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mercredi 22 février 2023

Symphonie pastorale en trois mouvements

Marie-Hélène Lafon. (c) Olivier Roller.

Ouvrir un livre de Marie-Hélène Lafon est l'assurance de trouver dans une langue superbe des situations terriblement humaines (lire ici). Il n'en est pas différemment avec son dernier roman en date, le magistral "Les Sources" (Buchet-Chastel, 128 pages). Dense, précis, bouleversant. Il se déroule dans le Cantal, la région de la romancière installée aujourd'hui à Paris, plus précisément dans la vallée de la Santoire. On y suit une famille, les parents, trois enfants, deux filles et un garçon. Une famille de fiction, mais on sait que l'inspiration de Marie-Hélène Lafon est souvent autobiographique.
"Il dort sur le banc. Elle ne bouge pas, son corps est vissé sur la chaise, les filles et Gilles sont dans la cour. Ils sont sortis aussitôt après avoir mangé, ils savent qu'il ne faut pas faire de bruit quand il dort sur le banc."

Dès les premières lignes, on sent une tension. Il, c'est le mari. Elle, la femme. Elle explique petit à petit leur vie. Et on perçoit tout de suite sa détresse.

"Dans trois semaines, le 30 juin, elle aura trente ans. Trente ans, trois enfants, Isabelle, Claire et Gilles, deux filles et un garçon, sept, cinq et quatre ans, une ferme, une belle ferme, trente-trois hectares, une grande maison, vingt-sept vaches, un tracteur, un vacher, une bonne, une voiture, le permis de conduire."

Les apparences sont souvent trompeuses, dit-on. Elles le sont ici. Derrière ce tableau attrayant, on découvre avec effroi combien la ferme isolée est une prison, avec un couvercle de mutisme, dont seul le permis de conduire permet de temps en temps l'évasion. Le mari est violent, extrêmement violent même, sourd à tout et à tous, même à Tante Jeanne. La jeune femme tellement déçue de ce qu'est devenue sa vie, est perdue mais déterminée. Mère louve soutenue par ses propres parents, elle fera un choix dont elle sait les conséquences définitives pour protéger et sauver ses enfants.

Marie-Hélène Lafon nous offre bien plus qu'un nouveau roman sur la violence domestique intrafamiliale. En découpant "Les Sources" en trois mouvements aux narrateurs différents, le week-end du samedi 10 et du dimanche 11 juin 1967 (juste après la Guerre des Six jours) par la mère, le dimanche 19 mai 1974 par le père et le jeudi 28 octobre 2021 par la fille cadette, elle élabore un récit fulgurant dont le centre est la maison, source plutôt que racine, ce qui s'y est passé et ce qui aurait pu s'y passer. Ses habitants nous disent tout de leur réalité, joies et souffrances, et de leurs rêves. L'auteure nous pose tout cela là, sidérant les lecteurs, sans jamais juger, en témoignage d'une famille à une époque. De ses mots magnifiquement assemblés, vidés de tout gras, elle nous attrape et nous emporte, liant indéfectiblement le destin de ses personnages au nôtre.




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