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jeudi 29 novembre 2018

Du "Fleuve" aux "Enfances" avec Claude Ponti

Rouh-Dang et Louz-Nour. (c) l'école des loisirs.


Début septembre, alors que paraissait le livre "Enfances" dont il est le coauteur (lire plus bas), Claude Ponti m'indiquait être "terriblement en retard" pour son nouvel album. Apparemment, il s'est bien rattrapé, ou il a mis les bouchées doubles, ou il a engagé des poussins, ou... En tout cas, "Le fleuve" est là et bien là, réjouissant sur le fond et sur la forme. En format à l'italienne (63,5 cm d'envergure!), avec un joli dos toilé couleur de chocolat noir (l'école des loisirs, 60 pages). "Le fleuve", c'est une histoire-fleuve qui coule de source. De splendides illustrations déployant toute la palette de l'artiste aux plus de soixante livres jeunesse, des paysages magnifiques, des maisons complexes et très habitées, des personnages délicieux, proches de ceux qu'on a déjà rencontrés, des inventions surréalistes mais logiques, un monstre extrêmement terrifiant, quelques ossements subtilement assemblés, des couleurs joliment choisies, des cadrages parfois facétieux, une mise en pages rendant honneur à tant de talent. Au point qu'on peut dire que Claude Ponti s'est encore surpassé dans ce "Fleuve" dont les habitants coulent de longues vies tranquilles.

Le paysage enchanteur du fleuve l'Ongoh. (c) l'école des loisirs.

Pas sûr toutefois que "Le fleuve" plaira à tous les parents avec ses épisodes qui marient le genre masculin et le genre féminin en rendant naturelle la quête de l'identité sexuelle de l'enfant mais c'est tant pis pour eux. L'important est que Claude Ponti parvient à raconter ici une superbe histoire dont le rythme en deux temps initiaux fait bien comprendre le propos et dont le sujet s'expose à qui veut bien le voir. Sans préjugés, eux, les enfants y prendront, comme dans tous les albums de l'auteur-illustrateur, ce dont ils ont besoin. Accueil, respect, attention à soi et à l'autre, soutien, tout cela passant par un livre splendidement construit, plein de jeux sur les mots et dans les illustrations, faciles à comprendre ou à simplement laisser infuser. Un album à plutôt proposer aux enfants d'école primaire. Surtout, un album à examiner dans tous ses détails tant les illustrations luxuriantes sont volubiles et à lire bien haut pour en savourer toutes les trouvailles phonétiques.

Chez les Oolong. (c) l'école des loisirs.

L'album se déroule sur le fleuve l'Ongoh. A un endroit vivent les Oolong, grands ramasseurs de nourritures végétales dont ils font une exquise cuisine qu'ils échangent volontiers avec d'autres peuples. A un autre vivent les Dong-Ding qui eux, cueillent, ramassent, conservent et échangent des plantosoins, des revigores et des enchantissements. Mais ceux-là, on ne les rencontre que plus tard car Claude Ponti nous fait d'abord connaître les Oolong et leur mode de vie. Notamment, Louz-Nour, un bébé fille dont la famille a fait un garçon pour satisfaire le dernier vœu de la grand-mère, renaître en garçon. On le suit dans ses occupations, lui et sa natte unique de garçon, les filles en portant trois et cinq "les enfants qui ne savent pas encore si elles seront fille ou garçon" - remarquer au passage l'usage du "elles" pluriel au lieu de l'habituel "ils". Le plus important: "Quel que soit le nombre de nattes, les enfants s'occupent à jouer et jouent à s'occuper".

Occupations chez les Dong-Ding. (c) edl.
Occupations chez les Oolong. (c) edl.








Jeux divers, à l'ancienne ou contemporains, conte, chant (avec Bili-Ô-lidée), cueillaisons diverses dont celle des très demandées cosses de Blavière Trempeuse, espèce acoquinée avec la dangereuse Clapouille-à-loquet, conservation des graines, fruits, baies, légumes aux noms délicieux comme la nourriture qui en est tirée, Claude Ponti fait très fort.

Chez les Dong-Ding. (c) l'école des loisirs.

Quand les Dong-Ding arrivent dans le récit, comme en écho et en miroir aux habitants du fleuve rencontrés en premier, on assiste aussi à une naissance, celle de Rouh-Dang, un bébé garçon dont la famille fait une fille pour satisfaire le dernier vœu du grand-père, renaître en fille. "Le fleuve" nous présente la deuxième héroïne exactement comme l'album l'avait fait pour Louz-Nour, répétition facétieuse et interpellante. On suit aussi Rouh-Dang dans ses récoltes de plantes, au "sommet de montagnes équilibristes" ou "bas perchées dans l'eau claire" ou encore bien mieux cachées ou perchées.

Louz-Nour et Rouh-Dong et leurs oreilles occupées. (c) l'école des loisirs.

L'album se poursuit par la rencontre des deux héros, chacun ayant son grand-père ou sa grand-mère caché dans son oreille, tout réjoui de vivre la vie de l'autre sexe. Louz-Nour et Rouh-Dang échangent eux aussi sur leurs avantages respectifs - il faut se rappeler qu'ils sont nés du sexe opposé à celui qu'ils affichent. Cette sérénité est violemment interrompue avec l'arrivée d'un horrible montre, sans nom ni prénom, le Kapadnon, qui exige des "Lixirs de Longue Vie Éternelle pour..." (formule imparable qui se résume en "LLVÉÊJMPMJFMDADDCRÊORFT"). Ses sanctions sont terribles, gel des mamans, glaçonnage de tous les papas. A la grande terreur des enfants Oolong et Dong-Ding. Les images en donnent un aperçu criant, le texte est aussi effrayant que jubilatoire (on rappelle ici que les enfants aiment se faire peur).

Le monstre sans nom qui s'appelle Kapadnon. (c) l'école des loisirs.

Ce sera le moment d'intervenir pour Louz-Nour et Rouh-Dang qui, entre-temps, ont découvert leur sexe véritable mais préfèrent continuer comme ils ont commencé. Ils préparent les "Lixirs...." en en recueillant avec adresse, virtuosité même, les ingrédients et découvrent que leur potion préparée par "une fille et un garçon de deux peuples différents" aura un effet inattendu sur le Kapadnon. Une fois de plus, Claude Ponti mêle le grave et le joyeux, terminant l'aventure sur une note de paix retrouvée, de fête achalandée avec gourmandise et de liberté absolue. "Le fleuve" est un album splendide qui aborde l'air de rien un sujet difficile et inquiétant, la question du genre, et apporte toutes les assurances par rapport aux choix que chacun fera tout en emmenant ses lecteurs, pas trop jeunes, dans une formidable aventure.



"Enfances".
(c) l'école des loisirs.


En début de saison littéraire, Claude Ponti a publié en duo avec Marie Desplechin, leur première œuvre ensemble, l'épais moyen format "Enfances" (l'école des loisirs, 136 pages). Un formidable recueil illustré où les auteurs racontent à leur manière l'enfance de soixante-deux personnes. Car chaque adulte a commencé enfant. Souvent même, enfant créatif ou créateur, on l'oublie trop. Avec un tel duo d'auteurs, on n'est évidemment pas face à des biographies classiques. Chaque portrait se compose de deux textes et d'un dessin, les trois s'épaulant.

(c) l'école des loisirs.

Au départ, Claude Ponti et Marie Desplechin voulaient raconter mille histoires d'enfants. En pratique, ils ont fait des listes, réunissant 372 noms. Il leur a fallu élaguer et arriver au total de soixante-deux enfants, connus ou non, réels ou non, artistes ou non, savants ou non, rois ou non, qui ont, chacun à sa façon, marqué leur époque et changé le monde. Comme le feront certains enfants d'aujourd'hui. Chaque portrait d'enfant raconte son histoire de manière originale, vivante et agréable et dit sur le même ton ce qu'il/elle a accompli adulte tandis que le dessin permet de pousser plus loin les informations du texte tout en réjouissant l'œil.


(c) l'école des loisirs.

Trente-deux hommes, vingt-huit femmes, deux de genre indéterminé, le tout premier enfant du monde, qui est fille ou garçon, et Iqallijuq, Inuit venue au monde en 1918 dans un corps de fille mais réincarnation de son grand-père aux yeux de sa famille et donc garçon - tiens tiens, on voit cela aussi dans "Le fleuve". "Enfances" commence avec Sophie Rostopchine, la Comtesse de Ségur, Charles de Gaulle et Hans Christian Andersen. Le recueil finit avec le tout premier enfant du monde, Honoré de Balzac et Sophie Germain. On aura rencontré au passage des incontournables, comme Albert Einstein, Anne Frank, Charlie Chaplin, Nelson Mandela ou Frida Kahlo. Des surprises aussi comme l'enfant des Grottes, le fils de Guillaume Tell, Romulus et Remus, Eve ou Alice Liddell (celle de Lewis Carroll). Et des moins connus, ou pas connus du tout comme Sophie Germain, Nicolas Hardenpont, Emily, Andrée Descamps ou Iqbal Masih. Que de trouvailles, que de bonnes surprises! Voilà un panachage qui a vraiment du panache! Et qui reflète la personnalité des auteurs, plus fantaisiste pour lui, plus documentaire pour elle. Qu'importe. A deux, ils font la paire. Et nous, des découvertes. Pour tous.


(c) l'école des loisirs.






mercredi 28 novembre 2018

Les Pépites 2018 couronnent les petits éditeurs

"Le tracas de Blaise", Pépite d'Or 2018. (c) L'Atelier du Poisson soluble.


Dix-huit titres étaient sélectionnés pour les Pépites (lire ici) en trois catégories, livre illustré, roman et bande dessinée. A charge pour trois jurys de lecteurs de 8 à 18 ans de choisir leur préféré, un quatrième jury, de professionnels cette fois, décernant la Pépite d'or.

Trois petits éditeurs sont donc récompensés sur les quatre Pépites décernées cette année au Salon du Livre et de la Presse Jeunesse de Montreuil.


Pépite d’or 


Le tracas de Blaise
Raphaële Frier et Julien Martinière
L'atelier du poisson soluble, 40 pages

Paru il  y a un an, l'album raconte l'histoire de Blaise, qui se réveille un matin après une nuit agitée. Il sent que quelque chose a changé en lui. En fait, il entame une longue métamorphose dont il s'efforce de dissimuler les signes au quotidien.





Pépite du livre illustré


Duel au soleil
Manuel Marsol
L'Agrume










Pépite du roman


L'Enfant de poussière
Patrick K. Dewdney et Fanny Étienne Artur
Au diable vauvert










Pépite de la bande dessinée


Un Gentil Orc sauvage
Théo Grosjean
Delcourt

Théo Grosjean: "J'espère que ce sujet de la migration qui traverse mon livre intéressera et engagera les jeunes lecteurs, autant que l'aventure que j'ai pris plaisir à écrire."

Kamel Benaouda, premier lauréat masculin du Concours du premier roman jeunesse

Kamel Benaouda. (c) Jérémie Coris.

Et voilà, c'est le Lyonnais Kamel Benaouda qui est le lauréat du troisième Concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard Jeunesse, RTL et Télérama (lire ici). Son "Norman n'a pas de super-pouvoir" a été préféré aux 923 autres premiers manuscrits reçus. Son roman paraîtra le 29 novembre en versions papier et numérique (Gallimard Jeunesse, 320 pages). Originaire d'un quartier défavorisé de Lyon, Kamel Benaouda a grandi dans une famille de huit enfants. Il a suivi des études de lettres modernes tout en écrivant pour le plaisir. Âgé de 36 ans, il enseigne aujourd'hui le français dans un lycée près d'Angers, où il vit avec sa compagne et leurs quatre filles.

"Norman n'a pas de super-pouvoir" nous plonge dans le monde de Norman, où  chacun possède un don spécial: vision nocturne, télépathie, respiration sous l'eau, invisibilité... Sauf Norman! Or ce matin-là, au collège, le héros doit passer le test qui le révélera à la terre entière. Pour échapper à cette humiliation, une seule solution: tricher! Avec ses amis Agathe, Franck et Jibril, il monte un plan des plus périlleux... Dès 10 ans.


Via Gallimard, quelques questions à Kamel Benaouda
Quels sont les cinq livres qui ont marqué votre enfance?
Question difficile... Par ordre croissant d'importance, je dirai: Jules Verne, "20.000 lieues sous les mers", Mark Twain, "Les aventures de Tom Sawyer", les livres d'Anthony Horowitz, en particulier "Ennemi public n°2" (plus encore que "Le Faucon malté", qui le précède), "L'Odyssée" d'Homère, et d'une manière générale, les contes et la mythologie de différentes cultures, Loïs Lowry, "Le Passeur".
Comment vous est venue l'envie d'écrire? 
Je ne suis pas très original, mais c'est à force de lire que m'est venue l'envie d'écrire. Les livres ont tellement apporté à mon enfance que j'ai eu envie de "rendre" ce qui m'avait été si généreusement offert. J'ai longtemps cru que ce n'était qu'un passe-temps, avant de comprendre qu'il s'agissait surtout d'un besoin. Je ressasse des histoires et elles m'obsèdent jusqu'à ce que je les ai couchées sur papier.
Pourquoi avez-vous participé au concours? 
Une amie, qui écrit aussi, m'expliquait que les appels à textes et les concours étaient une bonne manière de se faire connaître... Je la remercie aujourd'hui! Le hasard a voulu que je termine mon roman quelques mois avant la date butoir du concours, ce qui m'a laissé le temps de corriger l'ensemble.
Où avez-vous trouvé l'inspiration pour écrire cette histoire? 
Les super-héros, que l'on voit partout, et qui ont d'ailleurs fait partie de mon enfance, présentent une limite qui m'a toujours frustré: ils ont tendance à rendre la réalité fade et sans intérêt. J'ai donc eu envie d'écrire une histoire qui parodie cet univers et soit, d'une certaine manière, une célébration de l'ordinaire.
Racontez votre livre en une phrase.
J'aime bien la manière dont l'équipe de Gallimard l'avait formulé: "Dans le monde de Norman, chacun est doté d'un super-pouvoir... sauf Norman. Avec l'aide de ses copains, il va s'efforcer de faire croire qu'il n'est pas différent des autres".
Qui a été votre premier lecteur ? 
Mes deux filles aînées, qui avaient 9 ans à l'époque. Pour savoir si, objectivement, mon roman valait le coup d'être proposé au concours, j'ai réalisé une fausse édition du livre, avec un faux nom, et je le leur ai fait lire en faisant croire que je l'avais acheté en librairie. Quand elles m'ont conseillé de le lire à mon tour en m'expliquant que c'était prenant et drôle, j'ai su qu'il avait ses chances...

lundi 26 novembre 2018

Le pire et le meilleur des années 80 belges

Le Delhaize d'Alost en 1985.
Les années 1980 en Belgique, ce sont les gouvernements Martens successifs, la création d'Ecolo, la victoire de Sandra Kim à l'Eurovision, la visite du Pape Jean-Paul II, le drame du Heysel (39 morts)...

Les années 1980 en Belgique, ce sont bien entendu aussi les attaques des CCC (Cellules communistes combattantes) et celles, sanglantes, des Tueurs du Brabant qui ont terrorisé le pays entre 1982 et 1985, et toujours non élucidées, plus de trente ans après.

Qui ne se souvient pas de ces braquages d'enseignes Delhaize le plus souvent, tournant au carnage? Des ouvertures d'enquêtes, des réouvertures d'enquêtes, des réréouvertures d'enquêtes? Aujourd'hui, plusieurs victimes directes ou indirectes, ne sont plus de ce monde. Certains des tueurs non plus, peut-être. Peut-être, car ils n'ont jamais été clairement identifiés.


Aujourd'hui, en parallèle au beau et poignant film de Stijn Coninx, "Niet schieten" (Ne tirez pas), actuellement au cinéma, qui revient sur la tuerie du Delhaize d'Alost le 9 novembre 1985 et est tiré d'un livre éponyme, sort un nouveau livre de David Van de Steen qui le complète fort bien et le prolonge. Toujours avec la journaliste Annemie Bulté, l'ancien gamin de neuf ans miraculeusement rescapé publie "Survivant des Tueurs du Brabant" (traduit du néerlandais par Liliane Tackaert et Christian De Greef, Racine, 256 pages). Un récit-enquête qui s'imposait aux yeux des auteurs vu les nombreuses rencontres faites après le premier.

"Survivant des Tueurs du Brabant" est non seulement le récit de David qui échappa, à neuf ans, aux tueurs qui massacrèrent devant lui son père, sa mère et sa sœur, brisant sa famille, tuant son enfance, mais aussi celui des autres victimes de cette période noire toujours mystérieuse. Devenu adulte, mari et père, apaisé, David Van de Steen reprend la quête de son grand-père aujourd'hui décédé, "Petje", Albert Van den Abiel, cet homme extraordinaire qui ne baissa jamais les bras dans sa recherche infinie de la vérité. Enquêtant, confrontant, interpellant tous ceux qui semblaient parfois se taire. Des documents entreposés notamment dans une mallette en crocodile, devenue le témoin que le grand-père a passé à son petit-fils sur son lit de mort.

Avec la journaliste Annemie Bulté, David Van de Steen fournit un récit extrêmement fouillé de nombreux éléments liés aux Tueurs du Brabant depuis les années 80. Témoignages, enquêtes, pistes diverses s'offrent à nos yeux incrédules devant la manière dont police et gendarmerie ont alors travaillé. Mal. Très mal. Et guère mieux depuis, l'affaire n'étant toujours pas élucidée. Evidemment la question du pourquoi s'impose. Sans complotisme, les auteurs ne l'esquivent pas.

Si David Van de Steen écrit ici son histoire personnelle, il y intègre aussi toutes les autres victimes de ces drames, directes et indirectes, d'hier et d'aujourd'hui, et leurs proches, se faisant ainsi le porte-voix de ceux qu'on n'a jamais voulu entendre. Ça pique aux yeux et ça pique au cœur, mais il est nécessaire de le lire pour connaître cet aspect de la Belgique.

Pour feuilleter en ligne "Survivant des Tueurs du Brabant", c'est ici.



Mais les années 1980 en Belgique, ce sont aussi celles qui voient la naissance, en 1985, de l'émission télévisée "Strip-Tease", créée à la RTBF par Marco Lamensch et Jean Libon - elle passera aussi sur France 3 de 1992 à 2012 - et dont ils garderont la responsabilité éditoriale jusqu'en 2005. Qui n'en a pas gardé un ou plusieurs épisodes en mémoire? Ou au moins la voix off de Martine Matagne.

"Strip-tease, l'émission qui vous déshabille", voulait proposer des documentaires d'un genre nouveau où les commentateurs s'effaceraient pour laisser parler les protagonistes. Les sujets venaient essentiellement de la vie de tous les jours mais la manière de les aborder était on ne peut plus originale, choquant les uns, réjouissant tous les autres.

Si l'épisode sans doute le plus culte de l'émission tout aussi culte fut sans doute "La soucoupe et le perroquet" (1993) où on découvrait un certain Jean-Claude Ladrat en train de construire une soucoupe volante dans son jardin dans un reportage du journaliste Frédéric Siaud, il y en eut plus de huit cents autres!

Un chiffre qui paraît assez dingue mais que Marco Lamensch, un des créateurs de l'émission, nous détaille à l'envi dans le livre qu'il consacre à son ancien bébé, plus de trente ans ans après sa naissance, l'épatant recueil sous forme de miscellanées "Strip-Tease se déshabille" (préface de Philippe Geluck, Editions Chronique, 224 pages). Il a choisi une vingtaine de reportages dont il donne un résumé et un texto avant de les utiliser comme tremplins vers des sujets annexes, les sujets les plus fous, les portraits des divers intervenants, le film "Strip-Tease", etc.

Ça part dans tous les sens et c'est bien ça qui est intéressant et rigolo dans l'ouvrage. On n'aurait pas voulu d'une chronologie stricte. Par contre, sauter d'un sujet à l'autre, de la soucoupe initiale au photographe de charme final en passant par les portraits de petites filles modèles et de vieilles dames toujours vertes ou le difficile sujet de l'extrême-droite, et surtout y suivre Marco Lamensch sur les chemins de traverse à propos de l'émission qu'il ouvre pour nous est une riche expérience. Un seul regret, tout petit: que les dates des reportages ne soient pas mentionnées alors que chacun est rendu à son réalisateur.

De grand format, abondamment illustré, touffu sans être étouffant, "Strip-Tease se déshabille" est aussi un très beau retour en arrière sur ce que la société a été.


La soucoupe et le perroquet.



Aller en Chine avec Jean-Philippe Toussaint

Jean-Philippe Toussaint.

"Depuis le début des années 2000", écrit Jean-Philippe Toussaint à propos de son nouveau livre "Made in China" (Editions de Minuit, 192 pages), "j'ai fait de nombreux voyages en Chine, je me suis rendu à Pékin, à Shanghai, à Guangzhou, à Changsha, à Nankin, à Kunming, à Lijiang. Rien n'aurait été possible sans Chen Tong, mon éditeur chinois. La première fois que j'ai rencontré Chen Tong, en 1999, à Bruxelles, je ne savais encore quasiment rien de lui et de ses activités multiples, à la fois éditeur, libraire, artiste, commissaire d'exposition et professeur aux Beaux-Arts. Ce livre est l'évocation de notre amitié et du tournage de mon film "The Honey Dress" au cœur de la Chine d'aujourd'hui. Mais, même si c'est le réel que je romance, il est indéniable que je romance."


Ce lundi 26 novembre, à la Maison Autrique (Bruxelles, Schaerbeek), on pourra vérifier cela à la quatrième soirée Portées-Portraits de la saison invitant à "Reculer les murs" (lire ici) car la compagnie Albertine de Geneviève Damas la consacre à Jean-Philippe Toussaint. Isabelle Wéry lira des extraits de "Made in China", accompagnée par Diana Dobrescu à l'électronique, dans une mise en voix d'Antoine Laubin. La lecture-spectacle sera suivie de la projection du court-métrage "The Honey Dress" que Jean-Philippe Toussaint sortit en 2015.

La Chine n'est toutefois pas une terre inconnue pour Jean-Philippe Toussaint. Depuis près de vingt ans, il entretient des relations artistiques et amicales avec ce pays, et, en particulier, avec Chen-Tong, son éditeur et producteur chinois. C'est à l'occasion du tournage en 2014 de "The Honey Dress", la scène qui ouvre "Nue", le dernier roman de son cycle romanesque, "M.M.M.M", qu'il se rend là-bas. "Made in China" est à la fois le journal désopilant des préparatifs du tournage et une réflexion sur le hasard et la fatalité.

Et Jean-Philippe Toussaint ne nous est pas inconnu. Né le 29 novembre 1957 à Bruxelles, il plonge très vite dans l'écriture. En 1985, il publie chez Minuit son premier roman, "La salle de bain", qui remporte un franc succès. Suivront chez le même éditeur une dizaine de romans reconnaissables à leur style épuré, récits minimalistes où personnages et choses n'ont d'autres significations qu'eux-mêmes. Ses œuvres sont traduites dans une vingtaine de langues.  En 2014, il succède à Henry Bauchau au fauteuil 9 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (ARLLFB). Il est également un cinéphile averti, un réalisateur de cinéma, un plasticien et un photographe qui expose, depuis 2000, régulièrement en Europe et au Japon.

Pour lire le début de "Made in China", c'est ici.
Pour visionner "The Honey Dress", c'est ici.

Programme

  • A 19 heures, rencontre avec Laurent Demoulin, auteur et spécialiste de l'œuvre de Jean-Philippe Toussaint
  • A 20h15, lecture-spectacle et projection du court-métrage
  • Vers 21 h 30, échange avec les artistes autour d'un verre offert

Pratique


  • Maison Autrique, chaussée de Haecht, 266 à 1030 Bruxelles.
  • Prix des places: 8 € (qui donne l'occasion de visiter toute la maison)
  • Renseignements et réservation: 02/245.51.87 ou albertineasbl@gmail.com






vendredi 23 novembre 2018

Les Maîtres de l'imaginaire s'exposent à Paris. Courez-y!


Quel bonheur d'avoir enfin pu découvrir "en vrai" les originaux réunis par Etienne Delessert et la fondation suisse Les Maîtres de l'imaginaire! Ils avaient été présentés pour la première fois à Strasbourg en mars dernier (lire et regarder les images ici et ici). Les voilà à Paris pour deux mois dans l'exquise cave voûtée des Libraires associés, du côté de Barbès (3 Rue Pierre l'Ermite, 75018). Une exposition légèrement complétée par rapport à sa version strasbourgeoise,  quatre autres "Maîtres" ayant rejoint la Fondation entre-temps, Nicole Claveloux, Alain Gauthier, Elwood H. Smith (non traduit en français) et Lisbeth Zwerger. L'expo parisienne se tiendra jusqu'au 19 janvier, du mardi au samedi de 14 à 19 heures.

MISE A JOUR: L'expo est prolongée jusqu'au 31 janvier aux mêmes horaires.

La cave des Libraires Associés.

Le travail
de Nicole Claveloux.
En tout, ce sont quatre-vingts œuvres originales dues à trente grands illustrateurs qui attendent le visiteur, aux cimaises et dans des vitrines, complétées de notices et, chaque fois que possible, des albums où elles apparaissent, disponibles en librairie ou pépites introuvables. Quelles merveilles! Cette juxtaposition d'illustrations exceptionnelles et un accrochage judicieux permettent de s'en mettre plein les mirettes, d'approcher le nez de ces fabuleux originaux, de découvrir de près le travail de ces immenses artistes. Les reproductions, c'est bien, les originaux, c'est mieux!

Une peinture de Nicole Claveloux,
toute fraîche arrivée de Bruxelles.

Yok-Yok d'Etienne Delessert.
A déambuler entre les cimaises richement garnies, on comprend bien Jacques Desse, un des Libraires Associés, quand il dit: "Mon plaisir du soir parfois, pendant l'installation d'une exposition, est de descendre fignoler l'accrochage, dans le calme et le silence de la nuit. "Tiens, ce serait bien d'intervertir ces deux dessins... On verrait mieux ce livre s'il était surélevé de quelques centimètres..." Et ainsi de suite, par petites touches.
Pendant une heure, ou deux, ou trois, seul en compagnie des œuvres, je les vois, revois et redécouvre sans fin ni lassitude, bien au contraire. Il m'arrive même de m'asseoir, comme ça, écoutant des yeux, tandis que le chat s'est discrètement lové sur une étagère. Ces moments privilégiés sont le plus grand luxe que je connaisse."

Alain Le Foll.
L'expo des Maîtres de l'imaginaire en solo, cela doit être bien. Mais en régime normal, de jour, avec d'autres visiteurs, elle vaut déjà grandement le détour. Incroyable comme un espace en sous-sol finalement assez réduit peut accueillir un grand nombre d'œuvres sans donner l'impression de vous assommer. Alors que chaque centimètre d'espace est utilisé. Ici une illustration, là une vitrine, là encore des albums portant la signature des artistes exposés, dont quelques trésors. Tout est tellement bien mis en place qu'on regrette plutôt d'avoir déjà fait le tour complet. Que ce soient les œuvres partiellement calcinées d'André François, toujours impressionnantes, les merveilles d'Alain Le Foll, Etienne Delessert, Henri Galeron, Guy Billout, Roberto Innoccenti qu'on connaît bien via leurs livres, les trésors de Ian Nascimbene, disparu il y a déjà cinq ans, d'Alain Gauthier et d'artistes non ou peu traduits en français, et tous ceux et celles qui portent à raison le même titre de Maîtres de l'imaginaire et figurent dans la liste ci-dessous.

Eléonore Schmid en "stéréo".

Une exposition tout simplement magique! Aussi bien pour ceux qui connaissent la littérature de jeunesse et pousseront des "oh!" et des "ah!" devant la qualité des artistes présentés que pour ceux qui la découvrent et verront ici que la création d'aujourd'hui est bien née de celle d'hier. Gloire à ces précurseurs qui ont su donner ses lettres de noblesse à un genre littéraire injustement décrié (souvent par méconnaissance). Et merci à Etienne Delessert qui a eu l'énergie de porter ce magistral projet.

Henri Galeron en original et en livre.


Les Maîtres de l'imaginaire, ce sont, désormais, par ordre alphabétique:
  • Marshall Arisman
  • Jean-Louis Besson
  • Guy Billout
  • Ivan Chermayeff
  • Seymour Chwast
  • Nicole Claveloux (nouvelle)
  • Jean Claverie
  • Etienne Delessert
  • Heinz Edelmann
  • Stasys Eidrigevicius
  • Randall Enos
  • Monique Félix
  • André François
  • Henri Galeron
  • Alain Gauthier (nouveau)
  • Roberto Innocenti
  • Gary Kelley
  • Claude Lapointe
  • Alain Le Foll
  • Georges Lemoine
  • David Macaulay
  • Sarah Moon
  • Yan Nascimbene
  • Chris Payne
  • Jerry Pinkney
  • Eleonore Schmid
  • Chris Sheban
  • Elwood H. Smith (nouveau)
  • David Wiesner
  • Lisbeth Zwerger (nouvelle)



Huitième vente aux enchères du Muz

Poussins super héros de Claude Ponti.

Puisque j'ai encore de la place à mes cimaises, je sais ce que je ferai.

J'irai fureter sur le site du Muz, le Musée des œuvres des enfants créé par Claude Ponti (lire ici), et je foncerai sur l'onglet "Vente aux enchères".

Car pour la huitième fois, de généreux artistes, jeunesse ou BD, pas n'importe lesquels, souvent des "habitués", offrent un ou plusieurs originaux afin qu'ils soient vendus et que les bénéfices générés puissent aider le Muz à travailler au quotidien. C'est-à-dire, réunir de façon virtuelle des œuvres d'enfants partout dans le monde, monter des expositions, proposer des ateliers, lancer des thématiques...

En tout, ce sont, comme l'an dernier, cent œuvres qui seront dispersées le 30 novembre, date de clôture des enchères. Elles sont offertes par les quarante artistes suivants, présentés par ordre alphabétique:

Adrien Albert, Albertine, May Angeli, Armelle Benoit, Frédérique Bertrand,
Blexbolex, Anne Brouillard, Charles Burns, Malika Doray, Janik Coat,
Natali Fortier, Bruno Heitz, Benoit Jacques, Emile Jadoul, Pénélope Jossen,
Pauline Kalioujny, Loïc Largier, Thomas Lavachery, Claire Lebourg,
Louis Matray, Matthieu Maudet, Alan Mets, Dorothée de Monfreid,
Iris de Moüy, Elsa Oriol, Pancho, Mathieu Pauget, Lucas Piketty,
Yvan Pommaux, Audrey Poussier, Lucas Ribeyron, Sara,
Grégoire Solotareff, Julia Spiers, Clément Vuillier, Tardi,
Tomi Ungerer, Emmanuelle Zicot, Lisa Zordan,
et bien sûr Claude Ponti!

Claude Ponti, "La mer, la mer, toujours recommencée".

Les cent seront exposées les jeudi 29 (de 14 à 19 heures) et vendredi 30 novembre (de 11 à 20 heures) à la galerie L'Achronique (42 rue du Mont Cenis, 75018, métro Lamarck Caulaincourt ou Jules Joffrin, ligne 12) où se tiendra la soirée de clôture du vendredi en présence de Claude Ponti et de nombreux artistes donateurs.

Claude Ponti, "Bonheur de lecture".

Pour se rappeler des éditions précédentes, lire iciiciiciici et ici.




En pratique

La vente aux enchères est ouverte depuis le 16 novembre et s'achèvera le 30 novembre à 20 heures précises à la Galerie L'Achronique et en ligne.

En détail

Pour voir le catalogue des 100 œuvres mises aux enchères, dont des dessins inédits de Claude Ponti, de nombreux poussins et un essai couleur pour la couverture de de son tout nouvel album pour enfants, "Le fleuve" (l'école des loisirs), mais aussi un Ungerer, des Tardi, plusieurs Solotareff, des ensembles 3D de Bruno Heitz, c'est ici.
Chaque œuvre est photographiée et assortie de ses informations techniques, auteur, titre, lieu d'origine, date, taille, technique et mise à prix. Une visite virtuelle à ne pas manquer.

Pour enchérir

Consultez le tableau des enchères, ici.
Envoyez un mail à l'adresse venteauxencheresmuz@gmail.com
Indiquez nom, prénom, adresse postale,  numéro et titre de l'œuvre pour laquelle vous enchérissez, ainsi que le montant de votre enchère (les enchères se font de 10 euros en 10 euros minimum). Vous recevrez un mail de confirmation de votre enchère et de son acceptation ou non acceptation.
Si vous ne pouvez suivre les enchères en temps réel, vous pouvez indiquer une enchère maximum et l'équipe du Muz fera monter votre enchère de 10 euros en 10 euros jusqu'au maximum indiqué.

En guise de mise en bouche

Quelques-unes des cent œuvres offertes au Muz pour sa huitième vente aux enchères.

Alan Mets, "Les rockers".

Albertine, "Sirène".

Anne Brouillard, "Les aventuriers".

Blexbolex, "Paysage".

Frédérique Bertrand, "Passages piétons".

Elsa Oriol, "Le temps des cerises".

Janik Coat, "Romi rose".

Julia Spiers, "Enfance". 

Thomas Lavachery, "Singe aux cerceaux".

Bruno Heitz, "C'est pas du polar".

Malika Doray, "Chat roux".

Matthieu Maudet, "Le piège parfait".

May Angeli, "L'Ethiopien".

Dorothée de Monfreid, "Les filles à moto".

Natali Fortier, "Graines de petits monstres".

 Pauline Kalioujny, "Sommeil".

Pénélope Jossen, "Bucéphale".

May Angeli, "Pintade".

Claude Ponti, couverture de l'album "Le fleuve".

Sara, "Panthère".

Grégoire Solotareff, "Amitié".

Tomi Ungerer, estampe sans titre.

Emmanuelle Zicot, "Souris".

Claude Ponti, "Sommeil lourd".

Claude Ponti, "Lire en paix".