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mardi 15 décembre 2020

On voudrait tous connaître une "Liv Maria"

Julia Kerninon.


Si on adhère à l'idée qu'un roman est une bonne histoire excellemment racontée, alors "Liv Maria" de Julia Kerninon (L'Iconoclaste, 224 pages) se classe en toute bonne position. A se demander pourquoi le livre est sorti des sélections des prix Femina, de Flore et Wepler qui l'avaient repéré. "Liv Maria" est même une des histoires les plus fortes de la rentrée littéraire. La rencontre avec l'héroïne qui donne son nom au roman ne s'oublie pas. Quel destin que celui de cette petite fille qui est née de la rencontre improbable entre Mado, sa mère qui tenait un café sur une île de Bretagne, et Thure, son père, un marin norvégien qui y fit une escale devenue par la magie du coup de foudre définitive! On va la suivre de sa conception, lors d'une nuit d'amour, jusqu'à sa dernière fuite, adulte et mère, par amour encore.

Car s'il y a bien un sentiment qui apparaît dans ce formidable roman, c'est l'amour. Celui dans lequel grandit Liv Maria Christensen. Celui qu'elle va rencontrer en 1987 à Berlin, chez sa tante paternelle, où elle est envoyée à 17 ans pour échapper à un prédateur local. Celui que, devenue orpheline trop tôt, elle va chercher en Amérique latine. Celui qu'elle a trouvé avant de revenir, mariée, en Europe, en Irlande précisément, si terriblement lancinant. Désormais, pour elle, amour se conjuguera avec secret. Jusqu'où parviendra-t-elle à se taire? L'amour est aussi celui que Liv Maria, bien ancrée dans la vie, se porte à elle-même, qui peut aussi porter le nom de liberté, son moteur tout au long de son existence.
"D'emblée", explique Julia Kerninon, "il y avait cette idée d'une femme avec un secret, une femme qui échappe au jugement des autres par le silence, l'idée d’entrelacer la tragédie grecque au prosaïsme de la réalité. Je voulais parler du quotidien, de la vie matérielle, de l'amour, de la façon dont on change à la fois sans arrêt et jamais, mais aussi de la grande rébellion qui se cache presque toujours derrière l'image de la mère. Je voulais faire le portrait d'une femme telle que je les connais, telle que je les sais vivre autour de moi – libres, incontrôlables, fières."
Ce qui est magnifique dans ce roman qui célèbre aussi les livres, la lecture et la littérature, c'est qu'on suit Liv Maria de l'extérieur et non à la première personne. Délice aussi de découvrir son itinéraire à l'imparfait, la langue des histoires. Plaisir de voir se construire l'intrigue autour de cette année blanche à Berlin, ce secret jamais partagé, joie de suivre cette jeune femme libre dans ses pérégrinations, de la voir vieillir, mûrir et en même temps, rester elle-même, construite notamment par l'amour et l'attention que lui ont portés ses parents. Julia Kerninon a le sens des images et des formules. Elle nous offre sa lumineuse solitaire et son destin peu commun d'une plume sensible. Un roman fascinant, une merveille oubliée.
 
A trente-trois ans, Julia Kerninon affiche déjà une belle bibliographie riche de cinq romans adultes et deux romans ados (lire ici). Surtout, elle confirme qu'elle est une des voix qui comptent dans la littérature contemporaine.


 

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