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mardi 29 octobre 2013

LA pprécie les pieds nus de Paola Pigani

Son nom est italien mais Paola Pigani écrit en français. Elle est née en Charente de parents immigrés italiens, dans une famille nombreuse. Après différents recueils de nouvelles et de poésie, elle publie son premier roman, le magnifique "N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures" (Editions Liana Levi, 216 pages). Un titre un peu étrange au premier abord mais qui trouve très vite son explication: dans l'introduction que l'auteure fait à son texte. Il s'agit d'un proverbe tsigane. Les Manouches comme on disait il y a trois quarts de siècle sont un sujet très cher à son cœur.  Adolescente, Paola Pigani a côtoyé des familles de gitans, et en particulier Alexienne, 88 ans aujourd'hui, qui lui inspirera le très beau personnage d'Alba. Pas étonnant qu'elle lui ait consacré son premier roman.

Paola Pigani.
Celui-ci se déroule dans le camp des Alliers, près d'Angoulême,  à côté de la ligne de démarcation, un camp d'internement où les "nomades" ont été assignés à résidence durant la Seconde Guerre Mondiale par les Allemands et Vichy.  Mais ils ont fait un an de plus que les autres puisqu'ils n'ont été libérés qu'en mai 1946, un an après la fin des hostilités et l'armistice. Six ans privés de liberté, du droit de circuler, de celui de vivre avec la nature, au jour le jour. Six ans confinés dans des baraques glaciales, à plusieurs familles, sans cesse contrôlés, nourris de soupe réchauffée, sans autre horizon pour la plupart que la barrière du camp et ses gardiens. L'exact contraire de leurs choix de vie.

Paola Pigani suit Alba, 14 ans quand la guerre et le roman commencent. Elle est entre l'enfance et l'âge adulte, une puberté que sa mère, la sensible Maria, a perçue bien qu'aveugle. Elle s'inquiète d'autant plus de ce regroupement, propice aux rencontres...
Autour d'elle gravite une belle série de personnes. Son père, Louis, d'abord, tellement malheureux parce que la  guerre a changé leur rythme de vie. Plus de roulotte, plus de cheval, plus de théâtre ambulant, plus de vente de paniers tressés. Malgré tout, l'envie d'embellir le gris autour d'eux: s'ils recevaient des semences, ils pourraient planter des légumes et des fleurs.
D'autres habitants de la baraque, dont Rita et Adam, vieux couple dynamique et généreux particulièrement attachant. René et Silvère ("homme de peu de mots mais tendre au fond des yeux") également, qui vont bouleverser le destin d'Alba. Et le directeur du camp, qui va découvrir la fierté et la force de ceux qu'il régit: combien d'évasions?

La jeune romancière a le talent de plonger le lecteur au milieu de ses personnages. On commence par faire la route vers le camp avec eux. "C'est une horde de noyés qui franchit le portail du camp des Alliers ce jour de novembre 1940." On a froid avec eux, on est trempés par la pluie avec eux, on a peur avec eux, et faim. On participe à leur détresse, on vit leurs angoisses de l'intérieur. Mais Paola Pigani a aussi le don de dénicher la vie dans ses moindres recoins, dans ses plus infimes sursauts. Les enfants qui jouent avec un rien - comme les petits Syriens aujourd'hui -, une grossesse qui s'annonce,  une fête de Noël célébrée au violon, un amour qui naît,  Michel gardien humain, les promenades à l'extérieur proposées par l'abbé du coin, aux requêtes à l'administration sans cesse renouvelées, et ses ouailles dont la touchante Mine. "Ils avancent mus par ce désir d'air et d'ailleurs: passer de l'autre côté de la guerre et des buissons."

En tout, ce sont quatre hivers qui vont maintenir les tsiganes au camp des Alliers et qu'on suit de près. Paola Pigani rappelle dans ce roman ce qu'amènent les guerres et combien l'esprit de résistance humain peut être plus fort que tout, même que la mort. Elle fait dire à Alba, sermonnée par un médecin: "Pour mourir, on a tout le temps devant nous, Monsieur le docteur. Pour vivre, il faut faire vite." Une déclaration qui explique cette obstination à survivre, à ne pas se laisser dominer par d'autres hommes. Le roman s'achève sur la vie d'Alba et les siens après la guerre, difficile mais à nouveau victorieuse. "N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures" parle d'un ton léger de sujets graves. N'est-ce pas la  manière tsigane?

Alexienne, la véritable Alba. (c) Liana Levi.





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