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jeudi 29 novembre 2018

Du "Fleuve" aux "Enfances" avec Claude Ponti

Rouh-Dang et Louz-Nour. (c) l'école des loisirs.


Début septembre, alors que paraissait le livre "Enfances" dont il est le coauteur (lire plus bas), Claude Ponti m'indiquait être "terriblement en retard" pour son nouvel album. Apparemment, il s'est bien rattrapé, ou il a mis les bouchées doubles, ou il a engagé des poussins, ou... En tout cas, "Le fleuve" est là et bien là, réjouissant sur le fond et sur la forme. En format à l'italienne (63,5 cm d'envergure!), avec un joli dos toilé couleur de chocolat noir (l'école des loisirs, 60 pages). "Le fleuve", c'est une histoire-fleuve qui coule de source. De splendides illustrations déployant toute la palette de l'artiste aux plus de soixante livres jeunesse, des paysages magnifiques, des maisons complexes et très habitées, des personnages délicieux, proches de ceux qu'on a déjà rencontrés, des inventions surréalistes mais logiques, un monstre extrêmement terrifiant, quelques ossements subtilement assemblés, des couleurs joliment choisies, des cadrages parfois facétieux, une mise en pages rendant honneur à tant de talent. Au point qu'on peut dire que Claude Ponti s'est encore surpassé dans ce "Fleuve" dont les habitants coulent de longues vies tranquilles.

Le paysage enchanteur du fleuve l'Ongoh. (c) l'école des loisirs.

Pas sûr toutefois que "Le fleuve" plaira à tous les parents avec ses épisodes qui marient le genre masculin et le genre féminin en rendant naturelle la quête de l'identité sexuelle de l'enfant mais c'est tant pis pour eux. L'important est que Claude Ponti parvient à raconter ici une superbe histoire dont le rythme en deux temps initiaux fait bien comprendre le propos et dont le sujet s'expose à qui veut bien le voir. Sans préjugés, eux, les enfants y prendront, comme dans tous les albums de l'auteur-illustrateur, ce dont ils ont besoin. Accueil, respect, attention à soi et à l'autre, soutien, tout cela passant par un livre splendidement construit, plein de jeux sur les mots et dans les illustrations, faciles à comprendre ou à simplement laisser infuser. Un album à plutôt proposer aux enfants d'école primaire. Surtout, un album à examiner dans tous ses détails tant les illustrations luxuriantes sont volubiles et à lire bien haut pour en savourer toutes les trouvailles phonétiques.

Chez les Oolong. (c) l'école des loisirs.

L'album se déroule sur le fleuve l'Ongoh. A un endroit vivent les Oolong, grands ramasseurs de nourritures végétales dont ils font une exquise cuisine qu'ils échangent volontiers avec d'autres peuples. A un autre vivent les Dong-Ding qui eux, cueillent, ramassent, conservent et échangent des plantosoins, des revigores et des enchantissements. Mais ceux-là, on ne les rencontre que plus tard car Claude Ponti nous fait d'abord connaître les Oolong et leur mode de vie. Notamment, Louz-Nour, un bébé fille dont la famille a fait un garçon pour satisfaire le dernier vœu de la grand-mère, renaître en garçon. On le suit dans ses occupations, lui et sa natte unique de garçon, les filles en portant trois et cinq "les enfants qui ne savent pas encore si elles seront fille ou garçon" - remarquer au passage l'usage du "elles" pluriel au lieu de l'habituel "ils". Le plus important: "Quel que soit le nombre de nattes, les enfants s'occupent à jouer et jouent à s'occuper".

Occupations chez les Dong-Ding. (c) edl.
Occupations chez les Oolong. (c) edl.








Jeux divers, à l'ancienne ou contemporains, conte, chant (avec Bili-Ô-lidée), cueillaisons diverses dont celle des très demandées cosses de Blavière Trempeuse, espèce acoquinée avec la dangereuse Clapouille-à-loquet, conservation des graines, fruits, baies, légumes aux noms délicieux comme la nourriture qui en est tirée, Claude Ponti fait très fort.

Chez les Dong-Ding. (c) l'école des loisirs.

Quand les Dong-Ding arrivent dans le récit, comme en écho et en miroir aux habitants du fleuve rencontrés en premier, on assiste aussi à une naissance, celle de Rouh-Dang, un bébé garçon dont la famille fait une fille pour satisfaire le dernier vœu du grand-père, renaître en fille. "Le fleuve" nous présente la deuxième héroïne exactement comme l'album l'avait fait pour Louz-Nour, répétition facétieuse et interpellante. On suit aussi Rouh-Dang dans ses récoltes de plantes, au "sommet de montagnes équilibristes" ou "bas perchées dans l'eau claire" ou encore bien mieux cachées ou perchées.

Louz-Nour et Rouh-Dong et leurs oreilles occupées. (c) l'école des loisirs.

L'album se poursuit par la rencontre des deux héros, chacun ayant son grand-père ou sa grand-mère caché dans son oreille, tout réjoui de vivre la vie de l'autre sexe. Louz-Nour et Rouh-Dang échangent eux aussi sur leurs avantages respectifs - il faut se rappeler qu'ils sont nés du sexe opposé à celui qu'ils affichent. Cette sérénité est violemment interrompue avec l'arrivée d'un horrible montre, sans nom ni prénom, le Kapadnon, qui exige des "Lixirs de Longue Vie Éternelle pour..." (formule imparable qui se résume en "LLVÉÊJMPMJFMDADDCRÊORFT"). Ses sanctions sont terribles, gel des mamans, glaçonnage de tous les papas. A la grande terreur des enfants Oolong et Dong-Ding. Les images en donnent un aperçu criant, le texte est aussi effrayant que jubilatoire (on rappelle ici que les enfants aiment se faire peur).

Le monstre sans nom qui s'appelle Kapadnon. (c) l'école des loisirs.

Ce sera le moment d'intervenir pour Louz-Nour et Rouh-Dang qui, entre-temps, ont découvert leur sexe véritable mais préfèrent continuer comme ils ont commencé. Ils préparent les "Lixirs...." en en recueillant avec adresse, virtuosité même, les ingrédients et découvrent que leur potion préparée par "une fille et un garçon de deux peuples différents" aura un effet inattendu sur le Kapadnon. Une fois de plus, Claude Ponti mêle le grave et le joyeux, terminant l'aventure sur une note de paix retrouvée, de fête achalandée avec gourmandise et de liberté absolue. "Le fleuve" est un album splendide qui aborde l'air de rien un sujet difficile et inquiétant, la question du genre, et apporte toutes les assurances par rapport aux choix que chacun fera tout en emmenant ses lecteurs, pas trop jeunes, dans une formidable aventure.



"Enfances".
(c) l'école des loisirs.


En début de saison littéraire, Claude Ponti a publié en duo avec Marie Desplechin, leur première œuvre ensemble, l'épais moyen format "Enfances" (l'école des loisirs, 136 pages). Un formidable recueil illustré où les auteurs racontent à leur manière l'enfance de soixante-deux personnes. Car chaque adulte a commencé enfant. Souvent même, enfant créatif ou créateur, on l'oublie trop. Avec un tel duo d'auteurs, on n'est évidemment pas face à des biographies classiques. Chaque portrait se compose de deux textes et d'un dessin, les trois s'épaulant.

(c) l'école des loisirs.

Au départ, Claude Ponti et Marie Desplechin voulaient raconter mille histoires d'enfants. En pratique, ils ont fait des listes, réunissant 372 noms. Il leur a fallu élaguer et arriver au total de soixante-deux enfants, connus ou non, réels ou non, artistes ou non, savants ou non, rois ou non, qui ont, chacun à sa façon, marqué leur époque et changé le monde. Comme le feront certains enfants d'aujourd'hui. Chaque portrait d'enfant raconte son histoire de manière originale, vivante et agréable et dit sur le même ton ce qu'il/elle a accompli adulte tandis que le dessin permet de pousser plus loin les informations du texte tout en réjouissant l'œil.


(c) l'école des loisirs.

Trente-deux hommes, vingt-huit femmes, deux de genre indéterminé, le tout premier enfant du monde, qui est fille ou garçon, et Iqallijuq, Inuit venue au monde en 1918 dans un corps de fille mais réincarnation de son grand-père aux yeux de sa famille et donc garçon - tiens tiens, on voit cela aussi dans "Le fleuve". "Enfances" commence avec Sophie Rostopchine, la Comtesse de Ségur, Charles de Gaulle et Hans Christian Andersen. Le recueil finit avec le tout premier enfant du monde, Honoré de Balzac et Sophie Germain. On aura rencontré au passage des incontournables, comme Albert Einstein, Anne Frank, Charlie Chaplin, Nelson Mandela ou Frida Kahlo. Des surprises aussi comme l'enfant des Grottes, le fils de Guillaume Tell, Romulus et Remus, Eve ou Alice Liddell (celle de Lewis Carroll). Et des moins connus, ou pas connus du tout comme Sophie Germain, Nicolas Hardenpont, Emily, Andrée Descamps ou Iqbal Masih. Que de trouvailles, que de bonnes surprises! Voilà un panachage qui a vraiment du panache! Et qui reflète la personnalité des auteurs, plus fantaisiste pour lui, plus documentaire pour elle. Qu'importe. A deux, ils font la paire. Et nous, des découvertes. Pour tous.


(c) l'école des loisirs.






1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Je suis une grande fan de Claude Ponti mais cette fois-ci, l'album "Le fleuve " ne m'a pas convaincu. Je n'ai même pas pu le finir. Trop de tout, une accumulation de noms, de lieux, d'actions, de mots, des longueurs dans le récit. Et en plus, je l'ai pas trouvé drôle. J'aurai tellement voulu l'aimer ! Personnellement, je ne vois pas comment un enfant "non averti" peut entrer dans cet album ci. Pour autant, je continuerai d'aimer Ponti !

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