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mercredi 16 mars 2022

Tomi Ungerer s'installe à la Fondation Folon

Agrandissement d'un dessin inédit de "The Party"
sur le mur d'entrée de l'expo.

Plus besoin de courir à Strasbourg où se trouve son musée (14.000 dessins et 1.500 jouets), Tomi Ungerer s'installe ce printemps aux belles cimaises de la Fondation Folon à La Hulpe, juste à côté de Bruxelles. Intitulée "Tomi Ungerer, l'enfant terrible", la splendide exposition propose une centaine de dessins de tous les genres et de toutes les époques du prolifique créateur né en Alsace en 1931 et mort en Irlande en 2019 (lire ici). Un échange de bons procédés puisque se tiendra, du 18 mars au 4 juillet, au Musée Tomi Ungerer - Centre international de l'illustration de Strasbourg, l'expo "Folon. Un rêveur engagé".

Dessin pour "The Underground Sketchbook" (1961).

Tomi Ungerer et Jean-Michel Folon, qui aurait pensé à les associer? Pas grand monde à première vue, les aquarelles poétiques de l'un se mariant mal avec les œuvres féroces en techniques mixtes de l'autre. On remarque toutefois vite leur amour commun du dessin à la plume, ce trait un peu tremblé si justement posé, héritage de leur admiration partagée pour le cartooniste Américain Saul Steinberg. Et surtout, on est frappé par le parallélisme de leurs démarches. Tous deux témoignent de l'époque à laquelle ils vivent et se montrent des pacifistes convaincus. Tous deux témoignent d'un monde hostile et s'y opposent. Pas de la même manière. Si Folon choisit la douceur, Ungerer opte pour la satire. Mais sur le fond, ils sont raccord.
La petite histoire raconte que les deux se sont rencontrés à New York dans les années 60. Ungerer y était installé, Folon de passage. Le visiteur a en cadeau pour son hôte des feuilles de papier d'Arches. Une belle intention qui tombe mal car le brigand préfère dessiner sur n'importe quoi, du papier de mauvaise qualité, des calques. Il ne sait que faire de ce très beau cadeau. Il le conservera toutefois, sans l'utiliser. Un couac qui empêchera ces deux amateurs de mots de vraiment converser ensemble. 
Des cimaises bien organisées.

Magnifiques et bien représentatives de l'œuvre immense de Tomi Ungerer, qu'elle s'adresse aux enfants ou aux adultes, les merveilles venues de Strasbourg enchanteront le public connaisseur qui ne pourra que pousser des "oh!" et des "ah!" devant ces originaux à la virtuosité inouïe tout comme elles séduiront ceux et celles qui découvriront à cette occasion son immense talent et son formidable sens de l'humanité. L'exposition rappelle fort plaisamment combien le sensible Ungerer est aussi le roi de la satire. Un roi parfois mal compris quand par exemple ses dessins érotiques du "Fornicon" ont déclenché les foudres de la société bien pensante alors qu'ils dénonçaient le porno. Un roi très bien compris quand ses affiches contre la guerre du Vietnam ou la ségrégation raciale ont été refusées et qu'il lui a fallu les éditer à compte d'auteur. 

Dessin original pour le "Chapeau volant" (1970).

Le credo de Tomi Ungerer est la liberté sans entraves. En pourrait-il être autrement pour cet artiste qui a connu la guerre enfant, a perdu son père à trois ans, a vu son pays natal être annexé à l'Allemagne nazie avant de redevenir français à la fin de la guerre, a été ballotté entre mots français, alsaciens et allemands? Autant de ruptures, de chagrins, de détresses qu'il a traduits en dessins dans ses livres, luttant contre l'injustice et l'hypocrisie, regardant son époque sans concession mais ayant une foi absolue en l'enfance. Sacré Tomi qui aimait proclamer qu'il fallait que les livres traumatisent les enfants. Soixante ans après leur création, pour les plus anciens, ils enchantent encore les enfants qui réclament toujours autant "Les trois brigands", "Le géant de Zéralda" ou "Pas de baiser pour Maman". 

Dessin inédit pour "Clic-Clac" (1989).


Organisée en dix thématiques déclinées en une dizaine de dessins et un texte de présentation chaque fois, l'exposition propose de zigzaguer d'une cimaise à l'autre pour découvrir cet incroyable talent.
  • Les dessins satiriques de la période new-yorkaise, concis et très drôles, en encres de Chine ou sépia sur papier calque, dénonçant notamment la mécanisation de la vie quotidienne.
  • Les dessins d'humour "Clic-Clac" ("Schnipp Schnapp"), jeux de formes où le trait en crayon noir ou encre de Chine complète des collages de photos découpées dans des magazines. 
  • La littérature jeunesse avec des originaux renversants de beauté, en encre de Chine et lavis d'encres de couleur sur papier calque, du "Chapeau volant" et d'"Allumette".
  • Les projets d'affiches en lavis d'encres de couleur et encre de Chine sur papier calque ou carton  pour la fête de la musique de Jack Lang ou la célébration de la France (entre licorne et laitière sexy sous son sage nœud dans les cheveux).
  • Quelques dessins érotiques assez sages de "Fornicon", en encre de Chine sur papier calque, dont le message satirique n'a pas toujours été compris, derrière un rideau rouge couvrant un écriteau interdit aux moins de dix-huit ans.
  • "The Party" ou les soirées mondaines de la high society aux alentours de Central Park, sommet du dessin satirique en encre de Chine parfois rehaussée d'encres de couleur sur papier.
  • Encres de Chine, sépia et de couleur et gouache sur papier pour "America" donnant la vision plutôt désenchantée de ce pays où Tomi Ungerer vécut quinze ans.
  • Le nucléaire, sujet abordé dès les années 60, celles de la guerre froide, et repris vingt ans plus tard à la demande des Verts allemands.
  • Les dessins d'enfance en crayon, encre de Chine et encres de couleur sur du papier de récupération  où le futur dessinateur représente ce qu'il voit enfant pendant la guerre.
  • L'engagement politique avec les affiches "Black power / White power" ou "Kiss for peace", célèbres aujourd'hui mais qui furent commandées puis refusées lors de leur création et éditées à compte d'auteur, en impression offset sur un papier assez médiocre comme le montre l'expo. 

Dessin d'enfance sans titre, daté de 1943.


Les lieux de Tomi Ungerer
1931 Strasbourg, Alsace
1939-1945 Colmar, annexée par le IIIe Reich
1956 New York, USA
1971 Nouvelle-Ecosse, Canada
1976 Cork, Irlande

La célèbre affiche "Black power / White Power" (1967)
 en impression offset d'époque.

"Tomi Ungerer, l'enfant terrible" permet un très beau parcours dans l'œuvre et la vie de ce dessinateur aussi sensible qu'indigné par la marche du monde. Résonant encore plus fort en ces temps où la paix dans le monde est menacée et où les réfugiés ukrainiens s'ajoutent à tous ceux et celles qui depuis des dizaines d'années demandent l'asile à l'Europe. Notamment ce dessin de personnes fuyant la guerre.

Les originaux sont-ils parfois accrochés aux cimaises un peu trop haut pour les enfants? Qu'à cela ne tienne. Des ateliers pour le jeune public seront organisés du 8 juillet au 31 août à la Fondation Folon autour des personnages les plus célèbres de Tomi Ungerer.

Les langues de vipère
de "The Party".
"America".















Pratique
L'exposition "Tomi Ungerer, l'enfant terrible" se tient à la Fondation Folon (Drève de la Ramée, 6A, La Hulpe) jusqu'au 26 juin.




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