Mario Alonso. |
La couverture du roman, "Baltic Sea" (2010), par la peintre lituanienne Natalie Levkovska. (c) Le Tripode. |
Un écrivain né en Espagne en 1965 et arrivé tout jeune en France, un titre en néerlandais évoquant la mer du Nord, une intrigue entre Pays-Bas et Grande-Bretagne, une plaisante mise en abyme, il n'en fallait pas plus pour séduire un jury belge, sensible aux brumes marines. Il a choisi de distinguer le parcours initiatique d'un grand gamin plutôt farfelu se destinant à l'écriture. Un prix qui enchante Mario Alonso, familier de notre pays. "J'ai une histoire avec la Belgique", confie-t-il, tout sourire, ce jeudi matin. "Je vis à Lille depuis cinquante ans. Ma compagne a le même amour que moi pour la Belgique. On vient très souvent chez vous. On aime l'art. On visite les galeries. Je me suis fait de vrais amis dans votre pays".
Honnête, le primo-romancier glisse, avant qu'on ne le lui demande, qu'il n'est jamais allé à Middelbourg, ville où se déroule son roman mais qu'il va y aller, promis!Pourquoi Middelbourg alors? "Je regardais une carte ancienne des Pays-Bas du temps de leur grandeur géographique et le nom de Middelbourg m'a attiré. J'ai fantasmé le lieu, je l'ai composé de différents endroits proches."
Rien dans "Watergang" n'est habituel. Un héros de douze ans, presque adolescent, qui veut devenir écrivain. Un paysage entre canaux et polders. Une forme chorale où prennent la parole aussi bien les personnages que les éléments. Une intrigue mince, douce, en tours et en détours. Des chapitres courts, pièces de puzzle que le lecteur assemble pour saisir ce Paul qui est parfois Jan, sa famille et ses proches, régulièrement rebaptisés. Le tout porté par une écriture singulière, en couleurs et en sonorités, orale ici, théâtrale là, piquée de délicieux aphorismes chers à l'auteur - il en a publié un recueil en janvier 2021, "Lignes de flottaison" (Cactus Inébranlable éditions).
Lecture délicieuse que ce premier roman, qui se savoure lentement pour laisser les paysages et les personnages se révéler, nous entourer, nous emporter. Qu'il est plaisant de découvrir Paul, dit Jan, ses carnets de notes, ses souhaits d'écrire, son besoin de nature et de solitude. De "no limit" même. A travers toutes les voix du roman, ces "je" vigoureux, on galope en sa compagnie autour de la ville, on entre dans la mer, on se glisse dans un transbordeur. On se couche dans ses couleurs et ses sensations. On suit les transformations de sa famille, sa sœur enceinte et ses copines innombrables, sa mère courage, héroïne fatiguée, son père absent, d'autres proches et le petit monde de Middelbourg. Paul, douze ans, presque treize, qui se rêve écrivain, qui se projette à Buenos Aires, nous emporte à sa suite pour une lecture enchantée.
"Il ne se passera rien, mais rien ne se passera tout à fait normalement. Je serai à l'image de mon auteur, à l'image du pays et de ses coutumes, je serai à l'image des marais, en pièces et complet. On m'écrira sans savoir écrire. On me lira sans jamais avoir lu auparavant. On me refermera comme on referme un missel, en le laissant pour quelqu'un d'autre, pour une autre fois. Ma dernière phrase pourra être..."
Mais ce ne sera pas celle-là car Mario Alonso s'amuse avec son lecteur, ce dont on le remercie.
Sept questions à Mario Alonso
Comment êtes-vous venu à l'écriture?
J'ai été photographe pendant douze ans. Mais j'étais souvent déçu. Je trouvais les choses plates sur mes tirages. Je ne ressentais pas sur le papier ce que j'avais vu et vécu. Il est difficile de donner de la nuance et de la profondeur en photo. Je me suis dit que j'allais tenter de les écrire. Je connais les canaux, je connais les polders. Ces paysages faussement plats où une dune devient une montagne et une crevasse un ravin. Idéal pour un esprit à l'imagination fertile comme le mien. Cela me permet aussi de me projeter hors du temps.
Comment est né "Watergang"?
Le projet de ce livre est d'être ancré dans un terrain imbibé d'eau, de jouer avec la mémoire, avec ce qui remonte qui peut paralyser ou donner des ailes. Paul, mon personnage principal, prend son élan.Je suis bibliothécaire et lors d'un atelier d'écriture, j'avais écrit une phrase avec Paul: "J'ai treize ans, j'habite Middelbourg et ma sœur est enceinte." Je l'ai reprise pour le roman en la développant: "J'écrirai mon premier roman à treize ans. Treize, ça porte bonheur. J'ai tant de choses à dire sur Middelbourg mais je vais attendre. J'y tiens. Je suis superstitieux. Mon roman commencera par: "J'ai treize ans, j'habite Middelbourg et ma sœur est enceinte." Cette phrase, je l'ai écrite sur un carnet pour ne pas l'oublier. Et le carnet, je l'ai planqué quelque part dans les polders, loin du village." Là-bas, on ne sait pas où commence la terre et où commence la mer.
Vous avez écrit le livre chapitre par chapitre?
J'ai ajouté des personnages qui me ressemblent et qui ressemblent à l'adolescent qu'est Paul. Tout de suite, il s'est donné un autre nom, Jan. Ensuite, j'ai écrit "Kim" pour le deuxième chapitre. Qui a été renommée en Birgit car Paul renomme tout le monde, même sa mère. C'était alors parti pour une forme chorale sans que je l'aie décidé. Des chapitres courts comme des pièces de puzzle, donnant la parole à des personnages ou à des éléments.
Le récit avance d'un intervenant à l'autre mais parfois se répète.
Le défi du livre est que je pose les pièces comme dans un puzzle et que le lecteur les assemble. Comme un paysage qu'on voit de haut. Je pose les pièces du puzzle une par une ou en double par un effet de miroir. Le reflet est une obsession chez moi. Le procédé choral est connu. Beaucoup d'écrivains l'ont utilisé, dont Gabriel Garcia Marquez.
Pourquoi utilisez-vous souvent les formes négatives?
Pour moi, Middelbourg est un village au milieu de rien. Oui, j'utilise beaucoup la forme négative dans mon écriture. Elle m'aide à dire la beauté et la poésie des choses, à ressentir sans analyser.
Vous convoquez du monde aussi, des écrivains, Florence Seyvos, Raymond Carver, des musiciens, les Beatles, Brian Eno ou PJ Harvey, le peintre Lucian Freud...
Je fais attention à la musique des mots, mes références ne sont pas que littéraires. Elles sont aussi plastiques, par exemple l'artiste allemand Stephan Balkenhol qui, pour moi, est à la sculpture ce que Edward Hopper est à la peinture. Ou cinématographiques, les scènes d'eau et les travellings de paysage chez Tarkovski, les scènes familiales du cinéma italien des années 1970.
Vous qui avez publié un recueil d'aphorismes, n'en avez-vous pas glissé dans le roman comme ce "Je suis cousu d'un fil noir"?
Si, il y en a régulièrement. J'aime beaucoup les images rapides.
Lauréats précédents
- 2021 Dimitri Rouchon-Borie pour "Le Démon de la Colline aux Loups" (Le Tripode, lire ici)
- 2020 Abel Quentin, pour "Sœur" (Editions de l'Observatoire, 2019, lire ici)
- 2019 Alexandre Lenot, pour "Écorces vives" (Actes Sud, 2018)
- 2018 Mahir Guven, pour "Grand frère" (Editions Philippe Rey, 2017, lire ici)
- 2017 Négar Djavadi, pour "Désorientale" (Liana Levi, 2016, lire ici)
- 2016 Pascal Manoukian, pour "Les échoués" (Éditions Don Quichotte, 2015, lire ici)
- 2015 Océane Madelaine, pour "D'argile et de feu" (Les Busclats, 2015, lire ici)
- 2014 Antoine Wauters, pour "Nos mères" (Verdier, 2014, lire ici)
- 2013 Hoai Huong Nguyen, pour "L'ombre douce" (Viviane Hamy, 2013)
- 2012 Virginie Deloffre, pour "Léna" (Albin Michel, 2011)
- 2011 Nicole Roland, pour "Kosaburo,1945" (Actes Sud, 2011)
- 2010 Liliana Lazar, pour "Terre des affranchis" (Gaïa Éditions, 2009)
- 2009 Nicolas Marchal, pour "Les Conquêtes véritables" (Les Éditions namuroises, 2008)
- 2008 Marc Lepape, pour "Vasilsca" (Éditions Galaade, 2008)
- 2007 Houda Rouane, pour "Pieds-blancs" (Éditions Philippe Rey, 2006)
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