Adeline Dieudonné. (c) Stéphane Remael. |
"A la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres." Par "cadavres", entendez les animaux empaillés que collectionne le père. La première phrase du premier roman d'Adeline Dieudonné, une Belge de 35 ans, secoue. Il en sera de même tout au long de "La vraie vie" (L'Iconoclaste, 266 pages), excellent bouquin à la typo soignée comme tous ceux que publient cette jeune maison d'édition.
Avant de rencontrer les humains de ce roman au ton rare, certains n'en méritant sans doute pas l'appellation, on découvre les espèces naturalisées conservées dans la chambre, des cervidés de chez nous, des animaux d'Afrique, dont un lion et, surtout, une hyène. Celle qui ricane quand elle émet un son. Les protagonistes humains sont d'abord, la narratrice, anonyme, âgée de dix ans au début du récit, témoin volubile et actrice de cette drôle de vie, son père aux trois passions, la chasse, la télé et le whisky, sa mère, amibe effacée dévolue aux tâches ménagères, craintive parce que battue. Et surtout, Gilles, le petit frère de six ans. L'aimé, l'adoré même, celui que l'héroïne guide et protège. Il y a encore Monica, sorte de fée âgée qui raconte des histoires et vit dans le bois des Petits Pendus, la famille peu fréquentable du propriétaire du cimetière de voitures, les nombreux voisins plus ou moins sympathiques. La décharge aux carcasses cabossées est évidemment l'endroit où les enfants aiment jouer et se raconter des histoires quand ils quittent le jardin de leur maison du lotissement.
Cette vie banale, teintée d'amour fraternel et de violence paternelle, va exploser le jour de l'accident, drame qui arrive très vite dans le roman. Ce jour-là, le petit Gilles perd son rire. Ce jour-là, sa grande sœur décide de tout faire pour qu'il le retrouve. Candide, elle se raconte, elle nous raconte ce que vit ce petit garçon meurtri dans une famille rongée de violence. Et c'est ici qu'intervient le talent d'écriture d'Adeline Dieudonné. Car sa manière de raconter donne de la luminosité à la noirceur ambiante. Car son imagination galopante nous entraîne dans ce projet fou de remonter le temps, parce que l'idée a été vue à la télé et qu'elle veut y croire, pour que le drame n'arrive plus. Car la force guerrière de sa narratrice est une énergie qui l'emporte dans l'étude poussée de la physique ou celle de son corps qui se féminise, lie des amitiés fortes et ne permet aucun désespoir, même quand elle devient la proie de son propre père, même quand elle manque mourir. La demoiselle a décidé de chasser la hyène qui ricane en son frère et lui bloque son rire.
Comme dans une fable, comme dans un conte, les étapes seront autant d'épreuves dont triompher. Mais quel beau chemin on aura parcouru en compagnie de la nouvelle romancière. Les initiations multiples n'empêchent pas les mots de se faire tranchants, caressants ou drôles. Car la vie, vraie ou non, n'est pas binaire à se partager entre proies et prédateurs. Même si elle impose de perdre son innocence. Livre hors norme, "La vraie vie" se savoure comme un bonbon oscillant entre acide et sucré.
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