McDo à Montreuil en 2017. (c) Actualitté. |
L'an dernier, les usagers du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis (SLPJ), toujours appelé Salon de Montreuil, s'étaient étonnés, offusqués même, de l'apparition, en annexe du stand Hachette d'un espace McDonald's, le roi du hamburger la justifiant par la présence de livres jeunesse dans ses "Happy meals".
Mon avis sur cette question tout en bas de la note.
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Cette année, les opposants, graphistes, libraires, gens des métiers de l'édition et de l'image, lecteurs, lectrices et militants, sont passés à la vitesse supérieure. A quinze jours de l'ouverture du Salon, le 28 novembre, ils mettent en ligne, via l'ONG ~Le mouvement, une pétition clairement intitulée "McDonald's hors du Salon du livre et de la presse jeunesse" dont les signataires demandent "au Salon du livre et de la presse jeunesse d'annuler la participation de McDonald's" (lien ici).
Ils dénoncent le fait que, sous couvert de promouvoir la lecture des enfants, McDonald's utilise surtout la présence des 175.000 visiteurs, dont 30.000 scolaires, pour faire sa pub et les attirer dans ses temples de malbouffe. Du commerce et rien que du commerce donc, sous un très très très mince vernis culturel. On ne peut que louer cette clairvoyance.
Pour se faire une opinion, voici le texte complet de la pétition, mise en ligne dans la soirée du lundi 12 novembre (la liste des signataires est visible ce mardi 13).
Le Salon du livre et de la presse jeunesse ouvrira ses portes à Montreuil le 28 novembre et la multinationale emblématique de la malbouffe, de l'évasion fiscale et de l'exploitation de ses salarié·e·s, McDonald's, prévoit d'y tenir un stand! Ne les laissons pas faire! Ne nous y trompons pas: ce n'est pas un acteur culturel, mais une chaîne internationale de consommation alimentaire des plus standardisées. Son but est de vendre des hamburgers, sa présence au Salon n'a qu'un objectif publicitaire.
C'est pourquoi nous, signataires de cette pétition, considérons que McDonald's n'a pas sa place au Salon du livre et de la presse jeunesse et demandons l'annulation de sa participation.
Sous prétexte de présenter son action de promotion de la lecture chez les jeunes (principalement le choix d'un livre à la place d'un jouet pour l'achat d'un menu Happy Meal), McDonald's va tenir, comme pour la première fois en 2017, un “espace de lecture” au Salon du livre et de la presse jeunesse (SLPJ). À partir du 28 novembre, ce Salon recevra à Montreuil plus de 175.000 visites, des milliers d'enfants, dont 30.000 inscrits en groupes, notamment des élèves qui viendront avec leurs professeur·e·s. C"est "le plus grand événement européen ouvert au public consacré à l'édition jeunesse": 450 exposant·e·s, des centaines de rencontres avec des auteur·e·s, des illustrateurs et illustratrices, des performances, ateliers, débats, expositions… qui se présente comme "un temps et un lieu de convergence unique des cultures de l'enfance, d'actions et de réflexions autour de la littérature de jeunesse". Que vient faire McDonald's dans ce contexte?
Il est évident que, loin des préoccupations culturelles, le salon offre à McDonald's un public de choix: des dizaines de milliers d'enfants à attirer dans leurs restaurants et une stratégie de communication en or pour tenter de faire oublier les scandales successifs de malbouffe, d'évasion fiscale, d'exploitation de ses salarié·e·s,… McDonald's est la seule entreprise extérieure au monde de l'édition ou de la culture à tenir un stand au SLPJ: tout un symbole, mais aussi, peut‐être, la porte ouverte à d'autres multinationales cherchant à se racheter une conduite ou à toucher un jeune public dans un espace qui jusque-là en était très heureusement protégé.
Nous sommes des fidèles du Salon, fièr·e·s de cet espace magnifique en faveur de l'édition et de la presse jeunesse, conscient·e·s de tout le travail mené par son équipe et ses partenaires en faveur d'une programmation de qualité. Mais nous estimons que McDonald's n'a rien à faire au SLPJ! Ne laissons pas la multinationale emblématique de la malbouffe, de l'évasion fiscale et de l'exploitation de ses salarié·e·s utiliser le salon pour redorer son image et attirer nos enfants dans ses établissements.
Bien informé, le SLPJ n'a pas tardé à répondre via un long communiqué diffusé dès hier, lundi 12 novembre, au matin. Le voici in extenso, afin que chacun puisse se faire son opinion, juger des arguments des uns et des autres et réfléchir à l’éventuel mariage d'une carpe et d'un lapin.
Montreuil, le 12 novembre 2018
Il semble qu'une pétition circule concernant la présence des espaces de lecture McDonald's / Hachette jeunesse au Salon du livre et de la presse jeunesse. Nous n'en connaissons pas vraiment la teneur, mais il nous a semblé utile d'être transparents sur la réalité de cette présence.
Pour que les choses soient claires, le mieux est de partir des faits. Il n'y a pas de stand McDo au Salon, mais, pour la deuxième année, un espace lecture McDonald's / Hachette jeunesse, associé au stand Hachette, maison d'édition, qui depuis plusieurs années déjà publie la collection d'albums offerts aux enfants qui fréquentent les restaurants. Cet espace occupe 1/1000ème de la surface du Salon. Donc vraiment rien à voir avec la charge symbolique mais fantasmée d'un accueil complaisant et contre-nature de la multinationale de la malbouffe.
La discussion avec les services de McDonald's a été franche, nette et précise. Sur les choix et les rapports que le Salon entretient avec la création et l'idée que nous nous faisons de l'excellence en littérature jeunesse. Nous étions en position pour le faire. Nous avons aussi indiqué qu'il y a des lignes jaunes à ne pas franchir. Rien d'autre que leurs ateliers lecture et la collection réalisée avec Hachette jeunesse, sans vente ni don de livres de leur part.
Pour autant, nous ne sommes ni angéliques, ni naïfs. Nous savons bien que McDonald's cherche à donner de la visibilité à son opération "un livre ou un jouet" avec son menu Happy-Meal. Nous avons beaucoup réfléchi et discuté à ce sujet. Comme chacun le sait, nous sommes engagés, depuis de nombreuses années, dans un énorme et méticuleux travail dans les quartiers et villes populaires de la Seine-Saint-Denis, pour permettre aux enfants et familles éloignés du livre et de la lecture de découvrir la littérature jeunesse, avec ce qu'elle offre de meilleur, pour leur faciliter et leur offrir l'accès au livre. A moins d'être aveugles, comment ne pas constater que ces publics sont aussi assez massivement ceux des restaurants McDonald's. Et ces derniers leur distribuent 10 millions d'ouvrages par an.
Certes il serait plus facile de ne pas le voir, de ne pas se sentir concernés, d'ignorer ou de regarder de haut ce rapport-là au livre. Tout le monde serait satisfait et tranquille si les espaces de lecture McDonald's /Hachette n'étaient pas au Salon? En tout cas pour nous, ce serait apparemment plus confortable cette année! Mais ce n'est pas le choix que nous avons fait. La facilité n'est pas toujours le chemin le plus efficace. Nous avons accepté cette présence, sans rien retrancher des exigences du salon en termes de contenus et d'offre éditoriale de qualité, au contraire.
Au vu du nombre d'albums distribués, de la notoriété des auteurs qui les ont écrits, quel que soit l'avis de chacun sur McDonald's, personne ne peut sérieusement penser que le SLPJ va développer le rayonnement de la marque. En revanche, que de très nombreux enfants qui fréquentent familièrement le livre au Mc Do de leur quartier, se voient, en venant au Salon, invités à cheminer aussi vers d'autres univers littéraires, d'autres livres, d'autres médiations nous paraît important.
Proposer cette ouverture, cet enrichissement, c'est ce que nous faisons tous ensemble grâce à la diversité des créations et démarches éditoriales, grâce à l'implication des auteurs dans les rencontres et sur le Salon, grâce au programme d'une grande richesse qui est proposé. Faisons confiance aux enfants pour qu'ils construisent leurs propres chemins littéraires, faits de multiplicités. Invitons plus particulièrement à cette découverte ceux qui n'ont pas facilement la possibilité de fréquenter la littérature. C'est ce combat qui nous mobilise.
A tous ceux qui s'alarment, nous disons, que le plus simple serait de nous en parler et surtout de prendre le temps d'échanger. Nous y sommes toujours prêts.
Le Salon ouvrira cette année ses portes autour du thème Nos Futurs. La grande exposition du Salon et de nombreux événements, aborderont de grands enjeux de société avec la rigueur et l'exigence artistique que l'équipe du Salon défend depuis toujours: problématique des migrations et de l'accueil des réfugiés (avec des auteurs, illustrateurs, La CIMADE, le collectif Encrages), égalité femmes-hommes, questions de genres, avenir de la planète… Un programme de qualité dont nous ne doutons pas qu'il retienne l'attention de toutes et tous.
Mon avis
Plusieurs personnes m'ont demandé mon opinion à propos de cette polémique. Je la donne donc, et elle n'engage que moi.
Pour moi, l'entreprise McDonald's n'a pas sa place au Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis (SLPJ) qui va se tenir à Montreuil du 28 novembre au 1er décembre. Ni seule, ni sur le stand des éditions Hachette.
D'abord, parce que les stands du salon doivent être réservés aux métiers du livre, éditeurs, auteurs, libraires, bibliothécaires et associations œuvrant dans le milieu de la littérature. Que McDo glisse des livres dans ses "Happy meals" n'en fait pas un élément de la chaîne du livre.
Ensuite, parce que McDonald's est avant tout une multinationale, spécialiste de la malbouffe de surcroît, et que logiquement, elle fait du marketing, éventuellement culturel en passant par les livres. Elle cherche simplement des clients pour sa chaîne de restaurants. Que son enseigne, même discrète, soit présente sur un stand, dans un salon réputé comme celui de Montreuil, est un aval muet donné aux passants.
Encore, parce que si le SLPJ dit "oui" à McDo, et même "oui mais" à lire son communiqué, à qui pourra-t-il dire "oui" ou "oui mais" lors d’une autre édition? A un marchand d’armes qui entend promouvoir la lecture des plus jeunes, par le geste simple et finalement bon marché du don de livres alors qu'on sait combien la lecture est triangulaire au début (enfant, livre, médiateur) et qu'elle nécessite une présence humaine?
Enfin, parce que dans ce genre de polémique, je ne supporte pas le "mais" qui accompagne un "oui". Dans un autre domaine, on entend "Je ne suis pas raciste mais ces étrangers sont dangereux" ou "Je n'aime pas l'extrême-droite mais elle fait de bonnes choses". Pour moi, la position doit être "oui" ou "non". Donc "non" dans le cas présent. Et pas l'hypocrisie q'un "oui mais".
On me dit que McDo amène des livres aux enfants qui n'en ont jamais. OK, mais si l'initiative est culturelle et sociale, faut-il utiliser le sigle McDo? Le mécénat anonyme en est la plus belle forme.
On me dit que les livres Hachette/McDo ne sont pas terribles mais que c'est mieux que rien pour des enfants qui n'en ont jamais eus. Est-ce vraiment la bonne voie pour les mettre sur le chemin de la lecture quand on sait que ce sont les "bons", notion sans définition fixe mais dont on voit le profil général, qui font les lecteurs. Pour info, les douze nouveautés 2018 sont écrites par Marc Levy, illustrées Carine Hinder par et portent sur l'histoire, "Les peintures de Michel-Ange", "Les jeux d'Olympie", "Le mystère des dinosaures à plume", "La perruque du Roi Soleil", "Les pouvoirs fabuleux de la roue", etc., etc. Tout est dit.
Idéaliste et bisounours, je suis. Idéaliste et bisounours, je resterai. Ce qui ne m'empêche pas de déplorer que la lecture des enfants ne soit pas une cause nationale et qu'elle dépende trop souvent de la bonne volonté d'associations, de militants et de bénévoles.
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