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mardi 31 juillet 2018

DTPE 17 La poule Germaine pour mes sept ans!

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Exception aujourd'hui, jour anniversaire de la création de ce blog il y a sept ans.
En cette festive occasion, j'ai le plaisir de partager avec vous un texte récent du poète et diariste belge Lucien Noullez sur une poule dénommée Germaine, texte qu'il m'a autorisée très aimablement à reproduire à cette occasion.
Pour info, son dernier livre en date est "Les travaux de la nuit" (poèmes, Bruxelles, éditions du Pairy, 2018l.

La visiteuse du matin.

"Mercredi 25 juillet 2018
Marie-Françoise, qui déjeune avec moi, ce matin à 7h30, sur la terrasse, en face du jardin, fronce soudain les sourcils. Elle aperçoit une poule qui dodeline dans l'herbe rendue rare par la sécheresse, en contrebas. Certes, il y a bien un petit poulailler dans l'entourage, mais comment ce gallinacé a-t-il pu franchir nos hauts murs, et où retrouver les propriétaires de la volaille? La question, à vrai dire, gâche un peu ma journée. Je descends plusieurs fois les marches, pour prendre des nouvelles de Germaine. Mais Germaine est ombrageuse. Quand elle m'aperçoit, elle va se fourrer dans des fourrés imprenables, avec des gloussements indignés. Je lui apporte une cupule avec un peu d'eau. Je reviens la voir. Elle parait prostrée, cette fois. Je donne alors plusieurs coups de téléphone à des organismes censés protéger les oiseaux. Tout ce que j'obtiens, c'est le conseil de m'adresser à la police pour qu'ils dressent "un réquisitoire". Cela me fait sourire, mais j'appelle tout de même les policiers, qui déboulent vers 15h30. "Un réquisitoire? Pour une poule?"  Le grand poulet a vraiment l'air de me prendre pour un imbécile. Sous l'œil complice de son collègue, il escalade le muret qui nous sépare de nos voisins. Il met sa main en visière, et là, oui, là, il croit voir une soupente qui abriterait bien un poulailler. "On revient!", m'assurent-ils. Ils reviennent en effet, quelque vingt minutes plus tard, accompagnés de deux jeunes gens (je connais bien l'un d'entre eux), qui sont les propriétaires de Germaine, et qui ne la nomment certainement pas comme ça. Le plus comique est à venir, car les deux policiers et moi sommes désormais au balcon, à observer la traque de la poule, décidément imprenable, par les deux frères. Le grand flic me dit alors: "J'ai eu 70 sur 70 aux examens de tir. Une petite balle, et on se la partage pour souper!" Heureusement, les frérots ont fini par coincer la dame dodue. Ils s'en vont. Les agents s'en vont, eux aussi "Au revoir". Mais j'en ai eu la chair de poule."


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)
DTPE 11: "Peut-être pas immortelle" de Frédéric Boyer et "Deuil" de Dominique Fourcade (poésie et récit, P.O.L.)
DTPE 12: "Maria" d'Angélique Villeneuve (roman, Grasset)
DTPE 13: "Les étrangers" d'Eric Pessan et Olivier de Solminihac (roman, l'école des loisirs)
DTPE 14: "Le chagrin d'aimer" de Geneviève Brisac (roman, Grasset)
DTPE 15: "Je vous embrasse" de Pascale Pujol (roman, Lunatique)









lundi 30 juillet 2018

DTPE 16 Partir en vacances avec le Muz

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Aujourd'hui, pas de livre au sens propre mais un petit point estival sur le Muz, le musée des œuvres des enfants créé par Claude Ponti (lire ici).

Une des dernières œuvres entrées au Muz. (c) Le Muz.

Suggestion 1: se balader dans la collection du Muz avec les enfants (techniquement possible sur ordi, tablette ou smartphone). Actuellement, 3.357 œuvres n'attendent que d'être regardées (il y a moyen de filtrer l'affichage par thème).

Suggestion 2: jouer avec le Muz. Les jeux (memory et puzzles) ont été actualisés aux couleurs des vacances.

Suggestion 3: découvrir les nouvelles œuvres intégrées dans la collection du Muz et les collections particulières (ici)

Suggestion 4: proposer des œuvres de vos enfants. Il suffit de les envoyer au Muz en s'inscrivant sur le site et en allant dans l'onglet "proposer une œuvre" (à droite de la page d'accueil) et de se laisser guider.

Suggestion 5: organiser l'agenda de la rentrée car beaucoup de nouveautés sont alors prévues au Muz. Une programmation annuelle avec trois grandes expositions thématiques, deux nouvelles expositions de l'artothèque, l'accueil d'une grande partie de la collection de dessins d'enfants que l'association Germaine Tortel a léguée au Muz et qui sera exposée sur le site, une nouvelle participation au congrès de l'ANDEV à St-Etienne, l'annuelle vente aux enchères en novembre d’œuvres d'artistes amis du Muz , des créations de l'artiste Sara pour la E-boutique (en plus des sérigraphies de Claude Ponti et May Angeli).


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)
DTPE 11: "Peut-être pas immortelle" de Frédéric Boyer et "Deuil" de Dominique Fourcade (poésie et récit, P.O.L.)
DTPE 12: "Maria" d'Angélique Villeneuve (roman, Grasset)
DTPE 13: "Les étrangers" d'Eric Pessan et Olivier de Solminihac (roman, l'école des loisirs)
DTPE 14: "Le chagrin d'aimer" de Geneviève Brisac (roman, Grasset)
DTPE 15: "Je vous embrasse" de Pascale Pujol (roman, Lunatique)





dimanche 29 juillet 2018

DTPE 15 Un "Je vous emm..." fort élégant

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.



L'annonce sur le site des éditions Lunatique, basées en Bretagne, est claire:

" Si vous êtes...
trublion, grondant, insane, scélérat, factieux, indocile, intense, druide, idiot, muscadin, têtu, émeutier, mutin, séditieux, athée, mirliflore, débauché, insomniaque, coléreux, cruel, farouche, furieux, agressif, emporté, poignant, frénétique, terrible, élégant, torrentiel, détraqué, véhément, virulent, acharné, ardent, exalté, fulgurant, bourreau émérite, azimuté, enragé, abîmé, auvergnat, obnubilé, désarçonné, généreux, corrompu, gandin, érudit, bénédictin, dépouillé, somptueux, si vous aimez les carottes ou les chiens, ou les deux, si vous êtes égaré, terrien, lunatique mais poli avec le comité... alors nous vous lirons.
Mais seulement si nous sommes dans un bon jour."

Auquel de ces qualificatifs l'écrivaine française, ex-journaliste, Pascale Pujol correspond-elle? A avoir lu ses ouvrages précédents, on a bien quelques idées (lire ici). Peu importe finalement puisque nous avons le plaisir de découvrir un très court et très mordant roman d'elle, titré comme par dérision, on le verra, "Je vous embrasse" (Lunatique, 44 pages). Une petite bombe insolente et raffinée pour dire à un homme qu'il n'est qu'un mufle égoïste.

Paris. Un homme et une femme, mais pas de chabadabada. Plutôt une histoire d'amour bancale. Lui promet, elle attend. Lui séduit, elle est amoureuse. Entre eux, cette formule qu'il utilise sans cesse, "Je vous embrasse", sans jamais la concrétiser. D'illusions en espoirs déçus, les trois mots vont donner à la narratrice la force de prendre le large place de l'Alma et de donner congé à l'homme trop occupé.

Bien sûr, elle aurait pu dire tout simplement "Je vous emm...". C'est mal connaître Pascale Pujol. Aujourd'hui consultante en analyse économique et financière, elle n'en a pas perdu son talent d'écrire. Elle fait du cheminement vers une rupture de cette femme une version moderne des amours galantes. D'une écriture raffinée et vengeresse, sans rage ni excès, sa lucide narratrice met un terme à cette histoire en laquelle elle a plus cru que lui. Elle s'en sort la tête haute, sans s'être jamais abaissée. "Je suis la rédemption du séducteur", décrète-t-elle, blessée mais déterminée à en rester là à ce moment-là. Le sujet n'est pas neuf mais les mots choisis pour le traiter lui donnent un statut romanesque particulièrement agréable à découvrir et partager.

Pour lire quelques extraits de "Je vous embrasse", c'est ici.


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)
DTPE 11: "Peut-être pas immortelle" de Frédéric Boyer et "Deuil" de Dominique Fourcade (poésie et récit, P.O.L.)
DTPE 12: "Maria" d'Angélique Villeneuve (roman, Grasset)
DTPE 13: "Les étrangers" d'Eric Pessan et Olivier de Solminihac (roman, l'école des loisirs)
DTPE 14: "Le chagrin d'aimer" de Geneviève Brisac (roman, Grasset)




samedi 28 juillet 2018

DTPE 14 A la recherche de la secrète Mélini

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Les maîtres du mystère, pièces radiophoniques policières
adaptées à la fin des années 50 par Hélène Misserly. 


Il est des livres qui, malgré l'immense envie de les lire qu'on a, nous échappent pendant tout un temps. Rendez-vous raté, manque de temps, esprit indisponible,.. ils se dérobent, ou nous nous dérobons. Et puis, tout un coup, les planètes semblent s'aligner et la rencontre avec le livre a enfin lieu, fulgurante, plus forte encore que les espoirs qui avaient été placés sur cette lecture. Cela a été mon cas avec le superbe roman "Le chagrin d'aimer", de Geneviève Brisac (Grasset, 160 pages).

"On écrit pour comprendre ce que l'on ne comprend pas", explique Geneviève Brisac en quatrième de couverture de ce nouveau livre. "Quand j'écrivais "Vie de ma voisine" (NDLR, lire ici), mon héroïne, Jenny Plocki, me parlait de sa mère, la magnifique Rifka. Elle me racontait ses mots, elle évoquait ses gestes. L'amour d'une mère. Je mesurais mon ignorance dans ce domaine. Ma mère ne savait pas ces mots, ni ces gestes. Impuissante à m'aimer. Je suis partie sur ses traces. Celles d'une petite fille apatride et de sa mère danseuse, théâtreuse des années 20, connue sous le nom de Lina de Varennes.
Je suis partie sur ses traces de petite fille grecque et arménienne. Ma mère ne voulait rien savoir de son passé. Il a fallu que j'enquête et que je l'invente. Que je trouve les mots pour la retrouver. C'est ce livre, "Le Chagrin d'aimer". J'ai tissé une toile pour y prendre ma mère, cette insaisissable libellule. Chaque scène ici renvoie à un lieu, une époque, un objet (...)
Faisant ce portrait, j'ai tenté d'en savoir un peu plus sur elle, sur moi. Chemin faisant, j'ai compris que ce n'était qu'un début".

Chacun cherche sa mère à un moment. Même si celle-ci n'a jamais rien dit d'elle, a voulu effacer son passé, s'est abritée derrière une personnalité certes forte et complètement fantasque comme pour encore plus brouiller les pistes. C'est cette enquête que mène Geneviève Brisac dans ce très beau roman, qui n'a rien, disons-le tout de suite, d'une autobiographie. De son écriture légère, pétillante, fine et taquine parfois pour ne pas dire moqueuse, elle dresse un portrait en de multiples tableaux d'une ou deux pages en général, parfois plus quand le sujet l'impose, tous titrés, de cette femme dont elle est née. Cette mère avec qui sa relation a tenu souvent du malentendu malgré ses efforts de fille aimante. Comment aimer, dorloter, chouchouter, partager avec quelqu'un qui se dérobe, qui se ferme, qui vous remballe régulièrement? C'est tout cela que Geneviève Brisac consigne et organise, dans un texte vif qui fait régulièrement sourire, sans accusations ni reproches. Sans plainte exprimée non plus. Avec en filigrane la consolation de l'avoir peut-être enfin trouvée.

La romancière nous fait découvrir cette Jacqueline, dite "Hélène" dans la vie, "Mélini" dans le livre, de son enfance à son décès il y a onze ans déjà. Une personne qui semble avoir concentré sur sa personne la moitié des destins de l'Europe du siècle dernier, la Grèce, l'Arménie, la Turquie, les guerres, l'extermination, l'exil... Quel héritage! Ce qui n'a pas empêché, peut-être explique, sa personnalité extravagante. Fumeuse de cigarettes brunes, conductrice intrépide, lectrice de polars vorace, auteure assidue, opposée à Beauvoir et Sagan, séductrice et provocatrice à l'occasion, voleuse par idéal politique et épouse ayant besoin de se rassurer sur l'amour de son mari en même temps qu'elle a confiance en lui. Fine perceptrice de la détresse des autres plutôt que des siens comme le montre la scène de l'atelier d'écriture. Sensible derrière les barrières de protection qu'elle a érigées autour d'elle mais fermée à l'amour maternel. Méchante à l'occasion, manipulatrice à ses heures et en finale, terriblement attachante.

En livrant les fruits de son enquête familiale sans commentaire, Geneviève Brisac nous laisse libres d'aimer sa mère et de ressentir son chagrin à elle, sa fille. Son texte magnifique qui dit une terrible envie de vivre au-delà de tout le reste est un bonheur de lecture et une incitation à s'interroger sur le destin de nos voisines.

Pour lire en ligne le début du "Chagrin d'aimer", c'est ici.


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)
DTPE 11: "Peut-être pas immortelle" de Frédéric Boyer et "Deuil" de Dominique Fourcade (poésie et récit, P.O.L.)
DTPE 12: "Maria" d'Angélique Villeneuve (roman, Grasset)
DTPE 13: "Les étrangers" d'Eric Pessan et Olivier de Solminihac (roman, l'école des loisirs)



jeudi 26 juillet 2018

DTPE 13 La nuit où tout a changé pour Basile

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Migrants à Calais en 2015. (c) David Pauwels.

"Les étrangers" d'Eric Pessan et Olivier de Solminihac (l'école des loisirs, Médium, 127 pages) est un superbe roman sur les migrants. Etiqueté pour adolescents mais que les adultes liront avec le même emballement. Car ce bref livre sur les réfugiés dépasse le cadre d'un simple témoignage social pour entrer dans le romanesque, donner une approche littéraire à un sujet crucial et confronter en finale chaque lecteur à ses propres questionnements.

L'histoire est celle de Basile, un ado de 15 ans, amoureux de Lou, ami depuis toujours avec Simon, un peu cassé par les problèmes entre ses parents. Un ado ordinaire en quelque sorte. Il habite un coin où passent de nombreux migrants, il le sait. Mais c'est loin de lui. Un soir qu'il traîne aux environs de la gare désaffectée, il reconnaît un ancien copain de classe, Gaëtan, qui a quitté l'école. Ils se parlent.

Basile ne sait pas encore quelle nuit extraordinaire et décisive il va vivre car Gaëtan va lui faire rencontrer des migrants qui tentent de passer en Grande-Bretagne. Pire, il va être confronté au monde terrible des passeurs et à leurs méthodes sauvages. En une nuit, Basile va découvrir la réalité de ces étrangers souvent aussi jeunes que lui, qui ont fui leur pays et se trouvent ici également poursuivis. Il va aussi rencontrer des gens solidaires qui leur viennent en aide, dont l'extraordinaire Mamie. Après ces heures dans le noir, la trouille absolue au ventre, à cause de l'environnement inquiétant, des rencontres avec les gendarmes, de l'expédition pour sauver un gaillard enlevé par les passeurs, Basile va aussi pouvoir régler ses problèmes avec ses parents.

Un roman dur qui dépasse la réalité de son sujet par une remarquable imagination. Un formidable roman tissant le fond et la forme dans une écriture unique, fruit d'un travail d'équipe comme on le lira ci-dessous. Un roman qui fait s'interroger chacun sur ce qu'il ferait personnellement s'il était confronté à la même situation.

Deux noms de romanciers en couverture? Comment ont-ils fait? Olivier de Solminihac me répond: "La réponse à la question est assez simple, en fait. J'ai contacté Eric pour lui proposer que l'on écrive un livre ensemble. Nous n'avions pas d'idée précise, pas de scénario, nous nous sommes simplement mis d'accord sur une image de départ (une gare désaffectée) et une silhouette de personnage. Puis nous avons écrit en alternance (moi les chapitres impairs, Eric les chapitres pairs) en prenant le parti de se laisser surprendre chaque fois. Pour le dernier chapitre, nous avons convenu de procéder différemment: nous nous sommes donné rendez-vous sur Messenger. Le principe était que nous avions chacun à tour de rôle cinq minutes pour écrire, un peu comme dans un match d'improvisation au théâtre."  Eric Pessan confirme: "Je lis vos échanges alors que je suis au-dessus de Marseille, le long d'un GR, écrasé de chaleur. Rien à ajouter. Sinon, le grand plaisir de cette écriture à quatre mains."

Merci au photographe David Pauwels qui m'a permis d'utiliser une de ses photos en illustration. Son site se trouve ici.


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)
DTPE 11: "Peut-être pas immortelle" de Frédéric Boyer et "Deuil" de Dominique Fourcade (poésie et récit, P.O.L.)
DTPE 12: "Maria" d'Angélique Villeneuve (roman, Grasset)

mercredi 25 juillet 2018

DTPE 12 Maria, Céline, Marcus et Noun

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.


"Maria". Autour de ce simple prénom, Angélique Villeneuve orchestre un terriblement beau roman (Grasset, 177 pages), entièrement composé de petites touches, grand Prix SGDL de la Fiction 2018. Ecriture impressionniste et terriblement sensible pour raconter celle qui donne son prénom à ce texte splendide et touchant. Une grand-mère folle de son petit-fils de trois ans et dont le bonheur simple vole en éclats à l'occasion de la naissance de son deuxième petit-enfant. De la fine dentelle, comme l'écrivaient les libraires Initiales (lire ici).

Entre Maria et Marcus, c'est le bonheur absolu, l'amour fou, depuis que le bébé est né. Ils s'adorent et adorent parler ensemble des oiseaux, les observer, aller ici ou là, parler, rire. Une grand-mère gâteau, un petit-fils en or. Maria, shampouineuse dans un salon de coiffure, est enfin heureuse après une vie souvent difficile et un présent plan-plan. Elle observe et admet ce qu'elle prend pour des bizarreries de sa fille et son beau-fils plutôt new age. Elle observe et admet la quête d'identité du petit garçon de trois ans, son désir de changer de prénom. Mais elle est estomaquée quand les parents refusent de lui dire si le nouveau bébé est une fille ou un garçon. Il choisira lui-même, plus tard. "C'est un bébé, un beau bébé, vraiment. Il porte le prénom de Noun", lui annonce-t-on. Rien de plus.

Maria vacille. Maria va perdre pied. Quelle est sa place auprès de l'enfant interdit? Cette question et d'autres interrogations font ressortir son passé non réglé, ses chagrins, lui révèlent son présent. Maria va dégringoler en se confrontant à ces questions, puis remonter, grâce à sa tendresse pour Marcus, grâce aux oiseaux qu'ils observent toujours ensemble, grâce aux mots qu'elle parvient enfin à dire. Maria va se retrouver, elle et les siens. Tout en douceur malgré ses sujets cruciaux, ce roman émeut par son histoire terriblement humaine et enchante au plus haut par la finesse de son écriture.

Pour lire un extrait de "Maria", c'est ici.

Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)
DTPE 11: "Peut-être pas immortelle" de Frédéric Boyer et "Deuil" de Dominique Fourcade (poésie et récit, P.O.L.)


dimanche 22 juillet 2018

DPTE 11 Des mots sur des maux

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.


Anne Dufourmantelle.

Il y a eu un an hier que, le 21 juillet 2017, disparaissait soudainement la philosophe, psychanalyste et romancière française Anne Dufourmantelle. Elle tentait de sauver des enfants qui allaient se noyer dans la mer devant Ramatuelle et son cœur la lâcha. Ce fut un fameux coup de froid dans le monde de la littérature et de la pensée, un souffle de blizzard dans l'été. Quelques mois plus tard, le 4 janvier 2018, le monde apprenait la mort, dans un accident de voiture en Guadeloupe survenu deux jours plus tôt, de l'éditeur Paul Otchakovsky-Laurens. Là encore, ce fut une immense douleur et une terrible émotion. Deux décès par surprise qui ont plongé dans l'effarement, dans le saisissement.

Que dire? Que lire? Quand les maux sont trop forts, il reste les mots. Par exemple, ceux des deux livres qui sont sortis cette année et célèbrent ces morts.

Le premier de ces livres est "Peut-être pas immortelle" (P.O.L., 87 pages) où Frédéric Boyer, le compagnon d'Anne Dufourmantelle, nous partage "trois textes intimes rédigés comme des notes personnelles dans la noirceur de la perte et de la séparation, les jours et les semaines qui ont suivi la mort d'Anne. Trois textes précipités face à une chose monstrueuse". Trois textes, trois poèmes, ceux d'un homme qui aimait profondément sa compagne, qui l'"aimait" tout court.

Le premier qui est aussi le titre du livre est construit autour de la lettre A, initiale du prénom Anne, comme pour la retenir, qu'elle ne s'efface pas. Ce texte de douleur et d'incompréhension est suivi de "La lettre", lettre à celle qui a disparu, évocation de souvenirs et revue de questions. Le troisième, "Les Vies", élargit le propos en insérant celle qui n'est plus dans les survivants qui la rappellent. Des mots qui cherchent la lumière pour avancer dans la nuit noire du deuil. Des mots qui saisiront tous ceux qui sont en deuil.

A ce moment, Frédéric Boyer ignorait qu'il sera l'année suivante le nouveau directeur des éditions P.O.L. Curieux arrangements du destin.

Pour lire en ligne le début de "Peut-être pas immortelle", c'est ici.


Toujours à propos d'Anne Dufourmantelle, on peut annoncer le livre à paraître le 6 septembre, le récit que lui consacre Jean-Philippe Domecq dans "L'amie, la mort, le fils" (Thierry Marchaisse, 128 pages).

L'éditeur le présente ainsi:
"Anne Dufourmantelle a péri le 21 juillet 2017 pour sauver des enfants de la noyade en Méditerranée, dont le propre fils de l'auteur.
Elle était psychanalyste, philosophe, romancière, auteure d'une œuvre reconnue de par le monde. Sa notoriété culturelle ne suffit pourtant pas à expliquer l'émotion considérable qui s'est répandue à l'annonce de sa mort, en France et au-delà, jusqu'auprès de gens qui ne l'avaient jamais lue ni entendue.​
Ce récit de chagrin livre le portrait d'une femme exceptionnelle, en même temps qu'il médite sur les rapports père-fils, l'origine du sacré et l'aura d'un être qui avait "la passion de l’amitié"."
"Ses traits s'étiraient dès qu'elle voyait autrui heureux. Il n'y a pas beaucoup de gens qui nous donneraient envie d'être heureux rien que pour les rendre heureux."

Paul Otchakovsky-Laurens par François Matton. (c) P.O.L.

Le second livre est le mince livre de Dominique Fourcade (P.O.L., 62 pages), simplement titré "Deuil", dénué de quatrième de couverture, et dédié "à tous ceux qui ont connu Paul Otchakovsky-Laurens et en gardent à jamais le souvenir."
Le texte reprend les émotions de l'auteur durant les trois mois qui ont suivi l'annonce par téléphone du décès de son éditeur: "Dominique, j'ai une très mauvaise nouvelle à vous annoncer. Paul est mort", lui glisse  le 3 janvier Jean-Paul Hirsch, au boulot la "moitié" de Paul Otchakovsky-Laurens, bien plus que l'appellation officielle d'attaché de presse qu'il endosse.

Dans ce livre, Dominique Fourcade consigne les premières heures d'un deuil dévastant, puis s'interroge sur quel nouvel homme cette mort inimaginable a fait de lui.

D'autres textes et témoignages d'auteurs P.O.L. à propos de la mort de Paul Otchakovsky-Laurens peuvent être lus en ligne sur le site de la maison d'édition, dans la rubrique "Atelier". Le dernier billet publié est celui d'Emmanuelle Pagano (lire ici). Il suffit ensuite de cliquer sur "billet précédent" pour découvrir vingt textes pleins de larmes et d'émotions.



Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)
DTPE 10: "Terres promises" de Milena Agus (roman, Liana Levi)




mercredi 18 juillet 2018

DTPE 10 Quand la terre promise est multiple

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Cagliari.


Quel est l'enchantement de l'écriture de Milena Agus, et de la qualité de sa traductrice Marianne Faurobert, pour qu'on soit happé par son texte dès le deuxième paragraphe lu et qu'on ne puisse plus le lâcher? C'est à nouveau le cas avec le dernier roman en date de l'écrivaine sarde, l'excellentissime "Terres promises" ("Terre promesse", traduit de l'italien par Marianne Faurobert, Editions Liana Levi, 176 pages), une succession de voyages, géographiques et intérieurs, afin de trouver la paix de l'âme.

Une fois de plus chez Milena Agus, on découvre l'histoire des différents protagonistes comme de l'intérieur, avec tous les détails nécessaires pour imaginer leur décor et suivre de près les héros. On est avec Ester quand Raffaele rentre dans leur village de Sardaigne après avoir fait la guerre à Gênes. Que va-t-il se passer entre les deux fiancés? Lui qui ne songe qu'à retourner sur le Continent, ce Continent qui la fait aussi rêver, elle. Quand ils arrivent à Milan, jeunes mariés, la réalité les rattrape. Ester a le mal du pays, Raffaele, lui, porte toujours la guerre en lui et son ami noir américain qui lui a fait connaître le jazz.

On est encore avec Ester quand naît sa fille Felicita, qui porte aussi superbement son prénom qu'elle a une personnalité affirmée. Les années vont passer cahin-caha, avec leur lot de joies et de déconvenues quand sera prise la décision de revenir en Sardaigne. Un autre rêve qui se heurte lui aussi à la réalité. La famille est très présente, tout le monde ne s'entend pas bien. Ester s'enfonce dans la dépression, Raffaele tisse une très belle relation avec sa fille. Felicita s'accommode aisément de ce déménagement. Elle a toujours son cœur qui bat pour Sisternes, le jeune voisin noble. Mieux, elle s'adapte aux humeurs locales et s'initie avec la même conviction au communisme et au sexe.

Des amours de Felicita et Pietro Maria naîtra Gregorio, dans les conditions choisies par son honnête maman. Encore une nouvelle vie pour elle, qui lui fera rencontrer, à Cagliari cette fois, Marianna, sa logeuse qui est bien autre chose que la femme revêche dont elle se donne l'apparence. En grandissant, Gregorio trouvera sa voie dans la musique et entraînera les siens à sa suite dans encore une autre terre promise, établissant des ponts entre les différentes générations.

C'est une saga familiale prenante, tendre et extrêmement réussie que nous offre Milena Agus dans "Terres promises", dont on notera bien la formulation au pluriel. Ses personnages sont magnifiques dans la liberté que leur accorde l'écrivaine, dans leurs vies imparfaites, dans leur quête de bonheur. Entre eux tous, cette splendide Felicita sans aucun préjugé que chacun voudrait avoir près de soi. Une femme qui a choisi de vivre et d'aimer dans la joie et la bienveillance et rend ces qualités contagieuses. Une splendeur que ce roman.

Pour lire le début de "Terres promises", c'est ici.
Pour en savoir plus sur Milena Agus, c'est ici.

Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)
DTPE 9: "N'essuie jamais de larmes sans gants" de Jonas Gardell (roman, Gaïa)




mardi 17 juillet 2018

DTPE 9 Rasmus, Benjamin et l'élan blanc

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Jonas Gardell.


2018.
2016.
Derrière ce titre intrigant, "N'essuie jamais de larmes sans gants" de l'écrivain star en Suède Jonas Gardell ("Torka aldrig tårar utan handskar", traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud et Lena Grumbach, Gaïa, 592 pages, 2016, Gaïa Kayak, 848 pages, 2018), dont l'explication est fournie dès les premières pages, se cache un roman exceptionnel qui vient de paraître en format semi-poche. Prodigieux par son format, son sujet, sa force, son atmosphère, sa manière et son style.

C'est une brique magnifique et puissante qu'on ne lâche pas une minute mais qui nécessite un long temps de lecture tant elle est dense et bouleversante. On ne saurait résumer le roman en disant que c'est l'histoire de Rasmus et Benjamin, l'un fils unique, l'autre témoin de Jéhovah, qui savent très tôt qu'ils ne sont pas comme les autres garçons. Mais nous sommes à la fin des années 70 et l'homosexualité n'est pas appréciée dans les campagnes de Suède et carrément interdite chez les Témoins. Ils feront tous les deux, comme plein d'autres jeunes hommes gays, le choix de quitter leur milieu et leur famille et de déménager à Stockholm pour pouvoir être eux-mêmes. Rasmus et Benjamin finiront par se rencontrer et connaître un très grand amour.  "Je veux dans ma vie pouvoir aimer quelqu'un qui m'aime"  est leur souhait. A ce moment, on est au début des années 80 et une maladie inconnue, une épidémie mortelle, ravage les homos. On ne sait pas encore que c'est le sida, on ignore comment s'en prémunir et comment la soigner et les réactions sont terrifiantes.

"N'essuie pas de larmes sans gants" est bien plus qu'un roman sur le sida et l'homosexualité en Suède il y a quarante ans. C'est une écriture souvent syncopée qui va et vient entre les époques et les personnages et nous hypnotise - chapeau aux traducteurs pour leur excellent travail - tout en ménageant une grande place à des dialogues remarquables ou à une poésie opportune. Ce sont des phrases qui saisissent au plus près de leur corps et de leur âme tous ceux et toutes celles qu'on va croiser. Ce sont des moments d'émotion par exemple quand on suit les garçons petits, avec cet élan aussi blanc que rare qui intervient régulièrement dans l'histoire jusqu'aux terribles dernières pages. De rage quand on voit le sort réservé à ceux qui sont atteints de LA maladie, d'admiration pour le rare personnel médical qui les accompagne. D'incompréhension devant cette société fermée qui n'accepte pas les évidences, et pas seulement chez les témoins de Jéhovah. On oublie vite ce qui a précédé.

Partagé en trois parties, "L'amour", "La maladie" et "La mort", le livre nous fait connaître de l'intérieur une foule d'homosexuels extrêmement attachants, dont un groupe qu'on suit de près, chacun passant à son tour à un moment du roman sous les feux du projecteur de l'auteur. Ils sont comme ils sont, mais jamais caricaturés. On les voit s'aimer, se perdre, se trahir, avoir peur, être en rage et aussi lutter pour leurs droits, et se défendre les uns les autres. Souvent avec humour, parfois avec sarcasme.

Jonas Gardell signe un livre de désespoir, de mémoire et d'amour, une tragédie où il glisse sans cesse du romanesque aux éléments sociologiques, politiques ou médicaux. Il nous emmène dans une lecture prodigieuse, dont on sort bouleversé et qu'on quitte à regret tant il a été bon d'être en compagnie de Rasmus, Benjamin, Paul, Lars-Ake, Reine, Bengt, Seppo, ces gays qui ont changé l'Histoire, l'ont payé cher et à qui il offre un extraordinaire tombeau.

Pour lire le début de "N'essuie jamais de larmes sans gants", c'est ici.


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)
DTPE 8: "Christian Bérard clochard magnifique" de Jean Pierre Pastori (biographie, Séguier)

lundi 16 juillet 2018

DTPE 8 Un "Bébé" extravagant et irrésistible

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.

Christian Bérard en 1947, au Théâtre de l'Athénée, avec son bichon.

A tous ceux que le mot "biographie" paralyse, je ne saurais trop conseiller celle que Jean Pierre Pastori consacre à une figure parisienne de la première moitié du siècle dernier. "Christian Bérard clochard magnifique" (Séguier, 232 pages) est un livre épatant qui raconte à la fois un homme aux mille facettes et l'époque dans laquelle il a pris place. Et quelle place. Ses joues l'avaient fait surnommer "Bébé" ou même "Bébé Cadum", en référence à une publicité de l'époque.

Biographe comme on les aime, traitant son sujet de l'intérieur, Jean Pierre Pastori a l'excellente l'idée de commencer son texte par les funérailles de Christian Bérard, le 16 février 1949 à Paris - quatre jours auparavant, l'homme de 46 ans s'est effondré au théâtre Marigny, en plein travail. En effet, l'assistance présente à Saint-Sulpice pour ce dernier hommage est une parfaite représentation de l'existence de cet homme extraordinaire. Personnalité du Tout-Paris bien entendu mais aussi artiste multiforme, peintre, illustrateur, dessinateur de mode, décorateur et costumier de théâtre, scénographe. "On aurait cru à des funérailles nationales. La littérature, la peinture, le théâtre étaient là, et la rue...", témoigne l'écrivain américain de langue française Julien Green.

Son décor ainsi planté, il ne reste plus à Pastori qu'à faire naviguer sa plume alerte entre tous ces mondes, toutes ces périodes qui ont vu passer Christian Bérard, sa barbe fleurie (parfois pour de vrai), son amant le librettiste Boris Kochno, son petit chien blanc, ses innombrables amis. On rencontre à sa suite tous les grands noms des arts de l'époque, de Christian Dior à Elsa Schiaparelli en passant par Jean Cocteau, Louis Jouvet, Jean-Louis Barrault... C'est un feu d'artifices de mots qui nous est présenté, entre éléments biographiques, dialogues, scènes d'époque, anecdotes et réflexions. Quel talent pour marier tout cela de manière aussi légère et attrayante!

Enfant malheureux privé très tôt de sa mère et mal aimé par son père, Christian Bérard avait une personnalité fantasque et généreuse. Sa curiosité lui a fait rencontrer mille personnes intéressantes, ses dons l'ont fait apprécier dans tous les milieux culturels qu'il a fréquentés, sa lucidité lui a permis de douter, son extravagance l'a fait aimer tout comme sa chaleur humaine. Extrêmement documentée, la biographie qui lui est consacrée raconte avec verve quel créateur il a été dans l'attachant Paris de l'époque.

Sévère, l'acrostiche rédigé par Christian Bérard. (c) Séguier.


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)
DTPE 7: "Poisson dans l'eau" d'Albane Gellé et Séverine Bérard (jeunesse) et "Trente cette mère - maintenant" de Marcella et Pépée (poésie, Editions Les Carnets du Dessert de Lune)





samedi 14 juillet 2018

DTPE 7 Dire une petite fille, dire une mère

De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans, des récits, des essais et des BD. L'été, le temps de relire ou de se rattraper aussi.


En ce jour de Fête nationale française, deux livres illustrés, un pour les enfants, un pour les adultes, dont les deux duos d'auteures résident dans l'hexagone.

Il y a fort à parier que la Marguerite que nous présentent Albane Gellé (texte) et Séverine Bérard (illustrations) dans le très agréable petit format "Poisson dans l'eau" (Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 48 pages) ne regardera pas la finale de foot demain. Toujours en rouge et blanc, Marguerite n'en fait qu'à sa tête, dans le bon sens du terme. Elle a ses manies et ses habitudes qui nous sont joyeusement contées et qui la rendent terriblement sympathique.

Choisir les bonnes chaussettes le matin.
(c) Les Carnets du Dessert de Lune.
On suit cette boule d'énergie durant toute une journée, le matin, à l'école, à la cantine, l'après-midi, à la sortie de classe, sur le chemin du retour, à la maison, au dîner, au coucher et quand elle s'endort. Marguerite est dynamique, originale, interrogative, observatrice. Elle râle parfois, sait ce qu'elle veut et surtout, elle ressemble terriblement à un enfant, plein d'amour pour sa mère. Le texte attachant est accompagné de jolies illustrations montrant combien Marguerite est bien dans sa vie. Pour tous à partir de 6 ans.

Albane Gellé vit de ses deux passions, l'écriture et le cheval. Elle a déjà publié une vingtaine de livres, notamment aux éditions Le Dé bleu, Jacques Brémond, Cheyne, La Dragonne, Esperluète, L'Atelier contemporain... Architecte, Séverine Bérard est depuis une dizaine d'années médium-magnétiseur. L'illustration de "Poisson dans l'eau" signe son retour à la création artistique, pour un meilleur équilibre avec le monde invisible.

Pour lire un extrait de "Poisson dans l'eau", c'est ici.
Pour en entendre un extrait, lu par l'éditeur, c'est ici.




L'autre livre, de poésie lui, est en quelque sorte un écho à "Trente cette mère avant" (Editions des Carnets du Dessert de Lune, 2009) où Marcella proposait trente textes courts sur une nouvelle maternité. Cette fois, pour "Trente cette mère - maintenant" (Editions des Carnets du Dessert de Lune), les textes de Marcella sont accompagnés des illustrations de Pépée. Ils racontent la mère maintenant, avec deux filles qui ont dix-huit ans d'écart.

(c) Les Carnets du Dessert de Lune.
"Cette mère..." dit le texte en trente petites touches, parfois en partie colorées, permettant à chaque lecteur de se retrouver dans ce kaléidoscope maternel, jouant parfois joyeusement sur les mots, ouvrant grand le champ de l'imaginaire au départ de considérations terre à terre, célébrant toutes les mères dans leur humanité. Un portrait poétique qui résonne doucement. Les phrases sont accompagnées de neuf idéogrammes chinois, autant de symboles de la maternité dont les sens nous sont partagés.

Marcella est écrivaine et sophrologue. Elle écrit le corps toujours en mouvement. Des poèmes, des slogans, des livres pour les enfants et pour les non-enfants. Pépée se partage entre ses activités d'illustratrice, de shiatsu-shi et de yogini, tout en les reliant dans son parcours artistique.

Pour lire un extrait de "Trente cette mère - maintenant", c'est ici


Sans oublier
DTPE 1: "Moria" de Marie Doutrepont (récit, 180° éditions)
DTPE 2: "The t'Serstevens collection" (photos, Husson éditeur/IRPA)
DTPE 3: "La maison à droite de celle de ma grand-mère" de Michaël Uras (roman, Préludes)
DTPE 4: "Le passé définitif" de Jean-Daniel Verhaeghe (roman, Serge Safran éditeur)
DTPE 5: "Ecrire en marchant" de Chantal Deltenre (récit, maelström reEvolution)
DTPE 6: "Encyclopædia Inutilis" de Hervé Le Tellier (nouvelles, Le Castor Astral)