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mercredi 23 décembre 2020

Savez-vous planter?.. Noël en trois modes

Des célébrités parmi les invités de la reine. (c) D'Eux.



🎅🎅🎅 Les albums de Noël, marronnier de décembre 🎅🎅🎅
🎄🎄🎄 D'autres titres de Noël, classiques ou nouveaux, ici 🎄🎄🎄




Le plus rock & roll


Elijah Betz, le renne punk d'Angleterre
Hélène Gloria
Olivier Chéné
D'Eux, 48 pages
à partir de 6 ans


Histoire de Noël ou pas? Bien sûr que oui, même si on admet que le libellé Noël est un peu tiré par les bois. Elle est tellement bien troussée avec ses épatants jeux de mots qu'elle entre sans problème dans la catégorie des histoires de Noël drôles. On ira donc d'Elijah Betz à Elizabeth et du renne à la reine. Voyons comment.

Il était une fois un jeune renne punk, répondant au doux nom d'Elijah Betz, qui n'en pouvait plus de la toundra, de la neige, du froid, des cadeaux, des grelots, des gamins, des lutins. Il ne rêve que de musique. Il quitte donc la Laponie pour Londres où il est sûr de trouver le rock-punk qu'il vénère.

Se faire une tenue de punk. (c) D'Eux.

On le voit déambuler dans les rues de Londres, se transformer physiquement en punk, coiffure en crête, vêtements, recruter un à un les membres de son futur groupe, autant de haltes multiples à travers divers quartiers de Londres - dont le passage pour piétons immortalisé par les Beatles -, terriblement divertissantes et superbement mises en illustrations. C'est bien sûr à Hyde Park que le nouveau groupe se produira régulièrement après quelques mésaventures sonores. 

Trouver les musiciens du groupe. (c) D'Eux.


Et c'est là que le groupe "Les hurlements d'Elijah" sera remarqué par la passagère, petite et âgée, dûment chapeautée, d'une très belle limousine, en réalité bien plus au fait de la musique actuelle qu'on ne le croit. La rencontre entre renne Elijah Betz et l reine Elizabeth d'Angleterre sera suivie d'une fête d'anniversaire spectaculaire et d'un retour en Laponie inattendu pour le musicien qui y accompagne la souveraine qui voulait voir le Père Noël. Punk ou pas punk?

Quel plaisir que cet album plein d'humour qui nous montre une reine restée une enfant et un milieu punk formidablement déjanté. Le texte extrêmement musical d'Hélène Gloria est porté par les illustrations aux crayons de couleur de toute beauté d'Olivier Chéné, qui nous fait visiter la ville de Londres aussi bien que l'histoire de ce renne sûr de lui, avec quelques clins d'yeux délicieux aux adultes lecteurs.



Le plus détective


Cher Père Noël
Emma Yarlett
traduit de l'anglais par
Françoise de Guibert
Albin Michel Jeunesse, 32 pages
à partir de 4 ans


Pauvre Père Noël! Il termine ses préparatifs et une lettre en retard tombe dans sa cheminée où crépite un feu. Ouf! Il la retire à temps des flammes. Elle lui est adressée par Anna (maison avec la porte bleue). Mais que lui demande la petite fille? Cette partie de la feuille a été brûlée.

Le problème de la lettre.
(c) Albin Michel Jeunesse.
Le Père Noël est d'autant plus embêté qu'Anna est sur la liste des enfants sages! Les lutins étant tous très occupés, c'est le lutin Beau Grelot qui se chargera de lui préparer un cadeau. Affolé par ce qu'il a emballé à son intention, le Père Noël adresse également sa requête à l'Ours polaire. Même stupéfaction devant le cadeau. Le renne en chef du traîneau ne pourrait-il pas aussi l'aider? Encore un cadeau qui semble inadapté au Père Noël.

Mais le temps presse et le Père Noël doit entamer sa tournée. Il va donc déposer chez Anna les trois cadeaux qui lui ont remis pour elle. Mais il fait de son mieux pour les améliorer. Ce qui enthousiasmera Anna quand elle découvrira la surprise, le matin venu. Bien sûr, elle écrira au Père Noël pour lui dire sa joie. Les lecteurs pourront découvrir sa deuxième lettre, comme la première, sous un rabat à déplier, comme ils avaient pu voir les trois cadeaux préparés pour elle.

Les lutins sont tous occupés sauf un. (c) Albin Michel Jeunesse.

Emma Yarlett ménage un très joli suspense dans les péripéties de cette histoire tendre. Textes et illustrations font partager à l'enfant lecteur les interrogations du Père Noël et l'invitent à découvrir la surprise finale.



Le plus complice


Qui dit la vérité sur le Père Noël?
Géraldine Collet
Stéphane Kiehl

Glénat, 40 pages
à partir de 6 ans


Des enfants discutent entre eux. Qui connaît la vérité sur le Père Noël? Chacun y va de son expérience ou de son impression. A les entendre, le Père Noël était dans un chalet en bois ou au grand magasin, ou au téléphone, ou à la piscine, ou à la patinoire - et pas seul -, ou avec les lutins, ou à la poste pour répondre à son courrier. Voyage-t-il en hélicoptère ou en traîneau tiré par des dinos? Les enfants continuent à discuter jusqu'à ce qu'arrive la question d'un Armand Pinocchio: "Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant? On dit la vérité aux parents ou on continue de faire semblant?" Délicieux enfants qui savent combien Noël est important pour les parents, qui se moquent gentiment d'eux mais acceptent quand même d'être gâtés par... le Père Noël.


Les informations arrivent... (c) D'Eux.


Un fortbon rapport texte-images, tout en complicité avec les enfants lecteurs, pour peu qu'ils ne croient plus au Père Noël. Géraldine Collet amuse par les observations que font ses enfants, chacun devenant unique grâce aux dessins expressifs de Stéphane Kiehl.



... diverses et variées. (c) Glénat Jeunesse.





vendredi 18 décembre 2020

Quand les albums jeunesse ouvrent sur le monde

"Ce qui compte, c'est qu'elles s'aiment!" (c) CotCotCot Editions.

A l'exact opposé des livres-médicaments que j'abhorre, une sélection de sept albums jeunesse ancrés dans l'actualité récente ou interrogant l'avenir. Parce que la littérature de jeunesse peut aussi ouvrir des fenêtres sur le monde.


Mariage pour tou(te)s


Princesse Pimprenelle se marie
Brigitte Minne
Trui Chielens
adapté du néerlandais par Emmanuèle Sandron
CotCotCot Editions
32 pages
dès 5 ans

Ce jour-là, le château est en fête. Princesse Pimprenelle va choisir quel "prince sur son cheval blanc" elle épousera. Sauf que le cœur de la demoiselle ne bat pour aucun des prétendants qui lui sont présentés. Pire, ce défilé l'ennuie. Au château, le roi et la reine sont consternés. Pimprenelle restera-t-elle sans mari? Oui et non.Soudain, le cœur de la princesse se met à bondir dans sa poitrine. Elle a vu passer la princesse Aliénor, campée sur son beau cheval noir. Un coup de foudre réciproque qui mène à une demande en mariage. Bigre! Pas vraiment dans les standards de la cour, ni même du royaume. Pimprenelle est la cible de toutes les méchancetés.

L'album se poursuit avec l'intervention des parents qui, inquiets pour leur fille, s'adressent à la docte Sophie. La sage femme écoute leur plainte avant de leur démontrer que ce qui compte, c'est que les deux princesses s'aiment. Formule valable dans toutes les combinaisons, précise-t-elle, prince et princesse, prince et prince, princesse et princesse. C'est la révélation pour les parents qui se chargent de communiquer ce message d'amour à leur fille d'abord, à tous les étages du palais ensuite. "Elles s'aiment, c'est l'essentiel!" La phrase se répand et tout le royaume change d'attitude. 

Honnêtes, le roi et la reine expliquent à la Princesse Pimprenelle qu'ils n'avaient jamais vraiment réfléchi à la question. La suite est classique, mariage, nombreux enfants et en finale de l'album une explication en termes simples sur les moyens pour les princesses d'avoir des enfants ensemble.

C'est la première fois qu'on découvre le beau travail de l'illustratrice Trui Chielens en français. Et c'est une belle découverte. Ses dessins font parfois penser à Kitty Crowther en des teintes plus limitées et, pour certains personnages, à Gerda Dendooven dont elle a suivi l'enseignement. Un décor à l'ancienne et des personnages en tenue de cour pour une histoire contemporaine dont certains éléments sont repris en texte dans les images. Il ne faut pas oublier de regarder les pages de garde avant et arrière: tout y est dit. Quant au texte de Brigitte Minne, il présente avec beaucoup d'humanité le cheminement des protagonistes vers l'idée du mariage pour tous. Un beau message de tolérance.

Pour feuilleter en ligne le début de "Princesse Pimprenelle se marie", c'est ici.

Rappelons, sur le même sujet décliné cette fois au masculin, le rigolo "Heu-reux" de Christian Voltz (Rouergue, 40 pages, 2016) où, sa majesté Grobull, le tout puissant taureau, veut marier son fils Jean-Georges à une des vaches prétendantes.




Au placard, les démodé(e)s


Résidence Beau Séjour
Gilles Bachelet
Seuil Jeunesse
dès 4 ans

Que deviennent les animaux chéris des enfants quand ils sont déclassés par un nouveau venu, objet de toutes les attentions? Ils vont à la Résidence Beau Séjour, sorte de maison de repos où ils peuvent passer une retraite luxueuse, en attendant un éventuel retour en grâce. C'est ce qui arrive à Mademoiselle Poufy, la licorne narratrice de cet album grinçant sous ses atours drôles. Détrônées par le grovoliou à poils doux, elle et ses congénères arrivent en bus dans ce lieu apparemment idyllique. Elles y découvrent les autres animaux délaissés, pandas, dauphins, dinosaures... 

La très chic Résidence Beau Séjour et ses résidents. (c) Seuil Jeunesse.

Les activités sont multiples et donnent lieu à des illustrations extrêmement amusantes, bourrées de détails que chacun, enfant comme adulte, associera à ses références personnelles. Elles n'empêchent pas les résidents de se poser des questions sur certaines absences et le lecteur de repérer ce qui se passe dans l'obscurité du couloir ou de la nuit. C'est bien entendu Poufy, associée à son ami grovoliou Dodu récemment arrivé - la roue des modes enfantines tourne parfois vite - qui mettra au jour les sombres expériences du lieu. 

Tout en nous faisant bien rigoler avec sa licorne qu'il représente en mille situations, Gilles Bachelet pointe, l'air de rien, deux situations tragiques, le destin des vieux, mis au rebut, et les expérimentations à la Frankestein, personnage qu'on croise ci et là. "Résidence Beau Séjour" fourmille de détails qui sont autant d'indices à savourer.

Le selfie à la licorne de Gilles Bachelet.



Tableaux détournés


Quel tableau!
Julien Couty
Rouergue 
56 pages
dès 5 ans

Dans ce premier album jeunesse, en assez petit format, le dessinateur Julien Couty envoie un père et son fils visiter un musée. Mais il s'y passe quelque chose de bizarre. Les œuvres, toutes plus célèbres les unes que les autres, ne sont pas comme on les connaît. Des perches à selfies ont poussé entre les coquelicots de Monet, les animaux ont disparu de la toile du Douanier Rousseau, du béton remplace les arbres du déjeuner sur l'herbe de Manet, des bouteilles en plastique flottent entre les nymphéas... En fait, l'auteur-illustrateur a pastiché ces œuvres célébrissimes pour dénoncer le monde moderne. Il les a polluées pour faire ressentir les dérèglements climatiques, sociaux,  sanitaires... 

Masque obligatoire pour le dimanche à la Grande Jatte. (c) Rouergue.

Chaque tableau détourné, aisément reconnaissable (*), est complété d'une ligne de texte, fort explicite. Leur enchaînement permet une double lecture, enfant et adulte, mais aboutit à la même consternation. Cet efficace système permet aux deux visiteurs de conclure leur visite au musée en jouant sur les sens du mot "tableau": "Tu as vu ça? Non mais... Quel tableau! Quel laisser-aller! Il va falloir sérieusement se prendre en main." Ils ont tout dit.

(*) La liste des œuvres pastichées apparaît en première page de garde avant, celle qu'on regarde peu en général.


Construire aujourd'hui et demain


Toi et moi
Ce que nous construirons ensemble
Oliver Jeffers
traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Rosalind Elland-Goldsmith
Kaléidoscope
48 pages
dès 6 ans

Après l'album "Nous sommes là" (Kaléidoscope, 2018), dédié à son fils, "écrit pendant les deux premiers mois de ta vie alors que je cherchais un moyen pour tout t'expliquer. Voici les choses que je pense que tu dois savoir....", Oliver Jeffers s'adresse cette fois à sa fille, Mari. Le message de l'immense amour d'un père pour sa fille, sa foi en l'amour et la capacité à changer ensemble le monde. 


"Qu'allons-nous construire, toi et moi? D'abord regroupons tous nos outils pour assembler petit à petit. (...) Fabriquons une montre car le temps est précieux, notre avenir ensemble nous le créons à deux." A raison d'une ligne par page, le texte se déroule comme une comptine, scrutant le quotidien, le positif à garder en souvenir, le négatif à améliorer. Ingrédient indispensable à cette vie commune, l'amour, qu'Oliver Jeffers, traduit dans ses illustrations chaleureuses. Voilà un auteur qui manie aussi bien le registre léger de l'humour que celui plus grave de la vie.

Fille et père se préparent. (c) Kaléidoscope.



Sauver la planète


Demain la forêt
Rosie Eve
traduit et adapté de l'anglais
par Nadja Belhadj
Saltimbanque Editions
40 pages
dès 6 ans

Dans cet album aussi, les pages de garde sont importantes car elles montrent la situation de départ et celle d'arrivée. On se trouve dans une forêt tropicale, dévastée par les hommes au profit d'une usine d'huile de palme, de routes et d'une ville. Les éléphants du lieu? Coincé dans deux minuscules réserves éloignées l'une de l'autre. C'est là qu'intervient Mimpie, une petite éléphante qui souffre d'être seule. Elle voudrait rencontrer ses cousins installés dans l'autre réserve. Comment faire? Elle a l'idée lumineuse de reconstruire pour les réunir une route tropicale constituée d'arbres, au moyen de graines qu'elle se propose de semer.

Le passage des hommes. (c) Saltimbanque Editions.

Si elle n'est guère encouragée dans un premier temps par le troupeau d'éléphants, d'autres animaux l'aident dans son projet visionnaire. Un projet long dont l'avènement sera semé d'embûches mais qui réussira finalement après bien des péripéties. Le choix du format à l'italienne accentue utilement le caractère dramatique de la situation dénoncée. L'album est toutefois complètement à hauteur d'enfant avec ses nombreux protagonistes animaux qui s'allient pour mener leur mission à bien. Agréablement illustré, il est solidement documenté et de nature à sensibiliser les plus jeunes à l’écologie.

Le lancement d'un projet fou. (c) Saltimbanque Editions.



Déchets perdus, déchets tribuns


Seuls, moches et abandonnés
Gilbert Legrand
Clémence Sabbagh
Plume de carotte
80 pages
pour tous

Idée originale que de donner la parole aux déchets que l'on trouve en quantité sur les plages. On les rejette en général. Mais la faute à qui? A eux ou à ceux qui les ont abandonnés ici ou là, laissant les marées décider de leur destination? Les auteurs ont photographié tous ces déchets échoués sur le sable. Ils les ont maquillés en personnages et ils leur ont adjoint des phylactères d'où ils nous interpellent sans hésitation quand ils ne conversent pas entre eux. Le procédé est très réussi et permet de bien faire comprendre notre responsabilité dans la pollution et nos moyens d'action par rapport aux déchets.

La situation. (c) Plume de carotte.

L'avenir éventuel. (c) Plume de carotte.

Pour feuilleter en ligne "Seuls, moches et abandonnés", c'est ici.



Et si on jetait moins?


Le camion-poubelle
Max Estes
traduit du norvégien
par Jean-Baptiste Coursaud
La joie de lire
44 pages
dès 3 ans

Dans ce petit format en carton brut, toilé et joliment illustré, on suit les éboueurs Sigmund et Oskar lors de leur journée de travail à travers toute la ville. Ils nous racontent leur travail, entamé tôt matin, et tout ce à quoi ils doivent faire attention. Ils nous invitent aussi à réfléchir à ce que serait la ville sans eux. Et surtout, l'air de rien, ils nous interrogent sans le dire sur les quantités de choses qu'on jette alors qu'on pourrait peut-être les recycler ou les donner.

Des chiffres vertigineux. (c) La joie de lire.




jeudi 17 décembre 2020

Frédéric Pajak clôt son "Manifeste incertain"

New York. (c) Noir sur Blanc.

En huit ans, Frédérik Pajak a publié les neuf épisodes de son sensationnel "Manifeste incertain" qui s'achève avec "Manifeste incertain 9. Avec Pessoa. L'Horizon des événements. Souvenirs. Fin du Manifeste" (Noir sur Blanc, 352 pages). "Fin de l'histoire", en dit-il, à la fois dessinateur et écrivain. Mais quelle histoire! Un paysage de l'incertitude inouï où il nous a fait découvrir des écrivains, des peintres, des penseurs, leurs destins, leurs cheminements et aussi le sien, assorti de sa pensée bouillonnante - y compris sur les gilets jaunes et le coronavirus. Des êtres dont les destins ont été incertains, notamment parce qu'ils n'ont été reconnus qu'après leur mort. Des "ratés magnifiques", en dit-il.

Frédéric Pajak. (c) Louise Oligny.
Travailleur acharné, en guerre perpétuelle contre la bêtise, même s'il dit aussi rêver et "fermenter", Frédéric Pajak achève ici un cycle d'une valeur inestimable pour nous, lecteurs. Neuf épais volumes de format moyen, en noir et blanc sur un beau papier crème. Neuf exigeantes expéditions en littérature, neuf voyages labyrinthiques dont il est le guide lumineux, neuf escapades peu communes à la rencontre de ces destins croisés avec le sien, neuf randonnées superbement illustrées de son trait vigoureux et expressif. Une œuvre unique et magistrale.

Fernando Pessoa. (c) Noir sur Blanc.

Entamé par une réflexion sur l'actualité récente, un hommage à ses chats, la défense des animaux maltraités, l'évocation de la poésie et de ses voyages, "Manifeste incertain 9" rappelle tout de suite qui est Pajak: "La plupart de ceux qui épousent une cause, au mieux m'indiffèrent, au pire me répugnent. Plus la cause est honorable, plus ils aggravent leur cas. (...) Dès que j'aperçois un homme - ou une femme - pétri de convictions, je m'enfuis. Je vais boire un verre dans les vignes, chez l'ami Gilles. Nous prenons soin de ne pas refaire le monde."

On passe ensuite au sujet annoncé en couverture, Pessoa. Frédéric Pajak nous le fait rencontrer, découvrir depuis son enfance, lors de ses voyages, à sa mode si particulière, tellement pleine d'énergie et d'intelligence, balançant entre textes et dessins (plus de deux cents),  Des épisodes de vie qu'il entrecoupe par trois fois de souvenirs personnels, glanés aux quatre coins du monde et dans l'intimité de son cœur. Un deuxième pas de danse avec ses années récentes et l'auteur nous mène à l'épilogue, consacré à... Jésus-Christ.

Les sommaires du "Manifeste incertain"

  1.  Avec Walter Benjamin, rêveur abîmé dans le paysage (2012)
  2. Avec Nadja. André Breton et Walter Benjamin sous le ciel de Paris (2013)
  3. La mort de Walter Benjamin. Ezra Pound mis en cage (2014)
  4. La liberté obligatoire. Gobineau l'irrécupérable (2015)
  5. Van Gogh, l'étincellement (2017)
  6. Blessures (2017)
  7. Emily Dickinson, Marina Tsvetaieva. L'immense poésie (2018, lire ici)
  8. Cartographie du souvenir (2019)
  9. Avec Pessoa. L'horizon des événements, Souvenirs, Fin du manifeste (2020)              


mercredi 16 décembre 2020

La collection "La Traversée" mise à l'honneur

Riche de vingt-sept titres actuellement, l'épatante collection "La Traversée" des éditions Weyrich vient de recevoir le prix Joseph Hanse, décerné par l'Association Charles Plisnier. Ce prix couronne une initiative originale de lutte pour l'alphabétisation. Elle ne pouvait pas mieux choisir. Cette collection est le fruit d'une collaboration entre l'éditeur Weyrich et l'Association Lire et écrire. Les romans qu'elle réunit sont écrits par des auteurs belges reconnus qui se plient à la contrainte du public particulier des adultes qui entrent dans la lecture. Avant de se lancer, ils rencontrent même le public qui les lira.

Si la collection "La Traversée" publie des romans qui permettent aux adultes d'apprendre à lire et de découvrir le plaisir de la lecture, elle peut néanmoins être lue par tout le monde. Par les petits appétits de lecture par exemple. Liste des titres ici.

On y trouve les signatures de Geneviève Damas, Thierry Robberecht, Corine Jamar, Vincent Engel, Colette Nys-Mazure, Jean Jauniaux, Christine Van Acker, Jean-Marc Ceci, Nathalie Skowronek, Luc Baba, Frédérique Dolphijn, Patrick Delperdange et d'autres encore.

La naissance de "La Traversée"

L'aventure de cette collection a commencé il y a dix ans, en mai 2010, lors du "Printemps de l'Alpha", organisé à Libramont par l'asbl Lire et Écrire. Ce jour-là, plus de 400 apprenants et formateurs en alphabétisation se réunissent pour partager leurs livres "coups de cœur". La grande majorité des ouvrages présentés sont des livres pour la jeunesse ou pour enfants, choisis pour leur accessibilité, la simplicité de l'écriture, la lisibilité. Un souhait émerge pourtant chez ces adultes en démarche d'alphabétisation: celui de pouvoir rencontrer d'autres littératures, d'autres univers, de plonger dans des livres aux cadres de référence davantage familiers. Dans un même temps, formateurs en alphabétisation, libraires et bibliothécaires réclament des ouvrages susceptibles de leur permettre de fournir une réponse appropriée à toutes les sollicitations. Lire et Écrire Luxembourg se lance
alors dans le projet de créer une collection de romans accessibles à tout adulte, au bon lecteur
comme au lecteur débutant.

Conscient de l'enjeu et de la diversité des compétences à mobiliser, Lire et Écrire fait appel à plusieurs 
professionnels pour constituer le comité d'accompagnement du projet. La maison d'édition Weyrich est 
d'emblée convaincue et accepte d'accueillir la collection. D'autres partenaires – des bibliothécaires, des libraires, des enseignants – rejoignent l'équipe.

La mission du comité d'accompagnement est d'envisager la faisabilité du projet tant aux niveaux éditorial que pédagogique et financier pour ensuite l'accompagner tout au long de son développement
et de sa concrétisation. Lire et Écrire Luxembourg sollicite alors une trentaine d'auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles et leur présente le projet. Tous sont enthousiasmés et la grande majorité décide de se lancer dans l'aventure. Pour les soutenir, un guide méthodologique d'accompagnement à l'écriture est réalisé, fruit d'un important travail avec des apprenants en alphabétisation.

Vient le temps des rencontres entre les auteurs et des adultes en démarche d'alphabétisation. Des
temps d'échange, de partage autour de productions littéraires dont les objectifs sont de permettre, d'une
part aux apprenants de parler de leurs attentes, envies de lectures, d'autre part aux auteurs de se
familiariser avec les réalités que connaissent les adultes illettrés, de mieux comprendre leurs situations, leurs centres d'intérêt, leurs habitudes de lecture, leurs ressources et leurs difficultés.













L’Association Charles Plisnier est fière de mettre en évidence, grâce à ce prix, une initiative qui associe l’engagement social, la réflexion sur la langue, la dimension pédagogique et la qualité littéraire.









Vous pourrez trouver sur notre blog des informations sur les finalistes du Prix Joseph Hanse, sur le projet de « La Traversée » ainsi que la liste des romans publiés dans la collection : La Traversée, Prix Joseph Hanse 2020

mardi 15 décembre 2020

On voudrait tous connaître une "Liv Maria"

Julia Kerninon.


Si on adhère à l'idée qu'un roman est une bonne histoire excellemment racontée, alors "Liv Maria" de Julia Kerninon (L'Iconoclaste, 224 pages) se classe en toute bonne position. A se demander pourquoi le livre est sorti des sélections des prix Femina, de Flore et Wepler qui l'avaient repéré. "Liv Maria" est même une des histoires les plus fortes de la rentrée littéraire. La rencontre avec l'héroïne qui donne son nom au roman ne s'oublie pas. Quel destin que celui de cette petite fille qui est née de la rencontre improbable entre Mado, sa mère qui tenait un café sur une île de Bretagne, et Thure, son père, un marin norvégien qui y fit une escale devenue par la magie du coup de foudre définitive! On va la suivre de sa conception, lors d'une nuit d'amour, jusqu'à sa dernière fuite, adulte et mère, par amour encore.

Car s'il y a bien un sentiment qui apparaît dans ce formidable roman, c'est l'amour. Celui dans lequel grandit Liv Maria Christensen. Celui qu'elle va rencontrer en 1987 à Berlin, chez sa tante paternelle, où elle est envoyée à 17 ans pour échapper à un prédateur local. Celui que, devenue orpheline trop tôt, elle va chercher en Amérique latine. Celui qu'elle a trouvé avant de revenir, mariée, en Europe, en Irlande précisément, si terriblement lancinant. Désormais, pour elle, amour se conjuguera avec secret. Jusqu'où parviendra-t-elle à se taire? L'amour est aussi celui que Liv Maria, bien ancrée dans la vie, se porte à elle-même, qui peut aussi porter le nom de liberté, son moteur tout au long de son existence.
"D'emblée", explique Julia Kerninon, "il y avait cette idée d'une femme avec un secret, une femme qui échappe au jugement des autres par le silence, l'idée d’entrelacer la tragédie grecque au prosaïsme de la réalité. Je voulais parler du quotidien, de la vie matérielle, de l'amour, de la façon dont on change à la fois sans arrêt et jamais, mais aussi de la grande rébellion qui se cache presque toujours derrière l'image de la mère. Je voulais faire le portrait d'une femme telle que je les connais, telle que je les sais vivre autour de moi – libres, incontrôlables, fières."
Ce qui est magnifique dans ce roman qui célèbre aussi les livres, la lecture et la littérature, c'est qu'on suit Liv Maria de l'extérieur et non à la première personne. Délice aussi de découvrir son itinéraire à l'imparfait, la langue des histoires. Plaisir de voir se construire l'intrigue autour de cette année blanche à Berlin, ce secret jamais partagé, joie de suivre cette jeune femme libre dans ses pérégrinations, de la voir vieillir, mûrir et en même temps, rester elle-même, construite notamment par l'amour et l'attention que lui ont portés ses parents. Julia Kerninon a le sens des images et des formules. Elle nous offre sa lumineuse solitaire et son destin peu commun d'une plume sensible. Un roman fascinant, une merveille oubliée.
 
A trente-trois ans, Julia Kerninon affiche déjà une belle bibliographie riche de cinq romans adultes et deux romans ados (lire ici). Surtout, elle confirme qu'elle est une des voix qui comptent dans la littérature contemporaine.


 

samedi 12 décembre 2020

Arno, artiste rock né à Ostende

Arno.

Il fait un temps belge, gris, humide, désagréable. Idéal pour se plonger dans le troisième numéro de la série littéraire mensuelle "L'article" des éditions Lamiroy (lire ici). Daté de décembre et signé Thierry Coljon, il s'intitule "Arno, le roi des Belges" (Lamiroy, "L'article", 35 pages).  Un "article" relu et augmenté par le chanteur en personne, nous signale-t-on en éditorial, qui redonne lumière, énergie et joie. Arno, c'est bien sûr la trajectoire Ostende-Bruxelles, inaugurée par Léopold Ier quand il fit son entrée en Belgique par La Panne, nous rappelle encore Maxime Lamiroy.

Arno, au magnifique acronyme "artiste rock né à Ostende", nous est conté avec allégresse de ses débuts dans la musique avant même le groupe TC Matic jusqu'à aujourd'hui où il est maintenant âgé de 71 ans. Arnold Charles Ernest Hintjens de son vrai nom nous apparaît dans cet essai biographique comme un homme fou de musique et attentif au monde dans lequel il vit. Si le chanteur s'abrite souvent derrière sa manière de parler, à la fois lance et bouclier, l'homme se révèle avec simplicité dans ce texte fourmillant d'informations tant sur son œuvre et les musiciens qui l'accompagnent que sur son rapport aux femmes par exemple. Emaillé d'une foule d'anecdotes et mettant en rapport la vie et les chansons d'Arno, le texte se lit avec grand plaisir. Il nous dévoile un Arno, belge, roi de la zwanze et d'un rock blues ou d'un blues rock qui n'appartient qu'à lui. Un mec qui a décidé de vivre sa vie.

Informations et abonnements ici.

Arno en concert.

vendredi 11 décembre 2020

Annoncés, reportés, proclamés, les prix 2020


On aurait voulu nous embrouiller avec les prix littéraires 2020 qu'on n'aurait pas fait mieux. Annoncés, reportés, proclamés selon le calendrier initial. Ou pas. Mais voilà le palmarès est complet maintenant. A temps pour que le père Noël y puise car il présente de beaux titres, même si des pépites ont été oubliées.

Récapitulatif (par date de proclamation)

Prix du Premier roman (20 octobre)

  • Français "On ne touche pas" de Ketty Rouf (Albin Michel)
  • Etranger "Adios Cow Boy" d'Olja Savicevic (traduit du croate par Chloé Billon, JC Lattès)

Prix Femina (2 novembre)

  • Roman français "Nature humaine" de Serge Joncour (Flammarion)
  • Roman étranger "Ce que je ne veux pas savoir" et "Le coût de la vie" de Deborah Levy (traduits de l'anglais (Royaume-Uni) par Céline Leroy, Editions du Sous-Sol)
  • Essai "Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie" de Christophe Granger (Anamosa)

Prix Médicis (6 novembre)

  • Roman français "Le Cœur synthétique" de Chloé Delaume (Seuil)
  • Roman étranger "Un promeneur solitaire dans la foule" d'Antonio Muñoz Molina (traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon, Seuil)
  • Essai "Fin de combat" de Karl Ove Knausgaard (traduit du norvégien par Christine Berlioz, Laila Flink Thullesen et Jean-Baptiste Coursaud, Denoël)

Grand prix de littérature américaine (8 novembre)

  • "Ohio" de Stephen Markley (traduit par Charles Recoursé, Albin Michel)

Prix Wepler (23 novembre)

  • Prix "De parcourir le monde et d'y rôder" de Grégory Le Floch (Christian Bourgois)
  • Mention "Affranchissements" de Muriel Pic (Seuil)

Prix de Flore (25 novembre)

  • "La grâce" de Thibault de Montaigu (Plon )

Grand prix du roman de l'Académie française (26 novembre)

  • "La Grande Epreuve" d'Etienne de Montety (Stock)

Prix du meilleur livre étranger (26 novembre)

  • Roman "Apeirogon" de Colum McCann (traduit de l'irlandais par Clément Baude, Belfond) 
  • Essai "Trois Anneaux" de Daniel Mendelsohn (traduit de l'américain par Isabelle D. Taudière, Flammarion)

Prix Goncourt (30 novembre)

  • "L'Anomalie" de Hervé Le Tellier (Gallimard)

Prix Renaudot (30 novembre)

  • Roman "Histoire du fils" de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel, lire ici)
  • Essai "Les Villes de papier" de Dominique Fortier (Grasset)

Prix Décembre (1er décembre)

  • "De parcourir le monde et d'y rôder" de Grégory Le Floch (Christian Bourgois)

Prix Vendredi (littérature ado, 1er décembre)

  • Prix "Les Derniers des Branleurs" de Vincent Mondiot (Actes Sud junior)
  • Mentions "Sans armure" de Cathy Ytak (Éditions Talents Hauts) et "Tenir debout dans la nuit" d'Eric Pessan (l'école des loisirs)

Prix Goncourt des lycéens (2 décembre)

  • "Les impatientes" de Djaïli Amadou Amal (Editions Emmanuelle Collas, lire ici)

Prix Interallié (3 décembre)

  • "Un crime sans importance" d'Irène Frain (Seuil)

Prix Renaudot des lycéens (3 décembre)

  • "Le métier de mourir" de  Jean-René Van der Plaetsen (Grasset)

Prix Jean Giono (4 décembre)

  • "Buveurs de vent" de Franck Bouysse (Albin Michel, lire ici)

Prix Femina des lycéens (4 décembre)

  • "Ce qu'il faut de nuit" de Laurent Petitmangin (La Manufacture de livres, lire ici)
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Prix du livre européen (9 décembre)

  • Prix "C'est arrivé un premier septembre" de Pavol Rankov (traduit du slovaque par Michel Chasteau, Gaïa, 2019)
  • Mention "Lisière" de Kapka Kassabova (traduit de l'anglais (Écosse) par Morgane Saysana, Marchialy)

Prix Jan Michalski (9 décembre)

  • "Les sables de l'empereur" de Mia Couto (traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues, Métailié, 2020)

Prix Victor Rossel (10 décembre)

  • "La confiture des morts" de Catherine Barreau (Weyrich)



mercredi 9 décembre 2020

Montreuil on air, Montreuil bonheur

Expo "La tête dans les images".

Rare événement littéraire en cette année 2020 de foutu coronavirus, le 36e Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis a tenu sa promesse de se tenir. Et il l'a bien tenue. Bien sûr, ce n'était pas comme d'habitude, mais cette année, rien n'est comme d'habitude. Grâce aux équipes du Salon, la rencontre entre les enfants, les jeunes et la littérature jeunesse a toutefois pu avoir lieu durant six jours, du mercredi 2 décembre au lundi 7, les dates initiales.

Si on n'a pas déambulé entre les stands d'éditeurs, on a pu faire d'autres choses, via la télé diffusant 24 heures sur 24 du Salon (TV on air, lire ici). En 2020, on n'est pas allé au Salon, c'est le Salon qui s'est démultiplié dans les 200 librairies, les 240 bibliothèques et les lieux culturels partenaires (lire ici).

En fait, cette édition spéciale du Salon s'est à la fois tenue à la fois en réel et en virtuel, selon que l'on était proche ou non de la Seine-Saint-Denis. Et le virtuel a permis aux kilométriquement éloignés d'être à Montreuil. Ainsi les deux journées professionnelles du vendredi 4 et du lundi 7 décembre, riches de 80 rencontres, ont été suivies en ligne depuis 47 pays! Il est possible de les revoir en ligne (ici).

En réel, de nombreux auteur(e)s se sont rendus, masqués, dans les classes et ont pu rencontrer et travailler avec les élèves; d'autres l'ont fait en visioconférence. 25.000 collégiens ont chacun reçu un livre dédicacé par les auteurs invités, dans le cadre de l'opération "Une Histoire pour toi", livres achetés chez les libraires indépendants du coin. L'exposition "La tête dans les images" a été montée sur la place Aimé Césaire, en face de la mairie, et s'y tient encore jusqu'au 14 décembre (lire ici et voir ici, à la fin des JT).

En virtuel, les séquences télé (en partenariat avec la chaîne ViàGrandParis) ont duré 72 heures et ont permis de rencontrer les 200 artistes invités au programme du Salon, "plus que jamais inséparaaaaaaables! de leurs jeunes lecteurs", ateliers d’illustration, créations originales, découvertes littéraires, interviews d'artistes, critiques d'ouvrages, dessins animés...

Replays en pratique

Journées professionnelles (jusqu'au 8 janvier)
Programme, inscription et visionnage ici.

TV on Air
  • La pause Kibookin (ici), web série pour s'immerger dans l'univers intime de créatrices et créateurs de littérature jeunesse comme Gilles Bachelet, Camille Jourdy, Timothée de Fombelle, Jo Witek...
  • Du bout des doigts (ici), performances dessinées avec Natali Fortier, Benjamin Lacombe, Florie Sait-Val, Stéphane Kiehl...
  • La petite bibliothèque idéale (ici), avec Beatrice Alemagna, Gaëtan Dorémus...
  • Le Prime (ici), chaque jour, des invités et des anniversaires
  • Le JT du salon (ici), deux fois par jour, avec des tas d'invités.

Programme complet des replays ici.


Toutes mes notes sur Montreuil 2020 ici.