura pas école aujourd'hui, le bus est bloqué par la neige. La neige? Le dormeur bondit, attiré par les flocons qui dansent devant les fenêtres. Il veut jouer dehors, absolument. Mais Maman refuse: "Pas tant qu'il neige."
C'est une journée un peu étrange qui est contée dans cet autre bijou d'album. Les repères habituels se sont effacés: pas d'école pour le petit, pas de courses pour Maman, pas d'avion de retour pour Papa, en voyage d'affaires. A la place, le bruit du silence, le vide dans les rues et les parties de cartes à l'intérieur.
Une impression d'être seuls sur la terre. Presque une journée hors du temps. Sauf qu'à la nuit tombée, il ne neige plus. Vite, mère et fils s'habillent et filent dehors pour une extraordinaire séance de jeux d'hiver.
Un album enchanteur qui confirme encore le talent de Komako Sakaï: en quelques traits de pinceau, elle est capable de saisir une atmosphère, en quelques phrases, de célébrer le quotidien des enfants et de rappeler aux adultes qu'ils ont été petits.



2008
"Le lapin en peluche"
texte de Margery Williams
traduction d'Adolphe Chagot
L'école des loisirs

C’est une histoire magnifique, teintée d’un brin de fantastique et écrite en 1922, qu’illustre la tendre et talentueuse Japonaise, née en 1966. Celle d’un amour d’enfant tellement fort qu’il donne la vie à un lapin en peluche – même si le jouet ne deviendra réellement vivant que plus tard, grâce à l’intervention d’une fée. L'album procure, jusqu’à sa conclusion, charmante, des frissons tant il est fort et prenant. Les illustrations de toute beauté confèrent une superbe présence au lien qui se tisse entre le petit garçon et son lapin en peluche, que ce soit pendant les moments de jeu ou quand le gamin est malade. Si les enfants grandissent et ont moins besoin au quotidien de leur peluche aimée, ce n’est pas pour cela qu’ils l’oublient.


2009
"L'ours et le chat sauvage"
texte de Kazumi Yumoto
adaptation française de Florence Seyvos
L'école des loisirs

"Ce matin-là, l’ours pleurait. Son ami le petit oiseau était mort." La première phrase de l’album plante le décor. Mais on n’imagine pas encore la puissance évocatrice de ce format à l’italienne. Rarement des choses sur la mort, le manque, le deuil et la vie ont été dites de manière aussi fine, avec autant d’attention et de délicatesse.
Les images en noir et blanc, d’une immense douceur, proches de la gravure, se posent sur un papier structuré dans les tons gris. Elles sont éblouissantes tant elles caressent leurs personnages, tous des animaux. Elles racontent, prolongent et enrichissent les propos de l’auteur.
L’ours est inconsolable de la mort soudaine de son ami l’oiseau. Il lui fabrique un minuscule cercueil, le décore, le tapisse de fleurs, y pose le petit corps et l’emporte partout avec lui. Quelle souffrance pour lui de se rappeler leur conversation de la veille sur la joie d’être chaque jour ensemble! Quelle tristesse pour lui que d’entendre ses copains lui dire de ne plus penser à l’oiseau!
L’ours ne trouve d’autre solution que de s’enfermer dans sa maison, volets clos, dans le noir. Les journées se suivent jusqu’à ce qu’une brise de printemps porte à l’intérieur le parfum de l’herbe nouvelle. L’ours sort, avec sa boîte. Il rencontre un chat sauvage qui dort à côté de son étui à violon. Devant l’oiseau mort, embaumé, le nouvel arrivant a les mots justes: "Ce petit oiseau a dû compter beaucoup pour toi."
A partir de ce moment, où l’ours s’est senti reconnu dans son chagrin, il va pouvoir reprendre contact avec lui-même et avec la vie. Se rappeler ses souvenirs. Garder cette amitié dans son cœur. Enterrer son ami. Et entamer une nouvelle relation amicale. Tant de choses fortes sont dites ici avec une infinie délicatesse, et dans le texte, et dans les images aux atmosphères particulièrement touchantes.


2009
"Une sirène chez les hommes"
texte de Mimei Ogawa
traduit du japonais par Kimiko
L'école des loisirs

Superbe récit que celui de ce bébé sirène élevé chez les hommes parce que sa maman pensait que c’était ce qui pouvait lui arriver de mieux. Elle fut chérie par sa famille d’adoption pour laquelle elle fabriquait des bougies magiques, jusqu’au jour où elle fut vendue par des parents devenus cupides. Mais de ce jour-là, la vie des humains ne fut plus jamais pareille. Un conte poignant et prenant, aussi bien raconté qu’illustré. Un petit format d’exception.



2010
"Ecoute-moi!"
traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier
L'école des loisirs

Fillette énumère toutes les choses qu'elle aime: les locomotives à vapeur, les nuages de fumée, les sifflements stridents, les passerelles métalliques, et... avoir peur. Les autres petites filles aussi (de deux à six ans), les animaux en peluche, être maîtresse d’école. Le silence des bibliothèques, le silence de la neige, le silence du matin. Arriver la première au jardin d’enfants, ne pas être grondée par sa maman, avoir la paix. Regarder les fleurs de l’étang, sucer son pouce, pleurer, rêver peut-être… Née sur le papier, Fillette est une petite fille bien réelle qui nous confie ses rêves et ses peurs, ses jeux et ses désirs.Délicatesse, tendresse et poésie et quelques dialogues qui ramènent à la vraie vie. Du grand art.



2011
"Dans l'herbe"
 texte de Yukiko Kato
traduit du japonais par Jean-Christian Bouvier
L'école des loisirs

Il est un de ces petits livres qui comblent d’allégresse. On y suit Yû-chan, haute comme trois pommes, dans la journée qu’elle passe à la rivière avec papa, maman et son frère.
En short, blouse, chapeau de soleil et sandales blanches, la fillette écoute l’eau chantonner. Son papa l’appelle. Elle n’y va pas, distraite par un papillon aux ailes orange mouchetées de noir qui se pose près d’elle. Puis s’envole. Curieuse, elle se lance à la poursuite de l’insecte voletant, entre des herbes presque aussi hautes qu’elle mais qui "sentent bon et frais, comme du dentifrice". Les images suivent la jeune narratrice dans son exploration du monde, de dos, de face, en plan rapproché. Une bulle d’enfance tendre et confiante. Un chapeau blanc qui dépasse d’un océan d’herbe.
Cernée par les plantes, Yû-chan s’enchante pour une sauterelle avant de se sentir un peu seule. Son inquiétude sera brève: sa maman est là, qui lui sourit!
Cet album plein de tendresse et d’imagination invite à s’ouvrir au monde, avec l’adhésion de l’adulte, protecteur discret et attentif. Un livre dont l’atmosphère rappelle celle des anciens "Coin-Coin" de Frédéric Stehr (L'école des loisirs) ou "Pousse-Poussette", déjà cité de Michel Gay.



lundi 21 octobre 2013

LE tait aujourd'hui en pensée à Paris


(c) Hidalgo.

Car c'est ce lundi 21 octobre 2013 qu'a été inaugurée à Paris dans le
14e arrondissement la Place Stéphane Hessel, le lendemain du jour où l'historique défenseur des droits de l'homme aurait eu 96 ans - il est mort le 27 février de cette année - tout près de là où il vivait. La place se trouve à  l'intersection des rues d’Odessa, du Montparnasse, Delambre et du Boulevard Quinet.

"Attribuer le nom de Stéphane Hessel à une place du 14e arrondissement, explique la Mairie de Paris, à proximité immédiate du lieu où il vécut durant de nombreuses années, permet de saluer les convictions généreuses et le destin exceptionnel de cette figure de notre histoire contemporaine."
Elle ajoute que "résistant déporté à Buchenwald durant la Deuxième Guerre mondiale, diplomate, écrivain, défenseur des droits de l'homme, Stéphane Hessel avait su transmettre sa soif d'engagement aux jeunes générations, notamment au travers de son célèbre essai "Indignez-vous!" paru en 2010, imprimé à 4 millions d’exemplaires dans plus de 100 pays."



Des chiffres qui n'engagent que la mairie de Paris.
En janvier, l'éditeur me communiquait celui de 2,5 millions d’exemplaires en France, et de 4 millions à l’étranger, pour ce "petit livre", né à l'automne 2010 chez Indigène éditions.

C'est à ce moment que Stéphane Hessel a sorti un CD où il disait ses poèmes préférés. Car depuis la  publication d'"Indignez-vous !", tout le monde savait combien la poésie a toujours accompagné le résistant. Qui ne l'avait pas entendu réciter l’un ou l’autre poème, toujours de mémoire, lors d'une émission de radio ou de télé? Cela lui avait donné l'idée de réaliser le CD "Une voix pour la poésie"(Indigène éditions), où il dit, par cœur et en musique, une douzaine de ses poèmes préférés.

"J’ai réalisé ce disque avec un musicien très sympathique, Laurent Audemard, me confiait-il au téléphone, sans qu'on sache qu'il allait s'éteindre six semaines plus tard. On y trouve une douzaine de mes poèmes préférés, en français surtout, mais aussi en anglais et en allemand. Ce disque est le résultat d’une de mes manies: apprendre par cœur de la poésie et inciter les jeunes, et les autres, à le faire aussi."

Une de ses manies! Toujours blagueur, et tellement aimable quand on l'appelait.

Apprendre de la poésie et la réciter, l’ancien diplomate alors âgé de 95 ans a fait cela toute sa vie, avec un bonheur infini qu’il souhaitait partager. Il a demandé que les bénéfices des ventes du CD soient versés à l’association française Education sans frontières. "J’ai choisi des poésies très classiques, pas de nouveau jeune poète, mes poésies préférées. Apollinaire, Rimbaud, Baudelaire, mais aussi Shakespeare et Hölderlin. À mon âge, on se récite ce qu’on connaît déjà. Mais il m’arrive d’encore apprendre un nouveau poème. J’ai beaucoup apprécié l’inventivité musicale de celui qui m’a accompagné. Il a choisi des morceaux très ciblés sur les poèmes retenus, comme Satie sur Apollinaire."

Mais pour tout savoir sur les liens entre Stéphane Hessel et la poésie, il faut se référer à son livre "Ô ma mémoire, la poésie, ma nécessité" (Seuil, 350 p., 2006, Points, 2011, 318 p.). "J’y ai rassemblé 88 poèmes dans les trois langues, nous disait-il de sa belle voix.  Ils sont précédés par une introduction de 60 pages où je donne mes relations personnelles de vieil ambassadeur qui a constamment essayé d’apprendre par cœur des poésies."

88 poèmes parce qu'il avait à l'époque 88 ans.




En même temps qu'est inaugurée la place parisienne sort un nouveau livre de Gilles Vanderpooten, auquel a également collaboré Christiane Hessel, "Stéphane Hessel, irrésistible optimiste" (L'aube, 270 p.)

Comment mieux qualifier l'homme qui, du haut de ses 90 ans dépassés, incitait la jeunesse à bouger, à se bouger? L'ouvrage est composé d'une cinquantaine de textes (et/ou dessins) dont les auteurs apparaissent selon l'ordre alphabétique de leurs noms. C'est Laure Adler qui inaugure la liste, celle qui précisément publia au Seuil le livre de Stéphane Hessel sur la poésie. L'alphabet s'arrête à "w" avec les souvenirs de Michel Warschawski, journaliste et écrivain israélien qui défend la cause palestinienne.

Mis bout à bout, ces textes de longueur variée composent une vaste mosaïque d'où se dégagent sans peine les traits de caractère les plus connus de Stéphane Hessel. S'y expriment aussi bien Jane Birkin que CharlElie Couture, Régis Debray que Tony Gatlif. Pour n'en citer que quelques-uns. D’autres ont leurs propos recueillis par Gilles Vanderpooten, auteur d'un précédent "Engagez-vous!" (L'Aube, 2011). On retrouve aussi de superbes hommages parus dans la presse française au lendemain du décès. Des textes jaillis du cœur,  d'autres un peu moins spontanés. L'auteur d'"Indignez-vous!" y apparaît aussi bien en petit garçon d'un couple peu banal, qu'en militant pour les droits de l'homme et la paix ou en défenseur passionné de la poésie. D'autres facettes moins médiatisées sont également présentes. Notamment par le texte et les dessins de notre compatriote Pascal Lemaître qui a bien connu l'homme au sourire malicieux et explique par exemple son entrée dans le monde de l'art.


Devant les cartes Michelin de la chambre de Marcel Duchamp. (c) Pascal Lemaître/L'aube.

Irrésistible optimiste, Stéphane Hessel l'a été jusqu'au bout.