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mercredi 30 janvier 2019

Carl Norac, fildefériste de la poésie jeunesse

Carl Norac.

Pourquoi sépare-t-on la poésie qui s'adresse aux enfants de celle qui fait partie de la littérature générale? Pourquoi la poésie qui s'adresse aux enfants devrait-elle être fabriquée et sage, pour ne pas dire mièvre? Pourquoi un auteur qui s'adresse aux deux publics est-il d'office considéré comme "un poète aux deux visages"? D'où vient ce grand écart entre poésie pour enfants et poésie tout court?

Poser ces quelques questions suffit à rappeler les clichés qui, bien répandus, ont la vie dure. Pour tenter de les casser, les Midis de la poésie de Mélanie Godin ont invité l'auteur belge Carl Norac à y réfléchir et à nous éclairer. Depuis toujours, il réclame que le genre littéraire qu'est la poésie soit considéré dans son unicité. Il se base notamment sur le fait que les publics eux-mêmes se mélangent. Lui-même présente aux enfants des poètes qui ne sont pas toujours pour la jeunesse et il sait que bien des adultes achètent pour eux des livres de poèmes jeunesse.

Sa réflexion sera entrecoupée de lectures par la comédienne Maya Richa. D'abord, la lecture d'un manuscrit inconnu d'Emile Verhaeren que Carl Norac possède où le grand symboliste définit ce que sera la poésie cent ans plus tard, c'est-à-dire aujourd'hui. Ensuite, divers textes choisis par le poète.

En voici un, de lui.
UN JOUR
Un jour, je me suis réveillé poème et je me suis dit: Ah bon?
Et j'ai pensé: est-ce bien d'être poème, est-ce une nationalité?
Tu es dans un bus, tu es dans la vie, tu es près des gens,
près d'un livre, près des mots, près du sens des mots,
tu te dis: allons-y.
Là, tu entres dans le poème,
tu choisis ton arrêt, le plus proche de chez toi,
mais tu sais qu'être poème t'emmène juste au-delà.

En apéritif à la rencontre, sept questions à Carl Norac

Carl Norac est né à Mons en 1960. Fils de l'écrivain Pierre Coran et de la comédienne Irène Coran, il a choisi un anagramme du nom de son père comme nom de plume. Il a d'abord été professeur de français, bibliothécaire vagabond, journaliste, professeur d'histoire littéraire au Conservatoire Royal de Mons,. Il  vit de sa plume, depuis plus de vingt ans. Il est l'auteur de plus de 80 livres pour enfants, traduits à ce jour dans le monde en 45 langues,  édités essentiellement chez Pastel, branche belge de l'école des loisirs. Il est bien entendu également poète et a aussi publié une dizaine de recueils et de carnets de voyage. Il vit dans le Loiret, à Olivet, près d’Orléans depuis 1998.

Comment es-tu arrivé à la poésie? 
En observant d'abord mon père Pierre Coran en train d'écrire, fascination pour les mots, l’ailleurs dans le regard, aussi le geste lui-même de tracer. Ensuite enfant dans la forêt, sans frère ni sœur, je me suis un peu frotté aux arbres, aux chemins. Pour ne jamais m'ennuyer, je m'inventais des petits mondes, souvent sur l'espace d'une seule page et rimés: des poèmes.
Quels sont les trois poètes qui te plaisent le plus?
Mes poètes préférés sont Apollinaire, Michaux et Wislawa Szymborska. Auprès des enfants, s'ajoutent Norge, Jacques Roubaud et Edward Lear.
Différencies-tu poésie pour enfants et poésie pour adultes?  Si oui, comment les identifier?
Il y a souvent deux conceptions assez tranchées à propos de la poésie de la jeunesse. D'un côté, il y a ceux qui, comme Guy Goffette,  qui dirige la collection de poésie jeunesse chez Gallimard, trouve une poésie adressée aux enfants inutile et qu'il faut directement puiser chez les grands auteurs cette nourriture. D'autres, à l'inverse, insistent sur une poésie bien adaptée à un âge bien défini afin de ne pas dégoûter les apprentis lecteurs du genre tout entier.
Je comprends ces deux regards, mais aucun des deux ne me contente. Bien que Guy Goffette soit un ami, je lui ai dit franchement que son attitude aboutit à ce que les enfants ne découvrent que des poètes d'une autre époque, morts depuis longtemps, essentiels certes, mais fermant l'enfant au contemporain, à la marche du monde, aussi à un langage qui puisse toucher la sensibilité ou la réflexion de l'enfant dans l'instant. L'opinion inverse est également très réductrice, respecter à l'excès le vocabulaire ou la thématique. C'est aussi une aberration par rapport à la définition de la poésie. Dans sa "Lettre au voyant", un adolescent du nom de Rimbaud nous a dit que la poésie serait "en avant", qu'elle nous convoquerait au mystère, à l'inconnu. La limiter au connu est bien la détruire. Cette polémique où chacun choisirait son camp est vaine et ringarde à mes yeux. Déjà parce qu'elle suppose qu'il y ait un grand écart quasi-infranchissable entre poésie en littérature générale et poésie jeunesse, qui autrefois pouvait être défendu (le poème pour enfant étant surtout éducationnel, le vecteur d'une leçon de choses), mais aujourd'hui ne persiste que chez ceux qui n'ont pas pris la peine d'en lire.
Qu'est-ce qu'être poète finalement?
Un poète plie des papiers pour faire des bateaux et espérer qu'ils voguent un peu. Il ne fait pas des maquettes, ni ne suit des plans comme on en trouve dans les magasins de décoration nordique. Ceux qui le feraient, suivant une visée moralisatrice ou trop étroitement didactique, ne produiraient qu'un "objet" aux multiples fonctions, mais incapable de faire ressentir, ni de toucher le mystère de la polysémie, que les enfants explorent autant que nous.
Ce sont les questions des enfants de primaire qui me guident pour chercher les poèmes qu'au fond d'eux-mêmes, ils cherchent. J'oublie souvent de les noter, ces questions. Mais en voici de ce printemps: "Carl, tu vis ta vie, puis tu prends ta vie et tu la mets dans ce que tu écris, c'est ça la poésie?". Ou bien: "Quand tu fais ton poème, tu écris plus avec ton cœur ou avec ta tête?".
Comment caractériser la poésie jeunesse?
Une des complexités de la poésie jeunesse, c'est que si elle peut être comme les autres mélancolique, voire terrorisante, elle ira se frotter un jour ou l'autre à la joie, à la bienveillance, ou même à ces gros mots que sont beauté et bonheur. Là, c'est difficile et périlleux. Le poète est un fildefériste improvisé, un pas de côté et il tombe dans la mièvrerie, le sucre guette sous les mots. C'est néanmoins un beau défi à relever, chercher des portraits de l'autre côté des miroirs, ouvrir la fenêtre, être dans cet émerveillement des grands poètes chinois comme Lu Yu, celles et ceux qui n'en font qu'à leur guise et trouvent, dans la simple contemplation, un aboutissement.
La poésie pour la jeunesse serait dit-on fondamentalement différente car elle vise souvent à une grande simplicité. Oui, c'est bien sa direction la plus naturelle, mais pour le reste, c'est faux. Pourquoi devrait-on penser qu'il faudrait complexifier pour s'approfondir? Beaucoup de grands artistes nous ont expliqué le contraire. Dans mon bureau, j'ai affiché un texte de l'immense peintre Hokusai. Il y décrit le projet de sa vie, décennie par décennie. Optimiste, il y décrivait, à l'ultime ligne le projet de ses 110 ans: enfin un point et une ligne voudront dire quelque chose.
Quel est ce texte de Verhaeren qui sera lu mardi?
J'ai eu la chance, il y a quinze ans, d'acquérir un texte écrit de quatre pages de la main de Verhaeren, manuscrit à l'encre violette assez serré et hachuré qui n'a jamais cessé de me fasciner. Grâce à Michel Décaudin, j'ai appris qu'il a écrit ces mots en 1905 à la demande de deux jeunes critiques. Il y a exactement cent dix ans, il lui est demandé de prédire la poésie du futur! Ce que Verhaeren nous conseille: aller vers l'inconnu où qu'il soit, plonger dans le dedans, se laisser envahir, faire renaître le vers libre, foncer vers l'ivresse d'écrire. La poésie dont parle Verhaeren, celle qu'il appelle de ses vœux, va vers l'inconnu, toujours, mais paradoxalement, elle incarne aussi une unité, elle est totale, elle bat, comme un corps organique aux multiples veines ou sillons. Ses chemins ne sont pas comptés, mais la forêt existe. Sa pensée appuie ce que je voudrais dire, partager: ne plus séparer artificiellement les deux poésies. On sépare tout de nos jours, y compris en art. On se spécialise à l'extrême, ce qui est bon pour la chirurgie, moins pour l'art. Un graveur sur cuivre me disait: "Nous nous connaissons entre graveurs sur pierre, mais nous ne connaissons plus les graveurs sur bois et sur cuivre." Or, qu'on écrive un poème pour enfants ou pas, il a y ce flux qui vient, dont le premier mot est donné, sorti d'on ne sait où, d'un mélange de lucidité et d'inconscience, cet ailleurs qui vient parler d'ici à nos sens, ce départ de feu qui va s'éteindre vite, ce balancement qui fait que le temps patientera, un moment, pour river à nouveau son horloge.
La différence des publics pourrait-elle expliquer le grand écart?
On me dit aussi, et on n'a pas tort, qu'une différence fondamentale entre les prétendues poésies est que, dans un cas, on s'adresse à un public particulier et pas dans l'autre cas. Il ne faut pas trop généraliser cette assertion. Tout d'abord, certains poètes s'adressent parfois ou même toujours à une personne précise, et ce depuis la Renaissance, pour écrire.
Pour ma part, j'imagine toujours un enfant réel au moment de l'écriture, un élève rencontré qui m'a interpellé, ou ma fille en me souvenant d'elle à d’autres âges. J'avoue avoir souvent à l'esprit l'archétype d'une môme espiègle, la Zazie de Queneau, celle du livre mais aussi celle du film, ou d'un Doisnel plus jeune et d'aujourd'hui. De même, un poème qui n'est pas pour enfants peut être écrit pour soi, pour la foule, pour personne, pour l'absolu, mais aussi pour quelqu'un de proche et d'imaginaire précis.
Tu parles d'urgence poétique.
Il y a aujourd'hui une urgence poétique comme on parle d'urgence climatique. Les éditeurs réclament de la poésie pour la jeunesse alors qu'avant ils la fuyaient. Parce que la poésie secoue, ne fait pas que chanter, qu'elle peut aborder tous les sujets, y compris pour les enfants. Dans "Poèmes pour mieux rêver ensemble" (Actes Sud Junior, 2017), j'évoque le Bataclan. Dans le recueil à paraître en mars, "Le livre des beautés minuscules" (Rue du monde), j'évoque une grande marche libre au Brésil qui se veut comme une résistance à l'extrême droite au pouvoir. Il faut dépasser les tabous du thème, oui rester compréhensible, mais faire confiance à l'intelligence de l'enfant. J'appelle des poètes à s'essayer davantage à écrire pour les enfants, à leur offrir cette nourriture que je trouve essentielle, et de le faire sans se brimer.

Un autre texte de Carl Norac.

L' ÂGE D'OR

Plus tard, moi je serai
blanchisseur de nuages ou berger d'oiseaux,
peut-être compteur de gouttes d'eau,
arbitre pour combats d'escargots,
garde du corps pour papillons,
acupuncteur pour hérissons,
clown pour passants fatigués,
imprimeur pour sans-papiers,
décorateur de coccinelles,
empêcheur de tomber du ciel.
Puis, j'inventerai la machine à ne rien faire
qui se tendra en hamac depuis la terre
vers un point très lointain du vaste univers.
Alors, on m'élira comme la plus lente
et la plus douce étoile filante.
Respirant le grand air des galaxies,
à cheval sur l'Ourse, sur la queue de Castor,
employé des affaires privées de l'infini,
je connaîtrai enfin l'âge d'or.



Infos pratiques
Midis de la poésie: "La poésie pour adultes et enfants: le grand écart?"
Date: le mardi 5 février de 12h40 à 13h30
Lieu: Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (Petit auditorium), rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles.
Organisation: Midis de la poésie-Scam
Entrée: 6 € (3 € si réduction).
Réservation: info@midisdelapoesie.be



mardi 29 janvier 2019

La nostalgie lumineuse d'Alain Verster

Alain Verster.

Il reste une quinzaine de jours pour visiter l'exposition-installation au Wolf (rue de la Violette, 20, 1000 Bruxelles) de l'illustrateur jeunesse belge flamand Alain Verster - jusqu'au vendredi 15 février. Un superbe univers graphique incitant à la rêverie, à la fois poétique, nostalgique et extrêmement vivant, composé de photographies anciennes travaillées à l'acrylique, à la peinture à l'huile et au  ruban adhésif. A le voir, on pense un peu à Carll Cneut (lire ici) qui a été son professeur au KASK et au Norvégien Stian Hole (lire ici). Surtout, on se dit que c'est drôlement réussi. Son style rétro manie avec talent l'humour et les clins d'œil.

Alain Verster a déjà publié six albums pour enfants en Flandres, cinq chez De Eenhoorn, un chez Lannoo. Son avant-dernier, "Ik zie jou, zie jij mij?", avec un long texte de Saskia Goeminne, a été traduit en français par Marie Hooghe, "Je te vois, et toi?" (Versant Sud Jeunesse, 2018). C'est un album puisqu'il est largement et superbement illustré, mais pour les grands enfants, à partir de 9/10 ans, sans limite d'âge. Il se déroule le temps d'une journée sur une place et met en scène une vieille dame, un homme, une femme, une petite fille, un chien et un poisson rouge.

La place centrale. (c) Versant Sud Jeunesse.

L'album propose de faire un arrêt sur une place où sonne joliment une fontaine et de regarder tout ce qui s'y passe. Le soleil, les maisons, les pigeons et bien entendu les gens. Pas tous ceux qui passent mais certains qui s'y arrêtent. La vieille dame assise sur un banc avec son pique-nique. L'homme au nœud papillon, si propre sur lui et attiré par une femme derrière sa fenêtre. Le petit garçon qui rêve d'un chien. Le chien sauvé jeune par la vielle dame. Le bébé fille endormi sur un vélo. Le poisson rouge fatigué de son bocal.


Quelques-uns des personnages principaux.
(c) Versant Sud Jeunesse.






















Des liens vont se tisser entre tous ces personnages, dans un texte qui met la focale sur chacun d'eux successivement avant de revenir à la place, élément central. Les illustrations, elles, donnent mille choses de plus à voir, dans leur réalisme photographique bousculé par de formidables collages. Car la technique d'Alain Verster accroche le regard autant qu'elle l'interpelle. Elle séduit par ses compositions et son choix de couleurs et pousse le texte plus loin que ses mots.

Tout est à voir et à raconter. (c) Versant Sud Jeunesse.

Né en 1984 à Braschaat près d'Anvers, Alain Verster y habite toujours. Il a étudié le graphisme à la Royal Academy of Fine Arts de Gand. Il est professeur d'éducation plastique. Sa technique d'illustration se caractérise par une superposition de couches d'images. Sa base est composée de photographies anciennes traitées numériquement, puis imprimées sur du papier non couché et travaillées  avec du ruban adhésif. Cela floute un peu l'image originale dont certains traits sont accentués au crayon, à l'acrylique et à la peinture à l'huile. A ce procédé s'ajoutent des couleurs en arrière-plan. Ces différents éléments sont assemblés sur écran. Malgré le traitement numérique, la matière des dessins originaux est conservée et confère de la vérité et de l'intensité aux compositions.

Pour feuilleter en ligne "Je te vois, et toi?", c'est ici.

L'album "Je te vois, et toi?" a été sélectionné par "La Petite Fureur" (jusqu'au 1er mars), concours littéraire de la Fédération Wallonie-Bruxelles visant à promouvoir la lecture des enfants tout en assurant la visibilité des auteurs et illustrateurs de la Communauté française. Il propose aux enfants de 3 à 13 ans de choisir un des douze livres d'auteurs, illustrateurs et/ou traducteurs belges sélectionnés et d'en prolonger la lecture par un dessin, un collage, une poésie, une chanson, une adaptation théâtrale... Tout est permis sauf les réalisations en 3D.

Sélection "Petite fureur 2018"




 Alain Verster sera présent à la Foire du livre de Bruxelles le samedi 16 février à 11 heures.




lundi 28 janvier 2019

Grace, quatorze ans et la grâce de Paul Lynch

Paul Lynch.

Grace a quatorze ans. Elle marche seule sur une route. Il fait froid. Il fait faim. Tout est détrempé. Déluge d'octobre. Grace a quatorze ans. Déguisée en garçon, elle fuit la Grande Famine de 1845 en Irlande. Aussi le méchant homme qui loge sa famille sans père en échange des services en nature de sa mère Sarah et qui lorgne de plus en plus sur elle. "Grace" est l'héroïne du troisième et formidable roman de l'Irlandais Paul Lynch (traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso, Albin Michel, 480 pages), à la fois bouleversant et enchanteur par son style.

Grace Coyle a quatorze ans. Elle part, poussée par sa mère enceinte d'un cinquième enfant. Elle sera vite rejointe, en secret, par Colly, son frère cadet de deux ans. Ils seront séparés physiquement mais se retrouveront. Leur périple à pied dans le froid, la faim, la pluie, la nuit, la débrouille, le monde et sa violence, est un carrousel d'émotions qui vont de l'amour pur à l'apocalypse totale, de la générosité au meurtre, de l'angoisse atroce à la confiance absolue. Les rencontres qu'ils font dévoilent toutes les facettes de l'être humain livré à lui-même. Formidable personnage féminin, Grace quitte en parallèle de cette marche forcée l'enfance et sa relative sécurité pour aborder seule l'âge adulte. Sa détresse lui donne sa puissance. Sa force de vie, de survie, est incroyable à nos yeux de lecteur. Elle, elle avance tout simplement, pour ne pas mourir. Et est prête à tout, ce qu'elle découvre elle-même. Le récit joue aux montagnes russes entre la noirceur et la lumière, les peurs et la paix, la vie et la mort, le désespoir et le dégoût, et on se laisse porter par l'écriture magnifique de Paul Lynch, généreuse, juste et sincère, passant régulièrement la ligne du réel pour voguer sur l'imaginaire.

"Grace" est un roman tout simplement inoubliable, au sens qu'on ne pourra jamais oublier ce récit qui nous entraîne dans les pérégrinations dangereuses mais nécessaires de son héroïne, dans les recoins les plus cachés de l'âme humaine. Il vibre d'énergie vitale et de résilience, s'aventure en terre poétique et philosophique, enchante aussi par une écriture dont aucun mot n'apparaît par hasard (chapeau à la traductrice Marina Boraso qui suit Paul Lynch depuis son premier roman). Cette Grace du XIXe siècle résonne d'autant plus intensément à l'heure des migrations actuelles et de leurs routes mortelles. Avec son style narratif lent, aussi descriptif que séduisant, Paul Lynch confirme avec ce troisième livre qu'il est un des grands romanciers d'aujourd'hui. Et nous avons de la chance de pouvoir le lire en français. "Grace" est un livre lent qui se lit à toute vitesse. Roman certes initiatique, il est aussi celui d'une renaissance renversante.
Né en 1977 à Limerick (Irlande), Paul Lynch a grandi à Donegal. Après avoir été critique cinématographique au "Ireland's Sunday Tribune" de 2007 à  2011 et pour le "Sunday", il est maintenant écrivain à temps plein. Il vit aujourd'hui à Dublin avec son épouse et ses deux enfants. Son premier roman, "Un ciel rouge, le matin" (traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso, Albin Michel, 2014), a été unanimement salué par la presse comme une révélation et a été finaliste du Prix du Meilleur Livre étranger. "La Neige noire" (traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso, Albin Michel, 2015) a été récompensé par le Prix Libr'à Nous et plébiscité par les lecteurs. "Grace" a été sacré Meilleur roman de l'année 2018 en Irlande (Kerry Group Irish Novel of the Year 2018). Il a apporté à son auteur la surprise de poursuivre l'histoire racontée dans son premier roman.


Paul Lynch est passé par Bruxelles pour présenter sa merveilleuse "Grace". L'occasion de découvrir l'écrivain derrière ses mots. Habillé de sombre comme sur ses photos, petit sourire en coin et barbe naissante, ouvert et disert. Il est par exemple revenu au carnet de notes manuscrites glissé dans une poche où il consigne impressions, mots d'enfants, choses vues...

Dix questions à Paul Lynch
Votre écriture est particulière par tous les détails qu'elle avance, donnant presque au lecteur l'impression de voir un film.
Mon but n'est pas de faire un film sous une forme romancée même si je fais attention à créer des images marquantes et fortes. J'ai toujours le sentiment quand j'écris que je ne suis pas allé aussi près que je voulais de mes personnages. Les mots ne suffisent pas toujours à traduire ce que j'ai en tête. Pour corriger cela, je ne cesse de réécrire et de réécrire jusqu'à obtenir cet effet. Je veux que le lecteur ait ces images-là à l'esprit. Car pour moi, la beauté de la littérature tient dans le fait que chaque lecteur crée ses propres images au départ du texte qu'il lit. Alors qu'au cinéma, l'image est fixe, dans un livre, il y a un peu plus d'espace.
Mais le cinéma vous intéresse.
J'aime beaucoup le cinéma. Après la littérature, c'est mon deuxième amour. J'ai été critique de cinéma pendant dix ans. J'ai écrit la critique de mille films pour un journal. Je continue à voir les films avec beaucoup d'amour. Il me serait difficile de nier qu'il y ait dans ma tête un dialogue entre cinéma et littérature. Quand j'écris, j'ai même parfois l'impression d'être sur un tournage. La façon dont je structure mes livres, une scène, un plan, une scène, un plan, me vient du cinéma. Mais la littérature peut atteindre des endroits que le cinéma ne peut pas atteindre. C'est ce qui m'intéresse en tant que romancier. Il y a ce qui est visible et ce qui est invisible.
Comment vous est parvenue la voix de Grace, votre personnage principal?
C'est difficile à expliquer. J'ai eu l'intuition de la présence d'un personnage, une jeune fille, sur une route. J'ai découvert qui elle était en écrivant. Quand j'écris, je ne peux pas prédire ce que sera mon livre. Ecrire n'est pas une activité de mon cerveau conscient. J'ouvre la porte de mon inconscient. Lui sait, à l'avance, où il me mène. Il joue à cache-cache avec moi. Comme si les choses étaient prévues sans que je le sache.
Grace est en lien avec votre premier roman.
Je voyais une fille de quatorze ans, qui a une mère mais pas de père, qui a un frère de deux ans son cadet. Mon premier roman, "Un ciel rouge, le matin", se déroule en Irlande en 1832. En calculant ce qui s'y passe, on se retrouve finalement en 1845, au début de la Grande Famine. Bizarrement dans les mois qui ont précédé l'écriture de ce troisième roman, j'ai beaucoup lu sur la question de la famine, notamment en Chine. Voilà bien la preuve que mon inconscient était déjà à l'œuvre. J'ai compris pourquoi nous avons cette envie de dissimuler cette période. La famine est notre grand trauma national à nous Irlandais et une des choses les plus difficiles à aborder. En parler, c'est ouvrir la porte des abîmes, invoquer les voix des morts et contempler l'enfer. Un sacré défi pour un écrivain!
Vous avez essayé de comprendre cela?
C'est une des raisons pour lesquelles j'écris. Je sentais la honte, le dégoût commun en Irlande. Je me suis demandé pourquoi je ressens cela aussi, 170 ans après les faits. Les sentiments d'embarras sont transmis de génération en génération dans la psyché irlandaise alors que nous ne sommes pas en lien direct avec l'événement. Ce transfert à travers les générations est très intéressant. Que se cache-t-il derrière cette Grande Famine jusqu'à provoquer l'inconfort des Irlandais d'aujourd'hui? Il n'y a pas de problème pour s'imaginer être des victimes de cet événement, pour accepter ceux qui sont morts du typhus, ceux qui ont dû s’exiler. Mais on ne s'est jamais imaginé ce que ces gens ont fait pour survivre. Et c'est là que ça coince.
Grace vous a permis de comprendre ce qui s'est passé.
Grace a quatorze ans, elle est innocente. Elle est fondamentalement une bonne personne mais elle est prête à tout pour survivre. En chacun de nous, il y a une part d'ombre qui ne demande qu'à se révéler. Quand la civilisation s'écroule, la part animale de l'être humain se réveille. On est prêt à croire que la dignité survit toujours. Grace le croit aussi. Mais on voit très bien qu'elle doit devenir une criminelle pour survivre, qu'elle doit mentir, voler, tuer… Autant de choses qu'on ne peut pas partager. Mais il s'agit de la réalité à laquelle le lecteur est confronté. Le roman lui permet d'éveiller sa conscience. La fin lui montre que c'est comme si Grace avait été transfigurée. Avant, elle a dû affronter les ténèbres pour voir en finale la lumière. Il y a un moment où le silence remplace les mots. Ceux qui ont survécu à la famine n'en ont pas parlé. Ceux qui sont morts ont emporté leurs histoires avec eux.
En même temps, Grace est aussi en pleine évolution.
Oui, elle descend d'abord vers le sud et découvre un  monde terrible. Ensuite elle remonte vers le nord dont elle est originaire tout en devenant femme. C'est à la fois un contraste et une opposition. Son monde va droit au cataclysme et elle commence à mûrir. La nature continue sa marche, elle. Grace doit faire face à sa puberté. Elle doit se débrouiller avec cela. Son frère a bien remarqué que sa poitrine grossissait. Elle est la preuve que la vraie vie continue.
Comment vous est venu le premier de ses frères, Colly?
Il m'est apparu dès le début, lors de la scène où sa sœur se fait couper les cheveux. J'ai su tout de suite qu'il allait prendre la route avec elle. L'accident fatal à la rivière a contrarié mes plans initiaux. J'avais en effet en tête une histoire à la Huckleberry Finn avec en contre-point une dynamique entre les deux personnages. Ce n'était plus possible avec cette mort. J'ai continué à écrire et Colly est revenu dans l'histoire. Il allait de soi qu'il revienne. Grace était responsable de lui. Sa honte et son trauma de l'avoir perdu étaient tels qu'elle avait la nécessité de le ramener dans sa tête. Grace pense que Colly existe pour de vrai et que personne ne le voit. Il est un personnage sans consistance physique mais il est un personnage réel. Je suis arrivé avec lui à quelque chose que je ne pourrai pas répéter. Colly est une des plus belles choses qui me soient arrivées en tant qu'écrivain.
Vous êtes l'auteur de trois romans historiques, deux se déroulent au XIXe siècle, un dans les années 1950. Ne portent-ils pas des échos du monde qui est le nôtre?
Je pense qu'il y a effectivement des échos de ce qui se passe dans le monde, par exemple en Syrie aujourd'hui avec tous les gens sur les routes. On vit à une époque de questions très importantes. Le pouvoir ou le non pouvoir, la possession ou le manque sont devenus des notions fondamentales. "Grace" traite de la Grande Famine et en même temps de tout ce qui obéit aux mécanismes de survie. Ce qui m'interpelle, ce sont les problèmes éternels de la condition humaine. D'où la dimension mythique dans mes livres, cette sorte de temps éternel. 
Les rêves ont beaucoup de place dans votre roman.
Pour moi, les rêves sont du matériau. Je m'intéresse aux événements ET aux rêves. Je fais fort  confiance aux intuitions. La vie est étrange, riche, surprenante, formidable. J'essaie de saisir toutes ces dimensions car elles font toutes partie de la réalité. Si le réalisme est très important pour la littérature et le monde, le monde ne se limite pas au réel. Il y a énormément d’autres choses qui le composent. Les rêves servent aussi à déverrouiller quelque chose, à libérer des choses pour les personnes, comme des énigmes codées qui recèlent du sens. On peut y trouver des signes prophétiques sur les aspects de la personne.

Pour écouter Paul Lynch lire le début de "Grace" (en anglais), c'est ici.








dimanche 27 janvier 2019

Décès de Mirjam Pressler, romancière et traductrice, spécialiste du journal d'Anne Frank

Mirjam Pressler en 1998, entre Norbert Vranckx (à sa gauche) et Gerold Anrich,
éditeurs en Belgique et en Allemagne de l'album "Juul" primé à Essen..

C'est l'ancien éditeur belge néerlandophone Norbert Vranckx qui m'apprend le décès de Mirjam Pressler. "Grande dame de la littérature allemande", écrit-il, "elle a notamment traduit "Juul" de Gregie de Maeyer." Et il publie une photo de la remise du prix de la Paix Gustav Heinemann à cet album en octobre 1998. Gregie de Maeyer était alors déjà décédé - il est mort subitement en juillet 1998. Ce prix a été créé en 1982 et est décerné chaque année à Essen, la ville natale de l'ancien président ouest-allemand, à des auteurs de livres pour enfants qui traitent du thème de la paix.

"Juul" est signé de deux Belges néerlandophones, l'écrivain Gregie de Maeyer (1951-1998) et l'illustateur Koen Vanmechelen (Averbode, 1996). Cet album de photos de sculptures étonnant et étrange est devenu "Jules" en français (traduit du néerlandais par Christian Merveille, Mango, 1996, épuisé). 
Jules est un impressionnant bonhomme, composé de pièces de bois brut. Un procédé qui confère une force terrible au personnage. On découvre l'histoire de ce pantin humanisé, tellement ridiculisé par ses pairs qu'il s'autodétruit. Il s'arrache les cheveux, les oreilles, les yeux... Cette lente dislocation s'assortit de la perte progressive des sens: ouïe, vue... Elle mène à l'anéantissement de Jules, réduit à quelques bouts de bois abandonnés sur un terrain vague. Arrive alors une petite fille. Elle repère Jules, ou ce qu'il en reste. Elle le prend, le câline. Elle l'aime. Pour elle, Jules reprend vie. Il raconte son histoire, celle d'un être sensible raillé et méprisé.

Mirjam Pressler est décédée le 16 janvier 2019 à Landshut, à 78 ans seulement, d'une longue maladie. Elle était née le 18 juin 1940 à Darmstadt.

Mirjam Pressler avec Amos Oz en 2015.
On la connaît comme romancière, principalement pour la jeunesse mais pour les adultes aussi, comme traductrice vers l'allemand. En près de quarante ans, elle a traduit plus de 300 livres pour enfants, adolescents et adultes, principalement de l'anglais, l'hébreu, le néerlandais et l'afrikaans, et pas des moindres auteurs, John Steinbeck, Uri Orlev, Amos Oz, Bart Moeyaert, Zeruiya Shalev, Batya Gur, Lizzy Doron...


"Ce que je veux", disait la romancière, "c'est prendre au sérieux le monde de l'enfance et ce qui appartient à la fois à son expérience extérieure et à son expérience intérieure, avec toutes ses difficultés."



Mirjam Pressler est enfin une spécialiste du journal d'Anne Frank dont elle a traduit l'édition critique et dont elle a publié une nouvelle édition en 1991, "Le Journal d'Anne Frank", direction scientifique de Mirjam Pressler, traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin et Philippe Noble (Le Livre de Poche).

"Je vais pouvoir, j'espère, te confier toutes sortes de choses, comme je n'ai encore pu le faire à personne, et j'espère que tu me seras d'un grand soutien." En 1942, la jeune Anne Frank a 13 ans. Elle vit heureuse à Amsterdam avec sa sœur Margot et ses parents, malgré la guerre. En juillet, ils s'installent clandestinement dans "l'Annexe" de l'immeuble du 263, Prinsenchracht. En 1944, ils sont arrêtés sur dénonciation.

Anne est déportée à Auschwitz, puis à Bergen-Belsen, où elle meurt du typhus au début de 1945, peu après sa sœur. Son journal, qu'elle a tenu du 12 juin 1942 au 1er août 1944, est un des témoignages les plus bouleversants qui nous soient parvenus sur la vie quotidienne d'une famille juive sous le joug nazi. Depuis la première publication de ce journal aux Pays-Bas en 1947, la voix de cette jeune fille pleine d'espoir hante des millions de lecteurs dans le monde entier.

Mirjam Pressler dit avoir été terriblement influencée par le fait que, quand elle n'avait que trois ans, elle avait vu un photo de la grand-mère d'Anne Frank. Elle a consacré plusieurs livres de recherche à la jeune Amstellodamoise ainsi qu'à son entourage.


Enfant d'une mère juive célibataire, Mirjam Pressler a passé son enfance dans une famille d'accueil et en foyer avant de réaliser progressivement ses origines juives. Elle a confié un jour au journal "Die Welt" que l'écriture était devenue une forme de "traitement salutaire pour l'enfant sans voix que j'étais auparavant" et que lire était une passion, même en coupant du bois. "Mes livres étaient placés sur le banc de scie afin que je puisse lire tout en coupant en morceaux."

Elle a étudié la peinture et les langues à Francfort-sur-le-Main et à Munich avant de passer un an dans un kibboutz en Israël. De retour à Munich en 1966, elle  s'y marie, divorce après trois ans, travaille comme chauffeuse de taxi et détaillante de jeans. Elle commence à écrire en 1979 quand, mère-célibataire de 39 ans, elle a besoin d'argent. En 1980, son premier roman, "Chocolat amer" ("Bitterschokolade", Beltz & Gelberg, 1980, traduit chez Pocket junior en 1998) sur une jeune fille boulimique remporte un grand succès. Elle reçoit le prix du livre de l'enfance et de la jeunesse d'Oldenbourg, le premier d'une longue série de prix en littérature jeunesse. Le livre se vendra à 400.000 exemplaires!

Mirjam Pressler est traduite en français dans les années 1980 et 1990, chez Messidor/La Farandole, l'école des loisirs, Actes Sud Junior, Pocket Junior, Le livre de poche jeunesse. Mais plus aucun de ses titres quasiment n'est encore disponible aujourd'hui.

En 1995, son roman "Quand le bonheur arrive" est récompensé par le prix allemand de la littérature pour la jeunesse. Elle reçoit le prix Friedrich-Bödecker pour l'ensemble de son œuvre en 1998, et en janvier 2001 la Médaille Carl-Zuckmayer pour "ses services en faveur de la langue allemande".

En 1990, elle débute son activité d'éditrice et de traductrice de livres pour l'enfance et de la jeunesse israéliens sélectionnés. Elle est récompensée par le prix spécial du prix allemand de la littérature pour la jeunesse pour ce travail de traductrice en 1994.

Peu de temps avant Noël 2018, Mirjam Pressler avait reçu la grande croix du mérite dans sa ville natale de Landshut en reconnaissance de son engagement exceptionnel en faveur de la compréhension internationale, notamment entre Israël et l'Allemagne, ainsi que du souvenir de l'injustice nationale-socialiste.

















































Quelques titres de Mirjam Pressler.



vendredi 25 janvier 2019

Les dix finalistes du prix Prem1ère 2019



Qui sera le lauréat du prix Prem1ère 2019 (RTBF), prix récompensant chaque année un premier roman écrit en langue française, sorti en librairie entre la rentrée littéraire d’automne 2018 et janvier 2019 (lire ici)? Verdict le jeudi 14 février, le premier jour de la Foire du livre de Bruxelles.
Les titres finalistes ont été choisis par un comité professionnel  (Kerenn Elkaïm, Laurent Dehossay, Christine Pinchart, Emmanuelle Jowa, Deborah Danblon, Régis Delcourt) avant d'être soumis à un jury de dix auditeurs/trices de la Première et présidé par Laurent Dehossay.

Les auteurs sélectionnés seront invités dans l'émission "Jour Première" (La Prem1ère) entre le 31 janvier et le 13 février.

Les dix romans finalistes
  • "La vraie vie", Adeline Dieudonné (L'Iconoclaste, lire ici)
  • "Prisons", Ludovic-Hermann Wanda (L'Antilope)
  • "Ça raconte Sarah", Pauline Delabroy-Allard (Minuit)
  • "Le tiers sauvage", Aliénor Debrocq (Luce Wilquin)
  • "Là où les chiens aboient par la queue", Estelle-Sarah Bulle (Liana Levi)
  • "Le mangeur de livres", Stéphane Malandrin (Seuil)
  • "Les photos d'un père", Philippe Beyvin (Grasset)
  • "Ecorces vives", Alexandre Lenot (Actes Sud)
  • "Les exilés meurent aussi d'amour", Anousse Shalmani (Grasset)
  • "Nous ne sommes pas de mauvaises filles", Valérie Nimal (Anne Carrière) 



lundi 21 janvier 2019

Les 76 artistes de l'expo des illustrateurs 2019 à la Foire de Bologne

 

Les noms des artistes sélectionnés pour l'exposition des Illustrateurs de la Foire du livre pour enfants 2019 de Bologne sont connus. Ils sont 76, venant de 27 pays (Brésil, Canada, Chine, Finlande, France, Allemagne, Iran, Irlande, Italie, Japon, Corée, Lituanie, Mexique, Norvège, Pologne, Portugal, Russie, Slovénie, Espagne, Suisse, Taiwan, Turquie, Grande-Bretagne, Ukraine, Uruguay, Etats-Unis, Venezuela).

Pas de Belge mais dix Japonais, neuf Italiens, neuf Taïwanais, six Espagnols, et cinq Français (Antoine Corbineau, Henri Crabières, Thomas Le Roi, Virginie Pfeiffer et Emma Schnellbach) pour les scores par pays les plus impressionnants, les Coréens, Britanniques, Uruguayens n'étant chaque fois que trois.

Au travail, le jury!

Le jury a eu à départager les candidatures de 2901 illustrateurs originaires de 62 pays. Le jury 2019 était composé de l'illustrateur et éditeur jeunesse argentin Diego Bianchi, de l'éditeur jeunesse polonais Maciej Byliniak, de l'auteur-illustrateur italien Alessandro Sanna, de l'illustratrice néerlandaise Harriët van Reek et de l'éditrice jeunesse française Béatrice Vincent.

Il y avait douze dossiers en provenance de Belgique, dix en catégorie fiction (lire ici) et deux en catégorie non fiction (lire ici).



Le jury à l'œuvre, Maciej, Diego, Béatrice, Harriët et Alessandro.

Les 76 artistes sélectionnés

Galerie complète de leurs œuvres ici. Sans légende de nom mais numérotées selon la liste alphabétique ci-dessous.

  1. ASIAIN LORA MIREN, SPAIN
  2. BAJTLIK JAN, POLAND
  3. BASSI SANDRO, VENEZUELA
  4. CELAS CAROLINA, PORTUGAL
  5. CHA YOUNGKYUNG, REPUBLIC OF KOREA
  6. CHEN YING-HSIU, TAIWAN
  7. CHEN  YUNG KAI, TAIWAN
  8. CHIANG  MENG YUN, TAIWAN
  9. CHOU I-HSIEN, TAIWAN
  10. CISNERO JESUS, SPAIN
  11. CORBINEAU ANTOINE, FRANCE
  12. CORRAL  PALOMA, SPAIN
  13. CRABIERES HENRI, FRANCE
  14. DELARGY FLORA, IRELAND
  15. DESNITSKAYA  ANNA, RUSSIA
  16. DUKE JENNY, UNITED KINGDOM
  17. FIVAZ  FREDERIC, SWITZERLAND
  18. GOLDBERG HERMO LUIS DAVID, VENEZUELA
  19. GOTO  CHITOSE, JAPAN
  20. HASSANZADEH SHARIF AMIN, USA
  21. HERNANDEZ MAR, SPAIN
  22. HIRASA MIKA, JAPAN
  23. IKEGAMI YORIYUKI, JAPAN
  24. INOUE YOSUKE, JAPAN
  25. JANCIAUSKAITE RASA, LITHUANIA
  26. JIANG YU, TAIWAN
  27. KIM SEULKEE, REPUBLIC OF KOREA
  28. KUDO AYUMI, JAPAN
  29. LE ROI THOMAS, FRANCE
  30. LEE SEUNGHEE, REPUBLIC OF KOREA
  31. LETRIA ANDRE, PORTUGAL
  32. LEWIS  EMMA, UNITED KINGDOM
  33. LI YUKE, CHINA
  34. LICCIARDELLO ANGELO, ITALY
  35. LIN YUN, TAIWAN
  36. MAEDA YOSHIYUKI, JAPAN
  37. MAIJALA MARIKA, FINLAND
  38. MALLO DIEGO, SPAIN
  39. MANAKA MUTYO, JAPAN
  40. MAZZETTI SARAH, ITALY
  41. MEDINA MARTINEZ  SARA, SPAIN
  42. MERZ  LAURA, FINLAND
  43. MIJANGOS QUILES AMANDA ITZEL, MEXICO
  44. MIYATA TAKASHI, JAPAN
  45. O'BRIEN MARC, CANADA
  46. ORAL FERIDUN, TURKEY
  47. PEREZ DAVID, SWITZERLAND
  48. PEREZ  SABRINA, URUGUAY
  49. PFEIFFER VIRGINIE, FRANCE
  50. ROCCHETTI  MICHELE, ITALY
  51. RODIN AL, UNITED KINGDOM
  52. RODRIGUEZ ODDONE  MARIA CECILIA, URUGUAY
  53. ROSKIFTE KRISTIN, NORWAY
  54. SARVIRA ANNA, UKRAINE
  55. SCHNELLBACH EMMA, FRANCE
  56. SHAFIEH FARSHID, IRAN
  57. SHTONDA OLGA, UKRAINE
  58. SODERGUIT ALFREDO, URUGUAY
  59. SONG JUNLI, USA
  60. STELLA  GAIA, ITALY
  61. TAI YU-TUNG, TAIWAN
  62. TANAKA  YASUHIRO, JAPAN
  63. TARONI MARIACARLA, ITALY
  64. TENG YU, TAIWAN
  65. TIENI DANIELA, ITALY
  66. TOGO NARISA, JAPAN
  67. VILELA FERNANDO, BRAZIL
  68. VIRARDI LIUNA, ITALY
  69. VOLA NOEMI, ITALY
  70. VU  MAI LINH, GERMANY
  71. WALENTYNOWICZ  KATARZYNA, POLAND
  72. WANG HOLMAN, CANADA
  73. WARDAK SANTIAGO, ITALY
  74. WU PENG, CHINA
  75. YUN-CHUAN LEE, TAIWAN
  76. ZAVADLAV ANA, SLOVENIA



    Les livres nominés pour les Prix Sorcières 2019


    Les Sorcières, soit les librairies jeunesse réunies sous cette appellation, ont modifié leurs catégories de prix l'an dernier, on le sait (lire ici).

    Rappel des six catégories:
    • Prix Carrément Beau (mini et maxi)
    • Prix Carrément Passionnant (mini et maxi)
    • Prix Carrément Sorcières (fiction et non-fiction)

    Les trente ouvrages sélectionnés ont été dévoilés.
    Soit quatre publiés par l'école des loisirs et/ou Pastel, trois par MeMo, L'Atelier du poisson soluble, Seuil Jeunesse, deux par les Fourmis rouges, Gallimard Jeunesse, Thierry Magnier, les onze éditeurs suivants n'ayant qu'un titre sélectionné, Versant Sud, Les Grandes Personnes, Albin Michel Jeunesse, Sarbacane, Casterman Jeunesse, Voce Verso, Bayard Jeunesse, L'Agrume, Format, Rouergue Jeunesse, Louison.

    Sélection 2019

    CARRÉMENT BEAU MINI



    • "Une super histoire de cow-boy", de Delphine Perret (Les Fourmis Rouges, lire ici)
    • "L'appel de la lune", d'Elis Wilk (Versant Sud Jeunesse)
    • "Moi j'ai peur du loup", d'Emilie Vast (MeMo)
    • "Petites histoires de nuits", de Kitty Crowther (l'école des loisirs/Pastel, lire ici)
    • "Ma maison", de Laëtitia Bourget et Alice Gravier (Editions des Grandes Personnes)

    CARRÉMENT BEAU MAXI


    • "Toi-même", de Marion Duval (Albin Michel Jeunesse)
    • "La montagne", de Manuel Marsol et Carmen Chica (Les Fourmis Rouges)
    • "Nous avons rendez-vous", de Marie Dorléans (Seuil Jeunesse)
    • "Petit soldat", de Pierre-Jacques Ober et Julie Ober (Seuil Jeunesse)
    • "Les riches heures de Jacominus Gainsborough", de Rebecca Dautremer (Sarbacane)

    CARRÉMENT PASSIONNANT MINI


    • "Claude et Morino", d'Adrien Albert (l'école des loisirs)
    • "Mentir aux étoiles", d'Alexandre Chardin (Casterman Jeunesse)
    • "La petite épopée des pions", d'Audren et Cédric Philippe (MeMo, lire ici)
    • "Un chien comme ça", de Céline Claire et Clémence Pollet (Voce Verso)
    • "La légende de Podkin Le Brave, naissance d'un chef", de Kieran Larwood (traduit de l'anglais par Catherine Gibert, Gallimard Jeunesse)

    CARRÉMENT PASSIONNANT MAXI


    • "La combe aux loups", de Lauren Wolk (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marie-Anne de Béru, l'école des loisirs)
    • "Le célèbre catalogue Walker et Down", de Davide Morosinotto (traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marc Lesage, l'école des loisirs)
    • "Soixante-douze heures", de Marie-Sophie Vermot (Thierry Magnier)
    • "Milly Vodovic", de Nastasia Rugani (MeMo)
    • "Pëppo", de Séverine Vidal (Bayard Jeunesse)

    CARRÉMENT SORCIÈRES FICTION



    • "Duel au soleil", de Manuel Marsol (L'Agrume)
    • "A travers", de Tom Haugomat (Thierry Magnier)
    • "La forêt", de Riccardo Bozzi, Violeta Lopiz et Valerio Vidali (Gallimard Jeunesse, lire ici)
    • "Le tracas de Blaise", de Raphaële Frier et Julien Martinière (L'Atelier du Poisson Soluble)
    • "Une âme égarée", de Olga Tokarczuk et Joanna Concejo (traduit du polonais par Margot Carlier, Editions Format)

    CARRÉMENT SORCIÈRES NON FICTION


    • "Panthera Tigris", de Sylvain Alzial et Hélène Rajcak (Rouergue Jeunesse, lire ici)

    • "Big bang pop!", de Claire Cantais (L'Atelier du Poisson Soluble​)
    • "L'appartement, un siècle d'histoire russe", d'Ania Desnitskaïa (Louison éditions​)
    • "Monstres et merveilles", d'Alexandre Galand et Delphine Jacquot (Seuil Jeunesse)
    • "Musée des museaux amusants", de Fanny Pageaud (L'Atelier du Poisson Soluble)

    Verdict attendu à la mi-février.



    vendredi 18 janvier 2019

    Un guide des livres-médicaments pour enfants!

    Nathalie Le Breton et son bébé.

    Je suis tombée de ma chaise en recevant l'annonce de parution, le 6 mars, du "Guide des livres pour enfants pour parents curieux" de Nathalie Le Breton (Editions Thierry Magnier, 200 pages). Elle est libellée ainsi: "L'arrivée d’un nouveau membre dans la famille, un déménagement, la mort, le harcèlement à l'école, l'utilisation des écrans, l'alimentation, le sommeil... Comment s'y retrouver parmi la multitude d'albums publiés? Comment choisir quand on a envie d'aborder un thème en particulier avec son enfant, une grande question ou même une plus petite, une peur, une envie? Nathalie Le Breton vous offre ici un guide malin, classé par thématiques, pour vous aider à choisir les livres pour enfants les plus pertinents!"

    Et vlan pour les dimensions artistiques de la littérature de jeunesse. Nous voici face à des boîtes de médicaments. Ce que confirme le sommaire.

    (c) Editions Thierry Magnier.

    Bien sûr, je n'ai pas encore eu le guide entre les mains.
    Bien sûr, le choix des titres proposés n'est pas mauvais.
    Le ton très directif des notices entraperçues inquiète davantage.



    (c) Editions Thierry Magnier.

    Est-ce à cela que sert la littérature de jeunesse de fiction? Etre réduite à des thèmes? Reprenons au début.

    Qu'est-ce que la littérature? Chacun en a sa définition propre mais ces variantes tournent autour de l'idée d'une diversité sans limite de formes, de recherche esthétique et d'une variété infinie de sujets visant à dire la condition humaine et tout ce qui tourne autour. Sans oublier la rencontre entre celui qui écrit et celui qui lit. Une forme d'art donc.

    Qu'est-ce que la littérature jeunesse? On aimerait reprendre la même définition. Ou se référer à l'impeccable opinion de Jean Fabre (1920-2014), fondateur de l'école des loisirs (lire ici). "L'album pour enfants", disait-il, "est un miroir de soi-même, un porte-voix de ses émotions et une fenêtre ouverte sur le monde. Le livre plaide aussi pour que ce soit à l'école que les enfants découvrent la littérature et qu'ils la découvrent pour ce qu'elle est, une source infinie de plaisirs, et non la simple occasion d'un cours de grammaire.

    L'enfant plus âgé trouve plusieurs motivations à la lecture. Tout d'abord, la communication, au-delà des frontières, des cultures (avec l'ouverture à la tolérance), l'occasion de sortir de ses habitudes de vie. Ensuite, le jeu avec les mots et les images. Enfin, un essai à la vie par procuration en se dédoublant à travers des personnages qui ont chacun quelque chose à dire.

    Certains albums portent plus loin, résonnent plus fort, s'insinuent plus intimement, deviennent pour de jeunes lecteurs des références et des repères en les accompagnant dans leur cheminement personnel et en élargissant leur horizon familier."

    Que le livre documentaire serve à instruire la jeunesse, OK. C'est même une évidence. Mais pourquoi attribuer d'autres rôles que littéraire à l'album et au roman? Parce qu'il s'agit de la jeunesse, enfance ou adolescence, la littérature doit-elle se prévaloir d'autres missions? Ne peut-on laisser les jeunes lecteurs de trouver eux-mêmes ce qu'ils cherchent dans les livres, de se sentir libres par raport à leurs lectures?

    Or que se passe-t-il? Et à cadence accélérée. Qu'est devenue la lecture, moment de liberté et de fantaisie? On cherche un livre pour un enfant qui est en deuil, a un petit frère ou une petite sœur, est malade, doit déménager... Depuis toujours, je dis NON AUX LIVRES-MEDICAMENTS. Pas qu'un album ou un roman ne puisse traiter de la mort, de la jalousie, de la maladie, des changements dans l'existence. Pour autant qu'il soit de qualité, sincère, l'album - et le roman jeunesse - doit d'abord exister par et pour lui-même, c'est-à-dire être une œuvre d'art sur un sujet déterminé, et non un remède. Bien sûr, un livre peut aider dans une situation et nombreux sont les adultes à chercher du réconfort dans la littérature. La littérature ouvre à soi-même, aux autres, au monde, aux joies et ses peines. Pas besoin de la forcer, de la faire entrer dans des cases.

    Cette valorisation du livre-médicament jeunesse a en outre comme conséquence la prolifération de livres-prétextes, du genre mon enfant est jaloux, triste, en colère,.. parfois par collections entières. Où est l'art dans ces produits formatés, souvent politiquement corrects en plus? Où est le processus créatif pour l'auteur, coincé dans les demandes de l'éditeur et les diktats divers, de genre, de couleur, ou autre, bien-pensants. On y perd la création. On y perd la littérature. On y perd sûrement aussi les jeunes lecteurs. Comment accrocher à un livre qui n'a pas été conçu avec sincérité? Comment croire alors encore aux livres? Laissons faire les auteurs selon leur cœur, leurs tripes, leurs intuitions. Refusons les étiquettes. Tout le monde y gagnera.