Carole Fives. |
🎵🎵 "Fais dodo, Colas mon p'tit frère 🎵🎵
🎵🎵 Fais dodo, tu auras du lolo" 🎵🎵
Contrairement à la berceuse, dans le nouveau roman de Carole Fives, le superbe "Tenir jusqu'à l'aube" (Gallimard, L'Arbalète, 179 pages), maman n'est pas en haut à cuire un gâteau et papa n'est pas en bas à préparer du chocolat. Au contraire, papa n'est même plus là du tout. Et l'héroïne, graphiste de profession, se retrouve seule avec son petit bout de deux ans. Un gamin qu'elle adore. Une maternité dont elle a besoin de s'échapper de temps en temps. Comment? Elle fugue.
Elle fugue comme la chèvre de Monsieur Seguin, histoire qu'elle lit le soir par épisodes à son petit. De temps en temps, elle s'éclipse, laissant son petit seul dans l'appartement. Quelques minutes de liberté, minutes volées, minutes d'angoisse et de joie. Et s'il arrivait quelque chose? Peut-être. Mais quelqu'un se demande-t-il ce qui pourrait arriver si elle ne s'octroyait ces répits?
Carole Fives aborde de manière extrêmement intéressante le thème de la mère célibataire, sans boulot ou si peu, donc sans ressources, donc sans place de crèche, donc obligée de s'occuper de son fils tout le temps. Une spirale infernale qui ne l'emportera néanmoins pas. Son héroïne n'est ni une sainte qui se sacrifierait pour son rejeton, ni une démone qui l'abandonnerait. C'est une femme d'aujourd'hui, pleine d'amour maternel et lucide par rapport à sa vie. C'est une femme qui trouve des solutions pour se sauver, elle, et donc sauver la relation qu'elle a à son fils. Devrait-elle payer le prix fort pour sa liberté, comme la chèvre de Monsieur Seguin? "Non", répond la romancière. "La nouvelle de Daudet, "La Chèvre de Monsieur Seguin", m'a toujours révoltée. Pourquoi la chèvre doit-elle mourir? J'ai voulu prendre le contre-pied et montrer une femme qui tentait de se libérer... Oui, j'ai écrit un texte féministe contre un texte que je trouve réactionnaire, surtout si on remplace chèvre par femme. La phrase de Daudet en exergue est une boutade, non un hommage!"
Le roman au style si agréable nous raconte cette jeune femme à la troisième personne. Par petites touches, on la suit dans son quotidien, partagé entre recherche d'emploi et toutes les complications que cela suppose, jeux avec son fils, éducation de celui-ci. Dans ses questionnements qu'elle suit sur les forums des réseaux sociaux avant d'y intervenie elle-même, reflets de sa difficulté d'être et miroir de la bien-pensance anonyme comme des appels à vivre d'autres petites chèvres de Monsieur Seguin. En parallèle à l'avancée du récit de Daudet.
En trois parties, "S'échapper", "Passer le week-end", "Tirer sur la corde", le livre nous fait connaître de plus en plus intimement le quotidien de cette maman solo. Sans mélo, sans peser. Les faits suffisent. Le duo constant, l'absence du père, les voisins fuyants, le banquier, l'huissier, la maladie, la visite du grand-père, l'avocate, l'expulsion... En parallèle, les fugues, de plus en plus longues, alarme du téléphone programmée, et leur cortège d'imprévus qui pourraient tourner au drame. Se croit-elle "au moins aussi grande que le monde" comme l'écrit Daudet? Non, bien sûr, celle qui nous est racontée est une femme d'aujourd'hui, mère du mieux qu'elle peut mais pas que. Avec ses petites phrases courtes et ses discussions sur internet, avec ce quotidien à la fois joyeux et difficile jusqu'au terrible suspense final, Carole Fives nous brosse le tableau de notre société où une femme qui est mère n'est respectée que quand elle se cantonne à son rôle de Mère Courage. Surtout quand le père a disparu. "Tenir jusqu'à l'aube" nous montre qu'il peut en être autrement. Qu'il doit en être autrement. Sa narratrice n'est pas une mauvaise mère mais une femme d'aujourd'hui, présente à son enfant et vivante pour elle-même. Un roman qu'on ne lâche pas et dont on savoure la progression dramatique.
Pour feuilleter le début de "Tenir jusqu'à l'aube", c'est ici.
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