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lundi 24 avril 2023

"Portées-portraits" ce lundi avec Antoine Wauters

Antoine Wauters (c) Loraine Wauters.


Il a une gueule d'ange, mais un regard doux et un sourire craquant qui le ramènent à l'état humain. Antoine Wauters est sans doute le romancier belge le plus original, le plus intranquille, le plus exaltant de la nouvelle génération littéraire. Le plus vivifiant pour le lecteur qui recueille dans ses phrases puissance, émerveillement et satisfaction. On s'en rendra compte encore une fois lors de la lecture-spectacle musicale qui lui sera consacrée, ce lundi soir à la Maison Autrique. Le cycle Portées-Portraits de la compagnie Albertine proposera la mise en voix et en musique d'extraits de son magnifique roman, "Mahmoud ou la montée des eaux" (Verdier, août 2021, 144 pages; Folio, février 2023, 176 pages). Un récit poétique qui a figuré dans nombre de sélections des prix littéraires 2021, a empoché plusieurs prix en France, dont le Marguerite Duras et le Wepler (lire ici) et, plus récemment, le prix du Livre Inter (lire ici).

Vous n'avez rien de prévu ce soir? Foncez!

"Il s'efforçait de rire.
Et eux aussi riaient, ne se doutant pas un seul instant du gouffre que cache parfois le rire d'un père."

"Mahmoud ou la montée des eaux", inspiré par le réalisateur Omar Amiralay et le poète Faraj Bayrakdar, est un hommage aux Syriens, pour qu'à jamais vivent leur culture et leur lumière.
Nous sommes en Syrie. Un vieil homme rame à bord d'une barque, seul au milieu d'une immense étendue d'eau. En dessous de lui, sa maison d'enfance, engloutie par le lac artificiel el-Assad en 1973.
Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d'un masque et d'un tuba, il plonge. C'est sa vie entière qu'il revoit, ses enfants au temps où ils n'étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.


Né à Liège en 1981, Antoine Wauters se partage entre plusieurs registres, la poésie, le roman, le scénario de cinéma, l'édition avec notamment la collection "If" de l'Arbre à paroles. Agréable nouvelle, il aura un nouveau livre à la prochaine rentrée littéraire, "Le plus court chemin" (Verdier).

Après quelques livres de poésie, son premier roman, "Nos mères" (Verdier), prix Prem1ère de la RTBF 2014 quelques semaines seulement après sa publication (lire ici), le fait découvrir avant de devenir le lauréat du prix Révélation de la SGDL. En 2015, Antoine Wauters cosigne le film "Préjudice", long métrage d'Antoine Cuypers. Trois ans plus tard, il marque la rentrée littéraire en publiant deux livres d'un coup, "Pense aux pierres sous tes pas" et "Moi, Marthe et les autres", toujours chez Verdier. Son quatrième roman, "Mahmoud ou la montée des eaux", paraît en 2021 et renforce son statut d'écrivain attendu et louangé. Il est sorti en février en format de poche. 

Pour mieux connaître Antoine Wauters, voici le texte sur ses débuts en littérature qu'il a écrit le mois dernier à la demande de Passa Porta à l'occasion du Passa Porta Festival: "Nos débuts".


La soirée "Portées-Portraits" débutera par une rencontre avec Antoine Wauters à 19 heures, l'occasion d'un partage avec le public sur son travail.
La lecture-spectacle musicale débutera à 20h15. Le texte sera mis en voix par Daphnée D'heur, lu par Itsik Elbaz et accompagné à la batterie par Antoine Pierre.
Un verre est offert par la Compagnie Albertine à la fin de la lecture, donnant l'occasion de trinquer ensemble et de se faire dédicacer un livre parl'écrivain.

Pratique
Où? Maison Autrique, chaussée de Haecht, 266 à 1030 Bruxelles.
Quand? Le lundi 24 avril.
A quelle heure? La lecture-spectacle commence à 20h15. Elle est précédée d'une rencontre avec l'auteur à 19 heures.
Durée? 1 heure.
Combien? 8 euros (possibilité de visiter toute la maison et un verre offert), 5 euros pour les étudiants, gratuit pour le "jeune" de moins de 26 ans qui accompagne un adulte.
Renseignements ici.
Réservation indispensable par mail à reservations.compagniealbertine@gmail.com












mardi 11 avril 2023

La fête de la librairie ce samedi 15 avril



On le sait, la date officielle de la fête de la librairie et du droit d'auteur, la Sant Jordi, est le 23 avril. Elle aura lieu un peu plus tôt cette année, le samedi 15 avril, en raison des dates des congés scolaires en France.

Plus de cinq cents librairies indépendantes francophones de France, de Belgique (depuis 2011), du Luxembourg et de Suisse participent à l'événement porté pour la 25e fois par Marie-Rose Guarniéri (association française Verbes et libraire parisienne des Abbesses). Une aubaine pour les Belges que cette date, le 15 avril tombant entre les congés des écoles flamandes et des écoles francophones.

Partout en Belgique francophone sera célébrée la fête de la librairie indépendante par les libraires indépendants. Les clients du jour se verront offrir une fleur et un livre, "Plumes", de grand format, magnifique, au titre en relief, énigmatique sous sa couverture rose. Rose comme la fleur qui était offerte au début de l'opération "Un livre, une rose".

Une fête intranquille cette année en Belgique


Si le prix unique du livre existe enfin en Belgique depuis 2021 (lire ici), de nouveaux nuages plombent le ciel des libraires belges. Ces derniers ont en effet appris le mois dernier, par la presse, que le gouvernement fédéral envisageait de faire passer la TVA sur le livre de 6 à 9 % ! Pour s'aligner sur le taux de TVA des Pays-Bas, alors que plus de 70 % des ventes sont des livres édités en France dont la TVA est à 5,5 %, créant déjà une perte pour les libraires qui appliquent le prix imprimé en quatrième de couverture.

Dire qu'il fut un temps pas si lointain où le livre était considéré comme un bien essentiel dans notre royaume. C'était pendant l'épidémie de Covid. On se rappellera que durant le confinement, les librairies belges avaient rouvert en même temps que les magasins de bricolage, car ils étaient "les bricos de la culture et du cerveau" selon le gouvernement de l'époque… Ce changement de taux de TVA serait désastreux pour les librairies indépendantes qui peinent déjà à garder la tête hors de l'eau. Si plusieurs officines se sont ouvertes récemment, d'autres ont fermé.

Fédérant une dizaine de groupes en lien avec le livre, l'association des éditeurs belges (ADEB) a lancé une pétition dénonçant cette hausse de la TVA et compte l'envoyer au Parlement fédéral et au ministre Van Peteghem. L'ADEB y explique que le livre est un produit culturel à protéger et qu'il est nécessaire de défendre nos librairies, lieu d'expression démocratique. Elle rappelle que le livre est un bien de première importance pour l'éducation des jeunes et l'émancipation de chacun. Qu'il peut donc prétendre, sans rougir, à une TVA réduite comme les médicaments, les fruits et les légumes. Voire un taux de 0% comme l'autorise la directive européenne sur la TVA.

La pétition qui frise actuellement les 4.000 signatures se trouve ici.

Il faut sauver la librairie belge francophone indépendante.


Déjà la 25e édition


"Plumes"
(56 pages non reliées), le livre offert en cette année de 25e édition de la fête de la librairie indépendante, est tiré à 25.000 exemplaires seulement. L'équipe a invité 25 écrivains à prendre la plume pour dépeindre un oiseau dans l'espace d'une double page avec, en miroir de leur texte, une planche en couleurs de l'artiste contemporain Michaël Cailloux représentant le volatile dans son habitat. On appréciera la discrète harmonie entre les couleurs du dessin et les lettres présentant l'auteur et le titre des textes. Le résultat est aussi spectaculaire que réussi! L'ouvrage est complété d'une petite anthologie poétique thématique composée par Mireille Macé, "Des oiseaux et des poètes", sans le texte célébrissime de Jacques Prévert, "Pour faire le portrait d'un oiseau".

Il est très amusant de découvrir quel portrait d'oiseau ont fait les 25 plumes choisies pour "Plumes". De tous les âges, elles apparaissent selon l'ordre alphabétique - l'incipit de la dernière parution en librairie de chacune termine l'ouvrage.

  • Stéphane Audeguy
  • Joël Baqué
  • Bertrand Belin
  • Éric Chevillard
  • Patrick Deville
  • Diaty Diallo
  • Yannick Haenel
  • Claudie Huntziger
  • Régis Jauffret
  • Simon Johannin
  • Alexandre Labruffe
  • Marie-Hélène Lafon
  • David Lopez
  • Marielle Macé
  • Clémentine Mélois
  • Laurence Nobécourt
  • Lucie Rico
  • Jean Rolin
  • Jacques Roubaud
  • Tiphaine Samoyaud
  • Pierre Senges
  • Anne Serre
  • Fanny Taillandier
  • Laura Vazquez
  • Emmanuel Venet

Je vous donne aussi les noms des 25 oiseaux portraitisés, par ordre alphabétique également. A vous de tenter les correspondances plumes-plumes. Certaines vont de soi.
Réponses le 15 avril en allant visiter une librairie indépendante.

  • Amazone poudrée
  • Canard
  • Canari
  • Chouette
  • Coq
  • "Plumes". (c) Association Verbes.
    Corbeau
  • Cormoran
  • Corneille
  • Engoulevent
  • Fou de Bassan
  • Hoatzin huppé
  • Inséparables
  • Merle
  • Mésange charbonnière
  • Oie
  • Oiseau de paradis
  • Oiseau imaginaire
  • Perroquet (2)
  • Pic épeiche
  • Pigeon
  • Poule d'eau
  • Rouge-gorge
  • Tarier des prés
  • Tourterelle

"Plumes". (c) Association Verbes.
Que de belles surprises dans cette volière littéraire qu'est "Plumes"! Ces portraits d'oiseaux, des plus petits aux plus grands, sont aussi des autoportraits en creux d'écrivains, des vagabondages linguistiques, poétiques ou factuels, des réflexions sur le fauchage des prairies ou la disparition des espèces, des confessions, des réhabilitations, des expériences, quand ils ne ravivent pas des souvenirs de vacances ou de confinement - en France, il fut franchement plus sévère qu'en Belgique.





Les librairies belges associées à l'événement
classées selon le code postal

Pas mal de changements par rapport à l'an dernier (lire ici): six librairies n'apparaissent plus dans la liste, ce qui ne veut pas dire qu'elles n'existent plus - à part La Parenthèse à Liège -, et neuf y font leur apparition. Joie! Au total, on frise la cinquantaine de librairies participantes.
  • Tropismes Galerie des Princes, 11 1000 Bruxelles
  • Les Météores Rue Blaes, 207 1000 Bruxelles
  • Tulitu Rue de Flandre, 55 1000 Bruxelles
  • Candide Place Brugmann, 1-2 1050 Bruxelles 
  • Les yeux gourmands Avenue Jean Volders, 64A 1060 Bruxelles 
  • Poëtini librairie Rue de Roumanie, 28 1060 Bruxelles
  • Librairie Herbes folles Rue St Guidon, 30 1070 Anderlecht
  • Librairie Jaune Rue Léopold 1er, 499 1090 Bruxelles
  • U.O.P.C.  Av. Gustave Demey, 14-16 1160 Bruxelles 
  • La Licorne Chaussée d'Alsemberg, 715 1180 Bruxelles 
  • A Livre Ouvert-Le Rat conteur Rue St Lambert, 116 1200 Bruxelles 
  • Librairie Claudine Courte rue des Fontaines, 74 1300 Wavre
  • La Mazerine Square Marie Pouli, 1A 1310 La Hulpe
  • Twist Rue des Fusillés, 2 1340 Ottignies
  • La DUC Ciaco Grand-Rue 2-14 1348 Louvain-la-Neuve
  • Au P'tit Prince Rue de Soignies, 12 1400 Nivelles 
  • Graffiti Chaussée de Bruxelles, 129 1410 Waterloo
  • Le Baobab Rue des Alliés, 3 1420 Braine-l'Alleud
  • Livre aux Trésors Place Xavier Neujean, 27A 4000 Liège
  • Pax Place Cockerill, 4 4000 Liège
  • L'Escale librairie Rue du Laveu, 30 4000 Liège
  • Siloë Rue des Prémontrés, 40 4000 Liège 
  • Le Long Courrier Avenue Laboulle, 55 4130 Tilff
  • L'Ours à lunettes Grand Place, 9 4500 Huy
  • Marque Tapage Rue de José, 68 4651 Battice
  • Les Augustins Pont du Chêne, 1 4800 Verviers
  • La Traversée Rue de l'Harmonie, 9 4800 Verviers
  • Cunibert-Daumen Chemin-rue, 49 4960 Malmedy
  • Papyrus Rue Bas de la Place, 16 5000 Namur
  • Point-Virgule Rue Lelièvre, 1 5000 Namur
  • Antigone Place de l'Orneau, 17 5030 Gembloux
  • Graines de vie Rue de Charleroi, 17 5140 Sombreffe
  • DLivre Rue Grande, 67A 5500 Dinant
  • Libre à toi Avenue de Forest, 30 5580 Rochefort
  • La Petite librairie Rue du Naimeux, 39 4802 Heusy
  • Molière Bld Tirou, 68 6000 Charleroi
  • Croisy Rue du Sablon, 131 6600 Bastogne
  • La Dédicace Place Nestor Outer, 11 6760 Virton
  • Le Temps de lire Rue du Serpont, 13 6800 Libramont
  • Oxygène Rue St Roch, 26 6840 Neufchâteau
  • Livre'S Avenue de France, 9 6900 Marche 
  • Florilège Rue du Grand Jour, 16 7000 Mons
  • Leto Rue d'Havré, 35 7000 Mons
  • Ecrivain Public Rue de Brouckère, 45 7100 La Louvière
  • Librairie de la Reine Grand Place, 9 7130 Binche
  • Quartier Latin Rue Grande, 13 7330  Saint-Ghislain
  • Chantelivre Quai Notre-Dame, 10 7500 Tournai
  • La Procure Rue des Maux, 22 7500 Tournai






jeudi 6 avril 2023

Cinq moments de la Foire du livre de Bruxelles

Louis Joos.


Record d'affluence pour la 53e Foire du livre de Bruxelles qui s'est tenue à Tour & Taxis du 30 mars au 2 avril. Les organisateurs annoncent qu'elle a généré 80.000 tickets. S'ils n'ont peut-être pas tous donné lieu à une visite, il y a eu un monde inouï dans les allées tout au long du week-end. Et partout, une fois que la signalétique avait été améliorée, indiquant en grand que la visite se poursuivait dans un autre bâtiment, celui de la Gare Maritime. Comme chaque fois, il y a eu les auteurs qui généraient des files incroyables de chasseurs d'autographes, Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Grégoire Delacourt pour ne citer qu'eux, et il y a eu ceux qui ont attendu le client/le lecteur. Comme chaque fois, il y a eu les maisons d'édition et les librairies qui ont super bien vendu, et il y a eu les maisons d'édition et les librairies qui ont dû remballer leur stock. Comme chaque fois, il y a eu les rencontres qui faisaient salle comble et il y a eu celles où les sièges sont restés vides. C'est la loi d'une Foire du livre à Bruxelles, le côté positif 2023 étant l'enthousiasme des visiteurs qui y sont revenus en masse.


Louis Joos à l'honneur

Parmi les rencontres peu suivies, celle organisée dimanche après-midi autour de Louis Joos. Notre merveilleux illustrateur était accompagné de Rascal, son vieux complice, et de son ami auteur-illustrateur Pascal Lemaître. La conversation précédait la remise, des mains de Nadine Vanwelkenhuyzen, directrice générale adjointe au Service général des Lettres et du Livre, du Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour sa contribution au rayonnement de la littérature jeunesse en Belgique francophone.  Un maigre public d'une petite vingtaine de personnes, membres du jury l'ayant couronné, membres d'une fondation privée, personnes de sa maison d'édition ou famille du lauréat. Quel dommage!

Quoi qu'il en soit, ces lauriers sont une excellente nouvelle et une juste consécration, couronnant un immense artiste en littérature, jeunesse, BD et jazz, et en peinture (lire ici). Autre motif de réjouissance, la sortie en septembre d'un nouvel album jeunesse illustré par Louis Joos sur un texte de Rascal, "Buffalo Kid" (l'école des loisirs, Pastel). Cette histoire de bisons en Amérique arrivera plus de dix ans après la précédente, "Mère magie" (texte de Carl Norac, même éditeur). Un projet dont Louis Joos m'avait déjà parlé fin 2017 (lire ici en pages 32 à 37). Un album qui s'est créé comme les précédents du duo Rascal-Louis Joos: le premier compose une ébauche de texte, le second dessine et fait quelques suggestions, le premier écrit le texte définitif sur base des dessins réalisés.

Editeur jeunesse écoresponsable

Maison d'édition jeunesse créée à Nantes en 2019, La cabane bleue publie des livres illustrés pour sensibiliser les enfants à la protection de la planète dans une démarche 100 % écoresponsable. C'est-à-dire, quatre titres par an maximum, bien conçus et accompagnés, tous sur le même format pour optimiser l'impression réalisée en France, sans couverture à pelliculage plastique, avec des droits d'auteur supérieurs à la moyenne, distribués en Belgique par Makassar.

Les titres des différentes collections montrent bien combien chaque album apparaît original dans l'océan de livres jeunesse publiés sur tout et n'importe quoi. La collection "Mon humain et moi" présente des personnes célèbres par le biais de leur animal. "Les herbes folles" évoquent la nature et l'écologie autrement. "Suis du doigt" invite l'enfant à déterminer son parcours dans les pages qui lui présentent une espèce menacée. "Les histoires" réunissent des fictions sur les questions écologiques. Catalogue complet ici.

Aglaé, par Giulia Vetri. (c) La cabane bleue.

Revenons sur l'album documentaire "Charles et moi" d'Emmanuelle Grundmann aux textes et Giulia Vetri aux illustrations (La cabane bleue, 2019, 28 pages). Bien sûr, il y sera de la découverte de la théorie de l'évolution par Charles Darwin. Mais toute l'originalité de l'album tient dans le fait que la narratrice en est Aglaé, le poulpe que le naturaliste a capturé en 1832 près des îles du Cap-Vert et installé dans un bocal posé sur son bureau à bord du Beagle. Aglaé nous raconte l'homme en face d'elle, ses recherches, ses découvertes et l'évolution de leur relation. Un point de vue original et percutant porté par de somptueuses illustrations. Dès 8 ans.


Poésie jeunesse voyageuse

Quelle belle rencontre que les mots de la Belge Béatrice Libert et les dessins de Kotimi, une Japonaise vivant depuis longtemps à Paris (lire ici). Leur recueil de poèmes, "Voyages à perdre haleine" (Motus, 64 pages) est une puissante invitation à bouger. Qu'on soit une valise, un voyageur, un chapeau, un vaisseau spatial, un éléphant ou un escargot... C'est que chez la poétesse à la belle imagination, à la toute aussi grande tendresse et à l'humour très présent, tout peut voyager. Les humains comme les animaux ou les objets. Cela donne lieu à de formidables petits textes, souvent fantaisistes, où la première phrase ne permet en général pas de deviner la dernière. Ce merveilleux pouvoir de la poésie de tout déménager est transcendé par les illustrations de Kotimi qui a réinterprété chaque poème pour le porter encore plus loin. Combien de kilomètres parcourt-on dans cet excellent recueil? La question ne demande pas de réponse car le plus important est l'envie de remuer, de bouger, de voyager, que distillent irrésistiblement toutes ces doubles pages. Pour tous dès 6 ans.

In "Voyages à perdre haleine". (c) Motus.


Multiples familles animales

On ne cesse de parler de la multiplicité des familles chez les humains. Qu'en est-il chez les animaux, s'est demandé Karine Granier-Deferre dans son premier album documentaire junior, "Naître animal", fort bien illustré par Marie Caudry (Casterman, 48 pages). En vingt-six histoires, elle démontre que chez les animaux, la famille est tout aussi diversifiée que chez les humains, lesquels apparaissent en dernière double page. Il y a ceux qui inversent les rôles traditionnels comme la hyène. Il y a des mères célibataires, chez l'orang-outan par exemple. Il y a ceux qui changent de sexe par nécessité, cela arrive chez le poisson-clown et chez l'albatros.

L'auteure nous raconte tout cela avec force détails dans de petits textes ciselés, aux titres littéraires, le noms des espèces présentées apparaissant dans le cartouche scientifique. Ils sont superbement accompagnés par les dessins de Marie Caudry.

Présente à la Foire du livre de Bruxelles, Karine Granier-Deferre a répondu à mes questions.

Pourquoi "Naître animal"? "C'est un documentaire différent. Il fait écho aux changements de modèles familiaux dans la société. Je ne porte pas de jugement mais je veux montrer aux enfants les différentes familles qui existent. C'est une façon de parler de la différence, d'inciter à ne pas souffrir de la différence. Quand on voit toutes ces différences, on comprend que plus personne ne l'est, puisqu'on est tous différents. J'ai fait énormément de recherches, j'ai beaucoup lu, je me suis constitué mon réseau, j'ai échangé avec des chercheurs. J'ai fait un livre d'éthologie, de comportement."

Comment avez-vous établi votre sélection? "Je présente 26 animaux, dont l'être humain en finale. Pour les choisir, j'ai pris un peu dans toutes les espèces, avec des schémas très  différents, contre les clichés répandus comme celui que chez les mammifères, ce sont les mamans qui s'occupent des petits et non les papas. J'ai aussi opté pour des animaux qui plaisent aux enfants."

L'histoire qui vous a le plus étonnée? "Le nombre d’animaux qui grandissent sans parents. Autres étonnements: sur les quatre types de hyène, le fait qu'une soit complètement différente, et aussi que les campagnols soient les plus proches de la famille nucléaire."

Pourquoi Marie Caudry? "C'est l'éditeur qui a choisi l'illustratrice. J'aime le côté onirique de Marie Caudry, proche du conte. Elle a créé un vrai rapport texte-images, sans anthropomorphiser mais avec une touche affective pour l'émotion. Elle a choisi un pantone orange comme fil conducteur entre tous ses dessins."


La tortue Arrau. (c) Casterman.


Une plume adulte à suivre

Son recueil de nouvelles s'intitule "Incisives" (Lamiroy, 233 pages). Normal, Caroline Wlomainck y montre les crocs dans une écriture au scalpel épinglant divers faits de notre société. Cinq textes courts bien mordants qui, en réalité, enchantent. Qui secouent, dégoûtent, sidèrent et perturbent. Dans le bon sens du terme.
On avait découvert la Tournaisienne  en septembre dernier sous le nom de Kro. Déjà les crocs. Elle prêtait sa plume à une voyante, "Madame Irma" dont elle a égrené les lettres en deux volumes, "Perles fines" (lire ici), suivi en janvier de "Perles rares" (Lamiroy).

Sous son nom, Caroline Wlomainck se lançait aussi en janvier dans la nouvelle, plutôt noire, avec l'excellent opuscule "Little paradise" (Lamiroy, lire ici). Un texte qui se retrouve au milieu du recueil "Incisives" tout juste paru. Avant, dans un texte à deux voix, un jeune couple de "Vautours" qui se montre aimable avec sa vieille voisine, dans l'unique but de lui rafler sa maison au joli jardin. Sans imaginer que la fine Eliane allait déployer de redoutables ruses. Dans "Débordement", un journaliste déçu et dégoûté par l'ultralibéralisme décide de faire justice lui-même. Il enlève le big boss d'une multinationale de l'agroalimentaire, un pourri de la pire espèce. Ce sera la grande malbouffe! Des scènes incroyables et une finale inattendue. 

Après "Little paradise" arrive un texte tout aussi incisif, "Eté 89", où un ancien gamin se remémore les étés de sa jeunesse, au camping dans le sud. Les balades avec son meilleur ami, les explorations, les découvertes, les paris et les défis… Un texte à deux voix, leurs surnoms de l'époque, vingt ans plus tôt, car le destin a sacrément rebattu les cartes des inséparables. Enfin, "Joker" porte un grand coup dans la vie de couple. Vingt-cinq ans après leur mariage, Fred, le narrateur, travaille toujours (à la police) mais Hélène tourne en rond (syndrome du nid vide). Les bonnes intentions suffisent-elles?

Dans ces cinq nouvelles, Caroline Wlomainck pointe d'une écriture acérée, porte la plume, comme on disait avant, dans ce qui émerge de notre monde, l'argent, encore l'argent, le couple, les remords... Elle a de l'imagination et du style. Elle nous secoue pas mal et ça fait du bien.




dimanche 2 avril 2023

Le prix Prem1ère 2023 à Anthony Passeron


Les habitudes printanières ont repris à Bruxelles. La Foire du livre est revenue à Tour & Taxis, dans un espace légèrement décalé par rapport aux années antérieures : une partie seulement des magasins habituels, désormais dénommés Shed 1 et Shed 2, mais toute la Gare maritime voisine, à portée de passerelle. L'inauguration a eu lieu mercredi soir, drainant le tout-Bruxelles littéraire. Les jours suivants, le public a été présent, les auteurs et les éditeurs aussi - des centaines d'éditeurs, regroupés la plupart du temps selon leur origine géographique. Pire que les giboulées autorisées, la pluie a douché avec régularité les amateurs de livres.

Selon la tradition, le premier jour de la FLB a été celui de la proclamation du lauréat du 17e prix Prem1ère de la RTBF (5.000 euros). Sur les dix primo-romanciers francophones finalistes (lire ici), c'est le Français Anthony Passeron, auteur de "Les Enfants endormis" (Globe, 278 pages, août 2022), qui a été couronné par le jury d'auditeurs/trices. Un roman formidable. Encore un homme lauréat, diront peut-être ceux qui se souviennent des éditions précédentes, toutes masculines, alors que le prix a déjà récompensé huit femmes (lire en fin de note). Ont également été appréciés par le jury cette année les premiers romans "La mémoire de nos rêves" de Quentin Charrier (Grasset) et "Brûleurs" de Neïla Romeyssa (JC Lattès/La Grenade, collection dirigée par Mahir Guven, lauréat du prix 2018).

Le premier roman d'Anthony Passeron, né en 1983, a en réalité été remarqué dès sa sortie en août 2022. A raison. Ce livre surprend et emporte par sa double narration sans pathos. D'une part, un récit autobiographique teinté de fiction où le narrateur brise le silence sur un déni familial. D'autre part, une enquête sociologique où il détaille les débuts de la recherche sur le sida. Nous sommes dans les années 80. Du nom de ces gamins qui se piquent à l'héroïne jusqu'à tomber, abattus, en pleine rue, "Les Enfants endormis" a figuré dans le top 15 des meilleures ventes en France de la rentrée littéraire automnale. Il est apparu dans trois sélections de prix littéraires, Décembre, Flore, Wepler, avant de remporter ce dernier. Réimprimé à plusieurs reprises, il est actuellement en lice pour un autre prix d'auditeurs, le prix du Livre Inter (France Inter).

L'écrivain, par ailleurs musicien, est issu d'une famille vivant dans l'arrière-pays niçois, régentée hier par des grands-parents ayant "réussi" dans la vie professionnelle. Sans doute moins dans la sphère familiale où il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Par exemple, on n'y parle jamais de Désiré, son oncle, le premier de la fratrie, le fils aîné, le fils préféré. Mort quelques années après sa naissance, et depuis, comme effacé de l'arbre généalogique. Mort de quoi ? Du sida. Impossible à admettre pour ses grands-parents à une époque où le virus était associé à l'homosexualité.

Anthony Passeron.
(c) Jessica Jager.
Professeur de lettres et d'histoire-géographie dans un lycée professionnel, le lauréat portait en lui depuis longtemps ces douleurs familiales, ces dénis engendrant jalousie et colère, ces morts qu'on ne pouvait pleurer. Que faire de ce fardeau ? Un livre ? Quel livre ? Jusqu'au jour où ce qui était en latence a germé : "Je ne suis pas d'un endroit où on écrit", me dit Anthony Passeron, venu à Bruxelles  recevoir son prix Prem1ère. "Tout d'un coup, en 2017, dans la salle des profs, j'ai eu l'inspiration. J'allais faire alterner un chapitre sur la famille et un chapitre scientifique. Avant, j'ai traîné cette idée de livre sur ma famille dans une réflexion qui existait depuis des années. J'ai tout de suite écrit le prologue. Pour la suite, autant mener l'enquête scientifique était reposant alors que l'enquête familiale m'était pénible. Les souvenirs sont tellement douloureux."

Dans ce prologue, l'auteur explique comment, ses grands-parents décédés, il a pu se lancer dans son enquête familiale, comment dans sa famille, "chacun à sa manière a confisqué la vérité", effaçant cette histoire qu'il a voulu écrire, sachant, lui, "que la vie de Désiré s'est inscrite dans le chaos du monde." Ensuite, dans les deux parties du livre comme dans l'épilogue, on trouvera en alternance un chapitre sur les recherches scientifiques à propos du sida et un chapitre retraçant l'histoire familiale à travers le prisme de Jacques, le deuxième garçon, le père du narrateur. En face de lui, le prisme de la grand-mère, force incontestable. Une belle écriture, sans gras, posant les choses sans juger, associant régulièrement les mots de façon originale.

Du côté familial, on suit l'ascension sociale de grands-parents devenus bouchers de village pendant les Trente Glorieuses. Ils ont bossé comme des fous. Ils ont suivi et organisé les conventions sociales. Quelle revanche pour la grand-mère italienne qui avait fui la guerre dans son pays! Ils ont eu des enfants, quatre, dont deux interviennent dans le roman. "Il y a d'autres membres de la famille à qui j'ai peu donné la parole dans ce roman. Ils apparaîtront dans d'autres livres, traitant d'autres sujets", me glisse l'écrivain. On découvre le frère aîné, le préféré qui peut tout faire, et même ne rien faire, est adulé, le frère suivant qui va tout tenter pour se faire aimer de ses parents. Désiré le flambeur qui, comme beaucoup de jeunes de son âge dans le coin, va tomber dans les drogues dures et en hériter du sida. Une maladie que ses parents vont nier jusqu'à la dernière limite. C'est une terrible comédie humaine qui s'égrène dans les belles pages d'Anthony Passeron. Lui qui a voulu rendre à la lumière tous les protagonistes de son histoire.

En parallèle se joue une autre comédie humaine tout aussi désastreuse, dans les milieux scientifiques cette fois qui se bagarrent entre continents. La recherche sur le sida débute tôt en France, mais n'est portée que par une petite équipe de médecins inquiets, les autorités sanitaires préférant se voiler la face. De son côté, la recherche américaine fait fausse piste et refuse de l'admettre pour ne pas perdre son prestige établi de longue date. Lire "Les Enfants endormis", c'est aussi retrouver les noms d'hommes et de femmes, pour peu qu'on ait suivi les informations sur le mystérieux virus apparu en 1981. Vertigineux, cet effet rétroviseur permet de réaliser tout ce qu'on doit à ces chercheurs et ces chercheuses qui n'ont voulu ni se taire ni s'arrêter. Une mise en lumière bien nécessaire.

Six questions à Anthony Passeron

Votre écriture peut se dire blanche. Est-ce en hommage à Annie Ernaux ou Didier Eribon que vous avez lus ?
Pas du tout, j'ai opté pour l'écriture blanche pour que ma famille adhère à ce projet de livre. Ma famille qui avait fait le choix du silence. J'ai fait ce choix pour que ma famille puisse se reconnaître dans ce livre, avec sa pudeur. Je ne voulais pas esthétiser leur douleur, pas les froisser non plus. Ma forme a été guidée par la forme de leur expression à eux, ne pas se faire remarquer, ne pas se plaindre, ne pas revenir sur cet événement très factuel. 
On ne voit pas aujourd'hui la parole de la même façon qu'hier.
Oui, c'est une question de générations. Maintenant, la parole est libératoire. Pas pour mes grands-parents qui visaient l'ascension sociale. Eux sont de la génération de l'immédiat après-guerre. Pensant qu'il ne faut jamais se plaindre, qu'il y a toujours plus grave. Il était impossible pour ma grand-mère de parler d'un sujet comme la toxicomanie ou le sida qui, à l'époque, était systématiquement associé à l'homosexualité. Ils ne voulaient pas parler mais quand il s'agissait d'agir, comme de s'occuper des malades, ils le faisaient. Ma grand-mère en est d'ailleurs morte. C'était un déni géographique.
Vous parlez souvent de la colère de votre père contre son frère, Désiré. Ne s'agit-il pas aussi de jalousie ?
Mon père essaie de s'assurer l'affection de ses parents par son travail de boucher dans le commerce familial. Mais la jalousie entre les deux frères est terrible. La jalousie de mon père pour son frère Désiré, l'aîné, le mieux aimé, est cristallisée par le sida et son déni. 
On a un peu de peine à catégoriser votre livre.
C'est à la fois un roman, autobiographique, et un récit des découvertes de l'époque. J'ai lu Annie Ernaux, Marguerite Duras, Pierre Bergounioux et leur manière de raconter l'intime. Ce sont les membres de ma famille qui apparaissent mais revus par la fiction.
Je voulais montrer la solitude d'une famille, et en parallèle, le désarroi des professions médicales, leur ténacité, leur courage. La ténacité de ma grand-mère aussi, qui a soigné son fils, puis sa petite-fille, et y a laissé finalement sa vie. Je voulais montrer ces deux solitudes qui finalement ne se rencontrent jamais.
Vous rappelez aussi tout ce que la science ignorait à l'époque.
On espère que les traitements vont aboutir pour ma cousine Emilie, la fille de Désiré et Brigitte. Avec la bithérapie, cela crée un suspense. Mais elle est née trop tôt. Une autre question arrive : pourquoi ses parents lui ont-ils donné la vie ? Ils étaient contaminés sans symptômes. Il faut se remettre dans les hypothèses de l'époque. On ne savait pas grand-chose. Avant d'écrire, j'ai beaucoup fréquenté les associations. Quand le risque existe, quel droit a-t-on de décider pour eux ? L'histoire de ma cousine est une tragédie d'une telle violence. La mort d'une enfant ! Cela a sûrement causé une partie de la colère de mon père.
La littérature ne s'est jamais intéressée à des enfants séropositifs comme Emilie.
Non, un enfant séropositif comme Emilie n'apparaît pas dans la littérature. Aujourd'hui, avec les nouveaux traitements, ces enfants séropositifs ont eux-mêmes des enfants qui ne sont pas contaminés. Tout cela n'aurait pas été possible sans cette épopée scientifique. On a oublié ce qu'on doit à ces médecins. Je voulais leur rendre grâce. Montrer aussi la détresse des toxicomanes, la culpabilité des familles, rappeler que le pays n'a pas pris conscience du risque malgré les alertes et n'a rien mis en place.

Lauréats précédents
  • 2022 Mario Alonso pour "Watergang" (Le Tripode, lire ici)
  • 2021 Dimitri Rouchon-Borie pour "Le Démon de la Colline aux Loups" (Le Tripode, lire ici)
  • 2020 Abel Quentin, pour "Sœur" (Editions de l'Observatoire, 2019, lire ici)
  • 2019 Alexandre Lenot, pour "Écorces vives" (Actes Sud, 2018)
  • 2018 Mahir Guven, pour "Grand frère" Editions Philippe Rey, 2017, lire ici)
  • 2017 Négar Djavadi, pour "Désorientale" ;(Liana Levi, 2016, lire ici)
  • 2016 Pascal Manoukian, pour "Les échoués" (Éditions Don Quichotte, 2015, lire ici)
  • 2015 Océane Madelaine, pour "D'argile et de feu" (Les Busclats, 2015, lire ici)
  • 2014 Antoine Wauters, pour "Nos mères" (Verdier, 2014, lire ici)
  • 2013 Hoai Huong Nguyen, pour "L'ombre douce" (Viviane Hamy, 2013)
  • 2012 Virginie Deloffre, pour ;"Léna" (Albin Michel, 2011)
  • 2011 Nicole Roland, pour "Kosaburo,1945" (Actes Sud, 2011)
  • 2010 Liliana Lazar, pour "Terre des affranchis" (Gaïa Éditions, 2009)
  • 2009 Nicolas Marchal, pour "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises, 2008)
  • 2008 Marc Lepape, pour ;"Vasilsca" (Éditions Galaade, 2008)
  • 2007 Houda Rouane, pour "Pieds-blancs" (Éditions Philippe Rey, 2006)