Dans
"Le Cabanon de l'oncle Jo", label 4 chouettes au prix Bernard Versele 1998 (Belgique),
Brigitte Smadja raconte les vacances de son héroïne Lili. Pour des raisons trop longues à expliquer, la jeune fille ne peut pas partir en colonie de vacances et est envoyée à Saint-Denis, chez sa tata Denise, son oncle Jo et leurs sept enfants. Avec chaleur, Lili raconte cette famille: une mère expansive, des enfants très occupés et un père, muré dans un silence pesant depuis qu'il a perdu son travail. Lili est intriguée par l'oncle Jo. A quoi pense-t-il quand il reste des heures à la fenêtre, le regard perdu sur le terrain vague jonché de déchets? L'explication viendra bien vite, le jour où il disparaît! On le retrouve dans le terrain vague qu'il a décidé de transformer en magnifique jardin potager!
Ce roman attachant, à l'écriture alerte et sensible, est la chronique d'un été de jardinage, une période qui marquera Lili. En faisant son potager, son oncle a retrouvé parole, appétit et surtout le goût de se battre. La magnifique aventure de Lili ne durera malheureusement pas très longtemps, des promoteurs immobiliers et leur grue en ayant décidé autrement.
A noter que Lili est également l'héroïne des romans "Quand papa était mort" (Syros, 1996) et "La Tarte aux escargots" (l'école des loisirs, "Neuf", 1995), racontant deux épisodes précédents de sa vie.
Publié en 2003, à une époque où on ne parlait guère du harcèlement scolaire,
"Il faut sauver Saïd", Prix Sorcières 2004, décrit de façon tranchante l'implacable verrouillage du destin d'un gamin des cités. Saïd se sent français, il aime l'école, la langue française, les dictionnaires, la beauté. Saïd se sent français mais on le dit arabe. Depuis qu'il est entré au collège, il souffre. Il ne peut plus faire ce qu'il aime, apprendre, découvrir, écrire, à cause de la bande de son cousin Tarek et de son frère Abdelkrim. Des caïds qui font la loi à l'école tout en se livrant à des trafics douteux. Des caïds qui sont aussi craints à la maison.
Comment sauver Saïd, coincé par le poids familial et le chantage qui s'exercent sur lui? Son pote Antoine, généreux, aimerait le faire mais il n'arrivera pas à comprendre la différence de cultures. Qui sauvera Saïd et les gamins de son espèce? Brigitte Smadja y répond dans un roman extrêmement émouvant.
Pour en lire le début en ligne, c'est
ici.
Encore une multiplication par trois, la famille Briard
Dans Le Soir du 31/01/2006.
"Brigitte Smadja aime se compliquer la vie. Dans ses livres du moins. En publiant par exemple simultanément trois piquants romans pour enfants, dans trois tranches d'âge: débutants, 9-12 ans et plus de 12 ans. Particularité: chacun met en évidence la réaction d'un des enfants Briard à la séparation probable des parents. "J'avais au départ", explique-t-elle, "l'idée d'écrire trois histoires sur trois enfants d'une même famille, vivant les mêmes événements de façon totalement différente." Ce projet n'a pas tenu la route à l'écriture mais l'auteur a conservé l'"idée d'un même événement - le divorce annoncé des parents - vécu du point de vue de chaque enfant, ce moment où tout bascule, où tout à coup la réalité ne correspond plus aux illusions."
Cela donne trois romans justes dans leurs tons différents, bien ancrés dans un temps de l'enfance. Ils mettent en évidence le lien d'une fratrie forte et le fossé qui s'est creusé entre adultes et enfants. "Dans la famille Briard, je demande... Joseph" (Mouche de l'école des loisirs, 2005), pour les plus jeunes, raconte un petit dernier tellement angoissé par ce qui arrive à ses parents qu'il envie sa copine aux parents unis. "Dans la famille Briard, je demande... Margot" (Neuf de l'école des loisirs, 2005), révèle une cadette qui s'isole dans ses histoires d'école, de sexe et d'amour pour ne pas voir le chagrin de sa mère. "Dans la famille Briard, je demande... Jenny" (Médium de l'école des loisirs, 2005), écrit au passé simple, une première pour Brigitte Smadja, raconte avec souffle un amour fou d'adolescente, une aînée qui, dans sa tête, est depuis longtemps loin de sa famille.
Hommages
l'école des loisirs"Nous avons l'immense tristesse de vous annoncer le décès de Brigitte Smadja. Son départ précipité laisse un vide considérable dans nos cœurs.
Brigitte était une figure emblématique de la maison, autrice de nombreux romans dont les inoubliables "Il faut sauver Saïd" et "Le cabanon de l'oncle Jo", et directrice de la collection "Théâtre" depuis 28 ans, qui a permis de faire émerger de nombreux talents.
Sylvie Ballul, sa collaboratrice et amie
"Pendant plus de 20 ans j'ai tâché d'épauler Brigitte dans son rôle d'éditrice. J'ai admiré sa profonde intelligence, sa vivacité quand elle révélait et guidait les auteurs de sa collection "Théâtre".
Un voile d'amitié a bien vite recouvert notre relation de travail. Nous prenions toujours le temps de parler de ses élèves, de nos enfants, de nos petits-enfants. Comment accepter la fin de cette intimité joyeuse?
Quand nous aurons séché nos larmes, nous réaliserons que l'esprit prévaut sur tout et que Brigitte continue à vivre dans toutes les œuvres qu’elle a laissées. Je vais relire tous les Pozzis."
Marie-Aude Murail
"Brigitte Smadja s'en est allée là où "Maxime fait des miracles", au paradis des écrivain.es. Voici la dernière photo que j'ai d'elle (la deuxième en partant de la droite). C'était lors d'une sympathique réunion de travail auteurs-éditeurs en septembre 2017 dans les locaux de notre commune maison d'édition, l'école des loisirs.
Je présente mes condoléances à ses enfants et à toutes celles, tous ceux qui l'aiment, qui l'ont aimée."
Anaïs Vaugelade
"Il y aura sans doute des tonnes de choses à dire en souvenir de Brigitte Smadja.
Moi, je veux juste raconter que pendant 23 ans nous avons partagé le même minibureau, à l'étage de l'école des loisirs, une cohabitation faite de manuscrits transférés et de post-it affectueux. Nous tombions rarement d'accord sur nos lectures et ça n'avait pas d'importance, j'aimais son sourire en tranche de soleil, ses petits cheveux d'enfant et les bijoux brillants qu'elle mettait à ses oreilles, et cette manière orientale qu'elle avait dans toutes ses affaires, et sa voix sa grosse voix rieuse de star des années 70, et oulalah rien qu'à évoquer cette voix j'éprouve le vide de sa disparition. Nous nous écrivions des petits mails il y a 10 jours encore, et voilà. C'est quand même incroyable la mort.
Elle est l'une de ces femmes spéciales, chatoyantes et inspirantes, Geneviève Brisac, Agnès Desarthe, Sophie Cherer, Sophie Tasma, Florence Seyvos, Marie Desplechin, Marie-Aude Murail, des intelligences supérieures, tout un bouquet qui avait fleuri là, dans les bureaux de l'école des loisirs. J'étais très jeune, pas encore 20 ans, elles étaient pour moi des figures d'accomplissement - en vérité, elles étaient si jeunes, elles aussi.
Un jour après un salon du livre, Brigitte et moi sommes montées ensemble dans un train. Elle m'a invitée à m'assoir à coté de sa place, m'a questionnée chaleureusement sur mes débuts en écriture, et elle a eu ce conseil: "c'est à force d'écrire qu'on écrit." Un peu plus tard, elle a basculé un pan de son châle parfumé sur sa tête. Elle avait besoin de dormir, puis ensuite, elle corrigerait les copies de ses élèves adorés de l'école Dupérré. J'ai regagné ma place.
Repose dans notre affection, chère Brigitte."
Arnaud Cathrine
"Brigitte Smadja. Autrice, éditrice. Une femme qui va nous manquer. Tristesse."
Antonin Crenn
"Je suis fier de dire à ma prof: Je suis écrivain moi aussi. Et elle m'encourage. Elle me donne confiance en moi." Quelques souvenirs pour un hommage (
ici).
Arnaud Tiercelin
"Je garderai de vous ce coup de téléphone il y a quelques années d'une grande délicatesse et je me souviendrai de tous vos conseils éclairants pour écrire peut-être un jour dans la belle collection Théâtre de l'école des loisirs.
Adieu, merveilleuse Brigitte Smadja."
Jacques Descorde
"Il y a quelques années, 11h, un matin de juillet. Au bout du fil, Brigitte Smadja, éditrice directrice de la collection théâtre à l'école des loisirs, d'une voix décidée m'annonce qu'elle est en train de lire ma (première) pièce et qu'elle la trouve formidable et qu'elle me rappelle dans l'après-midi même pour me dire si oui ou non elle désire la publier puis, à 15h, elle rappelle pour me demander si je suis libre le lendemain 10h pour un entretien. À 10h, le lendemain donc, Brigitte Smadja et sa collaboratrice me lisent à voix haute la pièce (j'ai le coeur à 200) puis nous échangeons. À 11h30, Brigitte Smadja me demande d'aller voir Sylvie, l'administratrice, dans le bureau au bout du couloir, pour signer mon (premier) contrat d'édition et toucher un chèque d'avance sur les droits d'auteur. À 12h30, je sors des bureaux de l'école des loisirs, quartier Saint Sulpice à Paris sous un soleil immense et je ne sais si je dois crier ou pleurer un bon coup.
Merci Brigitte pour toutes ces émotions. Merci merci merci de m'avoir accompagné et soutenu. Mais Brigitte, partir à 68 ans, c'est vraiment trop tôt. Tu vas me/nous manquer."
Marc Vincent Howlett
"J'apprends avec douleur le décès de Brigitte Smadja. Ses anciens étudiants et ses nombreux lecteurs savent tout ce qu'ils lui doivent."
Actes Sud
"Nous avons appris avec tristesse le décès de Brigitte Smadja survenu le 15 février 2023 des suites d'un cancer. Elle était âgée de soixante-huit ans.
Autrice de livres pour enfants publiés à l'école des loisirs, maison d'édition dans laquelle elle a longtemps dirigé une collection sur le théâtre, Brigitte Smadja avait publié six romans chez Actes Sud : "Le Jaune est sa couleur" (1998), "Des cœurs découpés" (1999), "Mausolée" (2001), "Une éclaircie est annoncée" (2004), "Natures presque mortes" (2006) et "Le Jour de la finale" (2008).
Guillaume Malaurie
"Brigitte! Brigitte!
Brigitte Smadja vient de mourir. Tout ça fut très brusque, très violent. D'autant plus inadmissible que Brigitte est la vie même.
Je l'avais rencontrée en khâgne au Lycée Jules Ferry et elle pétillait sur tout ce qu’on frôlait: le théâtre qui se faisait à la Cartoucherie, Molière et Céline qui étaient au programme… Brigitte fut une prof de français qui a marqué des générations d'élèves. Des bons. Des moins bons. Des perdus de vue.
Elle ne donnait pas des cours: elle exerçait un magistère. Il suffisait de se balader avec elle pour voir se précipiter dans ses bras un ancien lycéen ou une ancienne lycéenne les yeux humides. Les larmes en coin. Et les écouter dire leur dette, leur certitude que leur vie avait bougé. Que ses mots avaient su leur parler.
Physiquement Brigitte n'avait pas bougé. Elle était la jeunesse et ses livres (l'école des loisirs) visaient la jeunesse. Il suffit de lire "Il faut sauver Saïd" pour comprendre sa certitude républicaine que tout à chacun, qu'il soit privilégié ou misérable, garde toujours un ressort intime pour appréhender le beau, l'altérité, la connaissance. Déplier ce ressort, elle savait faire. Déclencher l'appétit, elle savait. Parce qu'elle savait donner. Rentrer généreusement dans le lard si nécessaire. Alterner une juste ou injuste colère et une tendresse.
Brigitte a continué à travailler jusqu'au bout pour sa collection de théâtre. Elle était curieuse de tout mais se méfiait des modes. Très tôt dans les années soixante-dix alors que nous nous infligions la lecture de romans abstraits supposément nouveaux et d'avant-garde et certainement indigestes, elle n'hésitait pas à dire au milieu de l'indifférence, du scepticisme et de l'ignorance générale que l'un des plus grands si ce n'est le plus grand auteur français du XXème siècle, c'est Simenon.
Elle avait raison. Elle a raison. De toute façon, le rire en cascade de Brigitte avait raison de tout. On n'arrêtait pas cette cascade. Brigitte qui ne répond plus au téléphone, c'est comme une pièce de notre maison qui aurait disparu. C'est inadmissible. La cascade reste.
On n'arrête pas une cascade qui nait quelque part en Tunisie, passe par Naples, inonde Paris et fait un stop Chez Carlotta Maria Iommetti de... Dieppe. A tous ses proches, à son fils et à sa fille, à sa petite fille Clémence et son petit-fils Marcel, à ses frères, à Caroline sa presque sœur et Patrice et à Olivier, et aussi à Françoise bien sûr, un immense "abbraccio".
Une certitude: vous n'êtes pas seuls à l'heure du vide. Vous n'imaginez pas combien nous sommes. Elle même dans ses derniers moments était stupéfaite du nombre de messages qui affluaient. En cascade."
Véronique Soulé
"[TRISTESSE] – Brigitte Smadja s'en est allée, emportée par la maladie... Grande autrice pour la jeunesse, pour les adultes aussi; éditrice infatigable de théâtre jeune public, elle dirigeait la collection "Théâtre" à l'école des loisirs, qu'elle a créée en 1995 et dans laquelle elle a publié nombre d'auteurs et autrices de théâtre.
J'ai eu la chance de la rencontrer très vite après la publication de ses premiers romans pour la jeunesse, édités chez Syros, quand elle n'osait pas encore signer de son prénom Brigitte et se faisait appeler Émilie... Pour moi, c'était presque ma première interview (malheureusement, je n'ai pas gardé l'enregistrement), et pour elle, sa toute première... avec sa voix si radiophonique, et sa présence si chaleureuse!
Depuis, d'autres rencontres ont suivi, à la radio, à Bobigny, en tables-rondes, en journées d'études mais cette première fois, je m'en souviens encore..."
Emile Lansman
"J'ai toujours eu beaucoup d'estime et de respect pour Brigitte Smadja. Sous sa direction, la collection théâtrale de l'école des loisirs, pionnière avec quelques autres, a transcendé le genre, donné une autre image du jeune lecteur de théâtre, imposé de nouveaux auteurs qui comptent aujourd'hui dans le panorama, et pas seulement pour le jeune public car elle ne se fixait pas vraiment de limites.
Je n'ai jamais senti qu'elle voyait en moi un concurrent. Au contraire, elle avait plaisir à me dire qu'elle se réjouissait de voir des noms qui avaient échappé à sa vigilance apparaître dans notre catalogue.
J'ai un vrai chagrin aujourd'hui d'apprendre que nous ne la croiserons plus et n'entendrons plus sa voix passionnée et si singulière. Salut Brigitte et merci pour tout ce que tu as apporté au domaine qui nous était cher en commun. Je suis certain que beaucoup d'auteur(e)s partagent ma tristesse aujourd'hui."
Extrait de "Mon écrivain préféré" (à télécharger ici), écrit par Sophie Chérer en 2003.
"Brigitte Smadja, c'est d'abord une voix. Une voix grave, rauque, rocailleuse, une voix de fumeuse. Une voix forte, haute, qui porte, une voix de stentor. Une voix pressée, une voix en retard, une voix qui va droit au fait et qui passe du coq à l'âne, une voix de femme, de mère, de fille, de sœur, d'amie, de voisine, de prof, de directrice de collection, de spectatrice de théâtre, de voyageuse, de témoin de mariage, de lectrice et d'’écrivain qui, à la question: