C'est donc aujourd'hui, 20 novembre,
Journée internationale des droits de l'enfant, que paraît le petit livre illustré que, le mois dernier, les éditeurs jeunesse français ont décidé de publier pour soutenir les réfugiés.
"Eux, c'est nous." (Les éditeurs jeunesse avec les réfugiés, 32 pages, 3 euros) comporte un bref texte, explicatif et accusateur, de
Daniel Pennac et une partie plus documentaire en huit entrées correspondant aux lettres du mot "réfugiés" (réfugié, étranger, frontière, urgence, guerre, immigration, économie, solidarité), réalisée par
Jessie Magana et
Carole Saturno. Autant d'acrostiches qui permettent de réunir une foule d'informations de faits et de chiffres. L'ensemble est sobrement illustré par
Serge Bloch.
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Un dessin de Serge Bloch. |
Daniel Pennac ne mâche pas ses mots pour engueuler ses compatriotes qui refusent d'accueillir les réfugiés, pétrifiés par leur peur de l'autre, du différent. Il pointe la responsabilité des médias qui focalisent l'attention sur le nombre de migrants plutôt que sur leur état d'être humain, homme, femme ou enfant. Il fait ses comptes enfin, alignant les chiffres de part et d'autre, pour conclure que, évidemment, l'accueil est possible. Et il rappelle que cet accueil a déjà existé au milieu du siècle dernier. Sur ce texte fort et sans concession se posent les illustrations minimales et expressives de
Serge Bloch. Oui, mille fois oui,
"Eux, c'est nous."
Le livre a été réalisé bénévolement par les auteurs et les éditeurs, toute la chaîne du livre se mobilisant pour réaliser ce petit bouquin, incisif et salutaire, créé dans l'urgence devant l'afflux des réfugiés en Europe, et la manière dont ils étaient accueillis. L'intégralité des ventes sera versée à la CIMADE, association française de solidarité avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile.
Ok donc à cet éditorial illustré, faisant le point sur une situation intolérable, même si l'actualité terrifiante du 13 novembre a refoulé le problème des réfugiés loin des soucis et risque fort de porter préjudice à ceux qui demandent l'asile, les amalgames se faisant vite. OK, puisque c'est l'ensemble de l'édition jeunesse en France qui s'est, cette fois, uni derrière ce projet. OK à ce "J'accuse 2015" si on n'oublie pas que de nombreux livres jeunesse, albums et romans, abordent aussi le sujet, fort bien et depuis longtemps.
Sur les réfugiés, il y a bien sûr le magnifique album de
Claude K. Dubois,
"Akim court" (L'école des loisirs/Pastel) dont j'ai déjà parlé à plusieurs reprises (lire
ici et
ici).
Il y a d'autres titres plus ou moins récents dont j'ai déjà dit tout le bien que je pensais,
ici.
Il y a enfin des livres plus anciens.
Des dates de sortie qui disent que le sujet n'est pas neuf.
Certains sont toujours en vente en librairie, d'autres sont à dénicher en bibliothèque.
"Le jeu des sept cailloux"
Dominique Sampiero et Zaü
Grasset-Jeunesse, "Lampe de poche"
48 pages, 2010
L'histoire est celle d'une famille tchétchène réfugiée à Rouen, en France: la mère, ses deux enfants et le bébé à naître. Elle a été prise en charge par une association. Mais l'atout de ce petit livre poignant et remarquablement illustré est qu'il dépasse le cadre strict de la réalité pour nous emmener dans un univers où même les réfugiés ont des rêves, des souvenirs et des projets de vie. Dont celui du jeu des sept cailloux, qui permet de tenir. Dès 9 ans.
"L'enfant qui venait de la mer"
Marie Wabbes
Grandir, 2007
Un couple âgé découvre Amina, une petite fille morte de fatigue, que la mer a déposée sur le rivage. Ils la considèrent comme un cadeau du ciel. Petit à petit, complicité et confiance s'installent entre les deux vieux et la fillette, arrivée de nulle part. Plus tard, la télévision résoudra l'énigme de son identité... Si l'histoire est belle, elle met aussi, l'air de rien, l'accent sur le problème des réfugiés. Dès 5 ans.
"Le vélo rose"
Jeanne Ashbé
L'école des loisirs/Pastel
32 pages, 2000
Zoran est arrivé dans la ville rouge avec sa famille après avoir séjourné dans un camp où la guerre dans son pays l'avait poussé. Ici, il s'est rééquilibré. A beaucoup raconté. Zoran peut à nouveau jouer, profiter de son vélo, entendre le vent chanter dans ses oreilles. Mais il est aussi capable de remarquer qu'une de ses voisines est triste. Quels sont les souvenirs qui l'accablent et la freinent? Zoran va raconter à Rose ce qui lui est arrivé. Un passé dur et pourtant impossible à changer. Et donner ainsi à Rose la possibilité de se remettre à avancer. Pour tous, dès 5 ans.
"La robe de Jneina"
May Angeli
Syros Jeunesse, Les petits voisins,
32 pages, 2000
Le titre inaugurait une collection d'histoires d'enfants d'ailleurs qui vivent en France. On y suit Jneina tout au long d'une semaine. Sept jours qui précèdent la grande fête qui réunira tous ceux que les hasards de l'existence ont conduits dans un centre pour étrangers. Comme ses voisins, Jneina a dû quitter son pays. Des bribes de ces histoires se glissent dans le compte-rendu des journées.
May Angeli a eu la bonne idée d'entamer chaque journée par la description du vêtement de son héroïne. Dimanche, jeans pour aller au marché. Lundi, salopette. Mardi, pantalon bouffant. Mercredi, "survêt". Jeudi, bermudas. Vendredi, combinaison, et samedi, caleçon... Et le dimanche suivant apparaît "la" robe, confectionnée avec amour tout au long de la semaine. Une très belle robe, à la mesure de la fête organisée au foyer. L'illustratrice a délaissé ses habituelles xylogravures au profit d'agréables crayons de couleur. Dès 3 ans.
"Fils de guerre"
Xavier-Laurent Petit
L'école des loisirs/Médium
168 pages, 1999
Le roman met en scène un de ces enfants perdus dans les conflits qui embrasent la planète. Le texte juxtapose une succession d'enregistrements faits par le narrateur dans un camp de réfugiés. Il y a apprivoisé un adolescent, Jozef, qui confie par bribes au magnétoscope les souvenirs que sa mémoire veut bien lui restituer. Un patchwork de faits entraîne le lecteur au cœur de la guerre des Balkans. Les hommes mobilisés qui partent, le quotidien qui s'organise sans eux. L'instituteur résistant, dénoncé et assassiné. Les valeurs s'effondrent. Les familles, les amitiés explosent. Remplacées par la lutte pour la survie, la peur, l'angoisse, la terreur, la réquisition des enfants. Jozef témoigne de ces mois d'horreur. Il raconte, simplement. Comment expliquer à ses copains d'hier que sa sœur, née juste avant les bombardements avec un tache de vin sur le bras, n'est pas responsable des malheurs du village? Jozef résiste jusqu'au bout de sa nuit, jusqu'à retrouver un bébé qui remplacera sa sœur. Un roman dru, poignant, indispensable. Pour tous dès 13 ans.
"Un foulard dans la nuit"
Milena et Georges Lemoine
Editions du Sorbier et Amnesty International
32 pages, 1998
L'auteur
fait le lien entre la déportation d'enfants durant la guerre de 40-45
et les atrocités subies dans les années 1990 par les réfugiés albanais.
L'illustrateur français Georges Lemoine a conçu graphiquement les pages
et en a signé les images, des tableaux poignants. L'album raconte le
rêve de David, plongé dans le cauchemar des camps: un matin glacé, il
s'enfuit et retrouve sa famille après un chemin de souffrances. David,
dont le petit-fils au prénom identique a discuté en classe des enfants
pris, comme lui, au milieu des guerres. David, dont la mémoire, selon le
souhait de ses fils et petit-fils, doit être plus forte que l'oubli.
Pour tous dès 9 ans.
"Les petits bonshommes sur le carreau"
Olivier Douzou et Isabelle Simon
Rouergue, 1994 (version souple, 1998)
Un
enfant regarde par la fenêtre, dans la rue, la nuit. La vitre sépare et
rapproche à la fois les acteurs des deux côtés de la paroi de verre.
Côté recto, l'enfant trace avec le doigt des bonshommes sur la buée de
la vitre, côté verso, des sans-abri sont couchés dehors, dans le froid.
Ils se devinent d'abord dans la transparence des dessins de l'enfant,
sur le carreau, puis apparaissent dans toute leur misère, sur le carreau
aussi. Olivier Douzou raconte avec beaucoup de justesse et d'émotion la
réalité des SDF. L'album est d'autant plus fort que les personnages
sont d'éloquentes sculptures d'Isabelle Simon, photographiées en
situation. Pour tous dès 5 ans.
Ci-dessous, un message de
Bernard De Vos, le Délégué général belge aux droits de l'enfant depuis 2008, ce matin, sur sa page Facebook, à l'occasion du 20 novembre.
"C'est une longue journée qui commence et j'espère qu'elle se passera en paix, comme une trêve aux quatre coins du globe.
Les enfants ont des droits et c'est un 20 novembre qu'ils ont été inscrits dans un texte international, il y a 26 ans déjà. Défendre leurs droits spécifiques, les promouvoir mais aussi reconnaître leurs spécificités et le besoin des plus jeunes à bénéficier d'une protection et d'une assistance adaptées à leurs réalités, c'est tout le sens de cette convention que nous sommes nombreux à défendre, partout dans le monde.
Plus d'un quart de siècle plus tard, le bilan est loin d'être satisfaisant: malnutrition, maladies, traite, privations des soins, ignorance, discriminations, violences. Ce sont, chaque année, des dizaines de millions de vies qui sont amputées ou anéanties. Chez nous aussi, les droits de l'enfant sont compromis: pauvreté galopante, inégalités scolaires, ségrégation des enfants porteurs de handicap, violences domestiques, manque d'accueil des enfants migrants sont, parmi d'autres, des atteintes quotidiennes bien trop présentes dans le rapport que je remettrai ce matin au Parlement et au gouvernement.
Les temps sont moroses. Mais, plus que jamais, il faut rappeler qu'élever les enfants dans le respect de leurs droits n'est pas une faveur déraisonnable. C'est au contraire, inscrire dès le plus jeune âge les germes de la bienveillance et nous garantir, qu'en grandissant, les enfant auront à cœur de perpétuer le cercle vertueux de respect mutuel, d'humanisme et de solidarité. Bonne fête aux enfants et vive leurs droits!"