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mercredi 1 février 2023

Rétro 2022 en destins vécus

La première double page de "Te souviens-tu, Marianne?" (c) Editions des Eléphants

Il y a les noms qui sont entrés dans l'Histoire. Il y a ceux qui s'en sont effacés. Il y a ceux qui auraient pu y entrer ou qui le font plus tard, quand les destins sont mis au grand jour. Aujourd'hui, une sélection d'albums jeunesse à portée biographique. Des merveilles, souvent terriblement émouvantes.

Résistance


Te souviens-tu, Marianne?
Philippe Nessmann
Christel Espié
Editions des Eléphants
Collection "Mémoire d'éléphant", 32 pages
pour tous dès 10 ans

La Marianne du titre est Marianne Cohn, une résistante savoyarde qui a sauvé plus de deux cents enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est bouleversant dans ce magnifique album de grand format faisant perler des larmes alors qu'il ne distille aucun pathos, c'est sa forme littéraire. Une longue lettre que l'auteur Philippe Nessmann adresse à Marianne Cohn. "Te souviens-tu, Marianne, de..." écrit-il avant de dérouler factuellement chacun des chapitres de sa courte vie. De façon chronologique depuis son enfance mais entamée par une version brève de l'arrestation de la résistante par des douaniers allemands, le 31 mai 1944, tout près du lac d'Annecy. Elle avait vingt et un ans. Sensible, elle conduisait une trentaine d'enfants apeurés en Suisse. Elle savait ce que ressentaient ses protégés car elle avait vécu la même chose.

Les souvenirs s'égrènent depuis la naissance de Marianne à Mannheim en 1922 et le déménagement de la famille à Berlin. Une enfance ensoleillée qui va brusquement s'interrompre quand Hitler fait arrêter les Juifs parce qu'ils sont Juifs. Non pratiquante, la famille prend la direction  de l'Espagne en 1934, deux ans avant la guerre civile qui l'oblige à refaire ses valises. En France, cette fois, pays qui emprisonne les adultes juifs dès 1939. Privées de leurs parents, Marianne et sa sœur Lisa vont être recueillies par les Scouts israélites de France chez qui elles trouvent une famille provisoire.

A la libération de ses parents en mai 1941, Marianne sait ce qu'elle va faire de sa vie: aider les autres comme ils l'ont aidée. Elle sera donc résistante. Arrêtée à Nice en 1943, elle écrira en prison un splendide poème qui figure dans l'album. Relâchée, elle reprendra ses activités et convoiera dorénavant des enfants juifs. Si elle et son groupe ont été arrêtés, Marianne parviendra à ce que tous les petits soient sauvés. La barbarie nazie s'occupera d'elle.

On suit, complètement troublé et bouleversé, cette histoire merveilleusement contée et portée par les très belles huiles de Christel Espié, expressives et d'une facture classique qui sied au sujet. Dans la plupart des doubles pages, on a le texte à gauche et l'illustration en pleine page à droite. Un rythme qui est coupé par les doubles pages où il est question des Allemands et où le dessin en sépia se pose alors à l'horizontale. Complété de trois pages documentaires, "Te souviens-tu, Marianne?" n'aurait pu exister sans la rencontre d'un témoin-clé, Renée, que l'auteur a écoutée avant de nous partager le destin de celle qui l'a sauvée.


Un héros silencieux


Nicky & Vera
Peter Sis
traduit de l'anglais par Christian Demilly
Grasset Jeunesse, 72 pages
dès 6 ans

Mais quel talent et quel sens graphique que ceux que déploient Peter Sis dans cette autre magnifique histoire de sauvetage d'enfants juifs durant la Seconde Guerre mondiale! L'auteur-illustrateur américain d'origine tchèque entrelace les destins d'un Anglais trentenaire et d'une fillette juive de onze ans vivant alors à Prague avec une délicatesse infinie donnant une terrible force à  ses propos. Avec son alternance de pages en quadrichromie et en bichromie, riches d'une infinité de détails signifiants, voilà un album de toute beauté, prodigieux et bouleversant.
"J'ai toujours cherché à célébrer les aventuriers, les explorateurs, les inventeurs et les rêveurs", a déclaré Peter Sis. "Mais je n'avais pas prêté assez d'attention aux héros discrets et silencieux. Je rends hommage aujourd'hui à Nicholas Winton, un homme qui, voyant la tournure que prenait le monde en 1939, a tenté, à son échelle, d'agir autour de lui, sans jamais prétendre être un sauveur."
L'artiste entrelace lumineusement et avec poésie les destins du Britannique Nicholas Winton, dit Nicky, qui, à l'hiver 1938, se rendit à Prague pour aider les centaines de milliers de réfugiés s'entassant dans la ville face à la menace nazie. Surtout, il sauva 669 enfants en organisant leur départ de Prague pour Londres. Tous les moyens lui étaient bons, officiels ou non. Parmi ces enfants se trouvait Vera dont on suit la tragique destinée. Evacuée à Londres, elle sera la seule survivante de sa famille.

Nicky va dans une école à éducation moderne. (c) Grasset Jeunesse.

Ce qui est terriblement impressionnant chez Nicky, c'est qu'il garda le silence complet sur ces faits pendant cinquante ans. C'est une découverte fortuite de son épouse dans le grenier qui  mit en lumière ses actions, et que certains des enfants qu'il avait sauvés purent se retrouver. 

L'album se termine par plusieurs pages documentaires précisant les itinéraires de Nicky et Vera. Lui décéda en 2015, à l'âge de 106 ans, elle mourut en mars dernier, à l'âge de 93 ans, juste avant la sortie en français de cet album qui est un des plus beaux et des plus forts de l'année 2022. Le livre nous parle de courage, nous rappelle l'importance de la mémoire et du soutien aux réfugiés livrés à la folie du monde. Il nous exhorte doucement à ouvrir son coeur et à mettre son esprit au service de notre humanité.


Nicky reverra nombre des enfants qu'il a sauvés, dont Vera. (c) Grasset Jeunesse.


L'esclave anonyme


Un homme
Gilles Rapaport
Le Genévrier, 48 pages
dès 9 ans

Réédition bienvenue d'un album paru en 2007 et donnant la parole à un jeune esclave noir en fuite au moment où  était encore d'application le "code noir", c'est-à-dire les scandaleux dispositifs punitifs à l'égard de ceux qui s'enfuyaient par exemple. 

Dans un texte coup de poing, un jeune esclave s'adresse directement à son maître: "Qui suis-je? Quelle importance? Je suis la souffrance, je suis la rage. Je suis une femme, je suis un homme. Je suis. Tu ne me crois pas? Regarde, suis-je si différent de toi?" De page en page, il va rappeler à son maître qu'il est un être humain comme lui. De page en page, il va informer le lecteur des sévices qu'il subit alors qu'il est totalement au service de son maître tout-puissant. Frappé, brûlé, battu, fouetté, et les terribles châtiments chaque fois qu'il a tenté de fuir. Un texte sobre et des illustrations ultra puissantes dénoncent avec force l'esclavage et le racisme.

Torturé de toutes les façons. (c) Le Genévrier.


Tesla, le vrai


Electrique
La vie survoltée de Nikola Tesla
Azadeh Westergaard
Julia Sarda
traduit de l'anglais par Ilona Mayer
Editions des Eléphants, 48 pages
dès 7 ans

Dire Tesla aujourd'hui fait immédiatement penser à la voiture et à son inventeur. Un nom parfait du point de vue marketing mais qui efface complètement le fait qu'il est avant tout celui de Nikola Tesla, un des plus grands inventeurs de l'histoire, le magicien de l'électricité.

On suit le destin incroyable et formidable de ce bébé né le 10 juillet 1856 au douzième coup de minuit à à Smiljan dans ce qui était alors l'Empire d'Autriche. L'enfant vit à la campagne mais il a un chat dont le pelage lance des étincelles lorsqu'il est caressé. Cette électricité-là et celle dispensée par la nature durant les orages seraient-elles la même? La question ne va plus lâcher le jeune Nikola.

Les agréables illustrations donnent un côté joyeux et inattendu au texte qui suit chronologiquement son scientifique de héros. Enfance, études, idée de génie, arrivée à New York, développement de l'électricité, exposition universelle, moteur électrique, consécration... Tout cela est rendu de façon palpitante et attachante car l'homme est aussi poète et ami des animaux. Une très belle découverte.

Au travail. (c) Editions des Eléphants.

A la maison. (c) Editions des Eléphants.


Une histoire presque vraie


Les oiseaux électriques de Pothakudi
Karthika Naïr
Joëlle Jolivet
Hélium, 56 pages
dès 6 ans

Formidable histoire inspirée d'un fait divers qui s'est déroulé en Inde et qui est présentée comme un conte poétique illustré par les splendides et dynamiques gravures de Joëlle Jolivet. Le scénario est simple. Chaque soir Karuppu Raja active l'unique disjoncteur électrique du village. Chaque matin, il l'éteint. Cet éclairage public nocturne est souvent le seul des habitants. Il dissuade aussi les voleurs et les bêtes sauvages. 

Mais ce soir-là, Raja trouve un nid de vannathikuruvis, une sorte de gobe-mouches, pile au-dessous du levier. La femelle semble prête à pondre. L'allumeur de réverbère local ne peut se résoudre à remplir son rôle. Il va devoir persuader les villageois de partager son attitude et ce, trente-cinq jours durant. Va-t-il réussir? On suit avec intérêt et plaisir tous les détails de ce texte conté, tout en étant ancré dans le quotidien, jusqu'à la finale magistrale.

Surprise! (c) Hélium.

Discussions. (c) Hélium.



Rendre le monde meilleur


L'Homme aux chats d'Alep
Irene Latham
Karim Shamsi-Basha
Yuko Shimizu
adapté de l'américain par Jeanne Simonneau
Le Genévrier, 40 pages
à partir de 6 ans

Quand la guerre éclate à Alep en 2011, Alaa reste en Syrie car il est ambulancier. Il porte secours aux blessés, aide ses voisins âgés... Il reste à Alep, sa ville qui fut si belle. Il souffre du manque de ses proches, partis, enfuis. Il remarque alors les innombrables chats abandonnés qui se sont installés dans les décombres, dans les carcasses de voiture, dans les arbres et qui ont faim. Alaa va s'occuper de ces chats aussi. Et quand l'argent lui manque, la solidarité internationale lui viendra en aide. Il pourra même acheter un refuge qui deviendra "La maison des chats". Sans oublier les humains pour autant. Il distrait les enfants avec une plaine de jeux, creuse un puits d'eau potable. Alaa est sa ville d'Alep idéale. Un beau récit servi par des illustrations bien documentées.


Alaa est ambulancier. (c) Le Genévrier.

La guerre à Alep. (c) Le Genévrier.











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